Au fil des jours, Lorenzo ré organisait sa vie. Se rapprocher de sa femme, mettre les points sur les i avec les étudiantes tendancieuses, étaient des tâches déjà cochées sur sa liste des choses à faire avant Noël. Maintenant, il en restait une plus ou moins ardue : renouer avec ses meilleures amies. Il les avait chacune perdues à cause de son vice : les femmes. Mais il ne pouvait pas rester loin d'elles plus longtemps, avait besoin de ces deux présences dans sa vie. Il avait tenté de contacter Rose, plusieurs fois. Mais il tombait inlassablement sur le répondeur. Pourtant, il avait obéi. Malgré son envie irrépressible de revoir Nina, il fut raisonnable et l'évita, se contentant d'échanges cordiaux élève-professeur jusqu'à la fin de l'année scolaire. L'eau avait coulé sous les ponts, mais avec Rose, le ruisseau semblait être à sec.

Alors, Lorenzo décida de prendre le taureau par les cornes. Il était décidé à avoir une explication avec Rose. Cette dernière ne devait pas encore avoir digéré la trahison de son meilleur ami, leur discussion risquait d'être tendue mais Lorenzo encaisserait chacun des reproches, si ça pouvait lui rendre leur amitié. Pouvait-elle lui en vouloir à jamais ? N'avait-elle jamais pêché elle aussi ? Il espérait que non. Il choisit d'aller la voir à un des concerts de son orchestre. Cela faisait un moment qu'il ne l'avait pas vue jouer, et il remarqua avec surprise comme elle s'était améliorée. Il avait toujours apprécié la musique, il écouta les prouesses de la jeune femme avec attention. A la fin du spectacle, il l'attendit à la sortie. Elle ne s'attendait pas à le voir, peut-être cet imprévu l'agacerait-elle, mais il voulait la voir. Durant son trajet jusqu'à Philadelphie, il avait échafaudé plusieurs discours. Mais à chaque fois, il les imaginait se conclure par une gifle de la part de Rose. Il devait être sincère, mais la vérité ne plairait pas. Seulement il n'avait plus le choix. Elle venait de sortir et l'avait vu. Il remarqua aussitôt la surprise qui se lisait sur son visage, mais bien vite, elle redevint indescriptible. Il fut incapable de dire si sa présence la dérangeait, ou au fond lui plaisait. Elle avait beau être sa meilleure amie depuis longtemps, il ne comprenait jamais comment elle fonctionnait, ses réactions étaient sans cesse imprévisibles et inattendues. Ainsi, réfléchir à un discours prédéfini, bien pensé et bien tourné, était peine perdue. Il devait être spontané, et surtout il devait prier. « Bonsoir Rose. Je suis venu te voir jouer et j'osais espérer que tu veuilles bien boire un verre avec moi » Peut-être avait-elle d'autres projets pour ce soir, certainement même. Mais Lorenzo n'avait pas eu d'autre choix, d'autre solution, que celle de passer outre les refus incessants de la violoniste. « Tu as vraiment bien joué d'ailleurs, sincèrement, tu t'es incroyablement amélioreé » Il savait pertinemment que les compliments n'affecteraient en rien la décision de Rose. Aussi espérait-il qu'elle soit convaincue de sa sincérité.

Comme toujours lorsque Rose avait un concert à jouer elle était de bonne humeur. Rayonnante même. La seule idée de savoir qu’elle se produirait ce soir la rendait heureuse. Surtout quand elle avait l’occasion de quitter Magnolia. Ce soir, elle devait jouer à Philadelphie, ce qui bien sur accentuait encore plus sa joie. Elle avait prévu de déjeuner avec Nina le temps de sa pause déjeuné ; Rose n’avait pas encore eu d’aperçu de la nouvelle vie de Nina ici. D’un côté, Rose était très heureuse que sa sœur prenne déjà son envol, mais de l’autre, elle ne pouvait s’empêcher de la jalouser quand même un peu. C’était elle qui avait toujours aspiré à quitter la ville, pas Nina. Malheureusement elle ne pouvait pas juste faire ses valises et partir sur un coup de tête, cela lui semblait impossible pour le moment. Elle se retrouvait donc coincée. Néanmoins la jeune femme était heureuse de pouvoir partager un peu de temps avec sa cadette. Depuis quelques temps maintenant leur relation s’était considérablement améliorée, bizarrement toute cette histoire avec Lorenzo les avait fait se rapprocher. Rose devenant un peu plus protectrice envers sa sœur, et Nina appréciant sans doute l’attention nouvelle que lui portait son aînée. Tout n’était pourtant pas si parfait : bien que Rose ne puisse pas tolérer le comportement de Lorenzo, celui-ci restait son meilleur ami. Elle se confiait vraiment à lui, et se sentait digne d’être qui elle était vraiment en sa compagnie. Depuis qu’elle avait renoncé à lui, il ne lui restait plus grand monde avec qui elle pouvait se sentir vraiment libre. Elle mettait ses sentiments de côté, abordant la situation le plus froidement possible et évitait à tout prix les séquences nostalgies. C’était bien trop difficile à gérer.

Au moment de rentrer en scène, Rose avait un peu le trac. Généralement c’était bon signe, cela voulait dire qu’elle s’apprêtait à vivre le moment à fond. Elle jouait avec son orchestre depuis maintenant plusieurs mois, et bizarrement elle adorait la collectivité. Elle qui s’était toujours plus ou moins considérée comme une solitaire se surprenait à pouvoir compter sur les autres, et ça faisait un bien fou. Une fois devant le public, Rose s’abandonna complètement à sa musique. Elle était indifférente à tout, sauf à l’émotion qu’elle voulait transmettre à travers sa musique. Elle avait deux moments solo, et comptait bien se donner à 3 000%. Quand le concert fut terminé, tout le monde se félicita. Rose qui n’avait pas envie de s’éterniser car la fatigue pesait un peu sur elle, dit au revoir à tout le monde, et se précipita vers la sortie. Ils étaient logés non loin de là où ils jouaient. Malgré tout, une voix la fit se réveiller d’un coup. Elle se retourna et eut l’agréable surprise de voir Lorenzo. Quand il la salua et l’invita cash à aller boire un verre, Rose crut à une mauvaise blague. Elle ne répondit pas tout de suite, encore un peu surprise. Il lui passa ensuite de la pommade, mais Rose acceptait quand même le compliment. « Merci. » se contenta-t-elle de dire. Soudain, quelque chose fit tilt dans sa tête. Lorenzo se trouvait à Phily… pour quoi faire ? « Qu’est-ce que tu fais à Philadelphie Lorenzo ? » demanda-t-elle de but en blanc. Elle avait la mauvaise impression qu’il pouvait lui aussi être allé voir Nina. Or, elle lui avait bien spécifié qu’elle ne voulait plus qu’il s’approche d’elle. Elle croisa les bras et planta son regard dans celui du jeune professeur. Son regard était clairement accusateur, elle espérait qu’il allait saisir le sous-entendu. Elle n’accepterait la discussion qu’à la condition d’avoir obtenu une réponse convaincante.

Le ton de la jeune fille était glacial et tranchant comme du cristal. Son visage ne laissait rien paraître, mais il y avait fort à parier qu'elle n'était pas ravie de sa présence. Même pas du tout. Un instant, il se demanda s'il n'avait pas commis une erreur. Il avait pourtant longuement réfléchi avant de venir, avant de juger que l'eau avait suffisamment coulé sous les ponts. Mais la rivière était peut-être en fait complètement à sec. Pas un bonsoir, un simple merci, avant de retourner dans son mutisme. Incapable de deviner ses pensées, peut-être était-elle en train de décider si elle lui reparlait ou non. Il craint sa réaction si elle choisissait la seconde option. Pour l'avoir déjà vue à l'oeuvre, elle était tout à fait capable de l'envoyer paître à coup de paroles cinglantes. Voir peut-être même d'en venir aux mains. Finalement, elle exposa le fond de sa pensée. Cash. Il ne mit pas longtemps à comprendre où elle voulait en venir. Pour tous les deux, Philadelphie était synonyme de Nina. Imaginait-elle qu'il l'avait vue aujourd'hui ? Lors de leur dernier repas, il lui avait juré de ne plus la revoir, même s'ils n'avaient pas eu la conversation qu'il avait espéré. Mais elle s'était trop déchaînée pour qu'il ne la prenne pas au sérieux. Mais apparemment, il n'était toujours pas digne de retrouver sa confiance, puisque encore aujourd'hui elle doutait de lui. Pire, c'était la première phrase qu'elle lui avait dite (non un merci ça ne compte pas comme une phrase). Même s'il était fautif sur toute la ligne, il fut blessé par cette question, et laissa son visage se décomposer. Contrairement à elle, il ne cachait pas ses émotions. « Je suis venu voir ton concert, comme je viens de te le dire, pour qu'on aille peut-être ensuite boire un verre ensemble » Et faire table rase du passé, mais il garda pour lui la fin de ses pensées. Peut-être n'était-ce pas suffisant, peut-être devait il ajouter de belles tirades comme "non je ne suis pas venu voir Nina, je ne la fréquente plus depuis longtemps c'est du passé" ou "je t'ai bien obéi ne t'en fais pas". Mais il avait déjà assez piétiné sa fierté d'italien avec elle. Il aurait voulu, en dire plus, si ça pouvait aider à prouver sa sincérité. Mais se fondre en excuses ainsi, lui donnait l'impression de ne plus être lui même. Certes, il s'agissait juste d'efforts que fait un ami pour garder une autre amie. Mais Lorenzo n'y était pas habitué.

Il hésitait à la brusquer, la provoquer. Elle devait lui donner la réponse, maintenant. Après tout, voilà plus de six mois qu'elle réfléchissait, le haïssait, le détestait et l'ignorait. Elle devait l'affronter, même si c'était pour dire que leur amitié était terminée. Mais il avait peur de la perdre. C'était Rose, la grande Rose, mais il préférait la prendre avec des pincettes. Même si, depuis tout ce temps, il continuait à penser que Nina avait toujours été consentante, et qu'il n'était en rien un pédophile. Ou toutes ces rumeurs malveillantes qui avaient pu courir à son sujet. Il lui avait confié ses sentiments, n'avait-elle pas pu comprendre - ne serait-ce une seconde - qu'il s'était ainsi passé la corde au cou parce qu'il aimait vraiment sa petite soeur ? Il savait bien, qu'elle protégeait sa soeur. Mais quelques fois, il se demandait si elle n'avait pas surtout peur des quand dira-t-on, des regards posés sur la pauvre petite Nina si on découvrait que les rumeurs étaient fondés. Et si c'était le cas, alors à quoi bon prendre des pincettes. « Donc tu veux bien ? Ou tu as autre chose de prévu ? » Ou alors, qu'elle lui dise sincèrement, qu'elle ne voulait plus jamais le voir.

Rose était prise de court, elle ne s’attendait pas à voir Lorenzo débarquer devant elle comme une fleur. Son geste était surprenant. La jeune violoniste avait pensé que Lorenzo allait comprendre le message. Elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui. Ce n’était pas tant le fait qu’il ait eu une relation avec Nina qui la gênait, mais simplement le fait qu’il ait pu avoir une relation avec les deux sœurs en même temps. Il n’en avait jamais éprouvé aucun remord ? La seule raison pour laquelle il avait abordé le sujet avec Rose, c’était parce qu’il était confus dans ses sentiments, aucunement parce qu’il regrettait ses actions passées. Rose s’était sentie trahie. Pour elle, il était clair qu’elle ne pourrait jamais lui pardonner. Comment pourrait-elle lui refaire confiance après cela ? Rose plaignait bien sa femme d’avoir un tel mari. Cependant, malgré toute la haine que Rose pouvait avoir pour lui, une infime partie d’elle était heureuse de le voir devant elle. Les sentiments humains n’étaient jamais tout blanc ou tout noir ; alors oui, Rose mentirait si elle n’avouait pas être contente de sa présence, et surtout de ses compliments. Elle se détestait être touchée de son attention. Bien évidemment elle restait suspicieuse. Lorenzo à Philadelphie rimait avec possibilité de voir Nina. Franchement elle lui avait posé la question et sa réponse flatta une nouvelle fois l’orgueil de la jeune femme. Elle ne savait pas s’il se jouait encore d’elle, mais après tout si elle lui avait demandé une réponse il fallait bien qu’elle accepte sa réponse. Il réitéra sa proposition d’aller boire un verre. Rose avait envie de l’envoyer bouler, et qu’il rumine tout le long du chemin du retour sa rage, ça lui ferait les pieds. Elle détourna le regard, ne sachant pas quoi répondre. Avaient-ils encore des choses à se dire ? Rose en doutait vraiment. « Je n’ai rien de prévu. » se contenta-t-elle de répondre d’un ton neutre et en reposant les yeux sur le jeune homme. Elle ne lui avait pas encore donné de réponse, mais aimait bien le faire mariner un peu.

« On y va ? » finit-elle par dire. Rose était peu loquace, à vrai dire son cerveau tournait à mille à l’heure. Elle venait d’accepter d’aller boire un verre avec Lorenzo parce que dans le fond elle avait envie d’avoir de ses nouvelles. Idéalement elle préférait qu’il en ait pour elle de mauvaises à lui raconter, ainsi elle aurait peut-être plus de faciliter à être agréable avec lui. Elle n’arrivait pas à se laisser aller, elle agissait un peu comme si Lorenzo était un simple étranger. Elle ne savait pas vraiment ce que le jeune professeur était venu chercher ici. Curieuse, elle demandait à voir. Toutefois une chose était sûre : Lorenzo allait devoir être patient avec elle s’il voulait obtenir un résultat satisfaisant. Rose ne passait pas facilement l’éponge car de fait elle n’accordait pas sa confiance très facilement, alors que quelqu’un puisse la trahir la rendait vraiment très rancunière.

Lorenzo attendait que Rose prononce la sentence. Son visage impassible ne laissait pas deviner le jugement : coupable ou non coupable ? Même si Rose ne lui adressait plus la parole depuis plusieurs mois, il avait toujours cet espoir que tout redevienne normal, leur relation était en pose, latente, en stand by. Mais aujourd'hui, là maintenant tout de suite, elle allait décidé si elle rompait définitivement ce dernier contact ou non. Lorenzo réalisait peu à peu qu'il avait peut-être fait une bêtise, en venant ici. le visage de Rose ne se déridait pas, aucune once de sympathie n'était apparente, et Lorenzo sentait les regrets grimper plus vite que les secondes ne défilaient. S'il n'avait pas fait ce premier pas, Rose ne l'aurait probablement pas fait non plus. Ils ne se seraient donc plus jamais reparlé non plus. Mais au moins, il n'aurait pas affronté ce face à face douloureux. Il était complétement démuni face à Rose. C'est elle, qui avait les cartes en main. Elle seule. Lui, il attendait le verdict, impuissant.

Rose était plongée dans son mutisme, décidant du cas de Lorenzo avec elle-même. Il devinait ses pensées, pesant le pour et le contre : "il a toujours été un meilleur ami présent", "c'est un putain de bon coup au lit donc si jamais je casse avec Bryan je sais à quelle porte frapper", "mais d'un autre côté, il s'est tapé ma soeur ce connard", "ah mais il l'aimait aussi", "mais il couchait avec moi en même temps ce connard", "put*in il sait donc quelle soeur VV est le meilleure coup", "est-ce que c'est moi ?" (oui Rose est une fille vulgaire dans sa tête ). Il ne donnait pas cher de sa peau, pourtant il était venu la voir ce soir à Philly, priant le ciel d'un miracle. Quand il avait informé Summer de ses projets, elle lui avait souhaité bonne chance. Il ne lui avait jamais confié la raison de leur dispute, elle n'avait pas besoin de savoir. Mais elle avait bien vu la douleur que vivait Lorenzo, quand il croisait Rose et qu'elle l'ignorait royalement, relevant le menton, fière, alors que lui baissait le regard vers ses pieds, honteux et penaud. Aujourd'hui, il avait décidé de relever la tête à son tour, à ses risques et périls. Pendu aux lèvres de la jeune femme, il eut un sursaut quand elle reprit la parole. Elle jouait avec ses nerfs, peut-être délibérément. Elle ne fournissait qu'une demi réponse, ou pire, elle le laissait mariner encore un peu dans sa détresse, afin que le coup fatal soit plus douloureux. Il l'imaginait déjà lui dire qu'elle était disponible oui ... mais pas pour lui. Il se voyait d'effondrer à terre, sur les genoux, achevé par la douleur. Le rire cristallin de Rose retentirait, seul bruit dans cette rue déserte et sinistre, glaçant un peu plus l'air ambiant. Elle partirait, laisserait là le corps gisant de son ancien meilleur ami, et les dernières bribes de leur amitié gâchée. Elle ouvrit la bouche à nouveau, ça y est il était cuit. Par peur, il ferma les yeux, comme si ses paupières pouvaient le protéger de l'impact. Quelle surprise quand elle suggéra alors d'y aller, boire son verre. Il ré ouvrit les yeux, interloqué, et cligna plusieurs fois. Ne cachant pas sa surprise, il la dévisagea, vérifiant qu'elle ne lui jouait pas un mauvais tour. Peut-être était-ce le cas, il était incapable de savoir. « Oui oui on y va, tu as une préférence ici ? Je connais peu la ville » Ils commencèrent à marcher sans but réel, à part celui de trouver un bar ouvert et pas trop mal fréquenté. La proximité physique augmentait la gêne, ils n'étaient plus habitués à un tel tête à tête. Ils finirent par passer devant un bar éclairé, à quelques pas de la salle de concert. Il la regarda alors et lui demanda « Ici ça te convient ? » Il attendit qu'elle acquiesce avant d'ouvrir la porte et de l'inviter à entrer la première. Il multipliait les petites intentions, même s'il se trouvait idiot. Ils choisirent une table dans le fond, loin des bruits de l'entrée, où se trouvait un groupe de jeunes gens déjà éméchés, et deux poivrots qui chantaient à tue tête. « Que veux-tu boire ? » Il tâchait de gagner du temps, avant l'affrontement, l'heure de vérité. Il ne savait pas par où commencer, car il lui avait déjà tout dit le jour où tout bascula. Devait-il attendre ses questions, les devancer ? Prendre la parole le premier ? Il était en improvisation totale, et détestait ça. Une amitié trop précieuse était en jeu.

Finalement, Rose avait décidé d’accepter de prendre un verre avec Lorenzo. Ce qui l’avait décidée elle ne le savait même pas en fait. Peut-être que l’appel de la nostalgie l’avait rendue faible. Les soirées où elle prenait un verre avec son meilleur ami lui manquaient. Souvent ils parlaient de leurs vies ; Lorenzo de ses cours, de ses conquêtes, des frasques de ses amis ; elle de sa musique, de son mal être, de Bryan. Au fur et à mesure du temps Lorenzo était devenu plus un frère qu’un ami. Elle se sentait libre d’être elle en sa compagnie et perdre cette sensation était un manque terrible. Néanmoins, Rose s’y habituait, petit à petit. Voilà que Lorenzo avait décidé de rouvrir la plaie. Rose se surprit à penser que finalement cette plaie n’était pas encore pansée. Peut-être ne le serait-elle jamais d’ailleurs. Perdre un ami, c’était comme s’il avait disparu, de fait elle ne pouvait que s’habituer à son absence. Elle ne pourrait jamais la remplacer. Toutefois Lorenzo n’avait pas disparu, il vivait toujours à deux pas de chez Rose, et celle-ci risquait de le croiser tout le temps. Jamais cependant ce n’avait été le cas, mais aujourd’hui Lorenzo avait décidé de se confronter à la jeune femme de son plein gré. Son petit effet avait bien marché, Lorenzo semblait sincèrement surpris que Rose veuille se poser dans un bar avec lui. Toujours impassible, la violoniste haussa les épaules quand Lorenzo lui demanda où elle voulait aller. Rose ne connaissait pas bien la ville non plus. Quand elle venait à Philly elle ne restait en général qu’une nuit. Alors qu’ils sortaient de la salle de concert, Rose décida de toujours faire preuve d’économie de mot. En même temps c’était Lorenzo qui était venue la chercher ; à lui de combler le vide.

Finalement au bout de quelques minutes ils trouvèrent un bar qui semblait sympa. Acquiesçant d’un signe de tête, Lorenzo ouvrit la porte et laissa passer Rose. Elle ne pouvait d’ailleurs que noter toutes les attentions et les preuves de politesses dont faisaient preuve son ancien ami. Alors qu’ils se faufilaient un chemin en direction d’une table un peu à l’écart de l’agitation du bar, Rose remarqua au passage une table de jeune gens qui avaient déjà un peu trop bu. Elle leva les yeux au ciel, les jeunes vraiment ! Elle prit place en face de Lorenzo qui déjà lui demandait ce qu’elle voulait boire. « Un mojito. » il n’avait même pas besoin de demander, et Rose se doutait bien qu’il savait d’ores et déjà ce qu’elle voulait. « Pourquoi tu as fait tout ce chemin ? » pas de et toi, pas de tu ne veux pas grignoter un truc. Non, Rose ne voulait pas entrer dans les détails. Au début elle avait pensé faire preuve de distante, se montrer limite absente de toute cette conversation, mais être en face de Lorenzo venait de faire remonter trop de souvenirs. Elle avait en fait besoin d’explications. Lorenzo pouvait-il encore lui annoncer quelque chose qui allait lui faire du mal ? Rose redoutait le pire. Dans sa tête, il était impossible que Lorenzo soit venu uniquement pour elle. Il devait y avoir une raison extérieure à tout ça. Son mariage ? Sa femme ? Nina ? Elle reporta son attention sur le jeune professeur de mathématique, attendant une réponse claire et concise.

Le jeune homme attendit patiemment que la serveuse retourne au bar pour reprendre la parole. Il lui précisa qu'il prenait le même cocktail que Rose, puis la regarda partir distraitement. Il voulait entamer la conversation le premier, affiché un regard décidé, montrer à Rose qu'il voulait vraiment récupérer son amitié ... mais la jeune femme ne lui en laissa pas l'occasion. Direct cash bam boum, elle l'attaquait. C'était simple, soit il se mettait à nue, soit il la perdait pour de bon. Rose ne le laissait même pas calmer le jeu, l'adoucir, arrondir les formes, non, elle voulait du concret, de la vérité, pas de fantaisies ou fanfreluches inutiles. « Pour te voir, pour te parler, pour savoir s'il était possible que nous avancions un jour » Il ne put retenir cette métaphore, incapable de prononcer la réalité, les mots "pardon" ou "amitié terminée à jamais". Alors oui, avancer, ça sonnait mieux. Il prenait son amie avec des pincettes, ne voulant pas être l'objet de ses foudres. Après tout, Rose avait peut-être déjà une idée toute arrêtée sur la question. Peut-être, en quittant la maison de son italien ce jour là, s'était elle juré de ne plus jamais lui reparler, de ne pas le pardonner, et n'avait toujours pas décidé de faillir à cette promesse. Seule elle pourrait lui dire. Mais ce qui pouvait être une évidence pour elle ne l'était pas forcément pour lui. Et Lorenzo osait croire à une chance de survie de leur amitié.

Il la regardait, impassible, attendant sa réponse comme on regarde avidement le tirage au sort de l'Euromillions. Car oui, à ses yeux, l'amitié de Rose représentait un sacré paquet d'argent. La serveuse interrompit leur silence glacial et déposa les verres sur la table. Il ne savait pas si Rose avait besoin de temps, pour réfléchir. Si elle ne s'était jamais posé cette question, elle ne pourrait pas y trouver une réponse en quelques secondes. Lorenzo lui laissait le temps, de peser le pour et le contre, si elle avait toujours remis cette lourde décision à plus tard. En tout cas, si elle jugeais son cas en ce moment même, il n'allait pas rester impuissant, mais plutôt plaider en sa faveur, même s'il était face au tribunal du jugement dernier. « Je sais que je vous ai fait du mal, à toutes les deux, j'ai vraiment agi comme le dernier des connards. » Il inspira un grand coup, l'heure de vérité avait sonnée. « Mais tu me manques, Rose, si tu savais comme je m'en veux » Il baissa les yeux sur son verre, ressentant vraiment une vague de honte qui le submergeait. Le beau et fier Lorenzo avait toujours eu du mal à confier ses sentiments. Mais, mature, il était capable de faire la part des choses : si s'ouvrir pouvait lui permettre de reconquérir Rose, il était prêt à agir ainsi.

Une serveuse était venue prendre les commandes, Lorenzo annonça qu’il prendrait la même chose que Rose. Durant cet interlude, leur conversation s’était mise en stand-by. Une nouvelle fois l’atmosphère était devenue lourde, mais heureusement leurs commandes furent très vite prises. A nouveaux seuls, Rose attaqua directement Lorenzo ne pouvant plus attendre qu’il cherche ses mots pour lui dire ce qui l’avait poussé à se taper toute cette route jusqu’à Philadelphie. Il semblait surpris que d’un coup, la langue de la jeune femme se délie. Elle cherchait simplement des raisons à son agissement. Se retrouver face à Lorenzo la faisait souffrir, il faisait remonter des sentiments que Rose avait profondément enterrés. Elle essayait de ne rien laisser transparaitre, mais c’était compliqué ; Lorenzo se montrait sincère avec elle, et évidemment cela ne pouvait pas laisser Rose indifférente. Il voulait qu’ils avancent, qu’elle pardonne, qu’ils oublient, qu’elle pardonne. Elle doutait simplement de pouvoir le faire uniquement en une soirée. Elle ne répondit pas, pas tout de suite. Elle avait besoin de temps, de quelques minutes au moins pour ne rien dire de stupide et d’irréfléchi. En tout cas, elle était heureuse que Lorenzo soit là seulement pour la reconquérir elle. Et non pas parce qu’il avait des problèmes à résoudre et ne savait pas à qui se tourner. Dans un certain sens cela la flattait. Malgré tout, elle ne savait pas quelle attitude adopter. Elle posa son regard sur Lorenzo, ne le quittant pas des yeux.

La serveuse mit fin à leur silence gênant, en apportant leurs cocktails. Rose n’y toucha pas. Elle baissa les yeux, et commença à jouer avec sa paille. Lorenzo en avait visiblement marre que Rose ne réponde rien, et décida alors de reprendre la parole. Il reconnaissait ses erreurs, c’était déjà un bon début. Elle leva les yeux vers lui. Si Rose était si douée pour camoufler ses émotions, ça ne voulait pas dire qu’elle ne ressentait rien. Au contraire, sa très grande réserve cachait son immense sensibilité. Si elle s’était retrouvée seule, elle aurait déjà fondu en larmes. Mais elle faisait face à Lorenzo, alors elle se reprit et décida qu’il était tant de reprendre la parole. « Tu m’as tellement blessée Lorenzo. Je ne sais pas si tu t’en rends vraiment compte. » elle marqua un brève pause. « Je n’ai plus confiance en toi. » dit-elle presque à demi mots. Elle tourna ensuite la tête du côté des jeunes qui faisaient la fête non loin d’eux. « Mais tu me manques aussi. » répondit-elle finalement. Rose n’avait pas beaucoup de vrais amis, encore moins des gens qui la connaissait aussi bien que le jeune professeur de mathématique. Forcément, elle croyait le connaître aussi. Et pourtant avec toute cette histoire Rose se disait qu’elle s’était laissée berner, et qu’en fait la relation qu’elle avait construite avec Lorenzo n’était que du vent. Cette constatation avait été douloureuse, Rose s’était remise en question. Le pire, était qu’elle n’avait pu en parler à personne, par respect pour Nina. Elle gardait tout au fond d’elle, totalement impuissante face à la situation, et surtout avec cette immense douleur au fond de son cœur.

Rose était une mitraillette, ses paroles faisaient l'effet de balles, lancées en plein dans la poitrine. En tout cas, elle était bonne tireuse, et visait juste. Quelques mots suffirent pour toucher Lorenzo, là où ça fait mal, là dans sa poitrine (mes rp parlent trop de poitrine ça va plus). Bien sûr qu'il avait l'avait blessée, il venait de lui affirmer qu'il s'en rendait compte et regrettait. Pourtant la jeune femme ressentit le besoin de remettre une couche, comme si l'entendre de la bouche de Lorenzo n'était pas suffisant. Non, il fallait qu'elle frappe elle aussi, à son tour. Si cela faisait partie d'un processus de guérison quelconque, si shooter Lorenzo était une thérapie qui pouvait l'aider à le pardonner, Lorenzo était pour, complétement. Il se laisserait même tirer dessus encore et encore, s'il pouvait récupérer sa meilleure amie ensuite. Effectivement, quelques minutes après, Rose Lara Croft fit place à Rose la gentille. Elle laissa tomber le masque de la méchanceté et avoua son ressenti. Il ne savait s'il devait se réjouir de ces paroles, les voir comme une lueur d'espoir ... ou si au fond il ne restait aucune chance. Lui, il choisit d'y croire. Mais en tout cas, même après cet aveu, le visage de la jeune fille restait toujours aussi indescriptible, Lorenzo restait incapable de deviner une expression positive, ou l'inverse. « Je sais bien Rose, je n'aurais jamais dû faire ça, ni te le cacher » Il jouait avec sa paille, mélangeant glaçons et feuilles de menthe. Le bruit de la glace qui s'entrechoquait sur les parois du verre brisait le silence gênant qui s'installait doucement. Il reconnaissait ses erreurs, Rose voulait-elle de vraies excuses sincères ? Probablement. Mais Lorenzo avait bien dû mal avec cette étape là, il y coinçait toujours, dans le processus "Retrouver une meilleure amie en dix étapes". Il aurait bien voulu passer à la suivante mais, comme pour Super Mario, il fallait atteindre le château avant de continuer vers le monde suivant. Mais Princesse Rose n'était pas décidé à le laisser entrer.

Alors, il inspira un grand coup. Il leva un oeil craintif vers Rose, comme quand on s'apprête à sauter pour la première fois dans le vide. Et Lorenzo n'avait ni filet ni parachute. « Je suis désolé, sincèrement, pardonne moi, je ... Tu crois que tu pourras me pardonner, un jour ? » Pourquoi se morfondre en excuses si la décision de Rose était déjà arrêtée ? Après tout, il était venu pour en avoir le coeur net. Même si son coeur finissait en miettes. Même s'il se retrouvait seul ensuite, sans son amie. De toute façon, il ne pouvait pas vraiment plaider sa cause autrement : Nina était devenu un sujet tabou entre eux. Et jamais il ne pourrait prononcer une nouvelle fois son prénom devant Rose, sans craindre une nouvelle tempête. Pourtant, il aurait voulu lui montrer, lui prouver, ses sentiments sincères, réels. Mais interdits, aussi. Et lui dire, aussi, que avec Summer ça n'allait plus. Mais tous les sujets reliés de près ou de loin à ses relations sentimentales semblaient tacitement bannies de la discussion.

Rose constata avec déplaisir que Lorenzo et elle adoptaient la même attitude : ils jouaient tous les deux avec leur paille, et n’osaient même pas toucher leur cocktail signe manifeste de la gêne qui les habitait. Cela donnait à la situation un air tellement faux ; comme s’ils avaient été deux acteurs qui devaient simplement prétendre être assis là, et qu’ils devaient jouer une mauvaise scène de règlement de compte. Face à cette effroyable constatation, la musicienne lâcha subitement son verre et mit ses mains sous la table. Lorenzo n’avait sans doute pas remarqué son attitude étrange car il était remué par ce que Rose venait de lui dire. Clairement, elle venait d’enfoncer le couteau dans la plaie, mais si Lorenzo trouvait ça douloureux qu’il vienne se mettre à la place de Rose cinq secondes pour vraiment comprendre ce que souffrir est. Elle ne s’en voulait pas de se montrer honnête avec lui, et tant pis si ses petites oreilles avaient dû mal à entendre ce qu’elle avait à dire. Il était venu la chercher, il devait bien s’attendre à cela. Cependant, Lorenzo restait un homme intelligent. Il reconnaissait ses erreurs. Elle hocha la tête quand il lui dit qu’il n’aurait jamais du faire ça, ni le lui cacher. Mais à quoi est-ce que cela les avançait ? Rose se demandait toujours ce que Lorenzo était venu chercher à Philadelphie ; son pardon, qu’elle oublie, la rédemption ?

Bien vite elle eut la réponse à sa question. D’abord Lorenzo s’excusa, brièvement, mais elle n’allait pas non plus cracher sur la soupe. Elle lui en était reconnaissante, elle avait aussi besoin de ses excuses pour avancer. Mais il attendait qu’elle lui pardonne. Il lui demandait si elle en était capable. « Je ne sais pas. » répondit-elle. Ce n’était pas la réponse qu’attendait Lorenzo, c’était certain. Cependant Rose n’était pas en mesure de lui dire si elle pourrait un jour oublier. Et si elle pardonnait que cela voulait-il dire ? Ils redevenaient meilleurs amis et ils oubliaient tout ce qui s’était passé ? Tout le mal qui a été fait ? Rose ne savait pas si elle était prête à franchir cette étape. « Si je te pardonne il se passe quoi ? On redevient ami et on fait comme si de rien n’était ? Je t’invite à dîner chez moi, tu t’assoies en face de Nina, tu fais semblant que ce n’est qu’une de tes anciennes élèves ? » elle savait que c’était sans doute un peu bas de lui balancer ça à la gueule, mais ces questions la taraudaient. Elle n’avait pas les capacités nécessaires pour les trancher seule. « On ne pourra plus jamais avoir une relation normale non ? » fit-elle, sincèrement désolée. Déjà qu’avant leur relation était compliquée, c’était dix fois pire maintenant. Rose n’était pas du tout optimiste quant à leur avenir, mais il ne restait plus qu’à Lorenzo de la convaincre du contraire. De toutes ses forces elle espérait que l’esprit mathématique de Lorenzo allait lui démontrer par a + b qu’elle ne faisait que se perdre en conjecture et que leur amitié pouvait toujours être préservée.

Elle ne savait pas, Lorenzo pouvait interpreter cette phrase de mille et une façons. Son cerveau s'emballa bien vite, peut-être qu'elle ne pourrait jamais lui pardonner mais n'osait pas lui dire de but en blanc. Non ce n'était pas du genre de Rose, la réputation de sa franchise la précède. Peut-être qu'elle ne savait vraiment pas, mais pourquoi ? Il ne pouvait pas croire que ses pensées ne balançaient pas d'un côté ou de l'autre de la balance. Ensuite, elle reprit la parole, dévoilant une à une ses appréhensions. Tout s'éclaircissait, tout devenait clair. Et le pire, c'est qu'elle n'avait pas tort, ses propos avaient un sens. Il imagina un instant la scène que Rose décrivait. Mais dès le début, ça coinçait. Faire comme si de rien était, avec Nina face à lui, alors qu'il ressentait toujours des sentiments pour elle ? Rien que le fait de parler de Nina là, avec Rose, était difficile. Alors aller chez elle ... Quoi que. Il réessaya de se figurer la scène, une nouvelle fois. Il était adulte et mature après tout, et marié surtout. Sa relation avec Summer prenait petit à petit un nouveau tournant, inattendu, mais non moins plaisant. Alors certes, il penserait à Nina, encore. Mais tout à coup, il se sentit capable de s'arrêter là. Comme si parler à Rose, et réaliser qu'il ne la retrouverait peut-être jamais, l'avait fait murir d'un coup. Au diable, les "j'ai besoin d'elle, je l'aime tellement". Son comportement lors du fameux dernier repas avec Rose devenait soudainement immature. Ce n'était pas lui. Il avait toujours agi dans le droit chemin, et le droit chemin c'était retrouver sa meilleure amie, et la convaincre qu'il avait déconné par le passé, mais ne referait plus d'écart de conduite. Après tout, si Rose voulait bien passer en revue le comportement de son ancien ami, elle remarquerait qu'il avait toujours était droit. Il avait retenu la leçon. « Rose, je te demande de faire table rase du passé. Mais redevenir amis, ne veut pas forcément dire me confronter à Nina, si ? » une telle idée était presque malsaine. Avant qu'elle connaisse le pot aux roses, il ne passait pas sa vie chez Rose, ils se voyaient plutôt à l'extérieur, alors pourquoi envisager directement cette situation ? Elle le provoquait, et mine de rien il était déçu. Car au fond, ne pouvait-elle pas comprendre que c'était l'amour, qui l'avait toujours motivé ? « L'eau a coulé sous les ponts, depuis la dernière fois. Je ... Mon mariage a changé, en mieux. Mais je veux également être sincère avec toi, je ne te dis pas que je ne penserai plus jamais à Nina. » C'était ça, Lorenzo, de l'honnêteté. Ou presque. Du moins, il voulait l'être au mieux. « J'ai bien compris, tu ne me croiras jamais. Mais elle n'était pas une fille comme les autres, pour moi » Bonjour, moi c'est Lorenzo, je suis handicapé sentimental et je suis incapable de dire que j'ai aimé Nina, alors que ça m'a dévoré de l'intérieur. Il attrapa son verre et but une gorgée, il en avait bien besoin. L'alcool glacé lui fit un bien fou, tant d'aveux avait fait monter la pression, il devait se calmer. « La balle est dans ton camp. » conclut-il, après sa performance théâtrale mais non moins sincère.

Si Rose posait toutes ces questions c’est justement parce qu’elle avait envie de voir un futur brillant entre Lorenzo et elle. Pourquoi pas les imaginer dans dix ans, Rose serait peut-être à son tour mariée, résidant loin de Magnolia. Lorenzo et Summer viendraient rendre visite à la jeune femme et à son compagnon (Bryan ?). Soudainement Rose voulut se mettre des claques de penser à vouloir s’embourgeoiser comme ses parents. Elle n’avait jamais imaginé sa vie de la sorte. Mais plus on grandit plus on se rend compte que ses envies d’évasion n’étaient que des utopies. A vingt-deux ans, Rose n’avait toujours exécuté le quart des projets qu’elle s’était fixée. Et même si sa vie ne lui déplaisait pas, dans le fond elle avait toujours ce goût d’inachèvement dans la bouche. Elle n’avait pas envie se planter, encore une fois. Ainsi, parler avec Lorenzo à cœur ouvert lui faisait du bien. Elle appréciait la franchise du jeune professeur. Il souhaitait sincèrement retrouver son amitié. Rose se trouvait un peu dégueulasse de le faire ramer autant. Néanmoins, elle ne pouvait pas tout balayer d’un revers de main. Si seulement la vie était aussi simple !

Si Rose venait de pointer « le problème Nina », qui nuisait fortement à leur réconciliation, c’est tout simplement parce que Nina était la sœur de Rose. Jamais Rose ne pourrait la rayer de sa vie. S’il fallait faire un choix entre les deux, il n’y avait pas à dire c’était clair. Elle ne répondit pas tout de suite, et Lorenzo semblait animer par un feu qui le poussait à continuer son argumentation. Il voulait lui faire comprendre que Nina n’était pas n’importe qui à ses yeux et qu’il ne pourrait jamais l’oublier. Rose ne savait pas ce qui été le pire, qu’il l’ait traitée comme toutes ses autres conquêtes ou que justement, Nina soit si spéciale. Ce n’était aucunement de la jalousie, juste son côté protecteur qui refaisait surface. Rose n’avait plus confiance en Lorenzo, et désirait protéger sa cadette. Cette révélation bien qu’inattendue fit quand même du mal à Rose. Si elle ne se gênait pas pour balancer les vérités en face, Lorenzo faisait clairement de même. Il but subitement son verre alors qu’aucune d’eux n’y avait encore touché pour annoncer à Rose que désormais la balle était dans son camp. Peut-être lui lançait-il une sorte d’ultimatum ? Rose ne savait pas comment le prendre. Elle décida de ne pas réfléchir et de balancer ce qu’elle avait sur le cœur. « Nina fait et fera toujours partie de ma vie, tu comprends que c’est délicat d’oublier d’un coup toute votre histoire. Mais je suis contente si ça va mieux avec Summer. C’est une fille géniale Lorenzo, tu as beaucoup de chance. » comment ça Rose insiste un peu trop ? Pas du tout, elle sait simplement reconnaître les bonnes personnes (a). « J’ai envie de te pardonner, mais je ne sais tout simplement pas si j’en suis capable. J’en ai marre que les gens me blessent, toujours, et encore plus fort. » avec Lorenzo Rose pouvait se laisser aller, même si présentement il n’avait plus l’étiquette de meilleur ami, il restait toujours une des rares personnes à qui Rose se confiait. « Peut-être que ça nous prendra du temps avant que la situation puisse reprendre une tournure… Normale ? » elle baissa les yeux sur son verre qu’elle n’avait pas envie de toucher alors que c’était pourtant son cocktail préféré qui se trouvait sous ses yeux. Elle tourna encore une fois sa paille dans son verre, d’un geste purement machinal.

Pas une seconde Lorenzo ne demandait à Rose de choisir entre Nina ou lui, pourtant, il eut l'impression que Rose le ressentait ainsi. Comme si lui accorder son pardon signifiait accepter qu'il ait fait souffrir sa soeur, et donc qu'il était mieux classé que Nina sur l'échelle de Rose Van Valkenburg. Au contraire, il aurait tout donné pour avoir mené sa vie autrement, à ce moment-là. Et surtout, pour ne pas s'être enfui comme un lâche, à New York. Il imagina un moment son passé, si la parenthèse NY disparaissait. s'il n'avait pas pris peur devant ses sentiments naissants pour Nina. au final, les soeurs VV lui reprocheraient toujours d'être un coureur de jupons notoir. Mais oter le statut de maîtresse potentielle à Nina aurait forcément changé la donne. Malheureusement, ces regrets ne seraient pas suffisants pour modifier le passé. On dit qu'on apprend de ses erreurs, mais à quoi bon ? Lorenzo était certain de ne jamais retrouver une fille comme Nina. Un petit bout de femme, forte, franche, déconcertante, impressionnante, et capable de le soumettre en un claquement de doigt. Pire, il ne voulait pas retrouver une fille comme Nina. Il voulait Nina. Il était bien beau d'apprendre de cette erreur, alors, mais à quoi bon ? Lorenzo aurait largément préféré apprendre comment réparer la situation, et vivre heureux avec celle qu'il aimait. Et s'il faisait ce choix ... mais en fait, il n'était même pas certain d'avoir le droit, d'être en mesure, de choisir. Alors à quoi bon expliquer cette facette de la situation à Rose ? Lui avouer que Nina était sincèrement différente pour lui, le couvercle de son pot, le yin de son yang, l'étoile brillante de ses nuits sombres ... ne donnerait pas un avenir à leur relation amoureuse utopique.

Alors, après ce bilan bien déprimant d'un homme désabusé, il décida de continuer sur la voix de l'honnêteté. Après tout, c'était un peu ça, qui avait gâché sa vie, quand on y regardait bien : le manque d'honnêteté. Et c'était aussi un peu ça, que Rose attendait de lui, la vérité, qu'importe le prix. « J'ai envie d'être honnête avec toi Rose, sincèrement. Alors je te le dis franchement : mon histoire avec Nina, fera toujours partie de ma vie, et je ne serai jamais en mesure de l'oublier. » Il leva les yeux vers elle, il ne voulait plus rien lui cacher. A défaut de retrouver l'être aimé, il pouvait reconquérir une amitié sincère. « Même si tu ne me croiras sans doute jamais, je l'ai vraiment aimée. Pourquoi est-ce qu'il a fallu que ça tombe sur elle ? Va savoir. Et c'est aussi un peu à cause de ça, que je me suis éloigné, pendant un an. Le besoin de rester libre, mais en revenant, j'ai déconné, puisque j'ai bien vu que rien n'avait changé. » Lui pourtant si adulte, parlait des faits avec difficulté. Lui pourtant si mature, était incapable de prononcer les mots sentiments, amour et Nina dans la même phrase. Comme si la désigner par un article défini, plutôt que par son prénom, lui accordait un semblant de liberté. « Mais je n'aurais pas dû, tout ça. Encore maintenant je ne sais pas ce qui m'a pris. Je le savais, pourtant, qu'agir ainsi te blesserait. Mais tu sais, parfois, on agit sans réfléchir. » Il mima avec ses mains tout en parlant, une vieille habitude d'italien qui lui restait parfois. Il les posa alors sur son verre, froid, et but une nouvelle longue gorgée. Tant de franchise l'avait épuisé, marcher sur une corde si raide devant Rose le stressait, et il appréhendait toujours que Rose prononce les fameux quelques mots, ceux qui feraient bouger la corde et pousseraient Lorenzo dans le vide. Il marchait sans filet sur la corde raide et éffilée de leur amitié. Pourtant, Rose sembla sous entendre qu'avec le temps, l'envie, ils pourraient peut-être la raccomoder, cette corde toute effilée. « ça nous prendra peut-être du temps, oui, mais on peut essayer, si tu penses que le jeu en vaut la chandelle ? » Il avait besoin de l'entendre clairement de sa bouche, qu'elle lui dise qu'elle voulait essayer, rabibocher leur amitié, le pardonner peut-être un jour, ou du moins appaiser les sentiments violents qu'elle ressentait à son égard. Il avait besoin de savoir, qu'elle le rassure un peu.

Honnêtement Rose ne voyait plus la sortie du tunnel. Leur conversation pouvait durer des heures entières il semblait qu’ils n’arriveraient jamais à se comprendre l’un l’autre. Pourtant, si tous les deux essayaient à ce point de trouver une issue viable c’était parce qu’ils étaient encore attachés l’un à l’autre. Lorenzo faisait preuve d’une franchise extrême qui blessait Rose quelque fois. Malgré tout, elle était soulagée de se prendre ses dures vérités en face une bonne fois pour toute. Le point chaud entre eux était évidemment Nina. Mais pas que ça. C’était surtout la trahison de Lorenzo qui restait en travers de la gorge de Rose. Qu’il ait couché avec sa sœur, elle aurait pu le pardonner, qu’il couche avec Rose et Nina, les sachant pertinemment sœurs la répugnait. Elle n’arrivait simplement pas à comprendre comment on pouvait agir ainsi, et surtout vouloir par la suite fonder une amitié sincère. Lorenzo ne semblait pas décidé à comprendre ça. Comment pouvait-il penser que Rose allait le croire, croire à ses belles paroles concernant sa sœur, alors qu’il ne l’avait même respectée lors de leur relation ? Néanmoins, elle l’écoutait avec une attention particulière, déterminée à déceler toute chose suspecte qui pourrait se lire sur son visage, une seule trace de mensonge, et Rose quitterait illico presto la table et tirerait un trait sur Lorenzo pour toujours.

Quand il parlait de Nina, Rose restait méfiante. Il parlait d’amour, ne comprenait pas pourquoi elle, et pas une autre fille de son âge. Pour ça, Rose voulait bien le croire, l’amour était partout, inexplicable. « Agir sans réfléchir, oui je connais. Malheureusement il y a eu des conséquences Lorenzo. » Rose ne le blâmait pas d’être un être humain. Mais sa connerie n’avait pas été innocente. « Pourquoi ce besoin… de sortir avec nous deux en même temps ? » elle n’arrivait même pas à le dire comme si le prononcer à haute voix allait rendre la chose encore plus repoussante. « Bordel, tu dis que tu l’aimes et regarde comment tu la traites. » maintenant Rose était énervée. Lorenzo était un homme bien, ce n’est pas pour rien qu’il était le meilleur ami de Rose, alors oui, si Nina et lui étaient tant que ça amoureux elle aurait pu concevoir qu’ils soient ensemble. Mais clairement l’attitude passée du professeur de mathématique ne donnait pas à la jeune femme l’envie de lui confier sa petite sœur. Et puis même, la question ne se posait même plus puisqu’il avait choisi Summer à New-York. « J’ai trop de questions à te poser, mais je ne suis pas capable d’entendre les réponses je crois bien. » fit-elle dans un rire amère. C’était tristement vrai, l’honnêteté était une chose géniale, mais qui pouvait faire tellement mal. Rose ne savait pas si elle pouvait en supporter plus. Afin de reprendre ses esprits, elle porta enfin son cocktail à sa bouche, essayant de se contenir un peu. « Ton amitié est précieuse pour moi Lorenzo, je te l’ai déjà dit. » répondit-elle à sa dernière question. Si le jeu en vaut la chandelle ? Oui. Évidemment. Elle ne pouvait pas lui dire clairement, mais dans le fond c’était pour cette raison qu’elle avait accepté de prendre un verre avec lui. Parce qu’elle croyait que tout n’était pas perdu. C’était sans doute difficile à s’avouer, tant elle avait pris de soin pour le rayer de sa vie ; mais elle était désormais confrontée à la dure réalité : Lorenzo lui manquait énormément.

La conversation tournait en "je te dis que j'ai vraiment aimé Nina", et "moi je te dis que tu es un enfoiré sentimentalement indisponible, pire que tous les Daniel Cleaver réunis". A quoi bon lui prouvait que ses sentiments étaient fondés, si Rose refusaient de les croire ? Il ne pourrait jamais fournir aucun argumentaire solide et incontestable, puisque le propre des sentiments est d'être subjectif, vague ... Son discours relevait de la persuasion, quand Rose attendait d'être strictement convaincue. Il pouvait lui dresser le record de nombre de pages de dissertation, ils ne seraient pas plus avancés ? Pourquoi ? Probablement parce que Rose ne voudrait jamais accepter que Lorenzo ait eu de réels sentiments sincères pour sa petite soeur, il en était intimement convaincu. Pas par jalousie, non, plutôt par besoin de protéger sa soeur d'une histoire rocambolesque. Il soupira, dépité, il était à cours d'idées, mais voulait tellement se battre pour récupérer son ami, pour lui prouver que, au fond, il n'était pas un connard totalement fini et qu'une once d'humanité subsistait en lui. « Je n'ai pas eu besoin de sortir avec vous deux, comme tu dis. J'ai eu besoin ... de prendre du bon temps » Il leva la tête vers le plafond et inspira un grand coup. « Ou, pour dire les choses plus simplement, de sortir avec plusieurs filles en même temps. Mon but n'a jamais été d'avoir les deux soeurs Van Valkenburg, si c'est ce que tu crois. » Il avait peur que ses mots crus n'agacent un peu plus son amie déjà à cran. Cette discussion était risquée, pourtant elle restait un passage obligé.

Sans surprise, le ton de Rose devint plus dur, plus agressif. Son "bordel" le surprit, il n'était pas habitué à entendre de tels mots dans une bouche si douce. Mais il n'était pas d'accord avec elle, et devait se défendre, même si la discussion ne risquait pas de s'adoucir. « Comment je la traite ? Attends c'était au début tout ça seulement. J'ai mis fin à toutes mes autres aventures quand j'ai réalisé que je m'attachais à Nina, tu sais bien que toi et moi ça n'a pas duré longtemps. » Il hésitait à continuer, pourtant il était tellement convaincu d'avoir raison. « Mais au début c'est vrai, j'ai été un connard. Mais tu vas me dire que toi, dès la première fois que tu as vu Bryan, tu as su que c'était le bon et tu es tombée totalement amoureuse ? Désolé moi je ne fonctionne pas comme ça, peut-être parce que notre relation a commencé à l'envers, je n'en sais rien, mais ne dis pas que j'ai été incapable de l'aimer parce que au début je voyais d'autres filles. C'était le deal, de toute façon, au début, c'était prévu comem ça ! » Il avait un peu haussé la voix, comme si parler plus fort pourrait être plus convaincant. Il n'avait jamais affirmé aimer Nina dès la première seconde où il l'avait vu. Il l'admettait parfaitement, au début, elle était une fille comme les autres, une relation de plus. Mais ensuite, quand il découvrit la jeune femme ... tout devint différent. Rose ne pourrait pas le nier, leur relation n'avait pas duré longtemps, et ce n'était sûrement pas parce qu'il s'était levé un petit matin et en avait décidé sans raison particulière.

Malheureusement, ils avaient trop échangé sur ce sujet, pour redevenir amis sans être tombés d'accord. Mais plus la conversation avançait, moins Lorenzo lui voyait une issue favorable. Il ne s'avouait pourtant pas vaincu, décidé à mettre le meilleur de lui même dans cette discussion. « Et tu crois que nous pourrions redevenir amis si tes questions restent sans réponses ? Je t'ai promis d'être honnête, Rose, après je ne peux pas te garantir que la vérité ne soit pas douloureuse. Seulement c'est à toi de voir ce que tu veux ... »

Rose passait par toute sorte d’émotions différentes. D’un côté elle avait tellement besoin d’entendre les explications de Lorenzo, et de l’autre elle n’était pas sûre d’arriver à les accepter. Plus il faisait preuve de franchise plus elle avait l’impression de se prendre une énorme claque. Il avait fallu que la situation arrive à ce point de non retour pour que Lorenzo arrive enfin à faire preuve d’honnêteté envers elle. La jeune femme remettait tout en question. Les explications données par son ancien ami n’avait pas raison de cette plaie béante qui la faisait encore souffrir quand elle pensait à la situation. Malgré tout, Rose essayait de rester le plus calme possible, elle essayait d’être attentive. Elle lui avait demandé pourquoi il avait dû mettre dans son lit les deux sœurs et sa réponse ne put que faire pouffer de rire Rose. Pour le coup c’était bien un mec, totalement sous l’emprise de ses hormones. Rose se fichait bien du nombre de conquête de l’italien, et même s’il s’évertuait à lui faire comprendre que ces faits dataient du passé, Rose ne pouvait pas tout pardonner à cause de ce simple prétexte. Elle en souffrait. Evidemment, la patiente de Rose avait aussi ses limites, comme tout à chacun. Lorenzo commençait aussi à s’échauffer, même s’il tentait tant bien que mal de se justifier. Elle écouta sa tirade patiemment, même si elle bouillait intérieurement de lui rabattre son caquet une bonne fois pour toute. « Peut-être que je ne suis pas tombée amoureuse de Bryan dès le premier regard, mais une chose est sûre : ça ne m’a jamais traversé l’esprit d’aller coucher avec Peter. » si Lorenzo voulait s’appuyer sur des exemples Rose pouvait tout à fait faire de même. « Admet-le Lorenzo ton attitude a été vraiment dégueulasse. Peu importe que tu aies vite pris conscience de tes erreurs, ce que tu n’arrives pas à comprendre c’est que le mal a été fait. Tu ne peux plus le défaire. » malgré toutes les bonnes excuses qu’il venait de lui donner, il ne semblait pas comprendre qu’une fois les actions faites elles sont exécutées à jamais. Même s’il s’en repentait aujourd’hui ça n’effaçait rien.

Rose n’était même plus très sûre d’avoir envie de continuer cette conversation. Elle venait d’en faire part au professeur de mathématique, qui tentait une nouvelle fois de la raisonner, en essayant de lui faire comprendre que la seule façon de résoudre leurs différends était la communication. « Ce que je veux ? Que tu te rendes compte que je ne pourrai jamais te pardonner en un claquement de doigts. » depuis le début de leur conversation elle avait l’impression que Lorenzo cherchait à lui mettre une sorte de pression. Comme si tout leur futur reposait entre ses mains, et n’allait être déterminé que par ses choix. « Et oui, j’ai l’impression de me prendre une grosse claque là. Je pensais te connaître, mais en fait non. » c’était d’ailleurs une des choses qui avait le plus attristé Rose ; la triste déception de se rendre compte qu’elle ne connaissait pas vraiment celui qui se disait être son meilleur ami.

Il tentait d'expliquer son point de vue à Rose, mais elle restait campée sur ses opinions. De même, Lorenzo ne changeait pas d'avis, malgré l'insistance de la jeune fille. Autrement dit, ils étaient bloqués, aucun n'admettrait que l'autre n'était pas totalement dans le faux, leur conversation pourrait donc durer ainsi très longtemps. Ils trouveraient tous deux de nouveaux arguments à mettre en lumière pour affuter son argumentation, mais à chaque fois l'autre reprendrait la parole à son tour, une quête du dernier mot sans fin, ou alors jusqu'à ce que tous deux s'épuisent, se regardent dans le blanc des yeux, et constatent l'impasse contre laquelle ils se battaient. Ils fonçaient dans un mur, reculaient pour constater une éventuelle brèche inexistante, puis re fonçaient de plus belle. Deux lutteurs naïfs motivés par les dernières bribes de leur amitié mourante. A quoi bon la sauver ? Un instant, Lorenzo voulut imaginer, si leur relation redevenait normale, et qu'ils entretenaient une conversation courante. Jamais, il ne pourrait lui confier le genre de secrets qu'on ne dit qu'à sa meilleure amie, ses problèmes avec Summer ou, pire encore, ses pensées insistantes pour Nina, qu'il contenait, certes, mais qui ne cessaient pas. A peine pouvaient-ils êtres deux voisins cordiaux, se saluant amicalement, mais rien de plus. Puisque Rose n'accepterait jamais que le jeune homme ait eu des sentiments pour Nina, et puisque Lorenzo ne pourrait jamais effacer ses actes passés. Des actes que Rose lui reprocheraient, encore et encore, chaque jour durant. Il ne pouvait pas la blâmer car, au fond, peut-être aurait-il fait la même chose, si les rôles avaient été inversés. Difficile à imaginer, cependant, car il n'imaginait pas Rose coucher avec sa soeur, une dite soeur dont il n'avait pratiquement plus de nouvelles, d'ailleurs. Mais il était d'accord, il avait agi en connard de première. Malheureusement le reconnaître n'arracherait pas la page concernée du livre de sa vie. Elle resterait là, bien attachée à la reliure, comme tant d'autres souvenirs. « En quelle lanque dois-je te le dire ? Non ho mai voluto avere le due sorelle » Mais manier sa langue natale ne le faisait même pas sourire, au fond. Il soupira, dépité, dégoûté de constater qu'il avait échoué dans sa mission. « Je ne dis pas le contraire Rose, c'était dégueulasse. Mais ce n'est pas parce que j'ai agi comme un connard que je suis incapable d'être un ami sincère ... ou autre. » Mais qu'il ait mis fin à leur relation quand ses sentiments pour Nina s'exprimèrent, ou qu'il ait toujours été présent pour Rose quand elle en avait besoin ... ne racheterait jamais son comportement aux yeux de la belle. Il était fini, fichu, tel un ancien boxeur voulant à tout prix remonter sur le ring. Mais à quoi bon, il se faisait dominer en beauté, encaissant les coups que lui lançaient les dures paroles de la jeune fille. Elle affirmait ne pas pouvoir le pardonner tout de suite, lui commençait à croire qu'elle ne pourrait jamais le pardonner tout court. Peut-être le voulait-elle, au fond, peut-être avait-elle besoin d'un ami à qui se confier, d'une des rares personnes dont elle ne se méfiait pas. Enfin, dans le passé. Désormais, elle ne savait plus qui était Lorenzo, et de par ce qu'elle appelait plus ou moins une trahison, elle éprouverait forcément une méfiance envers lui. Pire que celle qu'elle dirigeait vers les autres voisins, même. Il est pire d'accorder sa confiance et de la voir bafouer, que de simplement ne pas l'accorder. Et même si Lorenzo considérait n'avoir jamais vraiment menti à Rose, qui avait toujours su qu'il était un Don Juan butinant de fleurs en fleurs, elle ne se remettrait jamais du fait qu'il ait approché sa petite soeur. « Tu dis que tu ne pourras pas me pardonner en un claquement de doigt, mais le pourras-tu simplement un jour ? » Il attrapa son verre, aspirant nerveusement sur sa paille. Mais il ne restait plus une goutte de mojito. Il soupira, lassé de ce signe qui voulait probablement dire que la partie était finie. « Si c'est ce que tu penses, que tu ne me connaissais pas du tout, à quoi bon me pardonner ? Si c'est vraiment le cas, Rose, alors j'imagine que nous n'avons plus rien à nous dire, pourquoi vouloir retrouver l'amitié d'un homme que tu ne connais pas. » Il baissa les yeux. L'émotion était telle qu'il sentait la mélancolie le gagnait. Ils mettaient fin à de longues années d'amitié, mine de rien. Mais selon Rose, elles n'avaient été que mensonges et illusions, une relation faussée et irréelle, qu'ils ne pourraient donc jamais retrouver. Il se leva donc, acceptant sa défaite. « Je te raccompagne ? »

Cette explication avait été nécessaire pour la jeune violoniste. Même si les dires de Lorenzo n’étaient pas simples à entendre, et qu’elle avait l’impression de se prendre une grosse gifle, elle se sentait d’un côté un peu plus sereine. Etrange sensation, d’ailleurs. Elle n’arrivait toujours pas à comprendre pourquoi Lorenzo avait agi de la sorte, mais entendre ses excuses était une forme d’apaisement. Peut-être que le plus dur était passé ; peut-être que les explications allaient maintenant faire place au pardon. Rose osait à peine penser à ça. Et pourtant Lorenzo avait fait le chemin jusqu’à Philadelphie uniquement pour cette raison. Il essayait tant bien que mal de lui faire comprendre qu’il n’avait pas cherché à la blesser. Rose n’arrivait pas à le croire, et même le fait qu’il s’exprime dans sa langue maternelle n’arrivait pas à la convaincre. Elle le regarda, d’un air neutre, ne sachant pas quoi lui répondre. Elle avait déjà exposé ses arguments, elle ne savait pas quoi ajouter d’autre. Toutefois, Lorenzo reprit vite ses esprits, et poursuivi son plaidoyer. Elle l’écoutait, tout en buvant son cocktail, histoire de se donner une contenance puisqu’elle venait de replonger dans le silence, se faisant plutôt spectatrice, consciente que leur conversation touchait à sa fin. Qu’il soit un ami sincère ? Au fond, Rose n’en doutait pas. Elle lui avait confié des choses dont elle n’avait jamais parlé à personne, tout simplement parce que Lorenzo avait toujours été à son écoute, et savait se montrer rassurant. C’est vrai que sans lui elle se sentait un peu perdue. Enfin, elle ressentait un manque, c’était évident. Leur conversation, leur facilité à parler des choses les plus intimes. Elle avait Savannah avec qui c’était un peu comme ça, mais les choses étaient quand même différentes.

Elle reposa son verre, elle venait de le terminer. Lorenzo jugea que c’était le bon moment pour lui demander si elle serait capable de le pardonner un jour. Elle baissa les yeux, gênée. Elle resta silencieuse quelques secondes, essayant de méditer une réponse qui retranscrirait exactement ce qu’elle ressentait. « Je crois que j’ai besoin d’un peu de temps tout simplement. » il jugerait peut-être qu’elle exagérait de ne pas donner une réponse plus claire, mais comment pourrait-elle savoir si elle serait un jour capable de mettre de côté cette rancune qui l’habitait ? Qui plus est, elle venait de réveiller son orgueil masculin en lui confiant ne plus avoir l’impression de le connaître. Elle s’était sans doute mal exprimée, mais après tout il avait eu une attitude qu’elle n’avait jamais soupçonnée être la sienne. « Ne le prend pas mal Lorenzo. » se contenta-t-elle de répondre. Une nouvelle fois, son argumentation était faible, mais après la discussion qu’ils venaient d’avoir, elle était lasse de se battre. La fatigue la gagnait petit à petit. Ils avaient tous les deux terminés leurs verres, et Lorenzo en bon gentleman se proposait de raccompagner son ancienne amie. Cette attention la touchait beaucoup, mais elle n’avait pas envie que leur trajet se déroule dans un silence gêné. « Ça ne sera pas nécessaire, mais merci. » elle lui fit un sourire timide, le premier de toute la soirée. Se rendre compte qu’elle allait une nouvelle fois se séparer de Lorenzo, qu’une nouvelle fois leurs retrouvailles allaient être incertaines lui fichait le moral en berne. C’était pourtant elle qui demandait cet espace. Elle était paumée. « Mon hôtel se trouve à coté. Je te dis à bientôt alors. » elle se leva, et prit ses affaires. Elle lui adressa un dernier regard avant de définitivement tourner des talons, ayant pour seule compagnie ses pensées qui tourbillonnaient dans tous les sens.

Incapable de comprendre ce que pourrait lui apporter du temps supplémentaire, Lorenzo se contenta pourtant d'acquiescer. « D'accord, je comprends » Non il ne comprenait pas, et oui il le prenait mal. Il voulait la réponse tout de suite, surtout si elle s'avérait négative. Il ne supportait plus d'attendre pour savoir où ranger Rose dans ses relations : amitié sur le retour, ancienne amie ? Il était incapable de dire. Leur conversation avait beau être mouvementée, il n'en comprenait pas la fin, la conclusion. Il repassait leurs paroles en boucle dans sa tête, mais rien n'indiquait de quel côté penchait la balance.

Peut-être étaient-ils encore à 50 50, au milieu du chemin, Rose ne penchait pour aucune direction. Pourtant, quand elle refusa son offre de le raccompagner, il prit ça comme un mauvais signe. Peut-être était-il juste victime d'un mauvais pressentiment, mais supporter la compagnie de Lorenzo quelques minutes de plus n'était pas un supplice. Qui plus est, il était tard, la présence d'un homme sur le chemin du retour serait appréciable. Pourtant Rose déclina, et sa justification le rassurait à peine. « Entendu, comme tu veux » Et ils partirent, chacun de leur côté. Une fois dans sa voiture, Lorenzo mit quelques minutes avant de démarrer. Il avait besoin de mettre au clair leur soirée, trier tant que c'était encore frais, mais il ne trouvait toujours pas où tout ça les avait mené.