Mike était encore dans les vapes quand il se réveilla. Il n'y avait aucun bruit dans la maison, rien, nada, le calme, bien le contraire de d'habitude. Il ne savait quelle heure il était exactement mais il était soit très tôt pour qu'Anaïs ne crie pas comme une dingue dans les couloirs, soit très tard pour que tous les membres de la famille excepté lui soient déjà en cours ou au travail. Avisant son réveil, qui indiquait dix heures passés, il opta pour la seconde option. D'autant plus qu'aujourd'hui était un jour de semaine et, youpi ! jour de congé pour lui. N'empêche qu'il aurait bien continué de dormir. Il se leva et se dirigea vers sa porte, qu'il faillit se prendre dans la tête tant il bayait fort. Comme c'était calme et reposant d'être seul à la maison. Sans jamais être dérangé par une gamine hystérique ou un adulte trop ordonné ; pouvoir faire tout et n'importe quoi sans être constamment repris.
Mike descendit prendre son petit déjeuner et, comme tous les matins où il n'était pas tout à fait tiré du sommeil, renversa du lait sur la table. Aucune Johan Robinson ne vint l'engueuler que sa table était neuve - mon oeil oui, ça faisait bien vingt ans qu'elle était là ! - et cirée. Mais pour la forme, et par habitude, il essuya tout de même la flaque.
Jetant un coup d'oeil par la fenêtre, Mike put voir qu'il faisait un sale temps. Les nuages étaient gris et le vent soufflait si fort que des tas de feuilles s'envolaient dans un grand désordre. Un jour à ne pas sortir de chez soit, donc. Pourtant le Huntington avait cette grande envie, qu'il connaissait si bien, de prendre l'air. À la différence près que pour ce coup, ce n'était pas le désir de partir au bout du monde qui l'animait -bien qu'il en ait toujours eu envie et que ce sera toujours le cas- mais simplement celui de profiter de ces rafales de vent pour se réveiller.
Il remonta donc dans sa chambre, échangea son short-pyjama pour un jean, un sweat-shirt et une paire de baskets et redescendit aussi sec au rez-de-chaussée, prêt à sortir. Comme à son habitude, pas bien couvert. Il savoura une dernière fois le calme de la maison, au lieu duquel il y avait généralement Johan, en femme surbookée, qui lui lançait de mettre un manteau pendant qu'elle emmitouflait Anaïs sous des tonnes de vêtements. Que dalle, le manteau. Mike finit par ouvrir la porte et sortir. L'air frais le réveilla aussitôt. Pour sûr, le vent soufflait et pas qu'un peu. Il prit machinalement la direction du parc, endroit sûrement désert aujourd'hui, avec le temps qu'il faisait. Arrivé à destination, il eut vite fait de remarquer à quel point le vendeur de nourriture à emporter s'ennuyait, dans le froid et sans client. Il lança à Mike un regard plein d'espoir mais le Huntington ne commanda rien. Faut pas exagérer, il avait déjà manger, il allait pas non plus se gaver pour occuper un type.

Après quelques pas dans l'herbe humide, il entendit quelqu'un qui appelait. Le parc n'était pas si vide que ça, finalement. Il s'approcha et vit, derrière un arbre, une jeune femme, dans le genre très bien habillée pour un temps d'automne : à talons. Ah, elle avait quand même mis un manteau digne de la saison. Elle restait debout devant le banc sur lequel ce devait être elle qui avait posé un café et un tas de feuilles éparpillées. Et elle criait que son talon était coincé. Mike soupira, en se demandant franchement qu'est-ce qu'elle pouvait avoir dans la tête pour sortir avec des talons par un temps pareil. Elle tourna vaguement la tête d'un côté puis de l'autre, sans voir Mike. Cependant, celui-ci l'avait reconnu : Alana. Alana, la bonne copine de Junie. Eh bien, il ne pouvait pas tomber mieux ! Ses liens avec Alana étaient... disons compliqués. Déjà, quand il avait commencé à sortir avec Fynies, elle ne l'avait pas beaucoup apprécié. Dès le début. BIM, aucune chance de faire ses preuves. Ce que les femmes pouvaient se faisair comme préjugés, quand même. Junie avait finalement convaincu Alana que Mike n'était pas un si mauvais type et la blonde avait été d'accord pour faire un effort. À partir de là, Mike et Alana s'entendaient bien. Jusqu'à ce que Mike en ait marre et mette fin à sa relation avec Junie. Une fois encore, Alana ne vit pas la chose d'un bon oeil et ce fut encore pire lorsque Mike embrassa Junie, alors qu'il était en couple avec Emily à ce moment-là. Sans compter qu'il se moqua de la tête de Junie par la suite, alors que la jeune femme voulait revenir vers lui. Ce fut la cerise sur le gâteau, Alana n'aura sûrement jamais autant détesté un homme de sa vie.
Il s'approcha, Kauffman lui tournant le dos, et avant qu'elle n'ait pu le repérer s'assit à quelques mètres d'elle, à même les pavés. Il sortit une cigarette de son paquet qu'il gardait toujours dans une poche de son jean, l'alluma, tira quelques bouffées bien conscient qu'elle l'avait sûrement repéré maintenant. Qu'importe, Mike n'avait pas pour habitude de s'abaisser devant une femme, encore moins devant une Kauffman.
Il prit tout son temps, observant les arbres aux teintes orangées et l'herbe couverte de feuilles mortes se courber sous la pression de la brise. Puis, enfin, il posa ses bras sur ses genoux, leva les yeux vers Alana et demanda le plus simplement du monde. « Besoin d'aide ? »

Mike prenait son temps pour proposer son aide à cette chère Alana Kauffman. Oui, il serait gentil et la secourait mais avant, il profitait. Depuis combien de temps était-elle là ? Une minute de plus ou une minute de moins à rester bloquée, ça ne changeait rien. Il tira une dernière bouffée de sa cigarette avant d'en faire tomber la cendre sur l'herbe ; comme il s'y attendait, Alana n'était pas vraiment soulagée que ce soit lui qui réponde à son appel à l'aide. Il avait une tête à faire peur, disait-elle. Vraiment ? Elle ne s'était pas vu, elle, avec ses cheveux qui s'envolaient dans tous les sens et son talon coincé dans les pavés qui l'obligeait à rester debout alors que le banc était juste devant elle. Sans compter qu'on pouvait facilement lire sur son visage qu'elle avait froid - emmitouflée qu'elle était dans son gros manteau. Et non, Mike ne lui filerait pas son sweat, même si ce n'était pas le fait de se retrouver en tee-shirt qui le faisait changer d'avis. Qu'il le veuille ou non - ce qui n'était pas le cas -, Alana l'aurait repoussé, jugeant qu'elle n'avait pas besoin de lui.

« Très bien. »

Mike se releva, jeta à terre son mégot vite consumé et l'écrasa avec sa chaussure. Puisqu'elle l'invitait à retourner dormir, il allait retourner dormir.

« Si tu préfères rester là, ben reste là. »

Il sourit et repartit tranquillement par où il était arrivé, sans se retourner. Elle avait refusé qu'il l'aide, à elle de se débrouiller toute seule maintenant ; parce qu'à part lui le peu de personnes qui passaient ne semblaient pas prêtes à la tirer de là. Sachant d'avance qu'elle mettrait un temps fou à se décoincer, Mike éprouva un sentiment de satisfaction devant cette avance qu'il prenait sur elle. Elle avait beau le détester, le hasard faisait bien - ou mal - les choses et les amenait à se retrouver, la situation aussi absurde soit-elle. Cette fois, c'était Alana qui était ridicule ; Mike attrapa une feuille de papier qui volait près de lui et constata ce qui devait être le travail de la jeune femme. Quelle idée de venir bosser au parc avec ce vent, aussi.

Mike prenait son temps pour atteindre l'entrée du parc, en faisant mine de temps à autre d'éviter un pseudo-obstacle sur son chemin. Il savait qu'Alana le rappellerait ; il en était sûr et certain bien que la demande se fasse un peu attendre. Kauffman finit par avouer qu'elle avait besoin de lui, pour le plus grand bonheur de Mike qui avait ce qu'il voulait. Il joua la comédie ; s'arrêta net, se retourna lentement vers la jeune femme et mettant ses mains en porte voix, cria haut et fort.

« QUOI ? QU'EST-CE QUE T'AS DIT ? »

Quelques passants qui, l'instant d'avant, n'avaient que faire du désespoir d'Alana se retournèrent néanmoins pour voir qui pouvait bien crier comme ça.

« Excuse-moi, j'ai pas bien entendu je crois. Tu peux répéter ? »

Le Huntington afficha un grand sourire. Que c'était drôle, d'embêter Kauffman. Et elle ne pouvait pas lui résister ; si elle le faisait, il partirait et elle devrait se démerder toute seule.
Alana l'avait toujours détesté, ou presque. La seule période où ils s'étaient bien entendu c'était pendant que Junie et Mike sortaient ensembles et c'était le cas uniquement parce que Junie avait réussi à convaincre sa coloc' qu'elle pouvait apprécier Mike. C'était toujours sympa à entendre « c'est pas un si mauvais type Alana ». Mais il avait décidé de ne pas rater son coup et était resté sage. À vrai dire, il se fichait royalement des colocataires de Fynies, mais celle-ci voulait à tout prix qu'ils pactisent. Du côté de Mike, c'était d'accord, il ferait un effort. Jolies femmes, jolis caractères – un peu casse-couille sur les bords quand même. Mais ça, c'était uniquement de l'avis de Mike. Alana, elle, restait bornée sur ses préjugés – casse-couille quoi. Mais l'amitié faisait la force et la jeune femme se laissa convaincre par Junie. Oh oui, à partir de là, c'était cool, Alana pouvait se montrer aimable quand elle le voulait bien. Quand elle le voulait bien. Parce qu'aujourd'hui, elle lui en voulait tellement – Mike en était conscient – qu'elle était prête à rester debout, le pied coincé entre deux pavés, dans le froid, ses affaires éparpillées n'importe tout et qui seraient sûrement introuvables par la suite, plutôt que recevoir son aide. Bornée, ça oui.

Mike ne se gênait pas pour exagérer la situation. Il voulait que la Kauffman avoue avoir besoin de lui, en public, devant tout le monde - ou du moins devant les quelques personnes qui passaient à proximité. Elle qui avait toujours refusé quoique ce soit de sa part, même lorsqu'ils étaient amis, elle devait être verte. Et c'était cet énervement là que Mike adorait provoquer chez la jeune femme, quelle qu'en soit la manière. Aujourd'hui, il avait largement réussi son coup parce qu'Alana se mit à crier à plein poumon que oui, elle avait besoin de lui ; lui faisant même un compliment. Même s'il ne devait pas être vraiment souhaité, à la base.

« Ouais, je veux bien un s'il te plait aussi ! »

Alors que Mike se marrait de ses provocations, lorsqu'il la regarda de nouveau, Alana était par terre. Tombée comme ça, d'un coup, devant lui. Bien sûr, cela le fit encore plus rire - c'est toujours drôle quand quelqu'un se fait mal, allez savoir pourquoi -, d'autant plus qu'elle aussi était en train de mourir en se tordant le ventre. Mike ne comprenait pas trop pourquoi elle avait changé d'humeur aussi vite, étant donné qu'une seconde avant elle avait l'air vraiment en colère, mais il ne chercha pas plus longtemps. Alana était en train de prendre la direction de la sortie du parc ; et il n'était pas question de laisser partir la cause de cette partie de rigolade. Il descendit la colline, d'un pas tout aussi tranquille que tantôt, vers le banc et railla

« Bah alors, on ne tient plus debout ? »

Elle n'avait même pas pris la peine d'essayer de retirer sa chaussure, toujours coincée entre deux pavés, et sautillait déjà sur l'herbe, l'autre sandale à la main. Mike la rattrapa sans peine, et lui lança un regard "Tranquille, la vie est belle ?" en croisant les bras sur son torse, un grand sourire sur le visage.

« Va falloir que tu m'expliques comment t'as fait pour avoir cette idée de bosser ici. Parce que franchement, chapeau ! »

Oui Alana aimait travailler, ça Mike le savait. Mais personne n'avait jamais eu l'idée de venir gérer ses affaires dans le parc avec un tel vent. Personne mise à part Alana. En général, on était toujours mieux sur un bureau, au chaud à l'intérieur d'une maison, où l'on pouvait écrire et lire sans risque que ses feuilles ne s'éparpillent partout. Parce que maintenant, Alana avait perdu tout son dossier ; et Mike n'irait certainement pas le chercher, accroché dans les plantes du parc !

De toutes les personnes que Mike connaissait, Alana était bien la fille la plus bipolaire et étrange qui soit. Déjà que le sexe faible était compliqué de nature, mais alors elle, c'était un cas hors du commun. De ce fait, il trouvait ça particulièrement amusant de l'embêter un peu. Et la voir se plier de rire après avoir ignoré son aide, avant de partir clopin-clopant vers l'entrée du parc, ça ne faisait qu'inciter Mike à poursuivre ce qu'il avait commencé. Mais jamais il ne se serait imaginé que Alana Kauffman soit assez lunatique pour péter un câble comme elle était en train de le faire. Le Huntington resta silencieux, la laissant délivrer tout ce qui avait besoin de sortir, un peu étonné quand même par certains propos. Immobile, au milieu de l'herbe mouillée par la rosée, il regardait Alana dans les yeux, sans faire un geste devant les larmes qui coulaient. Qu'est-ce qui lui prenait ? Elle se marrait et puis d'un coup, se mettait à pleurer en l'injuriant. Mike était partagé quant à sa réaction ; d'un côté, il était compatissant quant au fait qu'elle ait besoin de gueuler un coup. D'un autre, il ne comprenait pas pourquoi elle changeait d'humeur aussi vite, pourquoi elle l'insultait comme ça. Et ça l'énervait. Quand elle eut fini, il avait finalement décidé de ne pas flancher, de rester fidèle à lui même. Quoi, elle ne pouvait pas supporter quelques vannes ? Un peu sensible dans le genre.

« C'est bon, t'as fini ? »

La jeune femme s'éloignait déjà, mais peu lui importait. Les quelques passants auraient droit à une scène de ménage et puis voilà. Bras toujours croisés sur sa poitrine, sans faire un pas en avant, Mike haussa la voix pour qu'elle puisse l'entendre de là où elle était.

« C'est qui le plus gamin entre nous ? Celui qui vanne ou celle qui supporte pas le second degré ? »

Mike l'avouait, il pouvait être un peu méchant et cynique quand il s'y mettait. Mais sur ce coup-ci, il ne regrettait rien ; c'était Alana et uniquement Alana qui avait trop joué sur le changement d'humeur. Trente balais, n''était-ce pas un peu vieux pour se mettre à pleurer après quelques reproches ironiques ?

« J'te courrai pas après Alana, j'te préviens ! »

Si elle pensait qu'après son discours il la rejoindrait pour essayer de se faire pardonner, elle se trompait sur toute la ligne. Il n'avait aucune excuse à présenter puisque aucun remords ne le prenait.