« A toi » lança un de ses amis universitaires à Scarlett. La jeune femme avait passé une bonne soirée dans le bar, mais elle devait arrêter de jouer à ce jeu de caps avec les bières, sinon elle allait vraiment finir par ne plus savoir où elle était ni même retrouver son chemin jusque chez elle. Il était temps de quitter les lieux. « Une prochaine fois peut-être. Il est tard, je ferais mieux de rentrer. ». Et puis, elle y était surtout venue pour voir Elias, mais il n’était pas venu travailler au bar ce soir, trop fatigué. Scarlett avait donc profité un peu avant de décider de retourner. Elle enfila son manteau ; à l’extérieur, le froid hivernal commençait à pointer le bout de son nez et même les vapeurs d’alcool ne suffisaient plus à réchauffer les corps suffisamment que pour se passer d’une veste. La jeune femme salua ses copains de classe et sortit du bar. Quelques mois plus tôt, elle restait encore bien souvent cloîtrée chez elle à refuser les invitations de sortie. Mais depuis quelques temps, elle se fuyait elle ainsi que la solitude de sa chambre où elle prenait si souvent le temps d’écrire dans son journal autrefois. Elle n’était plus capable de se faire face à elle-même ; écrire ses pensées la bloquait en ce moment, elle avait l’impression de rédiger le miroir de ses sentiments dans son journal et elle n’en aimait pas le reflet qu’elle y voyait. Elle avait envie de les faire disparaître, comme une glace qui se brise. Mais on ne peut pas effacer des pensées ou des souvenirs… Ils s’impriment dans l’esprit et s’en imprègnent définitivement. Scarlett marchait toujours dans les rues en direction de chez elle. La vérité était simple. Elle nourrissait des sentiments pour deux personnes, et elle s’en sentait complètement stupide, pire elle se détestait. Elle devait arrêter d’y penser – ce qu’elle essayait de faire en sortant plus souvent. Comme le lui avait dit Annie, sa meilleure amie, lorsqu’elle lui en avait parlé, elle verrait d’elle-même comment la situation évoluerait. Scarlett sortit alors de ses pensées lorsqu’elle entendit un bruit non loin d’elle. Une fille chantait à tue-tête dans la rue une bouteille de vodka à la main et une paire de talons dans l’autre. Scarlett s’approcha d’un peu plus près, ne distinguant pas bien ses traits dans la nuit. Elle la reconnut alors instantanément. Minnie McCormick était réputée dans le quartier pour ses promenades nocturnes. Cameron avait un jour raconté à la jeune Spencer comment il devait parfois se taper toute la ville pour chercher sa sœur. Charmant. Scarlett ne la connaissait pas plus que ça, ne faisait que la saluer quand elles se croisaient, mais elle ne pouvait décemment pas la laisser gambader pieds nus à moitié débraillée dans la rue. Elle tenta alors une approche en douceur. « Minnie ? ». Dit-elle. « C’est Scarlett. » Lui rappela-t-elle brièvement ne sachant pas si la jeune McCormick était sur la lune ou sur mars en ce moment-même – comme si ça changeait quelque chose. « Je vois qu’on s’est toutes donnée le mot pour sortir. Dis-moi, c’est quoi la jolie chanson que tu chantes ? ». Demanda-t-elle pour se plonger dans le monde de la jeune femme. Inutile de lui faire des leçons de morales alors qu’elle était ivre morte. Ce serait déjà un miracle qu’elle se concentre sur la voix de Scarlett, mais puisqu’elle s’était intéressée à la chanson des cochons, peut-être qu’elle réussirait à capter son attention deux secondes. « Il est tard et je suis sûre qu’Annie aurait bien envie de te voir. On va rentrer ? » Lui proposa-t-elle de façon subtile pour la ramener chez elle. Ce n’était pas trop loin, alors elle pourrait la raccompagner, mais bon elle n’allait pas l’emmener de force… peut-être qu’en entendant le nom de sa sœur, elle accepterait de la suivre. Scarlett eut alors une idée. Elle indiqua la bouteille de vodka, puis les chaussures. « Si on partage, et que tu remets tes chaussures, je chanterais avec toi sur le chemin. ». Bien sûr, elle ne boirait pas vraiment de l’alcool, mais elle ferait semblant d’être dans le même délire que Minnie pour la ramener à bon port si nécessaire.

Scarlett était la première à savoir que lorsque quelqu’un se plongeait dans l’alcool pour fuir la réalité, il était pratiquement impossible de le ramener au monde réel. Il fallait simplement attendre que l’alcool s’évacue du corps de la personne. Contrairement à beaucoup de gens du quartier, elle ne jugeait pas l’attitude de Minnie. La jeune femme avait traversé des périodes noires et y faisait face à sa façon… en fuyant le passé. La jeune Spencer était suffisamment proche d’Annie pour savoir que sa sœur avait des problèmes qu’elle n’arrive pas à résoudre autrement qu’en buvant à perdre la raison. Alors lorsqu’elle passa à côté d’elle, elle ne pouvait tout simplement pas la laisser errer sans but dans la nuit pour se retrouver dieu sait où au petit matin. Heureusement, Magnolia était un quartier plutôt tranquille, mais on ne savait jamais. Elle tenta de s’adresser directement à Minnie, mais savait très bien d’avance que la jeune femme ne l’écouterait que d’une oreille et encore… Elle comprendrait ce qu’elle voudrait. Les yeux vitreux et le regard hagard de la jeune McCormick indiquèrent à Scarlett qu’elle était bel et bien très loin dans son état d’ébriété. Où se rendait-elle comme ça d’ailleurs ? Une bouteille et ses chaussures à la main. Scarlett proposa de la ramener chez elle. Annie, et même sa famille, s’inquièteraient sans doute pour elle. Mais Minnie la remballa illico presto avant de se concentrer sur les libellules et autres animaux de son imagination. « Oui, c’est très beau les libellules. Mais je n’en vois pas ici. ». Dit-elle pour lui répondre sans grande conviction. Elle pouvait très bien prendre Minnie par la main et l’emmener avec elle, mais si elle utilisait la force, McCormick se braquerait contre elle et s’enfuirait en courant dieu sait où. Elle pourrait peut-être appeler sa sœur ? Enfin Annie avait sûrement autre chose à faire que de venir chercher sa cadette. Elle était sûrement occupée et n’avait certainement pas envie de toujours venir chercher sa sœur. Scarlett écarta doucement les chaussures que Minnie lui présenta à la figure et réprima un air de dégout vu l’odeur. Au moins, ses mots l’avaient percutée lorsqu’elle avait proposé de partager sa bouteille. Enfin quelque chose pour la raisonner. « Ça te dirait d’aller dans un endroit où on peut voir des éléphants roses ? ». Elle regarda alors de nouveau la bouteille. « Un endroit où il y a d’autres amours de ta vie ? Parce que celui-là est presque vide… » Dit-elle en souriant de nouveau. Si ça, ça ne la percutait pas, alors elle ne saurait vraiment pas quoi d’autre pourrait la toucher.