Le pourcentage de décès à Magnolia avait sérieusement baissé en ce début de semaine, on pouvait dire que la petite ville commençait bien l’année. C’était aussi un soulagement pour Arsinoé, c’était tellement mieux ainsi ! Après une période de fête qui n’avait fait qu’augmenter le nombre de morts dans les environs, les voilà entré dans une période plutôt calme… On ne leur avait apporté encore aucun mort en ce lundi, et la pendule affichait déjà dix-sept heures.
Arsinoé pensait finir cette journée sans avoir posé les yeux sur un seul visage livide, ni touché aucune main froide et sans vie. Cela aurait été une grande première. Depuis le temps qu’elle vivait avec cette présence de mort constante, elle avait l’impression de l’être devenue elle-même. Elle était assez ravie de se dire qu’elle allait plier bagage et rentrer chez elle sans avoir vu de défunt, mort dans un accident de voiture, ou même assassiné pourquoi pas. Pourtant, le sort en décida autrement : à dix-sept heures cinq, alors qu’elle était en train de recommencer une énième partie de solitaire sur son ordinateur, le téléphone sonna. C’était la police, comme chaque fois qu’une âme quittait son corps. Elle appelait pour prévenir qu’un vieillard avait une nouvelle fois rendu l’âme dans les environs, et qu’il leur serait apporté dans une petite heure. Arsinoé frissonna, elle connaissait le refrain par cœur.

Le corps arriva bientôt, Mrs Spencer se chargea de l’accueillir et s’en occuper seule eu le don de la mettre de mauvais poils. Où était Thomas ? Il ne devrait être ici pourtant. Arsinoé fit rouler brancard jusqu’à l’une des pièces où ils conservaient les corps. Seule, elle ne pourrait pas mettre le vieillard dans son casier, il lui fallait des bras fort… Des bras d’homme ! Elle farfouilla dans la poche de son pull noir à la recherche de son téléphone portable et tenta de bipper son mari avant de reporter son attention sur le mort. Elle retira doucement le tissu qui recouvrait son visage, et resta figée devant le vieil homme pendant plusieurs minutes. Elle n’aimait pas les morts et même après une vingtaine d’année de vie communes avec, elle n’arrivait toujours pas à s’habituer à eux. Le silence régnait dans la pièce, et vous comprendrez que l’ambiance était plutôt glauque. Arsi attendait avec impatience l’arrivée de son mari. Pour une fois qu’elle éprouvait vraiment le besoin de le voir.
Elle entendit bientôt le bruit de ses pas raisonner dans les couloirs de la morgue. Ah, il avait finalement entendu son appel en détresse ?

Quelques doux instants calme. Je me trouvais allongé sur la divan dans mon bureau, écoutant la trattoria les yeux fermés. Qu'il était bon de profiter de quelques moments de calme et de solitude. Surtout quand on travaillait dans une morgue, enfin... Non. Ce travail était déjà calme et silencieux. On s'y habituait cependant, en quelques sortes. J'étais médecin depuis 20 ans. J'étais passé par bien des horreurs. Alors maintenant, on pouvait dire que je prenais parfaitement le recul nécessaire à ma survie entre les brancards. En y repensant, mes années de médecin avait été totalement différentes. Essayer de garder les patients en vie, le stress chaque fois que la situation devenait critique. Là, c'était vide, il n'y avait personne à sauver. Juste des morts, c'était déjà trop tard pour eux. Je pense très sincèrement, avec le recul du temps, que si je n'avais pas eu à reprendre la morgue familiale, je serai restai médecin. De toute façon c'était trop tard.

"n°6 : On dit que Jack a viré de bord, est pour devenir un homosexuel confirmé, est allé voir un maître en la matière"


Je me laissais à nouveau emporter par la musique. Une nouvelle constatation ce fit à moi. Je m'ennuyais. J'étais dévoué à mon travail mais, je m'ennuyai. Plus rien n'était comme avant. Ma vie avait été chamboulée le jour où j'avais rencontré Arsinoé. Mes années ici avaient été plus que magnifiques. Nous travaillons côte à côte, accomplissant le meilleur travail possible. Et le reste du temps, quand personne ne se bousculait à l'entrée de la morgue, enfin que personne de vivant ne nous amenait d'autres personnes un peu moins vivantes, nous partagions des moments plus que privilégiés. Tous les deux seuls à tenir notre petite entreprise. Tous les deux seuls parmi ses cadavres. Peut-être fallait-il songer à engager de nouveaux employés, à combler le vide.

Vers midi, tout était calme, je me décidai donc à allait mangeai dans un restau à côté et de profiter du soleil. Je laissais un sms sur le portable d'Arsi, lui disant où j'allais au cas où elle voudrait me rejoindre puis je m'en allai sans plus tarder. J'avais grand besoin d'air et malheureusement, l'atmosphère entre ces murs devenait un peu trop pesante à mon goût.
En arrivant au restaurant, je m'attablais et consultais rapidement la carte, un sourire heureux éclairant mon visage, le bruit, la foule, le bruit. C’était tellement bon d'être assis là. Je commandais une escalope milanaise, avant de voir entrer trois trentenaires qui faute de places vinrent s'attabler près de moi. Ni une ni deux, j'engageais la conversation, captant tout de suite les bons sentiments. J'aimais les gens. En général. J'aimais échanger avec eux, et bizarrement ils avaient toujours l'air d'aimer ça eux-aussi.
Le repas se prolongea jusqu'à 4h dans les rires et la bonne humeur. Arsinoé ne m'avait pas donné de signe de vie, avait-elle oublié son portable? Bonne question. Je vérifiai mon biper, sait-on jamais. Eh merde, elle m'avait bipé depuis déjà un bon moment. Je m'excusai auprès de mes 3 nouvelles connaissances avant de régler mon addition et de m'en aller vite pour la morgue.
En entrant dans le bâtiment, je fus directement happé par l'atmosphère lourde et austère des murs blancs et aseptisés qui menaient tout droit à la salle d'autopsie usuelle. Mon sourire que je ramenais de l'extérieur ne me quitta cependant pas à mon entrée dans le bloc. Je vis directement ma femme qui n'avait pas l'air contente, zut, je ne me démontais tout de même pas et la saluai joyeusement:

"Arsi! Désolé du retard, j'avais oublié d'allumer mon biper!"

Je m'approchai d'elle avec un grand sourire, en mettant mes gants en latex:

"Je suis tout à toi maintenant! Je baissai les yeux vers le vieillard, ...et à lui aussi. Que lui est-il arrivé?"

Tel le preux chevalier vêtu de blanc, la chaleur au cœur et le sourire aux lèvres, j'avais franchi les portes de fer pour la salle de mort. Mon dernier combat, là où m'attendait la bête. Tapis près de la victime, elle m'observait d'un regard qui aurait pu facilement me tuer si je n'avais pas étais aussi fort. Je m'avançais pas à pas, sans perdre un brin de ma joie, enfilant mes gants en latex qui claquèrent contre ma peau tandis que je les relâchais. J'étais prêt, prêt à combattre. La bête, ma reine, celle avec qui la bataille était à présent quotidienne. Mais pour mon honneur, et ma réussite, je me devais de ressortir victorieux de ce combat et sauver le cœur de la jouvencelle.
Enfin, tachons de se concentrer. J'expliquai à Arsi dont le regard était assez éloquent, que j'avais oublié d'allumer mon biper. Quelle tête en l'air! Je passais rapidement au cadavre, espérant ainsi éviter les foudres et les questions. Cependant ma dame ne l'entendit pas de cette oreille et alla d'office contre mes espérances. Elle proposait (imposait) que l'on s'intéresse plutôt à moi et que je commence par lui dire où j'étais. Il faudrait donc en passer par là... Je sortis mon téléphone, et le tapotai l'écran en lui disant:

"Je t'ai envoyé un message pour manger dehors."

A mon tour de prendre le dessus! Ah! Elle farfouillait sa poche à la recherche de son téléphone, pour enfin voir mon message. Plus de regard noir, seulement des yeux désolés. Elle s'excusait alors que nous rangions chacun nos téléphones. Elle était sur les nerfs. Dire que je connaissais milles façons de la calmer. La seule question était de savoir si je me ferais rembarrer.
Je réfléchissais intensément à comment l'aborder sans risquer de créer un conflit quand sa voix réapparue à mes oreilles. Le mort l'était devenu suite à une crise cardiaque, seul chez lui. Pauvre vieux. Mourir seul chez soi n'était pas la meilleure façon de quitter ce monde de brute, quoi que... Arsi me demanda de l'aider à le mettre dans son casier. Je me mis en tête du chariot, opinant de la tête:

"Pas de problème, allons-y"

Pourquoi tout me semblait plus bizarre et plus étrange? Arsinoé cria alors d'un coup. Je sursauter levant les mains comme s'il s'agissait d'un braquage. Elle s'était trompée de casier, je replaçais rapidement mes mains, toussotant légèrement. On formait vraiment un duo comique quand on si mettait. Enfin. Elle ouvrit le bon, me faisant un signe de tête pour que j'avance le brancard. J'obtempérai, avant de déplacer, en plusieurs étapes, le corps alourdi dans son casier. Les morts étaient tous lourds. Je refermais le casier. C'était fini, à présent il n'y avait plus qu'à laver le matériel, et tout préparer pour le prochain.
Je me tournais vers Arsi, je m'en voulais tout de même de l'avoir laissé travailler toute seule. J'aurais préféré qu'elle n'ait pas à se retrouver là, sans moi. Mais elle? Partageait-elle mon sentiment? Ou cela lui était égal. Enfin, quoi qu'il en soit, vu l'état dans lequel je l'avais trouvé, mieux valait qu'elle se repose:

"Ecoute Arsi, je vais tout ranger, va boire un café. Tu n'as vraiment pas l'air bien, ça me fait flipper, alors va te reposer, je te rejoins tout de suite."