Ce jour là, Lucy avait fini son travail chez les Wainwright plus tôt que d'habitude, et elle n'avait pas de cours à donner au jeune Balthazar. Elle en profita pour faire une virée en ville, bien couverte. Elle avait repéré un petit disquaire à l'entrée du centre commercial, lors de sa virée shopping avec Ginny quelques jours plus tôt. Elle s'y rendit donc, à pieds, avec enthousiasme. Une fois à l'intérieur, elle traîna du côté des vinyles. Cela lui rappelait la maison de ses grands parents maternels, en France, ils avaient un vieux tourne disque, et écoutaient des vieilles chansons françaises, dont elle ne comprenait pas les paroles mais qui lui semblaient si mélodieuses... Elle se dirigea ensuite avec appréhension du côté réservé aux musiciens. Elle flana au milieu des étagères et étalages remplis de livrets d'entrainements, de partition... Cela la ramena de nombreuses années auparavant, lorsqu'elle jouait encore du piano. Aujourd'hui, son seul rapport à cet instrument étaient les heures où elle accompagnait Satine dans le salon des Wainwright et lui tournait les pages.

Alors qu'elle feuilletait la partition d'un morceau de jazz, la porte d'entrée du magasin s'ouvrit et laissa entrer une jeune fille aux longs cheveux bruns et aux yeux foncés, de l'âge de Lucy. A partir du moment où cette dernière posa les yeux sur elle, elle ne put les en détacher. C'était une étrange sensation, Lucy avait l'impression de connaître l'arrivante. Mais elle ne savait pas d'où cela lui venait. Elle tenta de se rappeler où elle aurait pu lui parler, ou seulement l'apercevoir ; en vain. Lorsque le regard de l'inconnue croisa le sien, Lucy baissa subitement les yeux, et reprit sa lecture, perturbée. Elle levait les yeux de temps en temps à la recherche de la petite brune. Une fois, elle ne la trouvait plus, et se demandait où est ce qu'elle avait bien pu passer. C'est alors qu'elle entendit un bruit de papier derrière elle. Elle se retourna, et elle était là, juste derrière elle, le nez dans les CDs de classique. Lucy se figea et la dévisagea ouvertement, n'ayant pas la force de résister. Cette fille ne lui était décidément pas inconnue.

Rose venait de finir sa répétition et avait décidé de passer au centre commercial pour acheter de nouvelles partitions. En ce moment elle n’avait plus eu beaucoup le temps de jouer pour elle. Elle s’investissait corps et âme dans son orchestre qui lui permettait de mettre de l’argent de côté. Elle voyait on désire de quitter MC se rapprocher de jour en jour et ni son père ni sa mère ne pourrait l’en empêcher. Depuis quelques semaines elle avait remarqué à l’entrée du centre commercial un petit magasin de musique, discret, mais vraiment charmant. Du moins à chaque fois que Rose s’y promenait elle achetait toujours quelque chose. Aujourd’hui, elle était venue pour un but précis. C’est de bonne humeur qu’elle franchit les portes de la petite boutique. Commençant à faire le tour, rien que pour regarder et apprécier de voir des magasins de ce type encore d’actualité. Ça changeait des grands magasins qui ne vendaient rien d’autres que des trucs commerciaux ; de la merde en CD en somme.

Bien vite, la jeune femme se retrouva dans le rayon destiné aux musiciens. Elle commença à parcourir les partitions à la recherche d’un morceau qui célébrerait la joie. Elle était d’humeur à animer sa maison ce soir, et jouer à sa famille un nouveau morceau permettrait sans doute de détendre l’atmosphère. Elle commençait à farfouiller partout, quand elle aperçut dans le rayon présumé désert une autre jeune femme qui l’avait fixé drôlement. Rose devait-elle comprendre qu’elles se connaissaient ? Parfois Rose se sentait mal à l’aise, comme tout le monde le savait qu’elle n’avait pas vraiment une bonne mémoire. Néanmoins, elle décida que ça devait être sa paranoïa ambiante qui prenait le dessus. Décidant de continuer son shopping, Rose trouva enfin son bonheur. Elle décida donc d’aller au rayon des Cds de musique classique histoire de voir si elle ne pouvait pas ajouter quelque chose à sa collection déjà gargantuesque. La jeune fille brune s’y trouvait encore et dévisagea une nouvelle fois Rose. Celle-ci pouvait presque s’en offusquer, mais peut-être l’avait-elle vu jouer un jour. « Excuse moi, tu sais où sont les disques de Chopin ? » volontairement, Rose avait voulu engager la conversation. Elle voulait savoir pourquoi cette fille la regardait comme ça. Peut-être qu’elle était tout simplement timide de lui confier l’avoir vu jouer, et maintenant que Rose avait pris les devants elle aurait une bonne surprise.

Excuse moi, tu sais où sont les disques de Chopin ?

Sa question la fit sursauter, elle ne s'attendait vraiment pas à ce que la jeune fille lui adresse la parole ! Elle se tourna donc vers elle, un CD à la main et resta muette quelques instants. Puis, elle montra finalement du doigt l'étagère juste à côté.

Il me semble que c'est par là.

L'inconnue la fixait étrangement, un peu de la façon dont Lucy la fixait elle même à son entrée dans le magasin. Etait il possible que les impressions de Lucy soient justes ? Qu'elles se soient déjà rencontrées ? Cela semblait absurde... mais après tout, Lucy avait quitté la ville à ses 9 ans, peut être s'étaient elles connues avant... En plus de cela, elles devaient avoir quasiment le même âge... Etrange. La voix de la jeune fille en face d'elle ne lui semblait pas inconnue non plus. C'était vraiment bizarre, tout ça. Lucy lâcha le regard de la brune et remit le nez dans le bac à CDs, gênée. Son cerveau fonctionnait à toute allure, à la recherche d'éléments qui pourraient lui rendre la mémoire. Finalement, quelque chose d'essentiel lui revint en tête: cette jeune fille, du même âge qu'elle, de la même ville qu'elle, se trouvait dans ce magasin de musique, dans le coin réservé aux musiciens. Bingo !

Lucy fit volte face et aperçut la jeune fille à quelques mètres d'elle, près de l'étagère indiquée. Elle la rejoignit, inspira profondément, et parla.

Excuse moi, est ce que tu faisais du piano quand tu étais plus jeune ? Vers les 7 ou 8 ans ? ... Cela peut paraître étrange, mais je suis certaine de t'avoir déjà vue, et pourtant je ne suis pas revenue ici pendant dix ans.

Rose avait d’abord engagé la conversation. Depuis qu’elle était entrée, la jeune VV avait bien senti qu’un truc bizarre se tramait. Elle ne pouvait dire quoi, mais elle était bien décidée à le découvrir. Elle n’aimait pas que les mystères de sa vie restent non résolus. Elle vivait ça quasiment quotidiennement, alors quand elle pouvait y mettre un terme, elle le faisait. Affichant un sourire, Rose attendait que la jeune femme lui réponde. Elle semblait surprise que Rose s’adresse à elle. Peut-être que finalement Rose s’était trompée et qu’elle ne la connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Lui indiquant l’endroit où les CDs pouvaient se trouver, Rose se retourna légèrement afin de voir l’endroit que la jeune demoiselle lui indiquait. « Merci. » répondit-elle donc brièvement. L’inconnue semblait être tendue, nerveuse. Surtout quand Rose lui avait adressé la parole. Mais elle lui avait simplement répondu. C’était donc qu’elles ne se connaissaient pas. Rose fit donc demi tour quand elle entendit que la jeune femme la rappelait.

Rose se tourna vers elle. A sa grande surprise la jeune femme lui demandait bel et bien si elle jouait du piano. Rose en faisait depuis son plus jeune âge. Elle avait donc vu juste. « Euh oui je fais du piano depuis super longtemps. » c’était un peu bizarre de lui poser cette question. Cependant, Rose était bien contente de ne pas être totalement folle ; c’était bien pour une raison particulière que cette jeune femme la fixait depuis tout à l’heure. « Je participais à pas mal de concours quand j’étais plus jeune. Peut-être qu’on s’est connues là-bas ? » Rose haussa les épaules, elle n’avait pas vraiment d’explication, mais si tel était le cas elle était bien contente de retrouver une de ses anciennes rivales. « Je m’appelle Rose. Et toi ? » demanda-t-elle ayant vraiment l’envie d’être amicale pour une fois. En plus cette fille avait de bons goûts musicaux. Bon point.

Lucy avait donc vu juste: cette fille jouait du piano, elles en avaient peut être fait ensemble ? Ou bien elles avaient participé à un concours commun ? Cela la turlupinait vraiment, sans en connaître véritablement la raison. C'est pourquoi elle ne prit pas tout de suite la peine de lui répondre.

Philadelphie ? 1997 ?

L'autre fit non de la tête, cela ne lui disait rien. Ou bien alors...

Boston ? Février 1998 ?

Lucy se souvenait des dates de ses concours par coeur, et particulièrement de celui là, puisque c'était son dernier. Cette fois ci, son interlocutrice -Rose, puisque c'était son prénom- acquiesça en souriant. Bingo ! Lucy sembla soudain se remémorer la question de son interlocutrice.

Lucy, je m'appelle Lucy Roberts ! lui dit elle avec un sourire.

Rose... cela lui disait quelque chose, elles s'était nécessairement rencontrées à un moment donné... C'était une sensation très énervante. Vous savez, comme quand on cherche quelque chose que l'on est sûr de connaître mais dont on arrive pas à se souvenir exactement. C'est là, mais ça fuit. Sur le bout de langue comme on dit. Et bien, le souvenir de Rose, c'était exactement ça ! Lucy attendait avec impatience que la jeune fille lui parla de ce fameux concours de piano à Boston.

Rose était intriguée, elle observait la jeune fille de haut en bas, et se demandait si finalement son visage ne lui était pas familier. Brune, le visage souriant, euh là non, elle ne voyait pas. Et pourtant quand elle commença à parler de piano, Rose s’imagina la jeune femme avec quelques années en moins. Oui, son visage lui devenait de plus en plus familier. La mémoire de Rose travaillait, à son rythme. Puis, la fille lui proposa des dates, des dates de concours. Philadelphie 1997 ? Non, elle n’y avait jamais mis les pieds pour jouer. Elle fit donc non de la tête, toujours très pensive. Boston 1998 ? Après un temps, Rose fit oui. Doucement, elle remettait en place les évènements. Rose se souvenait de tous les concours auquel elle avait participé. Elle avait gagné en avait gagné la majeure partie ; et pour cause depuis toute petite Rose se mettait la pression pour être au top. Malheureusement parfois, elle rencontrait des difficultés pour se concentrer, de ce fait le résultat sur sa musique se faisait sentir. Celui-là en revanche elle s’en souvenait ; elle l’avait remporté haut la main.

Néanmoins la jeune femme se présenta enfin, elle s’appelait Lucy. Ça ne disait rien à Rose, mais définitivement son visage lui rappelait quelque chose. Elle n’aurait pas su dire quoi, mais selon toute vraisemblance elles s’étaient déjà rencontrées. « Lucy ? » dit-elle plus pour elle-même qu’autre chose. « Tu as participé aussi ? » lui demanda-t-elle amicalement. « Je ne me souviens plus très bien, ça fait tellement longtemps. La seule chose que je me rappelle c’est d’avoir raflé le prix. » dit-elle dans un petit rire. D’accord, Rose se ventait aussi légèrement, mais elle avait besoin d’être flatté, si personne ne le faisait pour elle, elle le ferait seule. Ça ne lui posait aucun problème. Et puis, sans doute Lucy lui ferait quelque compliment. Après tout elle avait été la grande gagnante cet hiver là.

Lucy lui sourit, soulagée d'avoir enfin trouvé comment elles avaient pu se rencontrer auparavant. Lucy se souvenait particulièrement de ce concours à Boston, lorsqu'elle avait 8 ans. Son échec avait signé la fin de sa très courte carrière de pianiste. Un douloureux souvenir. Lorsque Rose lui demanda si elle y avait participé elle aussi, elle acquiesça. Mais lorsqu'elle lui dit que c'était elle, qui l'avait emporté, elle fronça les sourcils. C'est donc pour cela qu'elle se souvenait d'elle ! La môme à couettes et robe bordeaux, prétentieuse au possible et lèche botte, c'était elle ! Lucy grinça des dents, elle commençait à regretter de lui avoir adressé la parole. Il allait falloir poursuivre la discussion, raviver des souvenirs, poser des questions gênantes. Lucy s'attendait à "est ce que tu joues encore ?" à laquelle il allait falloir répondre "non, j'ai arrêté", et supporter le regard hautain et satisfait de son interlocutrice. Berk, hors de question. Mais Lucy était loin d'être quelqu'un de malpoli, alors elle lui sourit, à contrecoeur. Elle voyait bien que Rose attendait quelques compliments, mais Lucy ne lui ferait pas ce plaisir. Elle décida de changer de sujet.

Alors comme ça, tu es toujours à Magnolia Cresent ? Tu fais quoi maintenant ?

Elle prit un ton léger et insouciant, pour ne pas éveiller les soupcçons de sa rancoeur. Lucy avait bon caractère, mais elle était rancunière. Bien que cette histoire de concours de piano pour enfants remontait à loin, elle n'avait toujours pas digéré. Et elle regrettait encore amèrement de ne pas avoir fait mieux, de ne pas avoir pu poursuivre le piano. Cela avait été son premier échec, la première déception de ses proches, et surtout sa première honte infligée par son professeur de piano.

Grâce à Lucy, les deux jeunes femmes savaient désormais qu’elles se connaissaient. Enfin, qu’elles s’étaient déjà rencontrées du moins. Bizarrement, Rose était super contente de retrouver une de ses anciennes rivales. Surtout qu’elle avait la satisfaction d’avoir gagner ce prix là, et c’était sans doute pour cela que Lucy se souvenait encore d’elle. Au moins, elle savait qu’une habitante de Magnolia partageait sa passion et ses goûts en matière de musique, ce qui n’était pas chose commune ici. Bien évidemment, Rose avait dû se vanter d’avoir gagner, elle voulait voir quelle réaction allait avoir Lucy. Surprise, celle-ci décida carrément de changer de sujet, elle partait maintenant sur des banalités.

Très bien, Rose aussi était curieuse de savoir comment Lucy avait pu atterrir dans un endroit aussi perdu que Magnolia Cresent. « J’y vis depuis huit ou neuf ans maintenant. » elle se rappelait encore son emménagement ici, et le fait que cela avait pas mal changé sa façon de se comporter avec les autres. Avant Magnolia Cresent, Rose n’était qu’une fille un peu bizarre qui jouait du piano et du violon. « Je suis dans un orchestre. Et oui, je n’ai jamais pu arrêter la musique. » dit-elle en riant légèrement. La musique était la seule chose qui lui faisait du bien. C’était une des rares choses qui avaient une influence positive sur elle. Ça avait le don de la calmer de toutes angoisses et de toutes les questions qu’elle pouvait se poser. « Et toi ? Tu vis ici ? » question qui pouvait paraître surprenante, mais Rose pensait connaître au moins de vue toutes les personnes qui trainaient dans le coin. Or celle de Lucy ne lui disait rien. Elle pouvait aussi être passée à côté, et c’était bien dommage, car Rose en était presque sure, elles pouvaient devenir bonnes amies.

Lucy fut heureuse de voir que sa tentative pour changer de sujet avait fonctionné. Rose, à côté d'elle, lui apprit qu'elle avait emménagé à Magnolia Cresent moins de dix ans auparavant. C'était assez drôle de voir qu'elles s'étaient rencontrées à des kilomètres d'ici, et s'y étaient retrouvées par hasard, de nombreuses années plus tard. Elle ne fut pas étonnée d'apprendre que Rose jouait toujours du piano, et dans un orchestre. Elle avait de la chance d'avoir pu poursuivre, et progresser, c'était sa passion. Ensuite, elle lui demanda si elle vivait ici, à Magnolia.

Oui, depuis un an et demi, chez les Wainwright.

Il était étrange que Lucy et Rose ne se soient jamais croisées auparavant, depuis le temps qu'elles habitaient dans le même quartier. Mais Lucy ne sortaient pas énormément et ne faisaient pas particulièrement attention aux gens du voisinage. Son travail lui prenait pas mal de temps et elle se voyait mal traîner avec une bande d'amis alors qu'elle vivait chez ses employeurs. Distraitement, elle porta son attention sur le CD de Chopin qu'elle avait dans les mains, se demandant dpeuis combien de temps elle n'avait pas joué de morceau au piano. Elle releva le nez vers la brune et dit:

Je comptais aller m'acheter un café, si ça te dit...

Secrètement, Lucy espérait que Rose avait autre chose de prévu, et qu'elle ne serait pas obligée de lui faire la discussion. Mais Lucy était polie, et ne savait pas vraiment comment prendre congé de son interlocutrice. C'était idiot, en soi, parce que Rose avait l'air d'être une jeune fille très sympathique. Elles auraient très bien pu être amies. Mais pour cela, Lucy devrait mettre de côté son égo, et cela lui était difficile. C'est pourquoi elle décida de laisser le Destin choisir: si Rose venait prendre un café avec elle, elle lui laisserait une chance, mais si Rose avait autre chose à faire, elle resterait la gamine douée et imbue d'elle même de ses souvenirs. La balle était dans son camp.

Alors comme ça Lucy vivait chez les Wainwright. Comment ne pas connaître Satine, la fameuse musicienne. Rose l’enviait un peu, quand même. Cependant elle devait bien reconnaître qu’elle avait un talent de folie. Par ailleurs, elle avait sensiblement le même caractère que Rose. Sur certains points elle se retrouvait totalement en Satine. Malheureusement Rose n’avait pas eut la chance d’avoir une famille de musiciens, une famille qui s’intéresse et qui la pousse à 1000% de son talent. Ceci expliquait que Satine ait une vraie carrière alors que Rose se retrouvait à jouer dans un orchestre. Attention, Rose ne se plaignait absolument pas de sa condition. Elle savait pourquoi elle se trouvait là où elle se trouvait aujourd’hui. « Ah… » répondit-elle légèrement sur la défensive. Recevoir une formation de la part des Wainwright était une chose exceptionnelle, que beaucoup de musicien aurait tué pour avoir. Elle se perdit dans ses pensées, et n’avait rien répondu de plus à Lucy.

Puis, celle-ci lui proposa d’aller prendre un café. « Je n’ai rien de prévu, alors pourquoi pas. Juste un instant que je règle mes achats. » dit-elle en souriant faiblement. Elle quitta donc Lucy quelques instants pour payer ses partitions. Tant pis pour le disque de Chopin, elle reviendrait plus tard. Quelques instants plus tard elle retourna vers Lucy et sortir du magasin de musique en sa compagnie. Elle marcha en direction d’un petit café qui se situait au même étage de la gallérie commerciale. « J’en conclus donc que tu as poursuivi la musique toi aussi. » demanda Rose alors qu’un silence c’était installé entre les deux jeunes femmes. Elle s’empressa d’ajouter : « Puisque tu vis chez les Wainwright. » Peut-être que Satine l’avait prise sous son aile, car elle était devenue une virtuose ou quelque chose dans le genre. Rose était suspicieuse, d’un côté sa fierté lui sommait de ne pas se faire de mal et d’ignorer tout le talent que pouvait avoir Lucy, et d’un autre côté sa curiosité la poussait à questionner Lucy. C’était un cercle vicieux.

Le Destin avait parlé - ou plutôt Rose avait parlé: il fallait lui laisser une chance. Lucy attendit que la jeune fille fit ses achats, et elles sortirent toutes deux du magasin, à la recherche d'un café. Il se trouvait qu'il y en avait un à quelques mètres de là, et elles s'y dirigèrent. Lucy ne savait pas quoi lui dire, et elle fut presque soulagée lorsque Rose prit la parole:

J’en conclus donc que tu as poursuivi la musique toi aussi... Puisque tu vis chez les Wainwright.

Lucy déglutit. Le sujet sensible avait finalement été abordé. Elle tenta de prendre un air décontracté et répondit avec un sourire:

Non, à vrai dire j'ai arrêté il y a longtemps...

Sans attendre la réponse de Rose, elle se dirigea vers le serveur et commanda un café mocha, puis se tourna vers Rose:

Tu veux quoi ?

Après avoir commandé, elles allèrent s'installer à une petite table en hauteur, à côté d'une baie vitrée donnant sur le passage. Les deux jeunes filles discutèrent, et Lucy se décontracta de plus en plus. Finalement, cette épreuve n'était pas si difficile que ça, et Rose lui apparaissait de plus en plus sympathique... tant qu'elle évitait le sujet piano. Mais Lucy savait bien qu'elle n'y échapperait pas pour longtemps: Rose semblait avoir très envie de parler des Wainwright. Cela se comprenait, c'était une famille de grands pianistes, et la jeune fille devait certainement en être un peu jalouse.

Rose devenait de plus en plus curieuse avec Lucy. Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes d’interroger les gens de la sorte. Elle espérait que Lucy ne la prenne pas pour une espèce de fouineuse ; elle se montrait simplement intéressée. En même temps la famille Wainwrigth ne pouvait que la fasciner d’une certaine manière. Elle voulait maintenant savoir ce que Lucy faisait chez la famille. Elle se posait pas mal de question et devait limite se retenir pour ne pas les poser toute d’un coup. Qu’elle ne fut pas sa surprise d’apprendre qu’en fait Lucy ne jouait plus de piano. Elle voulut enchainer directement sur une autre question mais elle n’eut pas le temps ; elles arrivaient déjà au café. Lucy passa commande, et demanda ce que Rose voulait. « Un américano. » répondit-elle en passant commande. Les deux jeunes femmes allèrent ensuite s’installer à une table en hauteur. La vue était plutôt originale ; Lucy avait fait le bon choix en choisissant cette table.

Elles commencèrent à discuter de tout et de rien, notamment de musique, mais en restant le plus abstrait possible, c’est-à-dire en ne parlant pas de leurs expériences personnelles. Lucy était cool, vraiment. Et pourtant il restait toujours une question en suspend. Bien évidemment, ce n’était pas le genre de Rose de lâcher le morceau. « Au fait, tu m’as dit ne plus faire du piano. Pourquoi arrêter ? » demanda-t-elle comme si cette question était la plus outrageuse du monde. Rose ne s’imaginait pas survivre sans cette passion qui l’animait chaque jour. « Tu joues d’un autre instrument peut-être ? Je dois bien t ‘avouer que je joue plus du violon que du piano maintenant. » elle lui fit un sourire et but une nouvelle gorgée de son café. A vrai dire le piano avait été un bon moyen pour progresser au violon. Cet instrument était tellement difficile à manœuvrer que le professeur de musique de Rose avait recommandé d’apprendre à jouer d’un autre instrument. Finalement, Rose n’avait pas pu lâcher le violon, elle était littéralement sous le charme. Alors elle avait appris à jouer du piano, et s’en sortait très bien, mais son seul et unique amour restait le violon.

Cela faisait un bon moment que les deux jeunes filles papotaient autour de leur boisson chaude. Lucy, frileuse de nature, avait fini par retirer son écharpe, mais gardait ses deux mains plaquées autour de la tasse chaude. Et puis finalement, le sujet piano refit apparition, entre deux gorgées, comme ça. Lui qui s'était si bien planqué pendant une dizaine de minutes s'était faufilé et avait été remis sur le tapis. Lorsque Rose posa sa question, Lucy tiqua. C'était nerveux. Elle reposa lentement sa tasse et passa sa langue sur ses lèvres, cherchant ses mots.

Bah... j'ai déménagé en France, et je n'ai pas eu l'occasion de m'y remettre, en fait.

Elle avait prononcé ces paroles en haussant les épaules, l'air de rien. Après tout, pourquoi en faire une affaire d'Etat ? Il était légitime que Rose se pose la question.

Et non, je n'ai rien joué d'autre, dit elle avec un sourire. Tu ne fais que du piano, toi ?

Lucy était en train de comprendre que pour Rose, la musique était bien plus qu'un passe temps, qu'un loisir. Elle y attachait énormément d'importance, cela lui sautait aux yeux. Elle en vint à se demander quels rapports elle entretenait avec l'aînée des Wainwright, elles avaient forcément du se cotoyer ! Lucy se promit d'aborder le sujet à un moment ou à un autre de leur conversation.

Rose ne pensait pas qu’elle allait mettre mal à l’aise la jeune femme en lui posant cette question. Et pourtant, elle aurait juré que Lucy avait tiqué. Comme si Rose venait de toucher un point sensible. Elle venait simplement de lui demander ce qui l’avait poussée à arrêter le piano, elle ne venait pas de lui poser une question intime. Heureusement, Lucy lui donna quand même une réponse. Apparemment elle avait dû arrêter la musique parce qu’elle avait déménagé en France. Ce demandant d’abord le lien logique entre les deux évènements, Rose mit un instant à comprendre que Lucy venait de parler de la France ; pays que Rose avait pris en admiration depuis qu’elle y avait passé des vacances l’année dernière à Paris. Se remémorant ses souvenirs si délicieux ; il faut préciser qu’elle était partie en compagnie de son cher et tendre Bryan, Rose oublia un instant que Lucy venait de lui retourner la question. Fait étrange, Rose pensait avoir déjà répondu à cette question quelques minutes auparavant. Peut-être que Lucy ne l’avait pas entendue après tout. « Euh, je joue du violon maintenant. C’est même mon métier, je joue dans un orchestre depuis quelque mois. » précisa-t-elle. Elle était plutôt fière d’avoir terminé ses études de musicologie et d’avoir trouvé cette place dans cet orchestre. Surtout que grâce à lui, elle partait souvent en voyage. Elle pouvait ainsi quitter Magnolia et ses fous qui vivaient en son sein. D’ailleurs dans deux semaines elle devait se produire à Philadelphie. Bien évidemment elle n’avait pas la carrière de Satine à son actif, et sans doute que Lucy allait trouver qu’elle faisait bien pâle figure à côté de son employeuse. Toutefois Rose était très fière de son parcours qui ne s’était pas fait sans embuche.

« Tu as vécu longtemps en France ? » demanda finalement Rose qui but la gorgée de café qui lui restait. Plus elle parlait avec Lucy plus elle trouvait cette fille intéressante, du moins différentes des autres personnes qui vivaient ici. Elle semblait avoir un passé, une histoire.

Lorsque Rose lui répéta une deuxième fois qu'elle jouait du violon, Lucy comprit sa maladresse. Elle secoua la tête en riant un peu l'air de dire "excuse moi, je suis bête tu viens de le dire", et l'écouta. Elle apprit que Rose, non seulement était musicienne, mais que c'était aussi son métier ! Quel bonheur de pouvoir vivre de sa passion.

Un orchestre, c'est super ! Tu es souvent en déplacement alors ?

Lucy ne pouvait s'empêcher de comparer Rose à Satine. Puisque cette dernière était souvent loin de Magnolia pour ses concerts, elle s'imaginait que Rose et son orchestre faisaient la même chose. En tout cas, la jeune fille semblait heureuse de ce qu'elle faisait, et cela plut à Lucy. Elle aimait les gens passionnés. Et puis, Rose se mit à lui parler de la France:

Tu as vécu longtemps en France ?

Au nom de son pays d'adoption, Lucy sourit. Ah la France, ah Paris ! elle y songeait tout le temps, elle en rêvait même. Parfois elle se demandait elle avait choisi de tout quitter pour revenir ici.

Et bien, je suis partie de Magnolia à 9 ans, et je suis revenue dans le coin à 19 ! Donc si on calcule, j'ai passé 10 ans en France, à Paris.

Elle était heureuse que Rose aborde ce sujet là. Elle aimait beaucoup parler de sa vie en France, de cette magnifique ville qu'est Paris. Elle aurait pu en parler des heures, à n'importe qui, n'importe quand.

Pour son plus grand bonheur, Lucy fut très enthousiaste lorsque Rose lui fit par de sa nouvelle carrière au sein de son orchestre. Et pourtant, Lucy avait l’habitude de côtoyer Satine, la fille qui partait à l’autre bout du monde pour avoir la chance jouer un morceau de piano. Comment ça Rose était jalouse ? Juste un petit peu (a). Certes elle était fière de pouvoir vivre de son métier, mais ça ne voulait pas pour autant dire que la vie de Satine ne lui donnait pas envie. D’ailleurs, elles avaient été très bonnes copines, mais très vite la carrière de Satine avait pris le dessus rendant Rose beaucoup trop jalouse et envieuse. Dès lors, leur relation avait pris un tournant un peu étrange ; sur le papier elles étaient toujours bonnes amies, mais en vérité, elles étaient plus hypocrites l’une envers l’autre qu’autre chose. Toutefois, Rose reconnaissait de bon cœur le talent de la jolie rousse. Elle était juste un peu agacée de ne pas avoir eut sa chance à elle aussi. Lucy semblait néanmoins impressionnée, ce qui flattait bien sûr la jeune violoniste. « Oui, d’ailleurs je joue à Philadelphie dans deux semaines. » une nouvelle fois elle se dit qu’un Satine n’aurait pas dit cela, mais plutôt quelque chose qui sonnait du genre "Oui, dans deux semaines je serais à Moscou". Mais ce n’était pas le moment de pester contre elle. C’était Lucy devant elle, et cette dernière n’avait strictement rien à voir avec toute la rancœur que Rose pouvait avoir.

Elle décida donc de changer de sujet pour parler de la France. Rose ne connaissait que Paris, mais elle avait désormais envie de visiter tout le pays. De se nourrir de baguette et de fromage pendant tout son séjour (oui, oui Rose est une Américaine moyenne). Lucy venait donc lui annoncer qu’elle avait passé plus de dix ans là-bas. Rose fut impressionnée. Après avoir passé quelques vacances à Paris elle n’avait pas eu - du tout - envie de rentrer. Alors que Lucy quitte cette vie pou revenir à Magnolia la dépassait. « Mais il fallait être fou pour ne pas rester là-bas ! » dit Rose dans un petit rire. « Pourquoi es-tu rentrée ? » elle avait en tête mille et unes questions. Mais préférait les poser petit à petit, de manière organisée. La pauvre Lucy, après la musique, Rose l’obligeait à parler de son adolescence. Comme quoi les rencontres sont parfois surprenantes.

Rose semblait ravie de pouvoir parler de son orchestre, cela se lisait dans ses yeux. Elle apprit à Lucy qu'elle jouait dans deux semaines à Philadelphie. Lucy assistait très rarement aux concerts de Satine. A vrai dire elle n'était venue qu'à un seul, à Philadelphie, là où elle rencontra un garçon nommé Noah.

Oh, c'est dans quelle salle ?

Après tout, des salles de concerts classiques, il ne devait pas y en avoir douze mille. Et puis la discussion se porta sur Paris, et la France. Chaque fois c'était la même chose. Les yeux dans le vague, elle repartait sur les lieux de son adolescence. Ce n'était pas la Tour Eiffel, Notre Dame, ou les Champs Elysées qui lui venaient en tête, mais plutôt le 10e arrondissement, leur appartement au 4e étage, la petite cour où elle jouait avec son frère et la voisine, l'établissement Bossuet où elle avait fait primaire, collège et lycée, le cinéma du quartier, la bibliothèque municipale, le square, l'Hpoital Saint Louis où elle s'était faite opérer de l'appendicite, sa première cuite au bar Cityvox, ses sorties en douce le soir pour retrouver ses amis... Son Paris à elle. Elle secoua la tête, retraversa l'océan Atlantique et posa les yeux sur Rose, assise à côté d'elle. Cette dernière ne semblait pas comprendre comment est ce que l'on pouvait quitter Paris pour le New Jersey. En effet, il fallait de sacrées bonnes raisons ! Oh mais j'en ai, des bonnes raisons, pensa Lucy.

J'ai grandi ici, avant de partir à Paris. Je suis Américaine avant tout, et je voulais revenir ici...

Mensonge. Lucy ne s'était jamais sentie "Américaine avant tout". C'est certainement ce qu'il y a de plus difficile, lorsque l'on est issue d'un métissage de culture. Père américain, mère française... et elle alors ? Elle était écartelée entre deux pays, deux langues, deux cultures. Une richesse incroyable, certes, elle en était consciente. Mais aussi beaucoup de questionnements. Elle aimait la France, son pays d'accueil, et elle voyait les Etats Unis comme la nation de tous les possibles. Lucy n'avait aucune idée de l'endroit où elle élèverait ses enfants. Seul l'avenir le lui dirait. En attendait, elle était à Magnolia, et comptait bien y rester.

Ce concert à Philadelphie occupait d’ailleurs tout l’emploi du temps de Rose. Ils allaient s’y produire le vendredi, le samedi et le dimanche soir et le chef d’orchestre leur mettait une pression monstre. S’ils faisaient un bon spectacle, il était possible qu’ils décrochent un nouveau contrat en Floride au mois d’Avril. Ils partiraient pour deux semaines au moins, et Rose avait bien besoin de cette bouffée d’air frais. Elle se préparait donc à fond, n’avait pas invité sa famille, ni même ses amis. Elle était beaucoup plus sereine ainsi. Si bien que lorsque Lucy lui demanda dans quelle salle Rose se produirait, elle resta interrogative. Elle n’en avait pas la moindre idée. Elle avait mis toute son énergie dans le concert, et aucune dans les détails techniques. Elle se sentit un peu ridicule sur le coup, mais bon c’était ainsi. « Oh, je ne sais plus vraiment. » se contenta-t-elle de répondre évasivement. Elle lui fit un sourire désolé.

Heureusement, elles venaient de changer de sujet, et Rose s’était prise d’intérêt pour la vie de la charmante Lucy. Découvrir qu’elle avait habité Paris pendant plus de dix ans l’avait vraiment impressionnée. Elle se rappelait maintenant tous les bons moments qu’elle avait passé avec Bryan. Comment ils s’étaient perdus dans le métro, la Tour Eiffel sous la neige, les longues balades sur les quais de Seine. Rose aimait l’ambiance de Paris, à la fois bobo et pourtant respirant la diversité culturelle. Quitter Paris lui avait déchiré le cœur, alors qu’elle n’y avait passé qu’une dizaine de jours, alors dix ans… Elle se voyait bien poser ses valises là-bas pus tard, et pourquoi pas intégrer l’opéra de Paris dans l’orchestre évidemment. Quand ils avaient été là-bas, il avait été impossible pour eux d’obtenir des places pour aller voir un ballet et Rose en avait été extrêmement déçue. Ecoutant les raisons de Lucy qui l’avait poussée à rentrer à Magnolia, elle hocha la tête, compréhensive. « Je comprends ce que tu veux dire. Moi-même j’ai différentes origines, et j’aimerai beaucoup les découvrir. » ce n’était pas nouveau, les VV avaient des tonnes d’origines diverses, plus personne n’y comprenait plus rien d’ailleurs, mais c’était ainsi. Ils venaient d’Ukraine, d’Italie et d’Espagne. « Paris ne te manque pas trop ? » demanda-t-elle buvant le peu de café qui restait dans sa tasse et lançant à Lucy un sourire bienveillant. Rencontrer une vraie Française à Magnolia, c’était vraiment incroyable. Rose comprenait maintenant pourquoi elle n’avait pas eu une mauvaise impression de la jeune femme, elle venait totalement d’un milieu différent.

Rose fut incapable de lui donner le nom de la salle de spectacle. Cela étonna Lucy, qui avait pourtant l'impression que ces concerts tenaient particulièrement à coeur à la jeune fille. Elle ne s'en formalisa pas.

Ah d'accord, il doit y en avoir pas mal de toute façon. Peu de chance que ce soit la même que celle de Satine.

Au fur et à mesure de la discussion, Lucy se prenait d'amitié pour la jeune fille. Elle en venait à oublier ses rancoeurs d'enfant. C'était surement parce qu'elle n'avait pas vraiment l'habitude que l'on s'intéresse à elle et ses petites histoires. Les gens de Magnolia qu'elle rencontrait, en général, se focalisait sur sa place dans la famille Wainwright. Cela l'agaçait légèrement, mais elle ne le laissait jamais paraître. La discrétion lui seyait à merveille.

Je comprends ce que tu veux dire. Moi-même j’ai différentes origines, et j’aimerais beaucoup les découvrir.
C'est vrai ? Tu viens d'où ?

Sa remarque avait piqué la curiosité de Lucy. Elle ne savait rien à propos de la jeune fille, bien qu'elles habitaient dans le même quartier. Etant donné que Lucy avait quand même pas mal discuté de son passé, elle se dit que poser cette question n'était pas trop indiscret. Du moins, elle l'espérait.

Paris ne te manque pas trop ? lui demanda finalement Rose avec un sourire.

Lucy resta muette quelques instants, ne sachant trop quoi répondre. Elle se posait cette question là chaque jour depuis son départ précipité de Paris. Elle joua avec sa tasse de chocolat, la faisait tourner sur elle même, et puis finit par répondre.

Je crois bien que si, c'est une ville extraordinaire. Ma vie d'avant me manque, mes parents, mon petit frère. Mais ne ce n'est pas pour autant que je regrette d'être partie... tu comprends ?

Elle releva les yeux vers elle en souriant. Elle espérait qu'elle comprenait.

En tout cas, si un jour tu en as l'occasion... et les moyens, va à Paris !

Heureusement, Lucy n’insista pas pour connaître la salle où allait se produire Rose. Elle doutait que ça soit la même que Satine. Si Rose avait pu elle aurait poussé un grand soupir de soulagement. Se retrouver à jouer dans la même salle que Satine aurait été l’horreur. A la place, elle cacha ses émotions, impénétrable, comme d’habitude. Elle préférait de loin afficher un sourire poli, quitte à paraître un peu louche. Ne pas laisser deviner ses émotions était son crédo. En plus, les jeunes femmes avaient enfin quitté le rayon musique, et s’intéressaient maintenant à la vie personnelle de chacune. Rose venait d’évoquer les différentes origines qui faisaient partie du patrimoine génétique de la famille Van Valkenburg. « Oh c’est compliqué. Mon père est ukrainien et quant à ma mère elle est italienne et espagnole. » d’ailleurs, Rose avait bien de la chance d’avoir pu aller dans chacun de ces pays, ne serait-ce que quelques jours. Enfin, elle avait passé quelques étés en Ukraine, et en Italie, mais c’est vrai que l’Espagne restait pour elle encore un grand mystère. Cependant, elle s’était promis avec Nina de découvrir un jour tous les dessous de sa famille. Cela passait par l’apprentissage de la langue, même si elle était déjà au point en ukrainien, ce n’était pas encore le cas de l’italien et de l’espagnol.

Finalement, Rose s’était intéressée à l’histoire de Lucy. Elle avait voulu savoir si Paris ne lui manquait pas trop. Quand Rose avait déménagé de Charlottesville, elle s’était sentie tellement bien, mais uniquement parce qu’elle n’appréciait pas sa vie là-bas. D’ailleurs, son arrivée à Magnolia coïncidait avec son changement radical d’attitude. De fille très réservée, elle était devenue une fille plus volage, notamment grâce à l’aide de sa meilleure amie Savannah. Mais cela pouvait se lire dans les yeux de Lucy, elle restait toujours attachée à cette magnifique ville. Elle confirma d’ailleurs les soupçons de Rose avec les paroles qu’elle prononça. C’était en fait sa famille qui lui manquait le plus. « Oui, je comprends ce que tu veux dire. Tu arrives à voir ta famille de temps en temps quand même ? » Rose était quoi que l’on puisse en penser une fille très attachée aux valeurs familiales. Même si tout n’était pas toujours parfait, évidemment… « J’y suis allée l’année dernière, pour le Nouvel An. Une amie nous a fait ce cadeau, et j’ai pu partir avec mon copain. » répondit Rose légèrement nostalgique de cette période. « C’était tout simplement magnifique. » fit-elle encore rêveuse.

Une fois le sujet musique laissé deux côtés, les deux jeunes filles abordèrent celui de leurs pays originaires. Après que Lucy ait parlé de Paris, Rose lui apprit qu'elle avait du sang ukrainien, italien et espagnol dans les veines.

Oh, tu es une vraie Européenne alors ! s'exclama la brunette avec un sourire.

Elle ne savait pas s'il était plus difficile d'avoir des traces de son passé dans trois pays différents et de vivre dans un seul (les Etats Unis), ou bien d'être écartelée entre deux pays et deux continents, comme elle même l'était. Dans tous les cas, c'était assurément une richesse, mais parfois aussi une faiblesse. Tout le monde le sait, il est difficile de savoir qui l'on est lorsque l'on ne sait pas d'où on vient.

J'adore l'Italie ! ajouta-t-elle, heureuse d'en parler. J'y suis allée trois fois, et j'apprends l'italien depuis mes 11 ans, ce qui était assez pratique.

Evidemment, elle ne prétendait pas connaître l'Italie sur le bout des doigts, mais c'était un pays qui lui plaisait énormément et auquel elle s'était toujours intéressée. Elle espérait avoir la chance d'y remettre les pieds rapidement. Et puis, Rose lui parla de sa famille, cherchant à savoir si elle les revoyait quand même.

Euhm, je ne les ai pas vus depuis Noël dernier.

Elle finit par lâcher cela vaguement, sans parler du fait que cela s'était mal passé et qu'elle n'était pas prête de retourner les voir pour le moment. Elle continuait à entretenir une relation "normale" qu'avec son petit frère de 10 ans, et elle se doutait qu'ainsi ses parents savaient que tout allait bien pour elle.

J’y suis allée l’année dernière, pour le Nouvel An. Une amie nous a fait ce cadeau, et j’ai pu partir avec mon copain. C’était tout simplement magnifique, dit Rose à propos de Paris, des étoiles dans les yeux.
Oh, c'est génial ! Pendant la périodes de fêtes en plus. Tu connais un peu alors !

Et oui, Rose était une vraie européenne alors qu’elle connaissait assez mal les pays dont elle était originaire. Etant petite, elle passait presque tous ses étés en Ukraine dans la famille de son père mais depuis quelques années elle y allait beaucoup moins. Elle acquiesça donc avec un léger rire quand Lucy lui dit cela. D’ailleurs il semblait que Lucy soit très contente de la partie Italienne de la jeune violoniste. Peut-être même qu’elle s’y connaissait mieux que Rose car elle n’avait jamais eu l’occasion d’approfondir ses connaissances dans la culture et la langue italienne, même si elle avait quelques bases d’italiens, notamment grâce à sa mère mais aussi à quelques cours qu’elle avait pris au lycée ! « Vero parli italiano ? » s’exclama-t-elle dans sa langue maternelle. Malheureusement le vocabulaire de Rose se limitait à peu près à cela. Lorenzo avait bien tenté de lui apprendre quelques mots en plus, mais depuis qu’elle ne le voyait plus elle n’avait aucune façon de s’entrainer et de pratiquer. De ce fait elle avait perdu quand même beaucoup car chez elle, on ne parlait souvent qu’anglais, et parfois pour se taquiner Nina et Rose parlait un peu ukrainien.

Lucy semblait d’ailleurs se refermer un peu quand on abordait le sujet de sa famille. Rose n’avait pas envie d’insister. Elle ne se permettrait pas de mettre Lucy mal à l’aise alors qu’elle était vraiment sympa. Rose n’avait pas beaucoup d’amies, alors si Lucy était potentiellement quelqu’un qu’elle pourrait ranger dans cette case elle n’allait pas risquer de tout gâcher ! Ainsi, elle avait parlé d’elle, et de son voyage avec Bryan. « Oui c’était dingue. Je n’aurais même pas de mot pour te raconter. En tout cas, je suis tombée sous le charme de la ville. Et pourtant on n’a pas eu le temps de tout voir. » Rose avait toujours des étoiles plein les yeux quand elle y repensait. C’était idiot, mais ce cadeau l’avait marquée à vie. « Mais bon, tu as dû beaucoup voyager toi aussi avec les concerts de Satine. » finalement la musique revenait toujours dans la tête de Rose, impossible autrement.

Rose était donc issue d'un métissage plus qu'intéressant ! Cela plaisait beaucoup à Lucy, qui se mit à rire en l'entendant parler italien. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas mis les pieds en Italie, ni même prononcé un mot en cette langue ! Elle réfléchit un instant avant de lui répondre.

Si, amo molto l'italiano ! Ma non parlo più adesso...

Elle lui fit un grand sourire, peu sûre de sa reponse. il était tout à fait possible qu'elle ait fait des fautes, mais bon, Rose ne semblait pas très calée elle non plus ! Les deux langues que maîtrisait Lucy à la perfection étaient l'anglais et le français. Le plus drôle là dedans était qu'elle parlait anglais avec un léger accent français, et français avec un léger accent anglais... ou plutôt américain.

Rose lâcha rapidement le sujet "famille", au plus grand bonheur de Lucy, pour parler de Paris. Lucy apprit qu'elle y était allée pour le Nouvel An avec son petit ami. Elle n'avait aucune idée de qui il pouvait s'agir... peut être était il musicien ? Intérieurement, Lucy était heureuse et fière que sa jolie ville ait plu à Rose. Paris est un fantasme pour les touristes, mais une réalité pour la petite brune. Malgré tout, elle n'a jamais cessé d'aimer cette ville. Elle avait eu envie de s'en aller et n'avait pas regretté son choix un instant, mais même s'il lui arrivait de péter des câbles à cause de tous ces touristes, de toute cette masse, de toute cette indifférence, Paris lui manquait parfois atrocement.

Mais bon, tu as dû beaucoup voyager toi aussi avec les concerts de Satine, lui dit finalement Rose.
Non, en fait je vais rarement à ses concerts... répondit Lucy, laissant la fin de sa phrase flotter dans le vide, entre les odeurs de café et de cuir.

Parler italien lui rappelait des souvenirs, même si elle avait mis quelques moments à se rappeler les mots. Lucy lui fit un grand sourire, et mit à son tour un petit moment pour lui répondre en italien. Comme bien des personnes, Rose comprenait mieux la langue qu’elle ne la parlait, mais elle fut heureuse que Lucy se prête au jeu. « Je ne saurais pas t’en dire plus malheureusement. » répondit-elle un peu désolée. Toutefois ce petit interlude lui avait donné envie de s’y remettre sincèrement. Une fois rentrée chez elle, elle demanderait à sa mère de lui parler un peu plus dans sa langue pour qu’elle puisse retrouver un niveau convenable. Après tout, ça ne devait pas être si dur pour elle, c’était dans ses veines.

Les deux filles évoquaient maintenant les origines de Lucy, et plus précisément la ville qui l’avait vu grandir : Paris. Rose venait de lui raconter son voyage à Paris, certes sans les détails, mais elle était totalement émerveillée par tout ce qu’elle avait vu. Sans doute, Lucy la trouvait ridicule, elle n’avait pas la vision des touristes. Elle y avait vécu, et son regard était donc bien différent. Néanmoins elle ne fit aucune remarque et écouta attentivement Rose déblatérer sur le sujet. Quand la jeune violoniste s’était rendue compte qu’elle parlait un peu trop d’elle, elle décida qu’il était temps de se re concentrer sur Lucy. Rose supposait que Lucy avait du pas mal voyager étant donné qu’elle était la tourneuse de page de Satine et que celle-ci avait fait pas mal de concert dans différents pays. Mais la réponse que lui donna la brunette la surprit quelque peu. « Ah bon ? Je croyais que tu travaillais avec elle pourtant. » Lucy ne semblait pas vraiment à l’aise d’évoquer ce sujet, et Rose n’avait pas trop envie d’insister. En tout cas, Lucy était une fille sympathique, et Rose était bien contente d’être tombée sur elle aujourd’hui. « J’ai été ravie de parler avec toi Lucy, mais je dois filer, j’ai une répétition dans pas longtemps. » dit-elle en regardant sa montre. « Si jamais tu veux qu’on reprenne un café toutes les deux, viens sonner chez moi, j’habite au numéro vingt-sept. » elle lui fit un joli sourire, en espérant sincèrement qu’elle recroiserait la jeune femme. « A bientôt. » ajouta-t-elle en se levant. Elle tourna ensuite des talons et prit la direction du parking. Elle devait se dépêcher, son chef d’orchestre n’allait pas l’attendre.

L'Italie, puis la France évoquées, Rose parla de Satine. Comme si tous les chemins menaient à sa petite personne ! Elle semblait étonnée que Lucy n'aille pas à ses concerts. Il fallait que la brunette s'en explique.

Oui oui, on travaille ensemble ! Mais à la maison. Je connais les bases du piano, alors je l'aide à réviser, et je tourne ses pages. Mais je ne vais quasiment jamais à ses concerts, l'ambiance me met mal à l'aise. Je me sens... à part...

Lucy ne savait pas vraiment si Rose comprenait. Elle était même presque certaine qu'elle ne pouvait pas comprendre: elle vivait à Magnolia, elle était dans le milieu de la musique. Ce n'était pas le cas de Lucy, élevée dans une famille plus modeste, et qui n'avait pas touché un piano depuis des années. Alors les cérémonies, les gens bien habillés, les petits dépliants qui présentent les programmes, les applaudissements polis et les bouquets de fleurs, non merci ! Elle s'était sentie obligée d'y aller au début, mais maintenant elle évitait au maximum de s'infliger cela. Elle connaissait le génie de Satine, pour l'avoir dans les oreilles tous les jours. Elle n'avait aucunement besoin de la voir se produire sur scène. De toute façon, la discussion ne dura pas plus longtemps. Rose devait s'en aller, elle avait une répétition et elle s'en excusa. Lucy lui sourit, elle comprenait, elle même avait des choses à faire. La proposition que lui fit Rose pour se revoir lui fit chaud au coeur. Finalement, cette fille était plutôt sympa, bien moins pimbêche que dans ses souvenirs ! Elle la laissa filer tout en lui souhaitant une bonne journée.