Cinzia & Noah

Noah bossait aujourd'hui. Il était serveur au café depuis maintenant presque deux mois. Un exploit pour lui qui changeait de travail presque toutes les semaines habituellement. Il a du mal à supporter... L'autorité. Il détestait qu'on lui dise quoi faire. Heureusement, le patron du Gordon Coffee avait réussit à apprivoiser le jeune homme, en lui donnant l'impression que c'était lui qui décidait de ce qu'il faisait, bien sûr, c'était loin d'être le cas, mais cette technique avait marché. Noah n'était pas dupe, il était conscient de tout ça, mais au moins il ne se disputait pas avec le patron et arrivait à prendre plaisir à travailler. Si il pouvait arrêter il le ferait ! Vivre de sa musique serait la meilleure solution pour lui. Mais pour l'instant il devait se contenter de ça. Et puis il voyait souvent des amis à lui au café, il pouvait discuter un peu. Le patron le laissait faire, tant qu'il les servait et qu'il ne le faisait pas quand il y avait trop de monde. Une relation de respect mutuel s'était instauré entre Noah et son patron. Cet homme était vraiment un magicien pour réussir à obtenir le respect de Noah.

Il devait être dans les seize heures. Il n'y avait pas énormément de monde étant donné que nous n’étions pas le week-end. La fréquentation principale du café était les étudiants, et la plupart avaient cours à cet heure-là. Il y avait seulement quatre tables à servir. Noah était de bonne humeur. Il avait pu choisir la musique qui passait dans le café et avait mit les doors. Il le pouvait seulement quand sa coéquipière serveuse n'était pas là, elle n'avait pas du tout les mêmes goûts musicaux que Noah et ne supportait pas sa musique de vieux, ou de sauvage, comme elle disait. Elle préférait Rihanna et Lady Gaga. Ils se disputaient souvent pour choisir, mais aujourd'hui elle était en congés. Noah servit les quelques tables, souriant et sociable. Ce métier lui convenait plutôt bien. Il alla derrière le comptoir, et commença à lire un magasine de rock qu'il avait acheté la veille. Puis quelqu'un entra. Noah leva les yeux de son article. Il connaissait cette silhouette. Il la connaissait même très bien. C'était sa petite amie Cinzia. Elle était toujours bien habillée, toujours belle. Sauf qu'en ce moment ils étaient en froid. Cela faisait plusieurs semaines qu'ils ne s'étaient pas adressé la parole. Noah se baissa derrière le comptoir afin qu'elle ne le voit pas. Immature vous dites ? C'est pas nouveau. Le patron sortit de la cuisine et fit les gros yeux à Noah. Il lui dit de sa voix grave.

« Que fais-tu Noah ? »

Noah montra la jeune fille d'un mouvement de tête.

« Je ne peux pas la servir... C'est ma copine... Et on n'est pas en très bons termes en ce moment. »

Il grimaça, pensant que le patron allait comprendre.

« C'est avant tout une cliente. Alors va prendre sa commande. Tout de suite. »

Noah hésitait. Soit il s’exécutait et risquait la tempête insurmontable que provoquerait sa petite amie, soit il perdait son travail. Il déglutit et se releva. Il fit un regard triste à son patron, dans le genre petit chiot sans défense, mais il tourna la tête et retourna dans sa cuisine. Noah soupira. C'est partit, troisième guerre mondiale en vue. Il alla à la table de Cinzia, marchant droit, à pas décidés. Il arriva devant elle et la regarda.

« Qu'est ce que tu veux ? »

Il croisait les doigts pour qu'elle soit dans un bon jour.

Demain était un autre jour. Alors voilà, hier soir ils s'étaient engueulés, ils avaient eu la dispute du siècle, ça s'était terminé en larmes pour elle, en cris pour lui, chacun était reparti de son côté plein de fierté et sans s'excuser bien sûr. Ils ne s'excusaient jamais l'un l'autre. C'était leur problème. Ils laissaient toujours les soucis les submerger et ne posaient jamais clairement de mots sur ce qu'ils pensaient. Ils laissaient les non-dits et les quiproquo leur gâcher la vie. Si bien que chacun avait fini par avoir une opinion faussée de l'autre. Personne ne comprenait leur relation. Pourquoi étaient-ils ensemble, s'ils ne faisaient que de s'engueuler constamment ? La réponse était pourtant simple : parce qu'au moment où ils se réconciliaient, Cinzia était la plus heureuse du monde. Elle collectionnait les "c'est oublié" et autre "je ne t'en veux pas" comme les phrases les plus précieuses et chères à son coeur. C'était pourtant si étrange de se dire que dans leur couple il y avait 80% de disputes, 20% de moments de bonheur, alors que dans les autres couples qu'ils cotoyaient ces chiffres étaient inversés. Le plus souci de Cinzia était qu'elle cherchait encore comment les faire basculer, ces chiffres.

Alors comme d'habitude un lendemain de dispute, encore pire qu'un lendemain de soirée, elle s'était levée le coeur lourd et était allée dans la cuisine comme si de rien n'était. Elle avait fait deux-trois sourires à ses colocs pour leur signifier que tout allait bien après qu'elles l'aient vu rentrer hier soir avec du mascara dégoulinant sur les joues. Puis elle était allée sous la douche et y était restée longtemps, très longtemps. Comme pour se laver de son malheur. Elle était sortie de la cabine de douche, prête à affronter une nouvelle journée de plus au compteur, et s'était maquillée comme si elle était dans un bon jour.

Elle avait le teint rayonnant désormais : un peu de rose sur les pommettes, du rouge à lèvres et un soupçon de mascara sur les cils. Lavée, maquillée. Il ne lui restait plus qu'à s'habiller. Ce qu'elle fit en prenant le plus grand soin lorsqu'elle choisit ses habits. Elle mit la robe saumon à pois noir, la préférée de Noah, celle grâce à laquelle elle avait toujours droit à un « Wouah » dès qu'elle la portait devant lui. Puis elle enfila ses ballerines noires les plus jolies et attrapa son sac à main, noir lui aussi. Avant de s'envoler vers le Gordon Coffee, elle envoya un baiser de la main à Alix qui était sur le canapé. Voilà, c'était parfait, comme ça elle ne pourrait pas deviner que tout allait mal.

Une fois arrivée au Gordon, Cinzia repéra tout de suite Noah. Il la regarda à peine, et elle vit bien qu'il n'avait pas envie de venir la saluer ni même la servir. Elle eut envie de rire lorsque son patron le força à aller la voir. Bien fait pour lui. Lorsqu'il ouvrit la bouche, le ton froid de son petit ami la refroidit tout de même.

« Ce que je veux ? »

Il lui demandait ce qu'elle voulait ? Qu'ils se réconcilient, qu'il l'embrasse, qu'elle lui dise à quel point elle l'aimait, qu'ils oublient la soirée d'hier soir, qu'ils soient heureux pour de bon.

« Un café, s'il te plait. »