Lorenzo se faisait discret ces derniers temps, depuis l'article de Dirty Secret. Quand celui-ci fut paru, il se sentit épié dans les couloirs du lycée. Des regards de professeurs inquiets, suspects, parfois choqués. Des regards d'étudiantes dégoûtées, probablement de ne pas avoir eu la même chance que Nina. Quoi qu'il en soit, Lorenzo n'aimait vraiment pas être au centre des discussions, aussi évitait-il de trainer dans le lycée aux heures de pointe. Il arrivait plus tôt, partait plus tard, rasait presque les murs. Il avait honte d'être réduit à un tel comportement, mais il devait afficher profil bas. Ils n'avaient pas encore reparlé de cela avec Tiffany. Son épouse lui avait dit qu'elle avait été l'objet de moqueries de jeunes étudiants, qui murmuraient des "cocues" à son passage. Mais Lorenzo était resté muet, n'avait rien répondu à sa femme. Il ne savait pas vraiment quoi lui dire. De toute façon, elle ne devait pas vraiment être surprise, elle avait dû s'en douter que cela arriverait ...

Comme à sa nouvelle habitude, Lorenzo se terrait donc dans son bureau, attendant que le lycée se vide pour pouvoir sortir. Ce soir, il avait prévu d'emmener Tiffany dîner au restaurant, afin de se rattraper. Il lui devait bien ça. Et puis, il préférait être attentionné dans le présent, plutôt que devoir s'expliquer sur ses actes passés. Au moins, en public, Tiffany ne risquait pas de lui poser des questions qui dérangent. C'était trop risqué. Et Lorenzo était prêt à la sortir tous les soirs, si cela pouvait éviter les discussions qui fâchent. Et puis, elle pouvait dormir tranquille, Lorenzo allait être sage, Rose l'avait exigé. Il n'avait revu aucune des soeurs VV depuis sa fameuse discussion dramatique avec celle qu'il ne pouvait plus qualifier de "meilleure amie". Les deux lui manquaient, mais il aurait surtout voulu que Rose lui pardonne, à choisir. Il n'était pas dupe : il savait que sa relation avec Nina était vouée à l'échec. Et puis, c'était trop risqué, pour elle comme pour lui. Ces derniers mois, il avait attendu avec impatience qu'elle soit diplômée, qu'elle ne soit plus son élève, qu'ils encourent moins de danger ... Désormais, il l'imaginait quitter la ville, rencontrer de nouvelles personnes, des gens de son âge ... Il la voyait s'échapper, il la perdait, et n'avait rien le droit de faire pour changer cela. Mais trêves de rêveries, il ne restait pas au bureau pour penser en vain à la jeune fille. Seulement, il n'arrivait pas à se concentrer sur ses copies, et Nina était un sujet de pensée bien plus agréable ... Heureusement, la raison le ramena sur le droit chemin. Elle se matérialisa sous la forme de quelques tocs à la porte. Lorenzo n'attendait personne et se demanda naturellement qui pouvait lui rendre visite. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver Lou !

« Lou Huntington, cela faisait bien longtemps que je ne t'avais pas vue ! Entre vas-y. »

Il lui sourit et se déplaça sur le côté pour lui permettre d'entrer. De tous les élèves qu'il avait pu avoir depuis qu'il enseignait, Lou était restée l'une de ses élèves préférées. Il se souvenait encore de la fois où il l'avait trouvée en pleurs dans un couloir. Il l'avait alors emmenée dans son bureau pour la réconforter avec un chocolat chaud.

« Alors qu'est-ce qui t'amène au lycée ? »

Il lui indiqua le canapé pour l'inviter à s'asseoir. Quant à lui, il prit le fauteuil en face. Non, il n'était pas devenu parano, mais Lou restait une jeune fille à peine plus âgée que Nina, et il ne fallait pas une nouvelle fois alimenter les rumeurs. En fait, si, il devenait un peu parano.

Il la regarda s'asseoir à son tour, et ne put s'empêcher de rire gentiment. "Fidèle au poste", il était vrai que enseigner était l'une des dernières choses qui lui restait, et à laquelle il s'attachait. Beaucoup le trouvait fou, d'aimer son métier. Lui, il voyait juste là de la sécurité. Les chiffres ne vous mentent jamais, ne vous laissent jamais tomber. Vous pouvez résoudre tous les problèmes qui se présentent à vous, avec eux. Et en ce moment, Lorenzo avait bien besoin d'être maître de la situation au moins quelque part dans sa vie.

« Eh oui, toujours là à mon bureau. Et toi, comment ça se passe à la fac ? »

Lorenzo fouilla dans sa mémoire, il était incapable de dire quand était la dernière fois où il avait discuté avec la jeune fille. Il se souvenait l'avoir croisée à la fête de Noël, mais ils n'avaient dû échanger que quelques mots. Alors, cela lui faisait bien plaisir qu'elle pense à venir le voir. Au moins, il ne se sentait pas totalement oublié.

« Bien sûr que non tu ne me déranges pas. Par contre, ça me dérange que tu m'appelles encore Monsieur ! Ne plus être mon élève te donne le droit de m'appeler Lorenzo ! »

Ce n'était pas là une technique détournée pour la draguer. Non, Lorenzo détestait juste qu'on l'appelle Monsieur alors qu'il était à peine plus âgé que ses élèves. Pour la plupart, il ne pouvait même pas être leur père, alors se prendre des "monsieur" dans la figure à longueur de journée était assez douloureux. Alors, qu'on puisse lui donner du tu étais plutôt bienvenue. Et puis, jamais il n'aurait fait ça à la petite amie de son élève préféré.

« Andrew me tutoie déjà tu sais, tu peux en faire de même ! »

Ce dernier lui avait d'ailleurs rendu visite la semaine dernière. Lorenzo se souvint l'avoir vu débarquer complètement paniqué, parce qu'il avait commis une grosse bêtise la veille : il avait embrassé une autre fille, Gabrielle Montgomery. Lorenzo la connaissait pour l'avoir comme élève, naturellement. Ça ne l'étonnait d'ailleurs pas, venant de la jeune fille. Elle lui avait déjà fait du charme une ou deux fois. D'ailleurs, si Lorenzo l'avait gentiment repoussée, c'est parce qu'il était pris désormais. Et puis, il avait déjà donné. Des élèves comme elle, il en avait eu des tas, du temps où il était encore un jeune étalon célibataire. Mais le professeur s'était gardé d'en informer son ancien élève, il était surtout venu pour demander de l'aide. En jeune homme habile-avec-les-excuses qui se respecte, il lui avait dit de ne rien cacher à Lou. Mais surtout, il lui avait dit de préciser que Gabrielle s'était jeté sur lui, qu'il l'avait repoussé mais que, comme il devait taire qu'il avait une copine, Gabrielle n'en avait pas tenu rigueur et l'avait embrassé. Venant d'une aguicheuse comme elle, Lou ne pourrait pas mettre en doutes les propos de son petit ami. Lorenzo avait également ajouté que, si besoin était, Andrew pouvait préciser qu'il en avait marre de cette situation et qu'il fallait qu'ils rendent leur relation publique. Le jeune homme avait dû écouter son conseil puisque Lorenzo avait remarqué que les deux tourtereaux s'affichaient désormais sur facebook. Le plan de Lorenzo avait dû fonctionner. Ah, les italiens et les femmes, aucune ne leur résiste !

« J'ai cru comprendre que tu n'en avais pas tenu rigueur à Andrew pour Gabrielle, tu as bien raison. Les filles comme elles je te jure ... »

Et puis, chacun avait son lot d'erreurs à transporter, non ? Lorenzo avait cru comprendre que la jeune fille n'était pas non plus toute blanche, d'après le dernier article de Dirty Secret. Il n'était pas sûr, mais il semblerait qu'elle se trouvait en fait dans le même cas que Nina. La pauvre, au moins le nom de la jeune Van Valkenburg avait été omis dans l'article. Lou, elle, s'en était pris plein la figure. Il avait d'ailleurs éprouvé beaucoup de compassion pour elle, et espérait qu'elle avait réussi à traverser cette épreuve. Seulement, il n'osait pas tellement lui en reparler. Mais, peut-être le ferait-elle puisque, après tout, ils avaient vécu apparemment la même relation.

Si tout allait bien pour Lou à la fac, alors Lorenzo était ravi, sincèrement. Il était comme ça, il se préoccupait vraiment des études de ses élèves. Lou semblait contente de suivre ces études. Pas comme Andrew qui était en commerce pour le bon plaisir de ses parents absents. Une telle obligation le désolait. Lou, elle, avait l'air de se plaire dans le droit, c'était l'essentiel.

J'en suis ravi pour toi.

Quand il l'entendit prononcer son prénom, cela lui fit bien sûr un peu drôle, au début, d'entendre Lorenzo sortir de sa bouche. Mais c'était comme une étape passée, et cela le fit sourire. Sourire qui s'effaça bien vite quand il vit l'expression bizarre sur le visage de Lou. Avait-il dit une bêtise en évoquant Gabrielle ? Mince alors, Andrew devait lui en parler pourtant, c'était vraiment surprenant. Il avait même prévu de cuisiner la pizza préférée de Lou, pour l'occasion. Quelque chose avait mal tourné ? En tout cas, Lorenzo espérait que son élève préféré ne s'était pas défilé, c'était mal. Mais tout à coup, il se trouva bien hypocrite de penser ça. Il avait accepté de sortir au Dancing avec Elias, en fin de semaine. Et son petit doigt lui chuchotait qu'il ne raconterait sûrement pas cette soirée à sa femme. Mais ça, il le gardait bien pour lui. De toute façon, présentement, c'était d'Andrew et Lou dont il était question. Lou qui finit par lui répondre et par lui expliquer pourquoi elle fut un peu surprise. Voilà qui solutionnait tout ! Ce coquinou d'Andrew était resté évasif sur le sujet ! Au moins, il ne s'était pas défilé, c'était l'essentiel. Pour autant, Lorenzo fut mal à l'aise avec la question soudaine que lui posait la jeune fille. Ce n'était pas à lui, de répondre à cette demande. Andrew devait avoir de bonnes raisons pour être resté succin, non ? D'un autre côté, dans cette histoire, il était impossible de n'en raconter que la moitié. Lorenzo se demandait vraiment quelles parties Andrew avait pu omettre. Il se dit alors que, comme Lou était une fille, elle devait forcément chercher midi à quatorze heures, et soupçonnait Andrew de lui avoir caché certains évènements. Les filles, je vous jure ! Lorenzo sentit alors qu'il avait le devoir d'éclaircir la situation entre ses deux tourtereaux préférés. Andrew le remercierait plus tard.

Quels détails ? Voyons Lou, elle l'a juste dragué, rien de plus. Certes, elle l'a aussi embrassé, mais ne crois pas qu'Andrew te cache quelque chose, il t'a tout dit. Il hocha la tête pour appuyer ses dires. Si tu l'avais vu, quand il a débarqué totalement paniqué, je ne l'avais jamais vu comme ça.

Voir Andrew ainsi l'avait un peu amusé, dans le bon sens du terme. A croire qu'il à son tour un jeune adulte. Lorenzo se souvenait, quand il avait leur âge. Certes, ce n'était pas il y a si longtemps. Mais il n'avait pas encore trouvé sa perle rare, lui, il était resté insouciant. Quand il avait vu Andrew, il avait compris que ce dernier n'était pas dans ce cas-là, qu'il aimait Lou malgré toutes les contraintes. Il lui avait raconté, aussi, le problème avec Christian. A sa place, Lorenzo ne se serait jamais embarqué dans une telle relation. Lui, il n'aimait pas les complications, même s'il était mature et réfléchi, qu'il savait venir à bout des problèmes. il n'était pas maso, il préférait les situations simples. Andrew, lui, avait choisi l'ex de son meilleur ami, qui était soupçonnée d'entretenir une relation avec un homme marié du quartier. Ou un truck dans le genre. D'ailleurs, Lorenzo se dit que ce passé avait dû aider la jeune fille, quand elle dut pardonner son petit ami (oui, je te fais ici habilement remarquer que tu ne dois pas t'emporter contre Andrew car Lou était encore engagée quand elle a fait ses galipettes avec son nouvel amoureux).

Lorenzo resta muet, quand Lou avoua qu'elle n'était au courant de rien' elle s'était donc bien jouée de lui, et il n'y avait vu que du feu. Ah les femmes ! Sauf que c'était tout sauf le moment pour disserter sur le sujet "les femmes, ces créatures qui se jouent des pauvres hommes innocents". Il devait dire quelque chose à la pauvre Lou désormais désemparée. En plus, il savait que son élève préféré avait déjà écrit un article sur ce sujet. En parlant de ce dernier pourquoi n'avait-il pas tout raconté à Lou ? Certes, Lorenzo n'était pas du genre à tout raconter à sa femme, ou à sa copine du temps où il en avait. Mais il savait faire la part des choses et, dans cette situation, Andrew était innocent. C'était donc une histoire qu'il aurait pu aisément raconter à Lou, cette dernière aurait même été touchée par son honnêteté et aurait eu confiance en lui. Ceci aurait été un très bon point car, Lorenzo le savait bien, au début d'une relation la fille a toujours du mal à faire confiance au garçon. Même si, de nos jours, les filles se dévergondent autant que les hommes (en allant sur des tchats pour des relations extra conjugales car aimer deux hommes c'est aimer deux fois plus dixit la pub du métro qui outra la madame blonde et moi, mais pas mon amoureuse bizarrement), on suspecte toujours plus un homme qu'une femme d'actes volages. Ce qui peut d'ailleurs sembler stupide puisque, pour être volage, il faut un homme et une femme. Ou deux hommes, car ce n'est pas mal d'être un homme qui aime un homme, Lorenzo l'avait appris en regardant les petits mouchoirs. Enfin bref, Andrew n'avait rien dit.

« Je ... je ne comprends pas Lou » il était sincèrement désolé pour elle. En guise de soutien, il vint s'asseoir à ses côtés et lui frotta le dos, geste ô combien inutile mais qu'ils font tous dans les films pour réconforter les gens. « Il était même venu me demander la recette de ma pâte à pizza. Il voulait te faire ta pizza préférée ! Sur le coup, il n'a pas assuré »

Lorenzo ne savait pas quoi ajouter de plus, son vocabulaire d'expressions réconfortantes était fort pauvre. Il faut dire que ses amis venaient rarement le voir pour de telles discussions. Ce n'était pas un truc qu'ils faisaient, entre mecs. Et ses meilleures amies devaient plutôt se confier à leurs propres meilleures amies plutôt qu'à lui. Mais il voyait bien que l'état et les pensées de la jeune fille ne s'arrangeaient pas. Elle réussit à l'appeler Lorenzo, mais pour une telle question, Lorenzo aurait encore préféré qu'elle ne dise rien. Qu'est-ce qu'il en savait ? Lui-même se posait la question tous les jours. Car sa vie à lui n'était pas facile non plus. Pourtant, il avait en tête l'idée qu'il se faisait d'une vie facile. C'était simple : il s'agissait de sa vie ici, à magnolia, avant qu'il ne parte un an à New York. Dieu que la vie était facile, à ce moment là.

« Je me pose la même question Lou. Peut-être que si c'était trop facile, la vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue. Mais j'ai l'impression de sortir l'une des expressions les plus banales et cliché du monde. Je pense que personne ne sait, qu'il faut juste travailler pour mériter son bonheur » (C'est Tiana qui l'a dit). Lorenzo se stoppa soudainement, dans ses explications maladroites. Il se demanda tout à coup ce que Lou sous-entendait par "rien". Devait-elle faire face à d'autres problèmes ? Il n'avait pas compris cette phrase ainsi, quand la jeune fille l'avait prononcée, mais la possibilité s'était immiscée d'un coup dans son esprit. « Lou, il y a d'autres choses dans ta vie qui ne sont pas faciles ? Tu souhaites en parler ? »

Il ajouta rapidement sa deuxième question, conscient qu'il ne devait,pas être la première personne sur la liste des confidents de Lou. Mais en tout cas, il voulait qu'elle sache qu'il était là pour elle, si elle en ressentait le besoin. Ce n'était pas parce qu'elle n'était plus son élevé qu'il cessait d'être présent pour elle. D'ailleurs, c'était comme dans cette série que sa femme regardait le lundi ou mardi soir sur ABC family. Dans l'épisode de cette semaine, Le professeur, Ezra quelque chose, aidait son ancienne élève à réviser pour un examen qu'elle avait raté.

« Tu veux un chocolat chaud, quelque chose ? »

Depuis qu'il était arrivé ici, la première chose que Lorenzo avait faite fut d'équiper son bureau d'une machine à café/thé/chocolat, qui s'avérait bien utile.

L'innocence, un mot que Lorenzo ne connaissait plus vraiment. A peine Lou avait-elle dit ces mots qu'un sentiment de culpabilité avait envahi le professeur. Lui, contrairement à Andrew, était coupable. Lui avait embrassé Nina, l'avait revue ... Bizarrement, avant, il ne se rendait pas compte des conséquences de ses actes. Après tout, lui seul était au courant. Enfin pas exactement, lui et Nina, et Katya apparemment, et sûrement d'autres amis de la jeune fille. Lorenzo espérait que Nina l'ait raconté uniquement à des personnes de confiance. Mais en tout cas, personne de son entourage n'était au courant, si bien qu'il ne mesurait pas l'importance de sa trahison à l'égard de Tiffany. Alors, quand il l'avait raconté à Rose et que cela lui avait coûté son amitié, il avait réalisé que ses batifoleries n'étaient pas anodines. Et maintenant qu'il voyait Lou si accablée par la trahison de son propre petit ami, il comprenait la douleur causée par ce genre d'inconsciences.

« Je suis désolé que tu l'ai appris par moi, Lou. Et je ne sais pas quoi te dire de plus ... »

Au moins, il avait le mérite d'être honnête, mais cela s'avérait peu utile. Il ne pourrait même pas ajouter "honnête" sur son CV, car les moments où il l'était pouvaient se compter sur les doigts d'une main. En témoigne d'ailleurs l'article de Dirty Secret qu'évoqua Lou. Quand elle aborda ce sujet, Lorenzo sentit des frissons parcourir son échine. Il avait été vendu, découvert, il était fait ... et pourtant Tiffany ne lui en avait jamais reparlé. Sur le coup, il avait détesté cette réaction, à croire qu'elle était devenue comme les autres dames du quartier, à se voiler la face pour rester digne alors que son mariage bat de l'aile. Il aurait préféré la voir pleurer, ou même se faire engueuler. Une réaction qui l'aurait empêché de recommencer. Une réaction comme celle de Rose, somme toute.

« Je ... Je vais te faire un chocolat chaud. »

Il devait reprendre ses esprits avant de répondre à la jeune fille, l'article de Dirty Secret était un sujet bien trop délicat à aborder pour lui. Même s'il avait confiance en la jeune fille, il ne voulait pas que son histoire s'ébruite, alors que tout le monde était désormais au courant, en fait. Tout en se levant et en se dirigeant vers la machine à chocolat, il cherchait comment continuer sur ce sujet. Bien sûr, il voulait réconforter Lou. Non, il n'était pas un rapiat qui désirait absolument connaître l'identité du monsieur avec qui elle entretenait cette relation. Même s'il se serait senti moins seul et aurait pu fonder un club d'adultes pseudo pédophiles raillés par le quartier. Mais voilà que le chocolat chaud était prêt, il prit donc le mug (il fait collection et en ramène un de chaque endroit où il part en vacances, il collectionne aussi les verres à shooters, mais on n'a jamais vu de chocolat chaud servi dans un tel récipient), et le tendit à son invitée, à côté de qui il reprit place.

« Bien sûr que je l'ai lu, tu as dû voir apparaître mon nom aussi. Mais c'est du passé non ? Si Andrew ne t'en tient pas rigueur, tu devrais arrêter de te préoccuper du regard des autres. Seuls tes amis et ta famille comptent ! »

Il lui fit un sourire compatissant, mais réalisait que sa phrase était l'une des plus bateaux du monde

Lou avait beau être une fille douce, quand elles lui dit que Andrew et elle règleraient ça, Lorenzo eu de la peine pour son ancien élève. Pas de doute, il allait passer un sale quart d'heure. C'étaient ce genre de situations qui l'empêchaient d'aller voir ailleurs : les explications avec Tiffany. Lorenzo n'aimait pas expliquer ses actes et, pour une fois, cela avait de bonnes conséquences, et lui permettait d'être fidèle. Quand une élève aguicheuse lui faisait des yeux doux, une petite voix lui disait "n'oublie pas Tiffany Mon petit Lolo, qu'est-ce qu'elle va dire !". Certes, ce n'était pas son amour incommensurable pour la jolie rousse qui l'empêchait de regarder ailleurs, mais il restait (pratiquement) sage et c'était l'essentiel.

J'espère que tout ira bien

Par là, il voulait dire qu'il espérait sincèrement que la situation s'arrangerait entre les deux amoureux, que Lou finirait par le pardonner. Il connaissait Andrew, ce dernier allait se répandre en excuses. Ce n'était pas son genre habituellement, mais il était tellement différent quand il s'agissait de Lou. Oui il avait changé, mais en bien, en mieux. On dit souvent qu'un garçon s'améliore au contact d'une fille. À cette pensée, Lorenzo réalisa que jamais une fille ne l'avait changé ... Ou presque. Soudainement, il eut une pensée pour Chiara, son premier amour qu'il n'avait pas vu depuis des années. C'était étrange. Il n'avait pas pensé à elle depuis des années, s'était appliqué à la ranger dans la case "sujets tendus à ne pas aborder" de son cerveau. Mais voilà que Lou et Andrew lui rappelaient son histoire avec la belle italienne, dont il s'était séparé pour changer de vie, au décès de sa mère. Il eut l'envie inexpliquée de savoir ce qu'elle devenait, après tout ce temps. Peut-être était-il enfin prêt pour retourner sur sa terre natale ... Mais il était là à des années lumière de leur conversation actuelle. Alors, il se reconvertira sur ce sujet tabou qu'il avait choisi d'aborder avec Lou. Sans comprendre pourquoi, sa raison lui disait qu'avoir le point de vue de la jeune fille l'aiderait.

Bien sûr que ça ne regarde que toi, ce site est vraiment une belle connerie dont tout le monde se plaint, mais le pire c'est que chacun est bien content de lire les petits secrets des voisins. Quel quartier ... On t'en a reparlé ouvertement ?

Jamais Lorenzo n'avait parlé de ses aventures avec quelqu'un, jamais on n'était venu le voir pour lui demander s'il entretenait vraiment des relations avec certaines de ses élèves. Il espérait que Lou était dans la même situation, lui trouvait ça plus facile de gérer ça ainsi car, au final, il n'avait de compte à rendre à personne. Certes, il sentait souvent des regards pesants se poser sur lui, mais qu'importe. De toute façon, c'était du passé ... Enfin, plus maintenant. Depuis cet article à la noix, il sentait les conversations sur son compte reprendre de plus belle, dans les couloirs du lycée. Mais qu'importe, cela ne durerait pas longtemps, puisqu'il ne pouvait plus voir Nina. Et puis, la discussion avec Rose l'avait bien refroidi. Tout le monde aurait oublié d'ici la rentrée et il reprendrait le cours de sa petite vie morose et monotone.

Tu sais, il y avait déjà des rumeurs, avant que je parte à New York, mais je m'en fichais à l'époque, je vivais ma vie comme tout le monde. Maintenant que je suis marié, il est vrai que cet article arrive fort mal à propos ... J'ai voulu en parler à une amie, car je sais que tout finit par se savoir. Depuis, elle ne veut plus m'adresser la parole, je n'existe plus pour elle. Alors je t'avouerais que là, j'ai vraiment une estime de moi même très très basse ... Si elle n'était pas dans l'équation, franchement je m'en ficherais, j'accorde peu d'importance à ce qu'on pense de moi. Ce qui est fait est fait et je ne regrette rien, je parie que pour toi c'est pareil alors Lou, ne fais pas attention aux autres.

Malheureusement, Rose était dans l'équation, belle et bien présente, une conséquence imprévue de ses batifolages. Il avait un peu menti à Lou. Avoir perdu Rose le faisait quelque peu regretter ses actes. Mais effectivement, si elle l'avait accepté, il n'aurait pas regretté d'avoir revu Nina.

Ce que Lou ne savait pas, en racontant ainsi sa malheureuse aventure à son ancien professeur, c'est qu'elle le ferait culpabiliser. Non pas que Lorenzo avait été de ceux ayant alimenté les rumeurs au sujet de la jeune fille. Jamais il ne se serait abaissé à un tel comportement. Ce qui le mettait soudainement mal à l'aise, c'est que lui au contraire avait préféré que les gens ne viennent pas lui parler en face. Il fallait être honnête, qu'aurait-il répondu si on lui avait demandé de but en blanc au détour d'un couloir "entretiens-tu une relation avec l'une de tes élèves ?" ? Il serait resté bouche bée. Certes, dans sa tête, il aurait formulé mille et une réponses héroiques possibles, comme "Non non, pas avec une seule de mes élèves" accompagné d'un clin d'oeil à la Brice de Nice, signifiant "eh t'as vu j'suis trop hype je me tape toutes les midinettes du lycée". Mais Lorenzo était un lâche, et découvrir que Lou avait plus de courage que lui le fichait mal. Surtout pour un italien, son égo en prenait un coup puissance mille. Une fille meilleure que lui, il eut soudain l'impression bizarre d'être une fillette. Mais qu'importe, ce n'était pas de lui qu'il s'agissait, et Lorenzo se surprit à se reconcentrer sur l'histoire de son ancien élève. Avant, jamais il n'aurait agi ainsi. Il avait certes été un professeur présent pour ses élèves, mais l'égoisme était aussi un de ses principaux traits de caractère. Avant. Sa relation avec Tiffany l'avait décidément fait murir, il n'y avait pas de doute. Il était devenu adulte, en somme. Un peu tard, mais il l'était devenu quand même.

« Parce que tu voudrais en parler ouvertement ? Tu sais ce que tu leur répondrais, si on venait te demander directement si tu avais eu une relation avec un homme marié ? »

Bam cash, Lorenzo employait les mots tels qu'ils étaient pour définir cette relation. Enfin, à ce qu'il en avait lu dans l'article. Peut-être Lou serait-elle subitement blessée, de se prendre des termes directs dans la figure. Mais il cherchait à l'aider, car le reste du quartier ne prendrait pas de gants s'il s'agissait de parler de cette affaire. D'ailleurs, qu'il cherche ainsi à aider la jeune fille le rassurait, un peu. C'était comme une preuve, la preuve qu'il était encore utile à ses élèves et pouvait les aider à avancer. Ces derniers temps, avec toutes les rumeurs à son sujet, il avait pensé que ses qualités professorales étaient à revoir. Heureusement, Lou lui prouvait le contraire. Il était encore un professeur à l'écoute de ses élèves, pas seulement à propos des mathématiques.


« Pourtant si ça l'était, enfin ... » Lorenzo avait conscience de ne pas donner tous les élèments à Lou, il était normal qu'elle se fasse une fausse opinion. S'il avait précisé que la relation qu'il avait entretenue était avec la soeur de cette dite amie, Lou aurait probablement envisagé la chose autrement. Mais il ne pouvait pas trop en dire, pour Nina. Même s'il savait qu'elle ne s'était pas gênée pour le raconter à ses nombreux amis, en témoigne le comportement de Matthew à son égard. Ou celui de Katya. « Tu as bien raison, tu as dit toi même que c'était du passé, ne laisse pas les gens gâcher ton présent. Et je t'interdis de dire que tu es chiante voyons, un professeur est aussi là pour aider ses élèves. Je suis au contraire ravi si j'ai pu t'aider. »

Lorenzo était sincère, il avait de la sympathie pour Lou et s'inquiétait vraiment pour elle. Cela depuis ce jour où il l'avait vu pleurant dans un couloir, du temps où elle était encore lycéenne. C'est alors qu'il se demanda si c'était à cause de cette fameuse ancienne relation, qu'elle pleurait ce jour là. Mais il se garda bien de lui demander. Après tout, comme il venait de le dire, le passé appartient au passé, et il ne voulait pas être celui qui l'embêterait avec cette histoire.

Lou lui expliqua ce qu'elle dirait à ces personnes médisantes, Lorenzo eut soudainement l'envie d'en savoir plus. Ce n'étaient pas leurs histoires, Lorenzo avait bien envie d'en connaître les détails. Comme tout le monde, après tout. Il se stoppa net à cette pensée, il ne voulait pas être comme tout le monde et sombrer dans ce cliché. Si Lou avait besoin de se confier, il serait là. De toute façon, connaître le fin mot de l'histoire ne l'avancerait à rien, ne changerait pas sa vie. Il aimait ces moments, où il redevenait sérieux, où il regagnait le sérieux de son âge, sa maturité légendaire. Sans le vouloir, il affichait un air supérieur, fier de lui. Fière d'elle aussi, Lou était courageuse et peu de personnes le seraient dans sa situation.

« Tu es très forte Lou, je suis sûre que tu t'en sortiras, que tu viendras à bout de cette histoire » Il le pensait sincèrement, mais il ne disait pas non plus que ce serait une promenade tranquille. Au contraire, long serait le temps avant que les gens se décident à classer l'affaire, sauf si une autre éclatait dans les choux gras de Dirty Secret. C'était tellement possible, après tout lui déjà cachait plusieurs secrets à beaucoup de monde, même à sa femme. Vu le monde que comptait ce quartier, bien du voisinage pouvait être dans son cas, ou proche de celui de Lou. « Si jamais tu t'ennuies, tu peux toujours enquêter sur quelqu'un d'autre et trouver un scandale pour remplacer le tien ! » Il marqua une pause, réfléchissant à ses différents voisins. « J'ai plusieurs voisins que j'ai toujours trouvé bizarres, je suis sûr que tu peux trouver quelque chose ! » Et puis, ce n'était pas comme si Lou était la seule à alimenter les rumeurs. Beaucoup d'histoires traînaient sur un peu tout le monde, d'ailleurs en y réfléchissant bien, Lorenzo n'arrivait pas à dire s'il y avait des personnes épargnées.

Mais trêves de plaisanteries, Lou exigeait une bonne nouvelle. Lorenzo avait son lot de bonnes nouvelles dans sa vie, ces derniers temps, mais également son lot de mauvaises. Pire, ces nouvelles étaient subjectivement bonnes, pour lui. Si Lorenzo parlait à Lou de sa prochaine escapade avec Elias, qui s'annonçait bonne en drague et en éclate, il n'était pas sûr que Lou la classerait dans les "bonnes nouvelles". Lui annoncer une mauvaise nouvelle ? Mouais, Lou ne verrait pas non plus comme une mauvaise chose que Nina l'évite et ne veuille plus le voir depuis la saint Valentin. Il fallait trouver un fait banal et, aussi surprenant soit-il, Lorenzo était attristé de ne pas pouvoir se confier à Lou. Il devait rester évasif, comme d'habitude. Ne pas pouvoir se confier était parfois pesant, même pour un homme mature et responsable comme lui. Il avait fait cette erreur une fois et en avait perdu sa meilleure amie, il ne voulait pas agir de la sorte une nouvelle fois (oui y'a deux fois "fois" dans ma phrase mais le fond sonore Dexter m'empêche de me concentrer et de la modifier. Oh oui Lila va partir dans un sac poubelle il a dit !). « Tu sais ce que c'est, la vie d'un prof. Les bonnes nouvelles consistent aux listes des classes de l'année prochaine, les élèves qui ont eu leurs diplômes, un nouvel ordinateur reçu au lycée ... » Il se sentait pathétique, et se serait volontiers mis des claques s'il avait été plus jeune. Il devait trouver mieux, au moins par respect pour Lou. Celle-ci s'était ouverte à lui, il se devait d'en faire de même. « Oh et, sur un plan plus personnel, je crois que ça va mieux avec Tiffany. Il y avait de l'eau dans le gaz, mais c'est passé. » Non, il ne pensait pas soudainement que Lou était une thérapeute pour couples, il ne savait même pas pourquoi il en avait dit autant. « Et oui, même les adultes ont des problèmes de couples, j'espère que tu ne pensais pas qu'ils s'envoleraient en grandissant. » Il fit une grimace désolée, conscient en même temps qu'il prenait soudainement Lou pour une ado, alors que la demoiselle était plus proche du monde adulte, surtout ces derniers temps. Elle venait même encore de lui prouver aujourd'hui.

Lorenzo rit gentiment quand Lou demanda du tac au tac de quels voisins il parlait. Elle avait la bonne réaction, ça ne les concernait pas. Pourtant, certains d'entre eux auraient bien mérité de voir leurs secrets exposés au grand jour, vu comme ils ragotaient sur les autres sans ménagement. Qu'importe, il fallait être au dessus de tout ça. Lorenzo était peut-être naïf, mais il préférait croire que de mauvais actes pouvaient toujours nous retomber sur la figure. Enfin, par là, il entendait être mauvais avec ses voisins, s'amuser à colporter délibérément des infos à leur sujet alors qu'on est pleinement conscience que cela leur nuira. Non, il ne classait pas dans cette catégorie "flirter avec d'autres filles quand on est marié", même si par là il blessait Summer. Après tout, tant qu'elle était au courant, où était le mal ?

Il se garda bien de poser cette question rhétorique à Lou, puisque cette dernière affirma alors qu'ils étaient un joli couple. Oui peut-être, si joli signifie "plus jeunes que les autres couples traditionnels de vieux croutons du quartier". Lui, les aurait plutôt qualifiés de jeunes, mais qu'importe, il ne voulait pas exposer cet avis à Lou, ou la jeune fille finirait par se douter de quelque chose. D'ailleurs, cette dernière avait même envie de leur ressembler ! Lorenzo rit gentiment et leva les yeux au ciel. Si elle savait, en tout cas, intérieurement, le professeur lui souhaita que Andrew soit plus droit que lui, si jamais elle envisageait son futur avec lui. « Ecoute c'est bien possible, je crois que Andrew cuisine aussi bien que moi ! Et je pense que tu es aussi douce que Summer. Vous pourrez donc nous remplacer, prendre notre maison et le tour est joué ! » Il lui fit un clin d'oeil amical. C'est ce moment que le jeune homme choisit pour regarder sa montre, et réaliser l'heure qu'il était. « Oh Lou je suis désolé mais je n'ai pas vu le temps passer ! » S'exclama-t-il étonné. Il était en retard et Summer devait l'attendre, c'était à lui de cuisiner ce soir ! Il se leva alors, sans pour autant vouloir mettre la jeune fille à la porte, ce n'était vraiment pas dans son intention et il ne voulait pas du tout la vexer. « C'est ça quand on parle avec des amis, on en oublie tout le reste ! » Il se dirigea vers son bureau pour mettre un paquet de copies dans sa sacoche, puis la ferma et l'attrapa à la main. « Si tu veux je te ramène chez toi, nous pourrons finir de dessiner ton futur dans la voiture ! » Il sourit, tentative ultime de prouver à Lou qu'il n'était sincèrement pas lassé de sa compagnie.