Cela faisait désormais une demi-heure que Nina avait sa classe, son emploi du temps, sa table individuelle, sa salle de cours. Elle était assise là, à écouter à moitié son prof principal blablater sur les enjeux de l'année à venir, leur faire la morale à propos de la charge de travail et du comportement sérieux qu'ils allaient devoir adopter.. Tout cela la fatiguait d'avance. Vivement que tout cela soit fini, achevé, enterré, derrière elle, qu'elle puisse enfin être indépendante de ce lycée qui les surveillant tant. C'était la rentrée et elle était déjà épuisée. La mine lasse, elle fit un effort surhumain pour se réveiller et attraper à contre-coeur la feuille que venait de lui distribuer sa professeur principale. Cette feuille, c'était une liste avec le nom de ses professeurs, du directeur, de l'infirmière, bref le blabla banal de début d'année.

Hmm, pas si banal finalement. Lorsqu'elle parcourut des yeux les lignes manuscrites, son coeur se serra. Ses yeux même restèrent rivés sur une des lignes de la feuille : Mr Di Mascio - Professeur de mathématiques. Etait-ce un rêve, un cauchemar ? Comment cela était-il possible? Son ex-professeur s'était enfui à New York il y avait un an de cela. Nina l'avait eu comme prof en 11th Grade, et rebelote voilà qu'elle le retrouvait au lycée pour sa deuxième 12th Grade ? Tout cela lui paraissait pourtant si loin, la 11th Grade, son histoire avec Lorenzo, oui elle l'appelait par son prénom car il n'était pas qu'un simple professeur pour elle, mais tout cela était encore une fois bien trop compliqué.

A la fin de l'heure, c'était une Nina un peu paumée qui salua ses amis avant de se diriger vers la sortie de Sterling afin d'aller retrouver sa petite merveille garée sur le parking. Mais - comme par hasard - une voix dans une salle de classe attira son attention. Une voix familière mais qui ne l'était plus tant. Nina se stoppa dans le couloir et jeta un coup d'oeil vers où venait la voix. Elle s'approcha un peu. Inutile de faire durer le suspens, vous aurez deviné à qui appartenait cette voix. Nina hésita un peu sur le pas de la porte, puis fit son entrée sans frapper. De toute façon, il était seul.

« Tu n'as pas changé. »

Prononça-t-elle simplement, sur un ton neutre, sans joie ni haine. Voulait-elle dire tu n'as pas changé dans le sens tu es toujours aussi beau, aussi sexy, aussi stupide ? Seule Nina le savait.

Il venait de dire son prénom. Deux fois. Pourtant, elle avait l'impression qu'il s'adressait à une étrangère, à une autre, à une ombre invisible. Nina regarda autour d'elle, mais non c'était bien à elle qu'il parlait. Si ça se trouve elle était une nouvelle fois en train de péter un plomb et de délirer dans l'un de ses rêves. Tout ça n'était peut-être pas réel après tout. Si ça se trouvait, dans cinq secondes elle allait se réveiller et le regretter aussitôt fait. Elle était perdue. La faute à qui ? Nina était carrément dans sa bulle en ce moment, un peu stone, un peu sur la lune, comme si elle ne faisait plus partie du monde extérieur. Elle passait ses journées à ne penser à rien, à se lever le matin et à faire la même chose tous les jours comme un robot. Ses "salut" étaient mécaniques, ses sourires étaient mécaniques, sa démarche était mécanique, ses paroles étaient mécaniques, tout était mécanique chez elle depuis quelque temps. Comme si elle avait mis sa vie sur pause et qu'elle attendait un électro-choc pour la réveiller de ce coma semi-artificiel.

C'était pas sa faute. Elle, s'était toujours comportée comme elle l'avait fait depuis toujours. C'était les autres autour d'elle qui changeaient. Et elle, elle ne comprenait plus rien. Tout ce qui lui arrivait en ce moment, que ce soit en bien ou en mal, cela la paumait un peu plus à chaque fois : le déménagement de Naya, la trahison de Jérémy, la gentillesse de sa soeur avec elle, son redoublement.. Et puis maintenant, lui qui revenait.

Il arrivait à n'importe qui un jour de se sentir.. vide. Comme si quoi que la personne fasse, quoi qu'on lui dise, qu'on lui fasse tous les compliments de la terre, qu'on porte toute son attention sur elle, qu'on lui offre nos plus beaux sourires, qu'on fasse tout pour elle ; elle se sentira toujours vide, perdue, seule. Et c'était exactement ainsi que se sentait Nina depuis un mois. Toutes ces choses qui arrivaient brusquement et en même temps dans sa vie, elles ne les avait pas attendues et maintenant elle ignorait comment s'en sortir. Parfois, elle se mettait à pleurer pour rien, en plein milieu d'une séance de ciné, d'un repas de famille, en marchant dans la rue ou encore au beau milieu de la nuit, toute seule dans sa chambre. Mais ses pleurs n'avaient aucune raison, ils étaient seulement ceux d'une petite fille incapable de s'en sortir dans ce monde de fous.

Tout le monde autour d'elle voyait bien qu'elle pétait un plomb et qu'elle n'était plus elle-même. La Nina joyeuse en toutes occasions, toujours dynamique et boute-en-train s'était envolée. Sa mère avait même dit il y a peu à son époux "On m'a volé ma fille". Ils ne comprenaient pas, mais à vrai dire même elle ne comprenait pas tout dans l'histoire.

Alors elle se trouvait là, en face de lui, ne sachant quoi répondre à ses mots. Avait-elle seulement besoin d'un bouleversement de plus ? Lui aussi semblait nerveux, il se tripotait les mains et remettait en place ses cheveux toutes les cinq secondes. Cela l'agaçait. Elle avait l'impression qu'il ne se sentait pas à sa place, pourtant c'était celle qui avait été la sienne pendant un an. Nina n'arrivait pas à cerner son regard. Il semblait à la fois malheureux d'être ici et confus à la fois de la revoir. Sans aucun doute était-il le meilleur remède qui aurait pu lui arriver ces jours-ci. Elle hésita longtemps avant de parler, j'lui dis, j'lui dis pas, j'lui dis, j'lui dis pas? puis se lança :

« Tu me manques. »

Après tout, si elle était dans un rêve il ne pouvait rien lui arriver n'est-ce pas ?

Cette phrase lancée pas vraiment au hasard, elle l'avait formulée au présent. Oui, car il se trouvait en face d'elle et elle pouvait désormais le contempler de ses propres yeux, certes. Pourtant, ce n'était pas cette personne-là qui lui avait manqué tout ce temps durant, c'était le Lorenzo fou d'elle et passionné qu'elle n'avait plus revu depuis qu'il s'était enfui ce fameux jour de printemps où il l'avait abandonnée.

Nina ▬ Tu me manques.

On dit que les phrases courtes valent mieux qu'un long discours, sur le coup, Lorenzo n'était pas d'accord. Nina n'avait prononcé que trois mots, trois petits mots futiles, inutiles, mais qu'est-ce qu'ils étaient porteurs de sens, ici. La voix de Nina était si douce, et ses mots si durs. Lorenzo ne les aimait pas, il voulait qu'elle les retire, qu'ils les oublient. Elle n'aurait jamais dû dire cela. En plus, elle semblait si désespérée, perdue ... Mais ce n'était pas à lui de lui indiquer sa voie, ce n'était plus à lui ... Leurs chemins n'avaient plus à se croiser, ils n'avaient plus aucune route à faire ensemble. Alors, 'Enzo devait lui dire, lui expliquer pourquoi, aussi. Mais c'était trop dur. Tant bien que mal, il tentait de se persuader que ce qui l'empêchait de dire la vérité, c'était que cela blesserait Nina. Elle était bien trop fragile pour affronter la nouvelle. Mais au fond, la vérité était tout autre : il était lâche. C'était tout. Il n'était pas capable d'assumer la vérité, alors la dire à Nina ... Que dire ? « Cool, moi c'est ma femme qui me manque, tu dois la connaître, elle est secrétaire ici, au lycée » ? Quelle blague. Aucune phrase ne lui permettrait d'avouer la nouvelle sans que cela affecte Nina. Or, il ne voulait pas qu'elle en souffre, peut-être parce qu'il avait peur des conséquences. Et si elle pleurait ? Et si elle s'énervait ? Et si, de rage, elle lui donnait un coup dans ses bijoux de famille ? Trop risqué.

Lorenzo ▬ Je ... Je ne suis pas en mesure de répondre à cette phrase

Un connard, entier et fini, voilà ce qu'il était. L'ambiance était tendue, l'air était lourd. Vous savez, comme durant ces journées d'été où il fait très chaud. Souvent, s'en suit un violent orage, qui vient tout remettre en ordre. Lorenzo n'était pas dupe, il savait qu'un gros orage n'allait pas tarder à éclater, entre Nina et lui. Mais il repoussait le choc autant qu'il le pouvait, parce qu'il savait très bien que, après, rien ne rentrerait dans l'ordre. Alors, tout ce qu'il se contentait de faire, c'était hésiter. Hésiter entre avouer la vérité et ne rien dire. Mais dieu qu'elle était belle, dieu que leurs souvenirs étaient beaux, dieu qu'il aurait voulu ne jamais avoir à lui dire une telle chose. Le pire, c'est qu'elle ne serait pas la seule à en souffrir. Il en prendrait un sacré coup aussi.

Lorenzo ▬ Tu n... enfin vous, vous ne savez sans doute pas que je suis marié, Mlle Van Valkenburg

Et, histoire de prouver qu'il ne mentait pas, il leva la main et lui montra son alliance. Comme si, sans cette preuve, on aurait pu croire que ce n'était pas vrai. Comme si c'était tellement énorme et improbable, que sa parole ne suffisait pas.

« Ah, c'est vrai ? »

Répondit-elle spontanément comme n'importe qui aurait fait pour faire mine de s'intéresser à un truc super important qu'un ami annonce. Sauf que là, c'était totalement débile de sa part de réagir ainsi. Elle s'était surprise elle-même à faire "comme si" elle était contente pour lui. En fait, elle s'en voulut d'avoir dit ça car, non il n'était pas un simple ami qui avait un truc super important à annoncer, non, elle n'avait pas bien réalisé l'importance de sa phrase. Et alors lorsqu'elle comprit vraiment, la vision qui se forma dans sa tête fut complètement à l'opposé de ce qu'elle avait pu montrer à l'instant. Marié, seriously ? Comment un garçon comme Lorenzo avait-il pu se marier ? Non pas qu'il ne le mérite pas. Simplement, Nina le voyait comme quelqu'un de tellement... lunatique, détaché des conventions, libre tout simplement. Comment avait-il pu en arriver là ? Si le mariage était le plus beau des rêves de Nina, elle en doutait qu'il en soit de même pour lui. La jeune fille n'aurait jamais parié un cents que celui-là finirait par se caser. Etait-ce New York qui l'avait changé à ce point ? Elle n'en revint pas.

Qui était cette fille, alors ? Qui était celle qui avait réussi à le détourner de ses convictions, qui était l'heureuse élue qui l'avait changé à jamais ? Nina rigola intérieurement car c'était bête mais elle aurait bien aimé être à la place de cette fille, rien qu'une fois, juste pour voir ce que ça faisait d'être LA fille, celle pour qui on pouvait tout abandonner. Nina ignorait qui était cette fameuse fille mais déjà elle la détestait et l'admirait à la fois. Elle devait certainement avoir un sacré caractère et une personnalité unique pour avoir réussi à faire du Lorenzo joueur et libertin un homme responsable et fidèle, chapeau, rien que pour ça elle lui devait son respect car jamais Nina n'aurait été capable de la moitié de ça. Mais au fond, le Lorenzo d'aujourd'hui en valait-il toujours autant la peine ?

Et puis qui était-elle maintenant dans tout ça, elle ? Elle était celle qu'on laissait tomber pour une autre, comme d'habitude. Lorenzo devait certainement la trouver enfantine et inintéressante à souhait, désormais. Et rien que pour ça elle aurait aimé ne jamais pénétrer dans cette salle de classe ce soir. Elle aurait préféré l'apprendre plus tard dans l'année, un jour où elle ne s'y serait pas attendue, et ses sentiments lui auraient procuré une émotion différente, sans doute moins violente que celle qu'elle avait pu ressentir lorsque Lorenzo lui avait balancé la nouvelle en direct.

« Non vraiment, c'est super. Pourquoi tu bégayes comme ça, tu devrais être fier, un mariage c'est super. Hein, tu es fier n'est-ce pas ? »

Lui demanda-t-elle en le fixant sans ciller. Nina avait failli continuer son speech d'amie pseudo-heureuse pour lui, limite si elle ne lui avait pas demandé les photos du Jour J, mais non c'était plus fort qu'elle. Sa façon de se défendre, c'était l'attaque. Quand elle se sentait blessée, il fallait que la personne en face d'elle se sente aussi vulnérable et misérable qu'elle, c'était sa seule façon de se sentir mieux. Pourtant, elle s'en voulait, elle ne voulait pas ça pour lui. Mais lui, avait-il seulement pensé à elle ? Pourquoi fallait-il toujours que les gens qu'elle aime la détruisent tous les uns après les autres ?

Connaissant Nina, Lorenzo s'attendait à ce que la 3e guerre mondiale se déclare. Il l'imaginait déjà dégainer un gun et lui tirer dessus. Ou même pire, s'en prendre à lui à mains nues. Elle avait beau être haute comme trois pommes et être mignonne comme un petit chaton, elle pouvait se transformer en tigresse en moins de deux. Méfiez vous de l'eau qui dort. Pourtant, bizarrement, l'eau continua de dormir et la réponse de Nina fut si ... simple, que cela surprit Lorenzo. Où était passée la Nina qu'il avait ai... apprécié, celle qui explosait comme une bouteille de Coca secouée, celle dont les yeux pétillaient comme la Badoit (ecco le summum en matière de drague : la comparaison à une eau gazeuse, si si !)

Nina ▬ Ah, c'est vrai ?

Lorenzo ▬ Euh bah ... oui.

Bonjour, nous sommes Nina et Lorenzo, et nous ne parlons qu'en mots monosyllabiques. Qu'est-ce qui leur prenait ? Ils étaient deux adultes (ou presque) et s'étaient toujours parlé franchement, ou presque.

Nina ▬ Non vraiment, c'est super. Pourquoi tu bégayes comme ça, tu devrais être fier, un mariage c'est super. Hein, tu es fier n'est-ce pas ?

Là, ça ressemblait déjà plus à du Nina. Même si Lorenzo n'aimait pas le ton qu'elle employait, au moins, cette discussion prenait une tournure plus normale, plus vraie. Et, surtout, Nina montrait combien cela la dégoûtait. Cela se lisait sur son visage. Aurait-elle préféré qu'il ne se marie pas ? Aurait-elle voulu être celle qu'il a épousé ? Comme il aurait voulu avoir les réponses à ces questions. Savoir ce qu'elle en pensait le démangeait, alors qu'il se refusait lui même à y penser. Bien sûr, quand il était revenu ici, il avait pensé à Nina, s'était demandé ce qu'elle était devenue. Même loin d'ici, il ne l'oubliait pas. Alors, forcément, il s'était imaginé, et s'il ne s'était pas marié, Nina et lui auraient-ils repris leur relation là où elle s'était arrêtée ? Qu'est-ce que cela aurait donné, s'il n'était pas "passé à autre chose" ? Et même, était-elle passé à autre chose ? Mais tant de tabous persistaient entre eux, qui empêchaient Lorenzo de parler. Et tant de gêne subsistait entre eux, qui empêchait Lorenzo d'aller vers elle et de la prendre dans ses bras.

Lorenzo ▬ Fier, je ne sais pas si là est la question. Heureux, je dirais ... C'est ce que tout le monde ressent quand il se marie, quand il entretient une relation amoureuse avec quelqu'un, du bonheur.

Il hésitait à continuer sa phrase, à poser cette question qui ne demandait qu'à sortir, mais que ses lèvres réprimaient. Cette question que son coeur posait, mais que son cerveau effaçait.

Lorenzo ▬ Et toi, tu es ... heureuse ?

Sa question voulait dire, en réalité, avait-elle quelqu'un dans sa vie. Mais jamais il n'aurait su lui poser ainsi. Pire, sa curiosité maladive et mal placée lui avaient fait oublié ses convenances, et il l'avait tutoyée de nouveau. Au diable, elle avait été "sa" Nina pendant si longtemps, que lui donner du vous était trop hypocrite.

Super. Il venait simplement de prononcer la phrase qu'elle redoutait, celle qu'elle n'aurait voulu entendre pour rien au monde, et voilà qu'il venait de la lui sortir. " Oui je suis heureux, et c'est avec une autre fille que toi. " Que pouvait-elle franchement répondre à ça ? " Ok génial on se revoit dans 10 ans et tu me présenteras tes enfants aussi ! " Une fois de plus elle allait être la fille à qui on raconte sa vie merveilleuse, celle qu'on invite aux mariages, aux histoires heureuses, mais qui n'en fait jamais partie. Comme d'habitude elle était spectatrice du bonheur des autres sans jamais pouvoir se dire : mais en fait, moi aussi je suis heureuse, merde.

Combien de temps ça allait encore durer tout ça ? Cette année avait vraiment été un échec pour elle. Pourtant, elle n'arrivait pas encore à se l'avouer. Alors voilà elle se trouvait en face de lui qui lui racontait ses petites histoires merveilleuses, son bonheur avec sa femme, et puis elle qu'avait-elle à raconter ? Je me suis fait tromper et larguer il y a un mois, je redouble mon année, je sors d'une quasi-dépression, mais j'aime ma vie ! Nina n'était pas du tout le genre de fille à vouloir qu'on s'appitoie sur son sort. au contraire, qu'on la voie dans un sale état était sa pire hantise. Il fallait toujours qu'elle donne l'impression d'être une fille forte et joyeuse. C'était l'image qu'elle voulait que les gens gardent d'elle en la croisant rien qu'une seule fois : cette fille est souriante et heureuse, quelle chance elle a !

Elle avait l'impression d'être une gamine à qui on venait de dire "non, tu n'auras pas ça pour Noël". Seulement, il s'agissait là de bien plus qu'un simple cadeau de Noël. Pourquoi avait-il fallu qu'elle s'attache à Lorenzo à ce point-là ? Elle le savait, pourtant, que la règle number one de toutes les règles du monde entier était de ne s'attacher à personne. Mais c'était plus fort qu'elle, si elle pouvait aisément donner l'illusion d'êre heureuse même les jours où ça ne l'était pas, elle ne pouvait faire semblant de se foutre éperdument de quelqu'un, et encore moins de lui. Peu de gens pouvaient se vanter d'avoir compté dans la vie de Nina. Lui le pouvait.

Pourquoi la vie n'était-elle pas comme sur Facebook ou Twitter ? (aiiight!) Pourquoi ne pouvait-elle pas juste cliquer sur une croix pour supprimer cette fille de leurs vies ? Cette fille qui se trouvait là entre eux deux comme un obstacle infranchissable. Capricieuse comme elle l'était, Nina ne supportait pas qu'on lui refuse quoi que ce soit. Avant il était "juste" un prof avec qui elle jouait avec le feu, maintenant il était marié et donc carrément innaccessible. (Ou pas) Et c'était ce qui le rendait encore plus attirant.

« Ouais je suis super heureuse, tout va carrément bien dans ma vie en ce moment comme tu peux le voir ! Que demander de plus, hein ? »

Répondit-elle, les mains sur les hanches, et un énorme sourire sur les lèvres. Qu'aurait-elle pu répondre d'autre sérieusement ? Quelques longues secondes gênées s'écoulèrent tout doucement avant que VV ne reprenne la parole.

« Non en fait je ne suis pas heureuse du tout, mais je suppose que t'en as plus grand-chose à faire n'est-ce pas ? »

Elle avait juste envie de le prendre dans ses bras et de revenir un an en arrière. Et ses yeux qui criaient "ne me laisse pas".

Lorenzo n'avait jamais été très courageux. S'il y avait le feu à l'école, il était à parier qu'il partirait en courant et laisserait ses élèves se débrouiller. S'il voyait, dans la rue, un enfant se faire attaquer par un gros dinosaure avec de grandes dents blanches et aiguisées, il passerait sûrement son chemin, l'air de rien. Alors, comme la présente conversation qu'il avait avec Nina n'était pas très fleurie, il avait bien envie de lui dire "Allez on fait comme si j'avais rien dit et on se dit au revoir poliment". Malheureusement, sa couardise n'avait d'égal que la franchise de Nina, et c'était bien sa veine. Voilà que l'une des qualités qu'il aimait le plus chez cette fille le forçait à rester là.

Nina ▬ Ouais je suis super heureuse, tout va carrément bien dans ma vie en ce moment comme tu peux le voir ! Que demander de plus, hein ?

Heureuse ? Lorenzo resta interdit. Vite, il s'ordonna de sourire, pour que la jeune fille ne remarque rien. Ensuite, il fabriqua dans sa tête quelques pensées toutes faites, afin de se persuader que c'était bien pour elle, qu'il était content qu'elle ait une vie heureuse, qu'elle le méritait. Mais c'était là sa raison qui parlait ... alors qu'au fond de ses tripes, son putain de coeur à la noix s'enflammait. Elle était heureuse, alors qu'avec lui elle ne l'avait jamais été. Leur relation n'avait été que cachotteries et mensonges, que secrets et discrétion. Elle n'avait pas été heureuse avec lui. Et maintenant, elle lui disait qu'elle l'était ... ses paroles étaient encore plus violentes qu'un Avada Kedavra. Comment un homme pouvait-il réussir là où lui avait échoué ? Et dire qu'à l'époque, il ne se souciait pas d'elle, il en voyait des tas qui, pour lui, étaient toutes "comme elle". Qu'il était con. Maintenant, il donnerait n'importe quoi pour revenir en arrière ... mais peut-être était-ce parce qu'il n'acceptait pas qu'un homme la rende heureuse alors que lui n'avait pas su le faire. Peut-être n'acceptait-il pas qu'elle se porte sans lui, parce que ça le rendait inutile, futile ? Il voulait être important, il voulait compter. Pire, il voulait compter pour elle. Mais non, il était juste ce prof avec qui elle avait couché lors de ses cours de soutien en maths, il était juste une histoire qu'elle pourrait raconter à ses copines pour se vanter. Et ça, c'est ce qu'il était pour toutes les filles. Toujours. Sans nul doute, il avait bien eu de la chance, en fait, de tomber sur une fille comme Tiffany, qui voulait bien de lui.

Nina ▬ Non en fait je ne suis pas heureuse du tout, mais je suppose que t'en as plus grand-chose à faire n'est-ce pas ?

En entendant ces mots, Lorenzo sentit son coeur se panser. Etait-il un connard, d'aller mieux quand elle lui avouait son malheur ? Et elle qui disait qu'il n'en avait rien à faire, quelle idiote. Bien sûr que non. Là, tout de suite, la seule chose à laquelle il aspirait était la prendre dans ses bras et lui promettre que ça allait s'arranger, parce qu'il était là. Pour elle. Mais c'était un mensonge, encore un. A croire qu'il ne savait lui offrir que ça. Il ne pouvait pas être là pour elle, il y avait cette barrière entre eux, qui empêchait leurs mains de se nouer ... Et cela lui donnait encore plus envie de la consoler. Encore plus envie d'elle.

Lorenzo ▬ Arrête de dire que je m'en fous, arrête d'être hypocrite alors que tu sais que c'est faux. Ce que tu ne comprends pas, c'est qu'on a pas toujours le choix. La vie n'est pas toute rose Nina, tout ne s'accorde pas selon notre bon vouloir. Parfois nous faisons des choses que nous ne voulons pas !

Il se calma, conscient d'y être peut-être allé un peu fort. Mais ça le tuait, qu'elle le prenne pour un égoïste. Non, il n'avait pas décidé tout seul d'aller à New-York. Non, il n'avait pas décidé tout seul de revenir. Non, il n'avait pas décidé tout seul de se marier ... Parfois des choses indépendantes de notre volonté nous obligent à prendre des décisions.

Lorenzo ▬ La vie n'est pas toute rose, ta vie n'est pas toute rose et la mienne non plus. Tu grandis, Nina ... Et je suis désolé que tout ne se passe pas comme tu l'aurais souhaité.

Dans le monde des happy end en carton, Lorenzo aurait pu être proclamé roi. Dans les feux de l'amour, aussi. Quelle conclusion mélodramatique. Tout ce qu'il voulait, c'est qu'elle aille mieux. Ou qu'elle s'énerve. Mais surtout, qu'ils arrêtent de se hasarder sur cette pente glissante et dangereuse. Et si elle se mettait à pleurer ? Là, ça serait comme l'alarme incendie : le signal qu'il est temps pour lui de partir en courant. Mais, au fond de lui, malheureusement, il savait qu'il ne saurait pas l'abandonner. Il avait déjà dû le faire une fois, et jamais plus il ne voudrait le refaire.

Cette fois, Nina n'y comprenait vraiment plus rien. Comment ça, sa vie n'était pas toute rose ? Elle qui croyait pourtant qu'il était super-méga-archi heureux avec sa femme et que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Comment ça, "on n'a pas toujours le choix" ? Il allait lui faire croire qu'il ne s'était pas marié de sa propre volonté aussi, et puis quoi encore, que ce n'était pas lui qui avait choisi d'aller à New York ? Nina était carrément à côté de la plaque. Elle ne savait plus que dire, que faire, même si dans sa tête elle se faisait des films de fou qui n'arriveraient jamais bien sûr que dans ses rêves. Mais lorsqu'il eut prononcé sa fameuse phrase "Ce que tu ne comprends pas, c'est qu'on a pas toujours le choix", elle en eut quasiment les larmes aux yeux parce qu'elle savait très bien qu'elle n'aurait jamais le choix.

La réaction de Lorenzo la surprit totalement. Il était limite en colère qu'elle lui demande confirmation sur le fait qu'il se foute absolument de si elle allait bien ou non. Là, il avait été on ne peut plus clair : il ne s'en foutait pas. Ouf. Ca y est, les politesses de début de conversation étaient finies, ils commençaient bel et bien à parler honnêtement. Pourtant, quelque chose la tracassait, elle avait l'impression qu'il lui parlait en chinois, elle ne comprenait pas tout. C'était bien lui qui avait voulu aller à NY se la péter et changer de vie, non ? Avait-il oublié à quel point elle s'était sentie seule, après ça ? Alors maintenant non il ne s'en foutait pas d'elle, mais il n'avait pas vraiment l'air de s'en préoccuper non plus, après tout il avait sa femme ! Cherchez l'erreur.

« Oh pitié, arrête de faire comme si tu étais victime de ta propre vie. C'est bien toi qui a voulu tout ce qui t'arrives depuis un an, non ? »

Elle se rappela alors la façon dont il était parti : comme un voleur. Sans la prévenir, parti comme ça sans crier gare. Et là il venait de lui répéter pour la troisième fois que la vie n'était pas toute rose. La faute à qui ? Ce n'était pas elle qui avait tout bouleversé, pas elle qui avait déménagé, pas elle qui était partie un an sans donner de nouvelles, pas elle qui s'était mariée avec un roux. Non, c'était lui.

Nina n'aimait pas beaucoup la situation dans laquelle ils se trouvaient et encore moins le ton qu'il employait pour lui répondre. Pour le coup, on aurait dit un père qui faisait la morale à sa petite fille et qui lui expliquait que, non, dans la vie, on ne peut pas avoir tous les jouets du magasin, que c'est comme ça. Elle avait carrément l'impression d'être une gamine face à lui. Marié, toussa toussa, ce n'était pas rien. Elle à côté, qu'était-elle ? Lycéenne, 18 ans, c'était peu de chose. Normal qu'il ne veuille plus d'elle après tout. Cette idée lui serra le coeur.

« T'as raison. J'aurais vraiment aimé que ma vie soit rose et niaise comme dans les films. Tout aurait été tellement plus simple. »

Sauf que la vie n'était pas un film, et ça Nina l'avait bien compris cette année en tombant de haut et un peu plus bas chaque fois. Aujourd'hui n'était qu'une fois de plus parmi les autres. Décidément, Nina n'aimait pas les rentrées.

Elle avait l'impression que cette conversation allait se finir mal, qu'ils allaient repartir de leur côté comme ils étaient arrivés : comme deux inconnus, qu'elle serait encore plus seule ce soir qu'elle ne l'avait été en se réveillant ce matin. Mais ce n'était pas ce qu'elle voulait. Elle ne voulait pas, elle ne pouvait pas. Même si ç'avait été dur, au moins quand il n'était plus à Magnolia, il lui était arrivé parfois de penser à autre chose qu'à lui. Elle s'était presque fait à l'idée qu'il ne soit plus là, à force ; un an c'était un sacré bout de temps. Elle s'était demandé plein de fois ce qu'il faisait, où il était, et puis avait imaginé qu'un jour il reviendrait et que tout repartirait comme avant. Sauf que le scénario de princesse imaginé dans sa tête avait pris une tout autre tournure, à son grand regret. Maintenant qu'il était de retour à Magnolia, elle ne pouvait pas l'ignorer, c'était impossible, il avait trop compté. Et pourtant... Maintenant comme une grosse débile elle avait les larmes aux yeux.

« Bon, je suppose que tu aimerais qu'on se dise aurevoir et qu'on ne se revoit plus jamais ? »

S'ilteplaitnons'ilteplaitnons'ilteplaitnons'ilteplaitnons'ilteplaitnons'ilteplaitnons'ilteplaitnon.

Il y était peut-être allé un peu fort. Le ton dur, le visage fermé, pourquoi infligeait-il cela à Nina, et si soudainement ? Elle n'avait rien demandé et voilà qu'il l'attaquait ... Enfin, elle devait se douter que leur discussion ne serait pas toute lisse, qu'elle ne passerait pas comme une lettre à la poste. Pourtant, elle était venue à sa rencontre, quand même. Suicidaire ? Masochiste ? Ou peut-être voulait-elle seulement le revoir. Aïe. Non, il ne fallait pas. Leur altercation prenait une tournure bien trop sentimentale, leurs mots avaient bien trop de sous entendus. Et cette tension qui régnait dans la salle, qui semblait les attirer, chacun à un bout de la pièce, alors qu'ils n'aspiraient qu'à se jeter sur l'autre.

Nina ▬ Oh pitié, arrête de faire comme si tu étais victime de ta propre vie. C'est bien toi qui a voulu tout ce qui t'arrives depuis un an, non ?

C'étaient ses décisions. Ce n'étaient pas ses contraintes. Mais comment expliquer cela à Nina ? Il existe certains secrets qui ne sont pas à dévoiler. Malheureusement, il avait tendu le bâton pour se faire battre, avec sa tirade mélodramatique. Forcément, Nina voulait comprendre. Que faire, mentir ? Il n'était plus à ça près.

Lorenzo ▬ Oui mais ... Tu ne peux pas comprendre Nina

Là c'était lui qui était suicidaire. Dire cette phrase à Nina, c'était du suicide. Elle allait s'énerver, dire qu'elle s'avait qu'elle n'était qu'une gamine ... Alors que Lorenzo cherchait à éviter ses questions. Mais s'il lui avait dit qu'il devait garder le silence, quelle aurait été la réaction de Nina ? Des interrogations seraient nées dans son esprit, mais elles seraient rester sans réponses. Alors, Nina aurait pu espérer, se faire des films comme les adolescentes de son âge (où le mec que t'aime il t'aime aussi sisi). Lorenzo devait éviter ça, il devait la sortir de sa vie .. pour qu'elle sorte Lorenzo de la sienne. Il devait jouer l'indifférence, elle devait l'oublier. Mais Lorenzo ne savait obéir à ces règles dictées par sa raison, alors que son coeur lui ordonnait le contraire. Il ne pouvait être indifférent à cette jeune fille, même si c'était du passé. De la même façon que jamais Chuck ne sera indifférent à Blair, jamais Lorenzo ne pourra regarder Nina sans la désirer. Malheureusement, c'est seulement quand on perd les choses qu'on réalise leur valeur à nos yeux. Et pire, c'est quand les choses sont inaccessibles qu'on les désire à tout prix. Parfois, le monde est vraiment mal foutu.

Nina ▬ T'as raison. J'aurais vraiment aimé que ma vie soit rose et niaise comme dans les films. Tout aurait été tellement plus simple.

Ne venait-elle pas de tout résumer ? C'était lui, au fond, qui compliquait sa vie, qui empêchait son petit monde de tourner rond. Il était la météorite qui menacer de s'écraser pour faire beaucoup de dégâts. N'en avait-il déjà pas fait, d'ailleurs ? Il ne savait pas quoi lui répondre. Enfin si, il pouvait admettre que c'était lui, qui avait noircit sa vie. Mais il avait dit "plus de mélo". Alors il se contenta de hocher la tête. C'était bête. Pire, ça lui écorchait le visage car, au fond, il n'était pas d'accord. N'avaient-ils pas vécu une belle histoire ? C'était égoïste de sa part. Pour lui, elle avait elle belle. Pour Nina, il n'en était sûrement pas ainsi. En effet, il avait eu tant d'aventures à l'époque. Qu'avait-été Nina ? Juste un nom, sur une liste. Un rendez-vous dans un agenda bien chargé. Leur relation avait été plus longue, certes, elle n'en avait pas été plus exclusive. Alors oui, autant Nina avait égayé la vie de Lorenzo, autant il avait noirci celle de Nina.

Nina ▬ Bon, je suppose que tu aimerais qu'on se dise au revoir et qu'on ne se revoit plus jamais ?

Et s'il avait dû faire un choix, il y a un an ? Sorry, question piège. En plus, cette petite Nina en face de lui, avec ses larmes aux yeux, l'empêchait d'être objectif. Pourquoi pleurait-elle ? Parce qu'elle avait peur qu'il lui dise "oui", peut-être. Pourtant, c'était la réponse la plus sage. Mais Nina n'avait jamais été très sage. Lui non plus, d'ailleurs, ils faisaient bien la paire. Alors que dire ? C'était fou. Comme si Nina lui demandait de choisir entre une vie bien rangée, ou une vie ... une vie qu'il ne savait comment qualifier. Une vie avec Nina. Elle était vicieuse, cette question. Elle ne devait pas lui demander ce qu'il aimerait, elle aurait dû lui demander ce qu'il fallait faire. C'était complètement différent. Bataille du coeur et de la raison. Si seulement un jour, ces deux là pouvaient se mettre d'accord, Lorenzo apprécierait.

Lorenzo ▬ Nina, tu sais que, de toute façon, je ne peux pas voir mes élèves en dehors de classe. Sauf si tu as besoin de cours particuliers, peut-être. Enfin, de vrais cours. Mais, sinon ...

Il ne disait rien de concret, pourtant tout cela sonnait comme un adieu. Il se rapprocha d'elle, pris d'une envie indescriptible de la serrer dans ses bras. Il avançait, prudemment, comme si cette barrière qui les séparait avait été brisée. Jeu dangereux, quand devait-il s'arrêter ? Pouvait-il la prendre dans ses bras ? Bien sûr que non, il n'en avait pas le droit. Mais les larmes aux yeux de Nina le brouillaient. Il était à présent tout près d'elle, devant baisser la tête pour la regarder. Si petite, si chétive ... Comment pouvait-il rester indifférent ? Et un baiser d'adieu, il avait le droit de faire ça ? La connaissant, cela aurait beaucoup de conséquences et il risquait d'en entendre parler. Mais ses lèvres le démangeaient et voulaient retrouver celles de Nina, s'en était presque douloureux.

Lorenzo ▬ Nina ...

Et là, de façon tout à fait inopinée parce que personne ne s'en doutait et personne ne s'y attendait, dans une surprise totale et incommensurable, il passa sa main dans les cheveux de Nina et approcha son visage du sien. Bien sûr, il aurait encore pu s'arrêter, faire machine arrière. Mais il colla ses lèvres sur les siennes et l'embrassa. Un baiser doux, calme, après leur discussion mouvementée et chaotique. Un baiser d'adieu. Comme Mark et Juliet dans Love Actually. Car, pour lui, elle était parfaite.

Lorenzo ▬ Au ... Au revoir Nina

Oui, ils devaient se dire au revoir et ne plus se revoir. Il le savait, elle le savait. Il s'éloigna d'elle, pour se dégager de son emprise. Pour éviter une gifle éventuelle, aussi.

"Tu ne peux pas comprendre" ? Mais comprendre quoi ? Qu'y avait-il de si important à comprendre, bon sang ? Et surtout, pourquoi ne lui disait-il rien ? Elle avait envie de s'énerver, d'exploser, de tout faire péter là. La tornade Nina menaçait de se réveiler. C'était parce qu'elle n'avait que dix-huit ans et lui vingt-sept, c'est ça ? Mais est-ce que cela faisait pour autant d'elle une gamine qui ne pouvait pas comprendre ? Nina était certes un peu fleur bleue et enfantine sur les bords parfois, mais cela n'en faisait pas pour autant une fille immature. Et qu'il lui dise qu'elle ne pouvait pas comprendre, ça la tuait. Il n'y avait rien de pire.

« Mais putain ! Tu ne vois pas que je ne demande que ça moi, comprendre ! »

Elle avait bien insisté sur le dernier mot. Ce satané mot qui posait problème et qui apparemment foutait donc tout en l'air. Ce qu'elle aurait aimé comprendre, le comprendre. Elle aurait tout donné, pour ça. Mais visiblement il en avait décidé autrement et sa décision était sans appel. Et ça la tuait juste tellement. Il l'avait mise devant le fait accompli en lui disant qu'il était marié, et maintenant il lui faisait clairement comprendre qu'elle devait laisser tomber. Ça en revanche, elle l'avait bien compris. Mais comment s'y résoudre ? Avec espoir, elle s'accrochait aux souvenirs, et se disait que, si Lorenzo était tombé dans son piège il y a un an, pourquoi ne le pouvait-il pas maintenant ? Mais, c'était bien connu, dans la vie le prince charmant se tire toujours avec la mauvaise princesse.

Luttant pour que ses larmes restent bien accrochées à ses yeux et ne s'en échappent pas, Nina le fixa. S'ils n'arrivaient pas à se comprendre par les mots, peut-être le pourraient-ils autrement. On dit que le regard d'une personne est le reflet de son âme, eh bien Lorenzo n'avait qu'à se plonger dans ses yeux verts pour tout comprendre de Nina. Le hic, c'était qu'il savait déjà très bien, lui, ce qu'elle voulait. Simplement, il ne voulait pas, il ne voulait plus. Et elle se sentait tellement misérable, là, face à lui, à espérer comme une idiote qu'il fasse quelque chose tout en sachant fatalement qu'il ne ferait rien.

Il était marié, maintenant. Marié.

Marié, marié, marié : ce mot résonnait dans sa tête hélas elle n'arrivait pas à l'assimiler, de la même façon qu'on arrive pas à apprendre une leçon qu'on a pourtant déjà lue cent fois.

Après lui avoir demandé s'il souhaitait qu'ils se disent aurevoir et ne se revoient plus jamais, Nina avait espéré de tout son petit coeur qu'il lui réponde que, non il ne voulait pas lui dire aurevoir, qu'il ne supporterait pas l'idée de la quitter une nouvelle fois, et qu'il était hors de question qu'ils ne se revoient plus jamais. Mais, évidemment, le retour à la réalité fut été rude et le choc aussi. Elle se sentait comme Tom face à Summer dans 500 Jours Ensemble. Perdue. Déçue. Ses attentes et la réalité n'avaient plus rien à voir désormais. Il lui décréta que, non, il ne pouvait plus la voir en dehors des cours. Enfin, comme tout élève. Ah oui, elle était une élève. Juste une élève parmi tou(te)s les autres, finalement. Il ne s'agissait que d'un juste retour à la normale. Tout était bien, tout était normal... Si seulement. Elle n'arrivait juste pas à s'y faire. Elle n'arrivait pas à tirer un trait sur tout ce qu'ils avaient vécu, lui et elle. Elle n'était pas dans sa tête et pourtant, cela lui semblait si facile à lui d'ignorer le passé. Si seulement Nina avait eu cette faculté de tourner la page à n'importe quel instant. Si seulement.

« Je comprends. »

Cela la tua de devoir admettre qu'il avait raison, mais que pouvait-elle dire d'autre ? Elle faisait ça pour lui, pour elle, pour eux au fond. Intensément, elle luttait contre le désir qui la brûlait depuis la seconde où elle avait pénétré la pièce. Peut-être était-il l'heure de se quitter pour de bon. Peut-être devait-elle s'en aller maintenant, et mettre fin à son chagrin de l'avoir sous les yeux sans pouvoir ni le toucher ni l'aimer. C'était fini.

Alors qu'elle esquissait un pas pour faire demi-tour sur elle-même et partir, elle l'entendit prononcer son nom. Que voulait-il encore ? La faire souffrir encore un peu ? Elle pensait pourtant en avoir eu son compte.

« Oui ? »

Prononça-t-elle d'une voix faible, attendant que le dernier coup de massue lui tombe dessus et l'achève. Il se rapprocha d'elle et elle dut lever les yeux à contre-coeur pour continuer à le regarder. Pourquoi s'infligeait-elle ça déjà ? Alors qu'elle pensait qu'il allait lui dire adieu et pour de bon cette fois, car il le fallait, celui-ci l'embrassa. Chose à laquelle elle ne sut répondre instantanément. Elle était comme figée, puis, lorsqu'elle comprit enfin, elle répondit à son baiser. Nina ne put s'accorder la naïveté d'espérer que ce ne soit le dernier. Elle savait. Oh mon dieu, il n'y avait rien de plus triste au monde qu'un baiser d'adieu. C'était le plus beau baiser d'adieu, le plus baiser tout court, qu'on lui ait jamais donné de sa vie.

Lorsqu'il fallut qu'ils séparent leurs lèvres, Nina regretta que cet instant ait été si court. Mais il était l'heure pour elle de partir, maintenant. Au moment où elle dut lui dire enfin adieu, même si elle savait qu'elle devait s'y résoudre, le seul mot qui sortit de sa bouche fut un simple :

« Aurevoir. »

Comme si lui dire aurevoir et pas adieu pouvait alléger sa peine. Aurevoir, ce mot si simple et banal, dénué de toute conséquence. Après tout, ce n'était pas comme si c'était la fin du monde... Non...

« Je t'aime. Tu sais. »

Puis elle tourna les talons tout doucement avant de se diriger vers la sortie. Il s'en était fallu de peu qu'elle espère qu'il la retienne une seconde fois, mais, non Nina, la vie n'était pas comme dans les films. Et lorsqu'elle fut enfin dos à lui, elle ne put retenir cette fois ses larmes de couler.

Fin.
( Mouchoirs ! )