Quand Lorenzo avait proposé à Fred de sortir boire un verre ce soir, il ne pensait pas honnêtement que son ami accepterait. Ces derniers temps, il refusait toujours, et Lorenzo soupçonnait Lauren d'être derrière tout ça. Elle n'avait pas du cacher à son mari qu'elle ne tolérait pas certaines de ses fréquentations, elle ne se gênait pas d'ailleurs pour faire comprendre à Lorenzo qu'il avait une mauvaise influence sur Frederik ... Et Lorenzo le lui rendait bien.

Quand il arriva dans le bar, Fred n'était pas encore présent. Tout en se dirigeant vers le comptoir, Lorenzo commença à se poser des questions sur sa ponctualité inquiétante : ce n'était pas la première fois qu'il se pointait quelque part avant l'autre personne. Etait-il devenu un ponctuel obsessionnel sans le savoir ? Il sourit, voilà qu'il devenait parano. Peut-être que, tout simplement, il préférait être à l'extérieur plutôt qu'à l'intérieur de sa maison, être un homme plutôt qu'un mari. Voilà une explication qui devenait bien plus crédible. Il eut alors une pensée pour Summer, la pauvre. Quand il avait annoncé qu'il sortait, sans l'avoir consultée au préalable, comme d'habitude, elle avait quant à elle précisé qu'elle restait chez eux et se coucherait tôt. Il se désolait parfois de voir qu'elle était quelque peu casanière, mais se consolait ensuite en se rappelant que Summer n'avait jamais été une fille frivole qui sortait en veux tu en voilà. Au moins, il n'avait pas changé ses habitudes, elle non plus. Après tout, boire un verre avec un ami n'était pas penser à mal, contrairement à ce que pourraient dire quelques mauvaises langues. Lorenzo les entendait encore siffler à son oreille, le soupçonnant de coucher à droite à gauche sous prétexte qu'il sortait beaucoup. Etait-ce si difficile d'accepter qu'il ait changé ? Lui pourtant si mature et responsable était considéré comme un inconscient égoiste, c'était un comble. Mais il préférait plaindre ces personnes, qui ne devaient pas sortir souvent, et pour qui - dès lors - mettre un pied dehors signifiait baiser avec le ou la première venue. Il était au dessus de ça, et n'avait pas besoin de gens comme eux. Le seul problème était que certains étaient des amis de Summer, comme Peter ou Mark. Mais une chose à la fois : ce soir il profitait, plus tard il agirait. Convaincre Summer qu'ils n'en valaient pas la peine n'était pas une mince affaire, risquée qui plus est. Mais, même si pour l'instant Summ ne croyait pas à ses ragots, il n'était pas dit qu'un jour elle ne commence pas à se poser des questions. Au pire, il pourrait toujours agir en temps voulu. Au pire n°2, ce n'était pas comme si Summ allait le quitter. Oui, il se prenait quelques fois la tête pour rien, mais quel italien peut accepter de voir sa réputation ainsi bafouée ? A cette pensée, il s'en voulut de penser alors à son pays natal, il s'y interdisait pourtant formellement. Heureusement, Fred décida enfin de se pointer. « Salut Fred, vas-y assis-toi » Ils commandèrent d'abord un verre avant d'entamer leur discussion. « Tu vas bien ? J'ai du mal à te voir en ce moment ! » Sous entendu, si tu m'évites c'est forcément que tu vas mal alors avoue tout.

Frederik ne l'avait rejoint que depuis quelques minutes, mais il ressentait déjà le besoin de parler de sa femme. Ils se disputaient régulièrement, mais Lauren restait le sujet de discussion favori de son mari. Lorenzo préférait s'en amuser, au moins ça lui prouvait que son ami éprouvait bien des sentiments pour celle qu'il appelait sa femme, car parfois Lorenzo émettait des doutes. « Cette chère Lauren ne m'apprécie toujours pas ? Elle va pourtant devoir s'y faire, je ne compte pas disparaître prochainement ! » Lorenzo se permit de rire, il savait que son ami ne lui en tiendrait pas rigueur. Après tout, ce n'était pas sa faute si Lauren ne l'appréciait pas. Enfin, si, un peu. Après tout, ses craintes étaient quelques peu justifiées, Lorenzo avait effectivement entretenu des relations avec quelques unes de ses étudiantes par le passé, il sortait beaucoup en boîte, contrairement aux bonnes manières indiquées pour un homme de son âge. Cependant, Lauren exagérait : jamais Lorenzo n'avait poussé l'un de ses amis dans les bras d'une fille - jeunette ou plus âgée - en le sommant de la chevaucher toute la nuit durant. Enfin si, il avait peut-être eu un tel comportement une fois ou deux avec Elias, mais ce dernier ne se serait pas retenu sans la bénédiction de son ami. En tout cas, Lorenzo n'agirait jamais ainsi avec l'un de ses amis ayant la bague au doigt, ou presque. « Je propose de porter le premier toast à ta vie qui n'est plus un enfer ! » Il leva son verre, trinqua avec Fred et but quelques gorgées. Il le pensait sincèrement. Même si Lauren et lui ne seraient probablement jamais amis, que Lauren n'accepterait jamais qu'il soit le parrain d'un de ses enfants, son ami méritait d'être heureux.

« Moi je vais bien, comme d'habitude. Non, Summer ne m'a fait aucune remarque sur ma sortie de ce soir. D'un autre côté, je suis tellement dehors en ce moment qu'elle se serait bien vite lassée, si elle devait pester à chaque fois ! » Réalisant la véracité de ses paroles, Lorenzo reposa son verre quelques instants. Il détestait ces moments, où il se souvenait que lui profitait et que sa femme restait désespérément seule. Pourtant, jamais il ne l'avait forcée à se terrer chez eux, ce n'était donc pas sa faute à lui. Bien triste consolation, pourtant Lorenzo s'en contentait. Ou du moins se forçait à s'en contenter, faute de mieux. « Je te jure je ne la comprends pas, sommes-nous des extra terrestres à profiter ainsi de nos soirées ? Nous ne faisons rien de mal à ce que je sache ! » Il finit son verre d'un trait et le posa alors d'un coup sec sur la table. « Il n'est pas né celui qui nous forcera à rester chez nous à trente ans, je te le dis ! Et pour la peine, barman, un autre verre ! » Une bien drôle de façon d'évacuer sa colère, Lorenzo le savait. Seulement il ne voulait pas les exprimer, avoir cette discussion avec Summer. Même si rentrer ivre, avoir la gueule de bois le lendemain, alors que la jolie rousse afficherait une mine fraîche, allait juste accentuer sa culpabilité.

Quand ils abordaient le sujet Lauren, Lorenzo devait toujours mesurer ses mots, réfléchir avant de prendre la parole. Il ne voulait pas vexer son ami, seulement l'opinion qu'il avait de sa femme ne jouait pas en leur faveur. Il pensait que Lauren prenait son mari pour un gamin, incapable d'agir seul et terriblement influençable, même pour faire les pires conneries. Heureusement, Lorenzo avait toujours la présence d'esprit de tourner sa langue sept fois dans sa bouche, et éviter ainsi les erreurs. Cependant, même s'il employait un vocabulaire plus approprié, il mettait un point d'honneur à dire ce qu'il pensait. Il savait très bien que Fred ferait de même si les rôles étaient inversés. Elle n'était pas née la femme qui dresserait des tabous entre les membres de leur quatuor. « J'ai beau essayer, je ne comprends toujours pas son raisonnement. Qu'elle croit aux rumeurs infondées est une chose, qu'elle pense que je vais faire de toi mon acolyte machiavélique en est une autre. Il y a un fossé entre boire un verre de temps en temps et devenir un dépravé. » Ne pas pouvoir aider son ami le minait. Dans un long soupir, il tenta une dernière fois de trouver la solution miracle pour aider Frederik, mais à moi de jeter un sort à Lauren et de la rendre plus douce, Lorenzo avait peu d'espoirs. Surtout avec un Frererik qui rejetait la faute sur lui ! Dépassé, Lorenzo leva les yeux au ciel, en mimant un non de la tête. Il ne pouvait pas honnêtement se sentir coupable, c'était insensé. « Fred, tu avais toutes les raisons d'être détestable avec elle, ce n'est pas toi le fautif dans l'histoire. C'est vraiment bien si aujourd'hui vous êtes passés outre, mais tu ne devrais vraiment pas regretter ton comportement, ou éprouver des remords. » Il hocha la tête pour approuver ses paroles, même s'il doutait du pouvoir de ces dernières sur son ami. Dans ce genre de situation, Lorenzo ne pouvait s'empêcher de remarquer tout ce qui les différenciaient, tous les deux. Peut-être était-ce ça, aussi, qui renforçait leur amitié.

Contrairement à Fred, Lorenzo n'était pas encore capable d'aborder le sujet "mariage" de façon naturelle. Pourtant, Summer et lui avaient fêté leur un an il y a quelques mois déjà. Mais il ressentait toujours cette drôle de boule à l'estomac, quand il l'appelait "ma femme". « C'est très gentil de t'inquiéter pour nous Fred, et ne t'en fais pas notre relation est très passionnelle ! » Lorenzo ne put s'empêcher de rire de ce sous entendu. « Je ne pense pas que cela signifie qu'elle ne tient pas à moi. Notre relation est basée sur la confiance tu sais, ni elle ni moi ne nous engagions à la légère, elle sait que je ne suis plus le même, elle me fait confiance. Seulement je ne m'engageais pas pour passer ma vie cloitré la maison. » Il s'imaginait déjà, suffoquant, bloqué chez lui en peignoir et pantoufles, tous les soirs, blasé devant la télé, regardant défiler avec angoisse le cours de sa vie. Très peu pour lui. Il avait besoin d'air, de liberté. Après tout, c'était pour ça qu'il était parti à New York, il y a deux ans, pour respirer, pour vivre. Pour certains, se passer la bague au doigt était aux antipodes du besoin de liberté qu'il avait exprimé. Pour Lorenzo, c'était toujours conciliable. La preuve, Fred commençait à rejoindre son avis. Non ils n'allaient pas dans des lieux dépravés, ils buvaient un verre et se marraient, rien de plus. « Ah, comme je te retrouve, c'est bien dit ! » Et Lorenzo but cul sec son deuxième verre. A chaque fois que Lorenzo avait la descente facile, il se rappelait le premier verre de vin qu'il avait bu, alors âgé d'une dizaine d'années, lors d'un diner à la campagne familiale. Il avait assuré à son père que s'il le buvait cul sec, il aurait l'autorisation pour se rendre à la fête du village. A l'époque, il avait failli tout recracher, quel souvenir ... Mais Fred le tira de ses pensées en les comparant à des "piliers de bars". Lorenzo éclata de rire, ils auraient eu l'air de deux gros pervers. « Attention Fred, tu ne sais pas encore comment se finira cette soirée, tout peut arriver ! » Et deux filles en mini jupes pouvaient très bien les rejoindre plus tard. Mais avec la remarque de Fred sur ses étudiants, Lorenzo réalisa que les deux éventuelles filles en mini jupes pourraient très bien être de sa classe, et ça, ça n'était vraiment pas envisageable. Tant pis, pas de ragots croustillants pour la pauvre Lauren. « Je te jure ma classe de l'année dernière me manque ! Cette année, j'ai l'impression que le nombre d'étudiantes écervelées à augmenté. On dirait qu'elles pensent qu'elles n'auront pas leur diplôme en réussissant leurs examens mais en étant reine de promo, va comprendre ! Alors leur parler de maths, j'ai l'impression de parler chinois à chaque fois ! Je devrais peut-être changer de matière »

Un instant, Lorenzo imagina la scène : lui surprenant Summer au lit avec un petit jeune. En bon italien qui se respecte, il avait remarqué et gardait à l'oeil les jeunes hommes qui s'intéressaient de trop près à sa femme. Il y avait ce Mark, là, mari cocu, Lorenzo le soupçonnait de vouloir apaiser sa peine avec Summer. Qu'il aille voir ailleurs. Enfin ... Lorenzo se demanda quelle serait sa réaction, et il était incapable de la prévoir. Peut-être en voudrait-il à Summer, peut-être casserait-il la figure de cet impétueux. Peut-être ne ferait-il rien. Après tout, il était si difficile d'imaginer Summer être infidèle, qu'imaginer sa réaction l'était tout autant. « Tu m'étonnes, je te comprends, ta réaction était normale » Lorenzo se concentra sur le contenu de son verre, afin de ne pas en dire plus. Il mourrait d'envie de continuer sa phrase, mais son ami avait de nouveau retrouvé la paix et son rôle n'était pas d'envenimer la situation. Alors oui, selon lui, Lauren ne le méritait plus. Mais il gardait ça pour lui. De toute façon, il doutait fortement que Frederik comprenne. Pour lui, sa femme n'était que passion et vivacité. Mais il avait bon dos, son caractère enflammé.

« Oh Fred, je ne t'en veux pas hein ! » Dans la tentative d'explications un peu foireuse de son ami, Lorenzo avait cru voir une envie de se rattraper. Pas une seconde Lorenzo ne s'était vexé, beaucoup de gens aux pensées bien moins honorables doutaient de l'amour sincère que portait Lorenzo à sa femme. Mais au contraire, il savait que Fred n'avait aucune pensée derrière la tête quand il posait ses questions. « Tu n'es pas le premier à t'étonner de notre mariage, pour beaucoup je ne la mérite pas, je ne lui montre pas que je l'aime ... Mais je suis comme ça ! » Il émit un petit rire, ah si on lui avait dit qu'il reviendrait marié, quand il avait quitté Magnolia il y a maintenant 2 ans de cela. Il avait passé une année inoubliable à New York ... et était revenu la bague au doigt et la main de Summer dans la sienne. Mais il n'était écrit nulle part sur l'acte de mariage qu'il devait renier ce qu'il était. Même si ça passait par des sous entendus vaseux à propos des jeunes filles présentes dans le bar. Fred, contrairement à lui, semblait plus réservé. Lorenzo ricana gentiment, il le reconnaissait bien là. Contrairement à lui, Fred relâchait beaucoup moins la pression ... L'habitude de son métier, sans doute. « Fais attention Fred, ou je vais te prendre au mot et inviter quelques filles à se joindre à notre discussion ! » Il haussa les sourcils, geste lourd en sous entendus. Mais honnêtement, tous deux savaient que Lorenzo rigolait : plusieurs de ces filles étaient ses élèves. Alors discuter avec leur décolleté plongeant serait trèès trèès mal vu. Même si elles ne devaient même pas se souvenir qu'il était leur professeur. La jeunesse d'aujourd'hui ... « Mais moi ce que je voudrais, c'est qu'ils se rendent compte que sans travailler, ils n'auront rien ! Même les garçons sont comme ça ... or ils ne pourront jamais être les maris riches de ces dames sans étudier un minimum. Ah moins qu'ils finissent tous footballers et mannequins. » Il leva les yeux au ciel, indigné. C'était tellement frustrant. Il avait essayé toutes les méthodes possibles, mais rien n'y faisait. « J'ai l'impression d'être un utopiste qui veut refaire le monde ! Moi aussi à leur âge, je n'étais pas des plus sérieux. Mais je n'étais pas à ce point inconscient bon sang ! » Peut-être était-ce une question d'éducation, aussi. Chez lui, en Italie, les règles étaient strictes. Et Lorenzo était incapable d'y déroger sans se le reprocher ensuite. Alors certes, il commettait des écarts. Mais jamais il n'aurait osé désobéir ou décevoir ses parents. Seulement les parents de certains de ses élèves étaient le parfait miroir de leurs enfants, alors à quoi bon ...

« Fred, adolescent, je ne pensais même pas que je quitterais l'Europe, ou même l'Italie ! Et pourtant je suis ici ! » Soudain, il marqua une pause, en prise avec la nostalgie. Il allait ajouter que naturellement, il ne s'était pas imaginé marié, pourtant ... « Quand j'étais à l'université, je m'imaginais marié avec ma petite amie de l'époque. Et professeur à la fac. Tu vois comme j'ai peu suivi ce que j'avais prévu. » Un blanc gênant s'installa, durant quelques longues secondes. Mais bien vite, Lorenzo secoua la tête : il fallait enlever ces pensées passées de son esprit, et changer de sujet, aller vers des contrées plus joyeuses. « Et toi alors, comment étais-tu à cette époque ? Je suis sûr que tu étais déjà aussi sérieux, et que tu te voyais déjà devenir juriste, et marié jeune ! » Tout simplement parce que pour Lolo, il était impossible d'imaginer Fred autrement.