Vous savez quoi ? J'aime lire. J'aime étudier. J'aime être seul aussi, mais juste parfois. J'avais bien toute la volonté du monde lorsque je suis entré dans la bibliothèque de la ville il y a une heure avec l'espoir de terminer une dissertation pour l'un de mes cours. De la volonté, et presque de enthousiasme. Quand j'ai pris place près de la fenêtre à une table pour bosser, j'étais assez satisfait de mon choix : un coin tranquille, la vue sur l'extérieur. Pourtant, j'en suis rendu à un point où je vais devenir fou. La pluie qui tombe comme des cordes dehors m'emmerde, non vraiment, elle vient tout gâcher. Mon attention est entièrement attirée par celle-ci, j'oublie tous des mots que je suis sensé coucher sur papier... coucher sur mon lit. Enfin, disons qu'aussi, la rouquine installée à la table à quelques mètres de moi ne contribue pas non plus à ma concentration qui se devrait d'être totale. Il faut que je l'avoue, je n'en ai pas le moindrement aujourd'hui et je commence à souffrir d'un ennui qu'on pourrait qualifier de mortel.

Mais, parce que la vie m'offre souvent des opportunités, je vois une tête intéressante dans l'allée plus loin. Pas rousse (dommage!), pas blonde, aucune courbe accompagnant la silhouette, mais pas moins intéressante. Holden Turner n'est pas la personne que je me serais le plus attendu à croiser à la bibliothèque, mais tout comme moi, il doit bien avoir des obligations extraordinaires. Lorsqu'il sort de l'allée, s'aprêtant à gagner la suivante, je lui fais un signe de la main. En me remarquant, il vient vers moi et pour ma part, je lance :

« Je m'ennui, mec. Tu veux pas être mon complice et mettre le feu aux bouquins, je ne sais pas, hm ? »

Je n'ai jamais été un fauteur de troubles, en tout cas pas illégalement et de façon aussi flagrante, ce pourquoi j'espère bien qu'il me proposera quelque chose d'encore mieux. Je fais assez confiance à ses idées, il faut dire que je ne me suis jamais ennuyé avec Holden et que finalement, c'est peut-être bien la meilleure personne à croiser en ce lieu. Sans attendre sa réponse, je ferme mes cahiers et je les fourre dans mon sac à bandoulière. Je souris à Holden, observant les livres qu'il tient à la main. C'est ironique tout de même, car je n'ai jamais passé un début de soirée du samedi dans une bibliothèque et ça ne doit pas être son cas non plus. D'ailleurs, c'est complètement désert cet endroit, en dehors de la minette à lunettes et à la chevelure flamboyante que j'avais remarqué... et qui vient de mettre les voiles, sans doute dérangée par notre présence et ma façon d'oublier que nous sommes supposés ne pas parler à voix haute dans un tel établissement. Mais c'est immense, et il n'y a personne en dehors de la bibliothécaire qui doit dormir sur son comptoir à l'avant.

« Qu'est-ce que tu fous ici au fait ? On fête cette rencontre avec de la vodka ? » Je le regarde, légèrement moqueur. Comme je comptais aller retrouver des copains pour la soirée à venir après avoir terminer mes choses, j'ai sur moi une bouteille bien pleine, pas encore entâmée. Mais ça peut être Holden aussi, le copain de la soirée, soyons fous et surtout spontanés.

C'est ce qui est le plus fascinant dans la vie et de plus inspirant, le fait de pouvoir faire ce qui nous plait n'importe quand. J'espère bien ne jamais perdre cette capacité précieuse, car à mon avis, ça équivaut tout bonnement à vivre et à bien le faire. Si j'ai envie d'être à la bibliothèque, j'y suis et c'est tout. Je n'ai pas besoin qu'on me dise ce qui est bon ou intéressant de faire et je me fiche bien de l'avis des autres. D'ailleurs, c'est précisément le meilleur moment pour aller dans un pareil endroit, le moment où l'on peut être certain de ne pas se faire déranger par n'importe qui. Holden et moi sommes bien seuls maintenant que nous parlons de ces plans diaboliques de brûler le bâtiment - car après tout, tout le monde sait bien que du papier ça brûle, que ça brûle vite et que ça se propage en un rien de temps. Il accepte mon invitation à l'illégalité, faisant naitre sur mon visage un sourire moqueur, mais oula, il en demande beaucoup... comme si j'avais dans mon sac des silex en tout temps juste «au cas où» ! Son idée à lui me plait encore plus toutefois, je ne me souviens pas avoir entendu mes parents me dire qu'il était illégal de se servir des livres de la bibliothèque pour construire des cabanes.

« Tu donnes des rendez-vous à la bibliothèque toi, le samedi soir ? Chacun ses fantasmes ! », je lance avec amusement. Pourquoi pas au fait, c'est un endroit qui peut avoir son charme. Entendez-moi bien, je n'aurais pas fait de mal à la jolie rouquine de tout à l'heure si elle n'avait pas été aussi effarouchée et ne s'était pas enfui si rapidement. « Je dois m'inquiéter d'ailleurs de remplacer celle qui te pose un lapin ? » Oh franchement, je ne cherche pas vraiment à connaitre sa vie privée ni rien. Quand on me connait ne serait-ce qu'un peu, on se rend rapidement compte que je ne suis pas quelqu'un d'extrêmement curieux. J'aime quand les gens se mêlent de ce qui les regardent, j'essaie donc de toujours en faire autant.

Il a saisi mon bras et moi, je n'oppose aucune résistance. Mon sac sur l'épaule, je trotte derrière lui jusqu'à ce que nous soyons rendus dans la fameuse section des gros livres. Durant quelques secondes, je les observe avec curiosité. C'est tout au fond, dans une allée un peu sombre. Cet endroit ne peut que me faire. Rien à voir avec les boites de stripteaseuses, mais je crois qu'on trouvera de quoi s'amuser un peu. « Ok monsieur le génie de la construction, quels sont vos plans ? » Je le regarde en souriant toujours avec intérêt. Quand j'y pense, Holden et moi ne nous connaissons pas énormément. Il ne nous est jamais arrivé d'être seuls tous les deux, de vraiment discuter. Je suis le type de mec qui aime discuter, je ne suis pas lourd avec ça, mais c'est bien de pouvoir échanger normalement, humainement. Je le regarde prendre en main quelques dictionnaires qu'il pose les uns par dessus les autres afin de monter des murs. Je n'étais pas certain s'il le ferait véritablement, mai j'ai ma réponse à l'instant ! Je m'affaire donc à l'aider à construire nos murs, puis je prends mon manteau pour faire un toit. Une fois la construction terminée, nous pouvons nous asseoir contre le véritable mur de la bibliothèque. C'est un peu à l'étroit, mais c'est ... hors du commun !

« Merde, j'adore ça. Cheers, mon ami », je m'exclame avant d'ouvrir ma fameuse bouteille et de prendre une généreuse gorgée. Des verres, on n'en a pas, nous n'allons donc pas commencer à être dédaigneux ! Je lui tends la bouteille.

Qu'il se venge ? Pour quoi au juste, pour l'avoir considéré comme un Don Juan qui drague les filles en les invitant à la bibliothèque pour paraitre plus intelligent ? Non, jamais. Je suis persuadé qu'il est heureux que je lui aie fait ce compliment, après tout ça ne peut qu'en être un entre hommes, des vrais ! Alors donc, cette soirée m'en apprend un peu plus sur qui est ce fameux Holden Turner, celui dont tout le monde parle. Je ne savais pas qu'il étudiait en droit, je ne me serais pas douté que ça pouvait même l'intéresser ce domaine. C'est peut-être un jugement facile, mais je l'aurais plutôt vu en journalisme, en télé ou quelque chose du genre. Je ne l'ai jamais vraiment considéré sous son jour "sérieux", mais il sait sans doute y faire, ce n'est pas à moi de juger de toute façon ! Les gens comme ça, ceux qui sont connus de tous et qui connaissent tout le monde ne m'attirent pas particulièrement de coutume, j'ai plutôt tendance à m'intéresser aux gens qui sont plus en retrait, avec qui il ne peut qu'y avoir plus à découvrir que ce qu'on voit à la première impression... Mais c'est un fait aussi, j'aime beaucoup Holden. Sa bonne humeur, son attitude, ça me rend moi-même de bonne humeur. C'est un peu ça qui se passe ce soir, alors que la soirée s'annonçait longue et mortelle, le hasard a voulu que nous nous croisions dans cet endroit vraiment incongru pour un samedi soir ! Il faut croire que les grands esprits se rencontrent à temps...

Je suis bien ravi de partager ma bouteille avec lui, c'est un bon investissement. Je suis d'ailleurs assez curieux quand il m'informe qu'il nous a gardé de la lecture pour l'occasion. Décidément, je le connais mal ! Sérieux au point d'avoir de la lecture sous le bras... Je tourne la tête vers lui, intéressé. Le Petit Chaperon Rouge, Peter Pan, Alice au Pays des Merveilles... Je ne sais pas si je dois être surpris ou plutôt amusé par ce choix de lecture. Je relève les yeux vers lui en observant l'air sur son visage, mais il parait plutôt naturel. Non, il n'est pas en train de me narguer, il a vraiment sélectionné ces livres.

« Intéressant, Holden. C'est ta lecture légère ? » Je ne dis pas vraiment ça pour me moquer, mais davantage pour comprendre. Je ne suis pas particulièrement quelqu'un de curieux, mais là, je suis plutôt fasciné sur le coup. « Mais je suis bien partant pour que tu me racontes une histoire, celle de ton choix ! », j'ajoute en retrouvant mon sourire le plus espiègle.

J'ai bien l'impression qu'entre nous, c'est une constante mise à l'épreuve. Il n'y a strictement aucune raison de se faire la compétition, pas de beaux yeux à gagner, mais j'aime bien le tester et voir son sens de la réparti. Aussi, je crois que j'ai une certaine admiration pour lui, parce qu'il ne perd jamais une occasion de s'amuser, parce qu'il est drôle, charismatique... Finalement, ça me plait peut-être bien autant, cela, et je ne m'en cache pas. J'aime sa présence. Je suis d'ailleurs plutôt flatté que ça semble réciproque. Après tout, il aurait très bien pu m'envoyer valser et retrouver les autres types de mon âge, hein !

Comme tout le monde ayant un minimum de culture, je connais l'histoire de Peter Pan. Pourtant, je dois bien admettre que je n'ai jamais ouvert le livre de la véritable histoire et que ma connaissance de ce conte dépend en grande partie des films qui ont été faits sur le sujet, celui de Disney mais aussi l'adaptation de P. J. Hogan de 2003. Je suis donc - encore une fois - impressionné par les propos tenus par Holden sur le sujet, amusé aussi, sans être moqueur pour autant. Pendant un moment, j'ai cru qu'il se payait ma tête en me parlant d'un livre qu'on considère normalement être pour enfants, mais en me prêtant au jeu, je réalise que c'est au delà de ça. En vérité, l'histoire de Peter Pan peut en dire beaucoup sur la réalité de certaines personnes. Moi-même, j'ai un peu la sensation de me reconnaitre dans cette envie de ne pas grandir. Ce qui est ironique de nos jours, c'est que bien des gens ne veulent pas grandir, mais veulent goûter aux plaisirs et obtenir les permissions que les grandes personnes ont : le sexe, l'alcool, la drogue, les sorties... Je crois que Holden fait aussi un peu partie de ces gens là, même si je ne doute pas qu'il sache très bien se montrer adulte lorsqu'il le faut. Il m'a déjà surpris un peu plus tôt en m'apprenant son domaine d'études que je n'aurais pas soupçonné, mais il me surprend tout autant en m'amenant ici pour construire une cabane d'encyclopédies et de dictionnaires. « Ta culture générale n'a pas fini de m'impressionner... », je lâche, avec un sourire, lorsqu'il me parle de l'auteur du livre. Je suis encore plus intéressé par la suite, son explication du conte et l'extrait qu'il me lit. Je découvre et franchement, c'est fascinant.

Et moi, quel est mon bouquin favoris ? C'est bizarre, car j'adore lire et je le fais très souvent, mais je me souviens pas en avoir concrétisé un comme étant mon favoris. En réalité, il n'y en a simplement pas, c'est un peu comme les films, c'est la diversité qui me plait au delà de tout et je ne peux décidé un que je préfère. Beaucoup ont changé ma vie, je crois que toutes les œuvres d'art ont ce pouvoir sur différentes personnes, le tout étant de permettre aux gens de faire la connaissance des œuvres qui ont ce pouvoir de les marquer.

« T'as l'impression d'être comme Peter Pan parfois ? » Je pose la question en toute innocence, mais avec une réelle curiosité d'en connaitre la réponse si Holden veut bien me la partager. C'est d'autant plus curieux que je ne connais pas tant de choses à son sujet quel que soit le domaine. Nous avons souvent passé des soirées ensemble, par hasard et par la suite parce qu'on apprécie la compagnie l'un de l'autre, mais jamais nous n'avons vraiment eu l'occasion de discuter de nos vies que ce soit de la sienne ou de la mienne. « Je suis persuadé que oui, t'as l'air de ça. », j'ajoute enfin avec un franc sourire. C'est un beau compliment je crois, considérant que personne ne peut être aussi pris dans ses délires imaginaires que le réel Peter Pan de l'histoire. Vouloir garder un coeur d'enfant, c'est une belle qualité. Ce l'est encore plus d'y parvenir.