Rentrer chez les Fitzgerald n'avait pas été une mince affaire. Bien qu'il n'y ait que quelques mètres à parcourir, j'avais eu une peur bleue pour la seule idée de sortir de chez Zachary. Pourtant, j'avais refusé qu'il me raccompagne et fais comme si de rien n'était jusqu'à ce que je ne sois plus en vue. Là, je m'étais mise à courir jusque chez moi. C'était ridicule — qu'est-ce que je risquais dans mon propre quartier, entourée de promeneurs ? — mais j'avais vraiment eu peur. Et je frissonnai à la seule idée que la maison soit vide. Je montai à la salle de bain où j'essayai de cacher avec du maquillage les quelques bleus et égratignures sur mon visage. Le rendu était bizarre, pas naturel mais au moins on les voyait moins. Je n'avais pas voulu en emprunter à la soeur de Zach ; je me sentai déjà trop en dette avec lui et puis ça pouvait attendre — presque.
Je rentrai dans la chambre que je partageai avec Katya et me rendis compte, sur le pas de la porte, qu'elle était revenu de son université pour le week end. Et merde, J'avais complètement oublié. Je parcourus en quelques pas l'espace qui me séparait de mon lit et me vautrai dessus, joue la première, de façon à tourner la tête à Katya. Désolée petite soeur mais t'as pas choisi ton moment pour revenir à la maison.

« Yo petite soeur. »

Ne recevant aucune réponse, je me redressai pour la regarder. Elle m'ignorait. Et fumait. So, quelque chose n'allait pas pour elle — et pour moi. Mais je ne comptai pas lui en parler ; elle n'avait pas besoin de le savoir. — et c'était très certainement en rapport avec le fait que je n'étais pas rentré la veille, prouvant, pour elle, que j'avais oublié qu'elle rentrait ce week-end.

« Hé depuis quand tu fumes devant moi toi ? »

J'avais dit ça sans énervement, sans agacement. Juste comme une remarque ; aujourd'hui je ferai tout sauf la disputer.

J'avais l'impression d'être une gamine, devant ma petite sœur qui m'engueulait. Et aussi de tout mal faire. Je n'avais pas voulu vraiment disputer Katya, juste lui faire remarquer qu'elle fumait devant moi... Et que je n'aimais pas trop ça, même si c'était moi qui lui avait fait tester. Mais mieux vaut que ce soit avec la grande sœur, plutôt qu'avec un mauvais garçon non ?

« Je me suis pas battue. Et j'voulais pas t'engueuler. »

Je rentrai plus souvent bourrée et shootée que frappée, je l'avoue. Et Katya était prête à me crier dessus pour cette pauvre tonne de maquillage — "pulsion tepu" comme elle disait ; bien, venant de ma sœur... — Ou peut-être bien pour ce qu'il y avait en dessous, qu'elle avait dû voir en se rapprochant. J'avais peut-être trop mis de fard, ce n'était cependant pas assez pour cacher les restes d'hier soir. Et je serais forcément obligée de lui raconter au moins une partie de ce qu'il s'était passé — merde.

« Je suis tombée. Et je te jure que c'est vrai ; sur les pavés de.. Justice Street. »

Elle ne pouvait pas me dire que je mentais, puisque je disais la stricte vérité. Et il y avait vraiment de gros pavés horribles à Justice Street. Je le savais mieux que personne, maintenant. Je posais ma tête sur l'oreiller et essayai de détendre Katya.

« Et oui, je peux te dire que ça fait mal. » (Silence.) « Désolée de pas avoir été là quand t'es rentrée hier. J'suis là maintenant. »

Ça l'avait vexée, que je ne sois pas là, ça se voyait. Et apparemment, James était sorti aussi - sinon, pour sûr qu'il aurait été présent. Je n'avais pas envie de m'embrouiller avec Katya, elle rentrait pour le week-end on n'allait pas foutre en l'air le peu de temps qu'il nous restait ensemble.

« Allez, on oublie ? »

Si elle tenait de moi, cette histoire ne se finirait pas tout de suite. Parfois j'enviai James d'avoir ce don de calmer les gens et de leur faire tourner la page.

Katya s’en voulait presque d’aborder ce ton avec Julia, mais parfois sa grande sœur était réellement inquiétante ! A trainer n’importe où tard le soir comme elle le faisait, il allait certainement finir par lui arriver malheur… Et le fait qu’elle se ramène avec cette tête-là voulait tout dire ! La prochaine fois qu’est-ce que ce sera ? On la retrouvera à l’hôpital ? Ce n’était pas vraiment le genre de Kat de penser ce genre de choses, mais franchement sur ce coup elle ne pouvait que s’inquiéter, sinon ça voudrait dire qu’elle n’aimait pas sa sœur. Celle-ci prétexta une chute à Justice Street. La petite blonde n’en croyait pas un mot. Elle connaissait sa sœur, et lorsqu’elle pouvait mentir pour qu’on la laisse tranquille, elle ne se gênait pas… Mais cette fois-ci, Kat ne la laisserait pas faire ! Oh non, elle finirait par lui dire ce qu’il lui est arrivé, et elle s’en donnerait a corps et âme s’il le fallait.

« C’est pas grave, je suis bête de t’en avoir voulu pour ça… Mais c’est seulement que j’avais tellement hâte de rentrer pour vous voir James et toi, mais vous étiez tous les deux occupés, alors ça m’a vexée. » Elle sourit timidement, c’est vrai elle n’avait pas réellement de raisons de leur en vouloir. C’était elle la fautive dans l’histoire, celle qui abandonnait sa famille… Et elle savait bien que le monde n’arrêterait pas de tourner à Magnolia durant son absence, sa famille et ses amis avaient une vie et ils prévoyaient des choses sans nécessairement se préoccuper de Katya. Elle le concevait complètement, mais c’était plus dur de l’accepter. Lorsque sa sœur ajouta ce « on oublie ? » elle avaient envie de fondre dans ses bras en criant oui, mais elle savait qu’elle avait une autre mission à accomplir avant : lui tirer les mots de la bouche pour savoir ce qu’il lui était arrivé cette nuit. Alors comme prévu, Katya lui fit un câlin et se décollant d’elle, elle la regarda bien dans les yeux avec un fin sourire :

« Oui, on oublie… Enfin, à une condition, je veux savoir ce qui s’est passé la nuit dernière. Ton histoire de pavés sent le mensonge à plein nez, on ne se fait pas des blessures pareilles en trébuchant. Alors, j’aimerai que tu sois sincère parce que moi je m’inquiète : qu’est-ce qui t’es arrivée ? » Elle ne devrait même pas avoir à lui mentir ! C’était Katya sa sœur, elle ne l’avait jamais jugée et ne le ferait jamais. Elle pouvait lui dire n’importe quoi, qu’elle voulait devenir trans ou qu’elle se convertissait à l’islam : pour Kat elle restait sa sœur adorée, l’une des personnes les plus précieuses pour elle. Alors elle avait intérêt à parler, parce que la petite blonde détestait absolument que des personnes qui lui étaient chères lui cachent des choses. Etrange pour une habitante de Magnolia, n’est-ce pas ?

Recevoir un câlin sincère de sa petite sœur que vous ne pouvez voir que le week-end et encore, quand vous êtes là le week-end, ça fait vraiment du bien, je confirme. Aussi je ne repoussai pas Katya quand elle s'avança pour me prendre dans ses bras. Et pendant deux secondes, je pensais qu'elle allait tourner la page et oublier cette histoire de maquillage et de pavés, comme elle venait de le faire pour mon retard à la maison. Sauf que non, elle ne voulait pas à condition que je lui raconte. Parce qu'en plus de ça, Katya ne croyait pas un mot de ce que je venais de lui dire. Qui était pourtant tout ce qu'il y avait de plus vrai. Enfin... j'avais passé sous silence certains détails parce que pour moi elle n'avait pas à le savoir mais dans l'ensemble c'était la vérité. Mais connaissant Katya - qui était bien ma sœur oui oui, elle tenait bien de moi sa persévérance - elle allait s'acharner.

« Pourtant c'est vrai. Je suis tombé. Bon ok, c'est quelqu'un qui m'a fait tombé mais ça revient au même. Et non je sais pas qui est ce quelqu'un. »

Juré, craché. Elle était mignonne, à s'inquiéter comme ça pour moi mais il fallait qu'elle me croit maintenant. Je n'avais pas du tout envie de revenir sur la question alors j'ajoutai, pour changer légèrement de sujet tout en continuant de lui raconter ce qu'il s'était passé cette nuit, puisqu'elle le voulait tant.

« Et j'ai passé la nuit chez un pote. Parce que le type qui m'a fait tombé -on ne sait pas pourquoi- m'avait un peu amoché. Comme tu peux le voir. »

"un peu" étaient deux faibles mots, mais je ne précisai rien d'autre. Je m'attendais bien évidemment à des questions, dans le style "Quel pote ?". Questions que j'aurai moi aussi posé, si les rôles avaient été inversés, bien sûr. Au fond, j'avais raison en disant à Zach que Katya allait s'inquiéter si je ne rentrai pas tout de suite. Et j'étais rentré tout de suite.