Une fois n’est pas coutume, la maison des VV était vide. Patrick et Esperenza au travail, Nina à Philadelphie pour ses études, Evane à l’université et Natalia était on ne sait où. Rose venait de se réveiller après une nuit éprouvante. Elle n’avait pas réussi à dormir. Ou plutôt si, mais son sommeil avait été agité de rêves désagréables. Elle devait aller répéter pour midi, mais elle ne se sentait pas la force de bouger de chez elle. Vers onze heures, elle alla dans son salon pour s’abrutir devant la télé. Elle espérait que les programmes débiles auraient un effet soporifique sur elle. Elle voulait à tout prix rattraper cette nuit d’enfer qu’elle venait de vivre. D’abord, elle appela le chef de l’orchestre pour prévenir qu’elle ne pourrait pas venir. Elle détestait faire cela, mais elle allait s’endormir en pleine répétition sinon, et plutôt mourir que de mal bosser.

Affalée sur le canapé, en pyjama, un mal de tête cuisant, Rose sombra dans un demi sommeil. Elle était consciente de ce qui l’entourait, mais ne bougeait pas. C’était déjà mieux que de faire des rêves étranges qui lui laissaient toujours cette impression bizarre. Une impression de peur, de mal être, de terreur même. Petit à petit elle sombra dans un sommeil profond, et ce n’est que la clé dans la serrure, puis la porte qui s’ouvrait en trombe qui la fit sortir ses songes. Légèrement désorientée, son mal de crâne avait néanmoins cessé. Rose se demandait bien qui cela pouvait être, alors qu’elle savait pertinemment que ça ne pouvait être qu’une seule personne : sa mère. « Maman ? » demanda-t-elle finalement même si l’interrogation n’était pas de mise. Sa mère entra dans le salon, et Rose fut contente de la voir. Au final elle aimait mieux avoir une compagnie dans la maison, surtout quand elle ne se sentait pas très bien, comme aujourd’hui. « Il est quelle heure ? Je me suis endormie, j’étais complètement KO. » elle se demandait combien de temps elle avait bien pu dormir. Si paisiblement d’ailleurs. Elle espérait bien que sa mère allait s’inquiéter de son état de santé. Peut-être même qu’elle lui poserait des questions, et ainsi Rose pourrait embrayer sur le sujet qui la taraudait, mais que ses parents ne prenaient jamais au sérieux. Cette attitude l’agaçait fortement, mais elle ne fléchissait pas, elle savait que ses parents en savaient plus qu’elle, qu’il lui cachait sans doute des choses. Rose voulait la jouer plus finement, au lieu d’y aller cash, et si pour une fois, elle prêchait le faux pour savoir le vrai ?

Rose se rassit correctement sur le canapé, elle passa sa main dans ses cheveux pour se recoiffer un peu. Sa mère venait de débarquer. Heureusement car elle l’avait tirée de sa rêverie. Même si la jeune femme avait été ravie de dormir un peu, elle n’avait pas envie de passer la journée endormie. Ainsi, elle avait sans doute une chance passer la nuit prochaine normalement. Quand elle vit que sa mère avait posé ses courses sans même les ranger, Rose fut contente qu’elle s’occupe ainsi d’elle. En général, c’était toujours Nina qui était chouchoutée. Rose, l’aînée, était souvent considérée comme l’adulte, mais au fond les attentions de ses parents lui manquaient. Sa mère lui annonça qu’il était treize heures, Rose était à moitié surprise, sa sieste improvisée n’avait pas durée aussi longtemps qu’elle ne l’avait imaginée. Elle secoua la tête, histoire de montrer à Natalia qu’elle avait bien enregistré l’info. « J’ai appelé pour dire que je ne me sentais pas bien. » louper sa répétition l’embêtait vraiment. Mais elle n’aurait pas pu tenir le rythme dans son état, et avec ses maux de têtes insistants. « J’ai très mal dormi cette nuit. » s’empressa-t-elle d’ajouter. Elle ne voulait pas que sa mère pense qu’elle se la coulait douce. Ce n’était vraiment pas son intention.

Natalia vint ensuite s’asseoir près d’elle, et l’étreignit. Cet élan d’affection rassurait Rose. Parfois ses parents se montraient durs avec elle, mais elle les savait aussi très attentionnés. Peut-être était-ce le fait que Nina soit partie qui allait les rapprocher. C’était purement égoïste de penser cela, mais Rose avait toujours souffert, et avait toujours été envieuse de la relation de sa cadette avec ses parents. « Mais tout va bien, je t’assure Maman. » surmenage ? Peut-être bien, mais Rose aimait être occupée. Surtout quand il s’agissait de musique. Ne pas être occupée impliquait penser à sa condition. Or Rose n’aimait pas ça. « C’est juste que… Enfin, voilà j’ai fait de mauvais rêves. » Rose était un peu perturbée. Elle aimait bien la complicité qu’elle avait avec sa mère en ce moment même. Alors, elle ne voulait pas briser l’instant. Elle se sentait choyée, et aimée. Comme une petite fille, or Rose ne s’était jamais vraiment sentie innocente. Fragile, certes, mais innocente jamais. Elle guettait la réaction de Natalia. Elle pouvait mal prendre les dernières paroles de sa fille, comme à chaque fois qu’elle essayait de lui parler de ses rêves un peu torturés. Néanmoins Rose était dotée d’une détermination à tout épreuve, sur ce point-là, elle ressemblait bien à sa mère… Ne quitta pas le câlin de sa mère, Rose se sentait mieux. Vraiment plus rassurée.

Rose avait essayé de parler de son mal à l’aise à sa mère. Elle avait parlé de ses mauvais rêves qu’il l’avait réveillé. C’était habituel d’ailleurs. Elle avait pensé que sa mère lui demanderait à quoi elle avait bien pu penser. Mais elle n’en fit rien. Maintenant, elle la sommait de se reprendre, car soit disant dans la vie il ne fallait pas se laisser abattre. Rose était déçue. Sa mère pensait donc qu’elle ne faisait que cela pour obtenir son attention ? Se détachement légèrement d’elle, Rose posa sur sa mère une regard interloquée. « Tu crois que je n’ai pas envie de bosser ? » elle haussa les épaules, dépitée. Elle ne savait plus quelle attitude adopter avec ses parents. Ils semblaient qu’eux aussi étaient dépassés. Rose en avait marre de cette situation. Elle n’était plus vivable. Elle avait naïvement cru qu’aujourd’hui ça serait différent. Qu’aujourd’hui sa mère serait à son écoute.

« Je n’ai pas le droit de me reposer ? » de toute façon, sa mère n’allait pas lui dicter ce qu’elle devait faire. Rose ne sentait pas bien, et son humeur jusqu’à présent calme, devenait de plus en plus tendue. Elle sentait que cette discussion allait mal se terminer… Rose ne pouvait jamais avoir de conversation constructive avec sa mère. Sa relation avec ses parents ne serait jamais la même que celle qu’ils avaient avec Nina. Rose savait bien qu’elle était différente, mais elle ne comprenait pas. Elle n’arrivait pas à les comprendre. A les cerner. « Et si je n’ai pas envie d’aller bosser ? Et si j’ai envie de me laisser aller, voilà. » Rose était bien consciente qu’elle provoquait ouvertement sa mère, mais parfois elle ne se demandait pas si c’était la seule attitude à adopter avec elle.

Rose venait de surprendre sa mère. En même temps, le contraire aurait pu être étonnant. Rose était souvent d’humeur changeante. D’abord heureuse, puis distante, ensuite froide, et joyeuse enfin. C’était coutumier, et sa famille faisait avec. Même si ses parents n’aimaient pas tellement, peut-être parce qu’ils avaient l’impression qu’elle faisait des caprices, mais ce n’était pas ça, pas du tout. Dans sa tête tout semblait parfaitement normal, pour elle, elle avait les bonnes attitudes. Elle ne se rendait souvent pas compte qu’elle pouvait être déroutante. Comme maintenant. Elle avait décidé de provoquer sa mère, juste pour voir sa réaction. Natalia avait toujours été une femme de poigne, sévère avec ses enfants. Rose voulait savoir si elle allait fuir le conflit qui se profilait où si elle s’imposer plus fermement. Elle lâchait l’affaire. Elle abandonnait. Elle avait consacré à sa petite fille torturée cinq secondes de sa journée, et maintenant c’était terminé. Rose était déçue, vraiment. Elle venait de se lever pour aller ranger les courses qu’elle venait de faire.

Rose restait seule, assise sur le canapé. Pendant quelques minutes elle resta immobile, cherchant quoi faire. Parler honnêtement ne marchait pas, provoquer ne marchait pas, que fallait-il qu’elle fasse ? Finalement elle décida de se lever, pour rejoindre à son tour la cuisine. Elle regardait sa mère ranger les courses, méthodiquement. Un silence régnait entre elles, Rose ne savait pas si sa mère savait qu’elle était dans la pièce. « Maman ? » finalement, Rose n’en pouvait plus de ce silence. Elle qui en général appréciait le silence au bruit inutile ; elle trouvait ce silence là absolument dérangeant. « Tu crois vraiment que je me laisse aller ? » elle se devait de lui poser la question. Rose avait toujours été exigeante avec elle-même. Que sa mère puisse avoir une telle opinion d’elle lui faisait mal. « Je travaille dur, tu sais. » on aurait dit que ses parents ne voyaient pas tous les efforts qu’elle faisait pour être une bonne fille, mais ce n’était pas facile tous les jours dans sa situation.

Rose regardait sa mère ranger ses courses. Tous ses gestes étaient précis et méthodiques. Pas de place pour l’imprévu. En même temps sa mère avait été chirurgienne. La précision ça la connaissait. Rose admirait vraiment sa mère, et surtout la façon dont elle avait mené sa vie. Le sacrifice important qu’elle avait fait ; abandonner sa carrière pour se consacrer à sa famille. Pour qu’elle puisse élever elle-même ses enfants et que ça ne soit une pas une nourrice qui s’en charge. C’est aussi pour ça que Rose mettait un point d’honneur à réussir sa vie. D’atteindre les objectifs qu’elle se fixait. Elle voulait que sa mère soit fière d’elle. Alors l’entendre dire qu’elle se laissait aller, c’était vraiment vexant. A croire que sa mère ne réalisait pas le travail qu’elle devait fournir chaque jour pour ne pas baisser de niveau. Prenant son courage à deux mains, elle avait osé lui demander si c’était vraiment le fond de sa pensée.

D’abord prise au dépourvu, Natalia fixa sa fille un instant avant de répondre que non. Soulagée, Rose afficha un mince sourire et s’approcha de sa mère pour l’aider à décharger le dernier sac de course. « Tu sais je fais vraiment des efforts. Mais c’est pas facile tous les jours crois moi. » Rose avait envie que sa mère comprenne, qu’elle se mette à sa place cinq minutes. Malheureusement ses parents étaient bornés. Ils ne voulaient pas comprendre. Ils réfutaient tout ce que Rose pouvait leur confier. Alors elle n’osait plus vraiment, du coup la communication était rompu entre elles. De ce fait, Rose avait toujours l’impression que ses parents préféraient Nina, car elle avait été toujours plus simple à gérer. « Comme je te le disais, j’ai mal dormi. J’ai fait de mauvais rêves. Encore. » dit-elle en insistant sur le "encore". Elle lança ensuite un regard lourd de sens à sa génitrice. Elle savait de quoi Rose parlait. Mais Rose ne le disait jamais vraiment clairement. Et de toute façon ses parents étaient des pro pour tout simplement changer de sujet…

Parfois Rose se demandait si elle ne faisait pas une montagne de pas grand chose. Comme maintenant par exemple. Elle avait décidé de parler à sa mère de son état de santé, de ce qui l’avait conduit à ne pas aller à sa répétition d’aujourd’hui. Sa mère lui demandait d’être forte, demain était un autre jour pour elle, et à son humble avis Rose manquait simplement de courage. Bien évidemment, Rose s’était vexée. Elle avait l’impression d’être la fille la plus chiante de la Terre et que ses parents en avaient marre de ses petits états d’âme. Pourtant, ses parents n’étaient pas réunis, ils ne pouvaient donc pas se lancer des regards gênés, ou bien dire des choses que l’autre s’empressait d’appuyer comme s’ils avaient longuement réfléchi à ce qu’ils pouvaient bien répondre à la jeune femme. En parlant à ses parents séparément, Rose pensait avoir une chance de faire évoluer les choses. Malheureusement, il y a quelques semaines elle avait déjà essayé avec son père, mais rien à faire. Aujourd’hui, rebelote avec Natalia. Ses parents étaient pires qu’elle ; impénétrables.

Toutes les deux venaient de finir de ranger les courses. Alors Rose d’un ton plus doux avait fait part de ses cauchemars à sa mère. La réponse qu’elle obtint bien que très attentionnée ne satisfaisait pas du tout Rose. Loin de là même. Comment ça Rose se prenait trop la tête ? Si sa mère essayait de la baratiner avec son charabia scientifique ça n’allait pas prendre. « Mais comment tu veux que je n’y pense pas ? » elle voulait montrer à sa mère qu’elle était totalement impuissante, qu’elle ne contrôlait rien. Elle ne pouvait rien y faire et se posait beaucoup de questions. Si seulement ses parents pouvaient l’aider un peu. Sa mère avait maintenant pris un livre de recette alors que Rose continuait de la fixer pendant que celle-ci parcourait les pages. « J’aimerai aller de l’avant moi aussi, mais pour cela tu penses pas qu’il faut… » elle essayait de trouver ses mots. De ne pas dire des choses qui feraient que sa mère mette un terme à leur conversation. « Apprendre à se connaître d’abord. » finit-elle par dire d’un ton neutre.

Natalia était extrêmement douée pour changer de discussion ou pour faire comme si de rien n’était. Si quelqu’un les avait observé à travers la fenêtre on aurait pu croire que tout était normal, que Natalia regardait son livre de recette, demandant sans doute à sa fille ce qu’elle désirait manger. La réalité était toute autre. Rose essayait de percer certains mystères, ou plutôt certaines questions auxquelles ses parents se refusaient de répondre. Rose avait donc décidé d’aborder le problème d’une autre manière. En essayant de recentrer la question uniquement sur elle. Elle voulait apprendre à se connaître elle. Pour pouvoir mieux se comprendre. Mieux s’apprivoiser. C’était une façon de grandir à ses yeux. Tant qu’elle ne comprendrait pas tout, elle n’avait pas l’impression de pouvoir un jour avoir le sentiment d’être pleinement épanouie. Pourtant elle avait tout pour ça, une famille aimante, un petit copain parfait, un métier qui lui plaisait. Peut-être que seule l’indépendance lui manquait, mais elle n’arrivait pas à l’acquérir car certaines choses la bloquait totalement.

Quand elle vit sa mère subitement relever les yeux vers à son annonce, Rose eut peur d’avoir encore dit quelque chose qui ne fallait pas. Toutefois, elle fut surprise de constater que sa mère posait sur elle un tendre regard. Quand Natalia répondit à sa fille, la joie de Rose retomba comme un soufflet. Sa mère l’avait mal comprise. Son intention était purement égoïste, Rose désirait se redécouvrir seule. Elle n’avait pas un seul instant pensé à sa mère ou à sa sœur. Malgré tout voir sa mère la regarder ainsi lui faisait plaisir. Cela changeait de d’habitude. « Je… Euh… Oui évidemment ça me ferait plaisir aussi Maman. » comment faire basculer la nouvelle conversation sur le sujet qui intéressait vraiment Rose sans blesser sa mère désormais ? Totalement impossible, et même Rose n’avait pas le cœur à gâcher cet instant même s’il n’avait pas été provoqué de façon intentionnel. « On pourrait peut-être s’organiser un déjeuner entre filles ? Tu veux qu’Esperenza et Evane se joignent à nous ? »