Un mois et demi plus tôt, Lorenzo m’avait rendu visite au cabinet O’Conell pour le déjeuner. Nous avions beaucoup discuté, et comme souvent il m’avait remis les idées en place. Mais voilà, je n’avais pas eu assez de temps à moi pour le revoir, et continuer cette discussion fort intéressante. Nous avions abordé plusieurs sujets, la fête d’halloween où j’avais fini par me battre avec Elias Sheirman et Jay Black, soir où Lorenzo avait tenté de me calmer à l’extérieur de la maison abandonnée. Puis nous avions dévié sur le sujet Juliet, comme toujours, pour fini sur les problèmes de l’italiano avec sa femme Summer et son attirance pour une jeune étudiante. Un récent article de DS avait révélé son identité. A en croire les dires de cette bitch, il s’agissait de Nina Van Valkenburg. J’ai déjà croisé cette fille dans le quartier, une très jolie brune. Mais je ne la connais pas, je ne me souviens pas non plus lui avoir déjà adressé la parole. Bref, voilà donc un bon bout de temps que Lorenzo et moi ne nous étions pas retrouvés en tête à tête. Il faut dire que ces derniers mois, j’avais de quoi m’occuper. La grossesse de Juliet n’était pas une mince affaire, et il avait fallut que je m’organise pour la venue du bébé. Au final, tout ceci m’avait laissé peu de temps pour voir mes amis.

Aujourd’hui, je voulais vraiment profiter d’un peu de mon temps libre pour rendre visite à mon ami. C’est étrange, j’avais toujours considéré Lorenzo comme un guide/grand frère/pote, parce qu’il est toujours de très bon conseil. Mais au final, je ne le connaissais pas tant que ça, jusqu’à notre dernière entrevue qui m’avait laisser penser que Lorenzo était définitivement l’ami qu’il me fallait, quelqu’un de responsable, adulte, quelqu’un que j’apprécie, et que j’apprécierai revoir par la suite. Et comme les amis sont fait pour trainer ensemble et se voir, je me dis que c’était une bonne idée de lui rendre visite.

Il était 17h, et j’avais fini le boulot un peu plus tôt dans l’après midi. Je me dirigeais alors en direction du lycée, où j’allais probablement y trouver mon ami, dans son bureau. J’espérais ne pas le déranger. Je garais ma voiture devant le lycée, établissement que je connaissais bien pour y avoir passer quelques années de ma scolarité. Je pénétrais à l’intérieur de l’établissement, et traversais les couloirs pour me rendre jusqu’au bureau de monsieur le proviseur. Une fois devant la porte, je frappais, puis l’entrouvris légèrement. Là, je passais ma tête, et surpris mon ami le nez dans ses dossiers. Avec un grand sourire, je lançais : « Bonjour monsieur le directeur ! Vous ne m’en voulez pas, je me convoque moi même dans votre bureau ! ».

Plus les années passaient, plus Lorenzo préférait son emploi de proviseur adjoint à celui de professeur de mathématiques. Pourtant, il croisait les mêmes élèves, mais il avait nettement l'impression d'être moins chahuté derrière son bureau de proviseur adjoint, que dans sa salle de classe. Il avait déjà envisagé de postuler pour prendre le poste de directeur principal, l'actuel en place approchant la retraite. Il avait fait ses preuves, et le salaire serait bien plus intéressant. Mine de rien, Lorenzo commençait à saturer, de sa vieille voiture cabossée. Et à force d'épargner chaque denier sans en profiter, il regardait - impuissant - sa vie suivre son cours. Alors que lui restait sur le bas côté de la route, sans avancer. Mais pour se faire, il devrait d'abord en parler à Summer. Or, sa femme et lui faisaient tout sauf communiquer, en ce moment. Une grosse dispute avait éclaté, il y a plusieurs jours maintenant. Depuis, ils se toléraient, chez eux, au lycée. Plus le temps passait, plus les amants s'éloignaient. Ils partageaient encore le même lit, mais c'était tout. Juste une maison, une alliance, un nom de famille en commun. Et aucune solution à l'horizon. Sa part de responsabilité évidente n'arrangeait rien à son moral, qui prenait un coup à chaque fois qu'il croisait le regard fuyant de son épouse, son ancienne complice désormais une étrangère, une ennemie. Il soupira, s'appuyant un peu plus contre le dossier de son fauteuil. Les yeux fermés quelques instants, il creusait une nouvelle fois ses pensées, en recherche d'une idée. Mais il restait bloqué au même point, et n'avait plus le dé à lancer pour avancer la partie.

Alors qu'il se plongeait dans quelques affaires, pour oublier la sienne, on toqua à la porte. Quelle surprise de découvrir Adrian, ici, à cette heure-ci. « Adrian, en dehors de ton bureau à 17h, je devrais m'inquiéter ! » répondit Lorenzo en rigolant ! Il se leva ensuite pour l'inviter à s'asseoir, une vieille habitude italienne, qui veut qu'on abuse de politesse plus que de coutume. « Directeur, on n'y est pas encore, mais entre, vas-y » il lui désigna une chaise devant son bureau, et attendit que son ami s'asseoit pour en faire de même. « Alors, tu es venu faire quoi ici ? Tes frères et soeurs ont quitté le lycée tu sais ! Tu repères les locaux pour ta future progéniture ? » suggéra Lorenzo en rigolant, bien loin d'imaginer qu'il préchait le vrai .

Je ne tombais pas au mauvais moment, du moins, je n'en avais pas l'impression. J'étais content de rendre visite à Lorenzo, et rassuré de l'accueil qu'il me faisait. Il afficha un grand sourire, et je m'introduisais dans la pièce. Je m'approchais de Lorenzo, lui tendait une main qu'il serra. Il me lança une petite vanne, s''étonnant de me voir hors du bureau à 17h. Désormais, ça allait être souvent le cas. La naissance de Logan allait changer bien des priorités dans ma vie. Je souriais et répondait: "Hé bien oui, surprise! Mais j'ai de bons employés pour prendre la relève maintenant!" disais-je en faisant référence à mes frères. Enfin, plus pour longtemps, puisque Heath' a toujours en tête l'idée de s'en aller d'ici quelques jours. J'espère qu'il changera d'avis, mais je ne me fais pas de film. S'il faut se débrouiller sans lui, je n'aurais pas le choix.

Lorenzo se leva, et m'invita à m'asseoir! très bien élevé ses italiens! Je sourias une fois de plus, et m'assis juste en face de monsieur le proviseur adjoint. Je n'avais pas été souvent convoqué chez le proviseur durant mes années scolaires. Non j'étais un élève gentil, et studieux. Difficile à croire, je sais ! "Directeur adjoint, je sais je sais ! Mais bon, vu l'âge du proviseur, j'imagine que tu vas reprendre le flambeaux très prochainement!?" déclarais-je. Je savais que Lorenzo attendait ce moment là avec impatience, j'espérais pour lui qu'il ait ce poste. Il le mérite.

La question qui vint après me laissa de marbre. Tu repères les locaux pour ta future progéniture? Qui avait bien pu lui annoncer la nouvelle? Mon père? Impossible, ils ne se parlent jamais. Heathcliff et Jay m'avaient promis de garder le secret... Peut être qu'Andrew lui avait tout dit, je sais que Lorenzo apprécie beaucoup mon beau frère. Bref, je restais un instant silencieux puis esquissait un sourire mince avant de demander à Lorenzo: "Ben... comment es tu au courant?"

La réponse d'Adrian sous entendait forcément que ses relations avec son nouveau frère s'étaient améliorées, ce dont Lorenzo ne pouvait que se réjouir. Au début, il avait sincèrement douté des capacités de son ami à accepter la situation difficile. Avec l'arrivée de Joey, il devait à la fois faire face à la trahison de son père, mais également céder sa place "d'aîné de la famille". Un poste lourd en fierté, surtout pour Adrian. Il avait beau dire, l'avocat gardait toujours cet orgueil propre aux O'Conell au fond de lui. « J'ose comprendre que Joshua n'est plus la personne numéro 1 à abbatre alors ? » demanda-t-il, pour s'en assurer.

Leur conversation dévia alors sur Lorenzo. Adrian était bien sûr au courant des projets de carrière de son ami. En brillant avocat prometteur, Adrian ne pouvait qu'encourager Lorenzo à poursuivre ses ambitions. Même si ces dernières étaient bien plus modestes que celle du O'Conell, elles tenaient à coeur au professeur, soucieux d'améliorer sa situation sur le long terme. « Nous verrons Adrian, nous verrons ... » Bien sûr, il ne pouvait pas oublier que ses frasques passées pourraient lui porter défaut, une fois le moment venu. Même si sa vie de Don Juan était derrière lui, certains parents d'élèves s'en souviendraient probablement, lorsqu'un potentiel dragueur d'étudiantes prétendra accepter à la direction de ce lycée.

Mais trèves de plaisanteries, Adrian n'était certainement pas venu ici pour bavarder sur le futur hypothétique de Lorenzo. Même s'il affirmait pouvoir compter sur ses employés, le professeur ne pouvait chasser son septicisme. Venir jusqu'au lycée, jusque dans le bureau de Lorenzo, ne lui ressemblait vraiment pas. Peut-être une nouvelle particulièrement importante. En tout cas, Lorenzo espérait qu'elle ne soit pas grave. Il glissa une petite boutade, afin de détendre l'athmosphère au cas où. Adrian écarquilla alors les yeux, surpris, choqué ... Que Lorenzo ait deviné ? Le professeur recula alors dans le fond de son fauteuil, et bloqua quelques minutes devant Adrian, attendant que ce dernier s'exclame "mais non, poisson d'avril mec, comme si j'allais avoir un gosse !". Mais il n'en fit rien, et Lorenzo fut bien obligé de se ressaisir. « Attends tu vas vraiment être papa ? Sérieuxement ? Sans déconner ? Mais quand ? Comment ? Enfin non ça pense savoir, mais ... Rassure moi c'est Juliet ? » Il avait débité questions sur questions, sans s'arrêter, tout se chamboulait dans sa tête. Il avait conscience qu'une telle réaction était malpolie vis à vis de son ami, mais Adrian devait accepter que la surprise soit de taille. Adrian allait être papa. Pire, il allait être papa avant lui, alors qu'il était plus jeune de quelques années.

Joshua, nous en revenions sur ce sujet; C'est vrai que la dernière fois que Lorenzo et moi nous étions vus, Joshua venait d'arriver à Magnolia. L'occasion pour nous donc de faire le point aujourd'hui sur la situation qui avait plutôt bien évoluée depuis, et ce dans le bon sens. J'acquiesçais d'un léger sourire puis fini par dire: "Non, il est cool.. Enfin il est très discret, j'avais justement peur qu'il soit là pour prendre ma place, mais il semble me respecter, moi et mon travail. Donc non, il n'est plus l'homme à abattre. Par contre Joey est toujours le numéro 1!" finissais-je par affirmer en levant les yeux au ciel. Joey, celui la alors... Je ne savais plus comment faire ni comment être avec lui. Mystère.

Je penchais la tête en arrière, et observais le plafond. Après avoir avoué à Lorenzo que je le voyais bien en tant que grand directeur de ce charmant lycée, ce dernier me dit que nous verrions par la suite. Allez Lorenzo, tu dois y croire mon ami, ne baisse pas les bras. En même temps, pas évident de se sentir en sécurité et de se voir offrir le poste de directeur quand on sait que Lorenzo a été un jour très proche d'une de ses élèves. Mais personnellement, je n'y voyais pas de réel problème, quand on voit que Céline Dion se tape son arrière grand père, on se dit que la différence d'âge importe peu finalement... enfin je crois. En tout cas, Joey nous vous dira pas le contraire, c'est certain. La différence d'âge importe peu donc, et il faut dire que Lorenzo n'a pas non plus choisi de tombé amoureux ou au moins d'avoir des sentiments et de l'attirance envers la jeune Nina. C'est tombé comme ça, c'est la vie... Je ne suis pas de ces gens qui vont juger deux personnes qui s'aiment mais qui ne peuvent pas vivre leur amour parce les codes sociaux et la norme n'est pas respectée. D'ailleurs, c'est quoi la norme hein? Non et puis si j'étais de ces personnes là, intolérante, autant que je condamne ma soeur à mourir sur le bucher à cause de sa bisexualité hein! Je répondais donc à ses mots: "J'ai confiance en toi, ça va le faire mon grand!"

Évidemment, j'étais surpris par sa réflexion au sujet du bébé. Mais je me rendais compte à l'entendre qu'il n'avait jamais rien su, et que malgré moi, je venais de lui avouer que Juliet était enceinte, ou tout du moins, que j'allais être père. Lui, il ne faisait que blaguer apparemment, il me disait ça pour rire, ignorant complètement qu'il avait juste. Il me posa une série de questions, et je réalisais que j'étais tout juste tombé de le piège ! Je m'étais vendu tout seul ! Plus de suspens! Je souriais timidement et acquiesçais d'un hochement de la tête, puis d'un tout petit sourire. "Oui je vais être papa, comme tu dis... je sais c'est juste hallucinant, j'ai fait exactement la même tête que toi quand je l'ai su!". Gêné, je passais ma main sur ma nuque et baissa le regard. Quand? C'était sa question. Euuuh, comment lui dire que c'était pour dans quelques jours? "Euh... Et bien en fait, on ignorait un peu la grossesse de Juliet... Oui rassure toi d'ailleurs, c'est bien Juliet la fille en cloque! Elle a fait un déni de grossesse, et le bébé, qui est un garçon au passage, devrait être là dans... une petite semaine..." avouais-je en baissant l'intensité de ma voix sur ces derniers mots. Je plongeais mes mains dans mes poches, nerveux, car je ne savais plus qu'en faire!

Lorenzo se contenta de sourire, quand Adrian évoqua Joey. Ce dernier avait beau le détester, le prénom de son père revenait souvent dans sa bouche. Seulement l'italien n'étant pas suicidaire, il se garda de formuler cette remarque à haute voix, qui vexerait sûrement son ami. Acquieser restait la meilleure des options. « Je n'en doute pas ! » Adrian avait toujours entretenu une relation chaotique avec son père. Lorenzo ne connaissait pas l'ambiance régnant dans la maison n°8, mais il soupçonnait qu'elle ne soit ni heureuse, ni glorieuse. Joey dirigeait sa famille d'une main de fer et d'un coeur de pierre. Alors, avec ce tyran pour modèle, Lorenzo se demandait naturellement quel père serait Adrian. Puisque c'était ça, dont il était question. Le déni de grossesse de Juliet Davies abbassourdit Lorenzo, dans un premier temps. Il ne la croisait pas souvent, mais n'avait jamais remarqué un ventre bedonnant. Surtout, il ne comprenait pas comment on pouvait vivre 8 mois sans sentir que ça bouge et ça vit sous son nombril. Il ne mettait pas sa main à couper en supposant que cet enfant n'était pas des plus attendus. « C'est une nouvelle bien inattendue, je n'imagine même pas comment tu dois te sentir en ce moment ! ça va ? Enfin je veux dire, tu t'es accomodé au fait d'être parent, avec Juliet ? » Leur dernière longue conversation fut écourtée, alors que Adrian affirmait être dans la même galère que son ami. Son coeur battait pour deux femmes, tout comme celui de l'italien. Deux femmes, et impossible de dire laquelle avait la préférence. « Cette seconde femme, que tu évoquais évasivement la dernière fois, c'est Sasha Adamovitch, n'est-ce pas ? » Lorenzo n'était pas fier, il avait lu le dernier article de Dirty Secret avec intérêt, et ainsi découvert l'identité de cette femme secrète. Un instant, Lorenzo imagina la situation. Si Summer tombait enceinte, réduisant à néant ses chances d'être un jour heureux avec Nina. Au fond, même si jamais il ne finissait avec la brune, ses sentiments si forts étaient une bonne raison pour se lever le matin, se battre, continuer à avancer, vers ce but ultime qu'il n'atteindrait peut-être jamais. Et perdre cette quête de vieux fou, ce serait comme perdre une partie de son identité. Comme si Lorenzo, sans ses sentiments pour Nina, n'était plus vraiment Lorenzo. « Tu l'as mise au courant, cette fille ? » Pour Lorenzo, la situation était claire, la relation Adrian-Sasha appartenait désormais au passé. Il était peut-être vieux jeu, mais un enfant changeait la donne. Il n'avait rien contre le divorce, la séparation, mais quand des enfants entraient dans la mise, il considérait que la préoccupation première des deux parents étaient le bien-être de leur progéniture. Aujourdui, Adrian allait être père de famille, une famille se résumait à des parents, des enfants, et pas de maîtresse dans les parages. Néanmoins, connaissant l'orgueil de son ami, qui tournait parfois en un égoisme O'Conellien, Lorenzo doutait que l'avocat soit de cet avis. Il était trop fier, pour qu'un gosse et une femme qu'il n'était plus sûr d'aimer, décide à sa place de son futur.

Si je me sens bien? Oui j'imagine, je me suis connu bien plus malheureux... En revanche, si je me suis accommodé au fait d'être parent avec Juliet... pas vraiment. Disons que j'ai toujours en tête Sasha, et que l'arrivée de cet enfant remet complètement en question mes intentions et mes plans. J'avais presque abandonné l'idée de sauver mon couple, rêvant d'un futur avec Sasha... Mais Logan avait tout changé. Oui cette grossesse m'imposait en quelques sortes de rester, rester auprès de Juliet pour assumer mon rôle de père, et faire semblant d'être un fiancé heureux dans son couple. Mais j'évitais de me poser la question, les choses étaient faites ainsi, j'ignore encore ce qu'il se passera après. J'affichais toujours ce même sourire timide, comme si je craignais de me faire taper sur les doigts par ce cher Lorenzo. Il enchaina rapidement, et sa question porta sur Sasha justement. Il avait eu l'identité de cette fille d'après l'article de DS, et je n'en étais pas très fier. J'hochais la tête pour affirmer sa question. "C'est compliqué Lorenzo... Je pensais que plus rien ne m'unissait à Juliet, je pensais que c'était la fin... Je me rapprochais dangereusement de Sasha tout en sachant que c'était mal. Et puis on a appris la grossesse de Juliet, et j'ai du faire une croix sur tout... sur mes problèmes avec Juliet... et sur Sasha. Mais, j'arrive pas à l'oublier..." . Je passais mes mains sur mon visage, et soufflais. Quelle galère. Je n'étais plus certain de rien, et j'en étais rendu au même point depuis des mois. La seule chose qui me rendait vraiment heureux ces dernières semaines, c'était l'idée d'avoir un petit O'Conell à m'occuper, à choyer, à élever pour qu'il devienne un homme bon, un homme bien différent de celui que je suis et que j'ai pu être jusqu'alors. Et quand Lorenzo me demanda si Sasha était au courant de la grossesse, j'acquiesçais brièvement, et me souvint alors de cet instant où j'avais du tout avouer à la jolie blonde. Je crois que ça lui a fait beaucoup de mal, mais elle semblait vouloir me soutenir. Un trop plein d'émotion qui, et j'ignore encore pourquoi, l'a poussé à m'embrasser. Après quoi, j'ai pris la fuite, comme un voleur, la laissant là, seule en plein milieu de notre rue. Je relevais la tête, et confiais tout cela à mon ami: "Oui... elle le sait. Elle m'a embrassé, après lui avoir tout dit. Je sais pas pourquoi elle a fait ça, mais ça m'a fait flippé, et je suis parti presqu'en courant, sans rien dire." . Je pense que Lorenzo était LA personne qui pouvait me comprendre, et comprendre ce genre de situation inconfortable... lui même étant toujours attiré par la jeune Nina alors qu'il est désormais marié.

Lorenzo s'imagina, un instant, à la place d'Adrian. S'il décidait de se séparer de Summer, de vivre heureux avec Nina et que, tout à coup, ses plans étaient mis à mal par un évènement imprévu, qu'il se retrouvait emprisonné avec Summer à jamais, qu'il regardait Nina s'envoler après l'avoir crue sienne. Adrian devait être dans un état lamentable, à l'intérieur. Il pensait avoir touché le gros lot, pouvoir prétendre à cette vie dont il rêvait ... Mais finalement ses espoirs s'étaient envolés en fumées. Pire, il avait goûté un instant à ce bonheur, il avait eu des raisons d'y croire. On lui avait mis le plat sous le nez, un met délicieux et odorant, qui titille les papilles, qui attire ... avant de le lui retirer sauvagement. C'était sadique. On pouvait penser que Adrian n'avait que ce qu'il méritait, qu'il était mauvais dans l'âme, égoiste, sans scrupules et orgueilleux. Mais quand il s'agissait d'amour, tous les hommes devenaient égaux, et défaillants. Qu'importe leur caractère, leur personnalité, il y a pour tout homme une femme capable de le faire succomber, décrocher la lune, s'améliorer. Pour Adrian, c'était Sasha. Malheureusement, il devrait passer le restant de ses jours avec une autre. « Et tu envisages toujours, un peu, de te séparer de Juliet pour Sasha ? » Si son ami répondait par l'affirmative, Lorenzo ne le jugerait même pas. Lui-même avait envisagé de quitter Summer, alors qu'ils étaient unis par l'institution du mariage, une alliance forte et lourde de sens. Adrian ne serait qu'un homme, comme les autres, capables d'agir comme un fou, par amour. Il n'agirait pas par égoisme ou par orgueil, s'il l'avait envisagé. Il aurait seulement suivi le chemin dicté par son coeur. Et puis, la pensée et l'acte, un tel gouffre les séparait.

« Parti en courant ? Adrian, si tu n'étais pas dans un tel pétrin, je me permettrais de rire » commenta Lorenzo en souriant. « Franchement, on a déjà vu plus courageux, comme réaction ! Mais j'arrête de te taquiner. Juliet est au courant, de toute cette histoire qui se trame sous son nez ? » peut-être parce qu'il connaissait peu Juliet (et Sasha), Lorenzo était incapable d'en juger l'une ou l'autre. Elles étaient juste deux femmes, amoureuses du même homme. L'une avait son coeur, l'autre avec son corps.

La question que mon ami me posa alors me laissa sans voix. Je n'y pensais plus, me séparer de Juliet pour finir dans les bras de Sasha. Disons que la grossesse m'avait fait oublié à quel point tout cela me perturbait quelques semaines plus tôt. En rediscuter avec Lorenzo me ramenait au même point de départ, et tout ce à quoi je m'étais interdit de penser refaisait surface. Je regardais Lorenzo, et après quelques secondes d'hésitation, j'ouvrais enfin la bouche: "Tu crois que c'est mal?". Quelle question pourrie franchement! Et si je n'avais pas répondu clairement à son interrogation, ma question voulait bien dire ce que ça voulait dire. A la fois, je n'étais plus certain de rien. Si c'était mail... oui ça l'était. J'allais être père, je devais être un peu plus responsable qu'avant. Je m'empressais de rebondir pour me déculpabiliser: "Je vais voir comment les choses se passent avec Juliet... peut être que l'arrivée du bébé va changer nos vies et notre couple... ou peut être que c'est déjà perdu d'avance." . Que ferait-il à ma place? Oh mais oui, j'oublierais presque qu'il est sensiblement dans la même merde que moi. Lorenzo, qui a bien souvent réponse à tout, a t'il une solution miracle à me donner? Pour le coup, j'imagine que c'est aussi compliqué de son côté que du mien.

Après lui avoir raconté l'épisode du baiser de Sasha, et ma fuite, Lorenzo se lança dans un discours qui pesa directement sur ma fierté. Alors comme ça je n'étais pas quelqu'un de courageux? Sur l'instant même, je m'étais senti quelque peu agressé. Lorenzo avait pris le même ton que Joey emploi lorsqu'il me reproche quelque chose. Et ma réponse fut glaciale lorsqu'il me demanda si Juliet était au courant de cette histoire: " Ta femme est-elle au courant que tu en pinces encore pour Nina?". Silence dans la salle, que venais-je de dire. Je réalisais ensuite que Lorenzo me taquinait, rien de plus. J'étais stressé par cette grossesse, par cette situation inconfortable où mon coeur battait pour Sasha, et Juliet qui me retenait presque prisonnier avec cet enfant. Je m'empressais de m'excuser auprès de Lorenzo, pour ce que je venais de lui lancer en pleine face. "Désolé Lorenzo... vraiment, je sais pas ce qu'il m'a pris. Je voulais pas être désagréable... Excuse moi."... Oui pour le coup Adrian, tu ne marques pas des points mon garçon! Quel boulet je suis, vraiment! J'affichais un sourire gêné, avant de détourner mon regard de celui de Lorenzo. Mes relations dans le quartier ne risquaient pas de s'améliorer si je continuais comme ça!

Adrian répondit à une question par une question, ce n'était pas bon signe. Lorenzo crut comprendre, donc, qu'il avait visé juste. Selon lui, penser n'était pas agir. On ne pouvait réprimander quelqu'un pour des pensées déplacées, tant qu'elles restaient à l'état de possibilités floues, évasives, qui restaient dans le champ des possibles sans jamais passer à l'état d'actes. Finalement, Adrian ne répondit jamais par l'affirmative. Il se contenta d'expliquer qu'il laissait une dernière chance à son couple avec Juliet. Et si ça ne fonctionnait pas ? Lorenzo préféra ne pas demander. « D'accord, je vois. C'est vrai, l'arrivée du petit bout peut donner un nouveau souffle à votre relation » En tout cas, il l'espérait de tout coeur.

C'est alors que Adrian révéla sa dark face. Il devint Super Méchant, et lança un pique dont Lorenzo se serait bien passé. Outch, dans les dents. KO le poto, tu peux passer au level suivant. Sur le coup, Lorenzo aurait bien envoyé paître l'avocat, et lui aurait indiqué la sortie sans plus d'explications. Mais Adrian revint ensuite sur ses dires, et s'excusa même ... Ce qui choqua encore plus Lorenzo que son pique précédent. Pour voir Arian s'excuser de la sorte, il fallait se lever tôt le dimanche matin et prier toute la sainte journée. Alors, le professeur fut bien sûr touché d'un tel geste. « Oh ne t'inquiète pas, j'en ai déjà vu des plus vertes que ça. Enfin, au passage, bien sûr qu'elle est au courant. » Son ton amer était bien sûr connoté de cette fameuse dispute, suivie de retrouvailles haletantes et fougueuses, qu'il avait finalement gâchées en donnant à Summer le prénom de la brune, à haute voix. Bien sûr, elle était au courant. Et elle le lui rappelait chaque jour. Seulement, aujourd'hui, ils étaient là pour parler d'Adrian, pas de lui. « Je comprends ta réaction, éviter Sasha est peut-être la meilleure chose à faire, en ce moment. Il ne faudrait pas tenter le diable qui sommeille en toi »

Si par miracle Logan pouvait me rendre tout l'amour et toute l'attention portée autrefois pour Juliet, je ne refuserais rien. Mais je craignais que les choses soient plus compliquée que ça, il ne suffisait pas d'avoir un peu de volonté, il fallait surtout être prêt à tirer une croix sur tout le passé, et sur les plans futurs que je m'étais imaginé. C'était difficile, et je ne savais pas si j'étais capable de le faire. Je me contentais d'acquiescer à la remarque de mon ami.

Et quel idiot j'étais, mon dieu. Il avait suffit d'une simple réflexion de la part de Lorenzo pour que je sorte mon masque de super méchant, et que je sorte les crocs. J'étais confus. Cette histoire de grossesse, et tout ce qui allait avec me montait à la tête. Jusque là, j'avais fais bonne figure, mais je n'en étais pas moins stressé et inquiet. Si j'étais ravi d'avoir ce petit garçon, je continuais à m'en vouloir, à nous en vouloir de ne rien avoir remarqué depuis tout ce temps. J'en voulais presque à Juliet de m'emprisonner dans cette relation chaotique avec cette grossesse, un fait qui tout les jours me rappelait que je ne pouvais plus faire marche arrière. Et j'étais vraiment un pauvre mec, m'en prendre de la sorte à Lorenzo alors qu'il est mon ami... et qu'à cet instant là, je n'ai envie de compter sur personne d'autre que lui. Après m'être excusé, Lorenzo tenta de me rassurer, en me disant que ce n'était rien. "Non vraiment, tu es le seul qui prend vraiment le temps de m'écouter et je... je suis vraiment un pauvre type pour le coup." Je baissais la tête, comme un enfant qui venait de se faire gronder pour une bêtise, ou qui réalisait ses tords. J'étais quelque peu honteux, oui c'est ça... honteux.

Lorenzo me dit alors que ce n'était pas une mauvaise idée que d'éviter Sasha, ainsi je ne serais tenté de rien. Mais c'était dur, car je savais au fond de moi qu'elle me manquait, et que j'avais vraiment envie de la voir. Je n'osais plus regarder Lorenzo en face, je ne voulais pas qu'il voit à quel point cette situation n'arrangeait pas mes affaires. Je savais qu'à tout moment je pouvais craquer comme une ville merde. J'étouffais presque un sanglots et à voix basse, je confessais: "C'est vraiment... vraiment difficile. Quand tu penses que tu arrives au bout de quelque chose, et que ce qu'il t'attend après, c'est peut être enfin la clé du bonheur... mais tu découvre que ta fiancée à cette petite part de vie en elle, et cette petite part te dis que ce n'est pas le moment, que tu n'as ni le droit de partir, ni le droit de penser que le bonheur puisse être ailleurs..." . Je soupirais longuement.

Adrian continuait à se morfondre en excuses, sous les yeux ébahis de son ami. Lorenzo avait l'impression d'avoir lancé une machine infernale, impossible à stopper désormais. Son visage meurtri inquiétait sérieusement Lorenzo, qui ne reconnaissait pas là l'avocat. C'était donc ça, Adrian O'Conell sans le masque de la fierté et de l'orgueil ? Lorenzo avait toujours soupçonné que, sous son costume de grand méchant, cette histoire devait le toucher. Son coeur de pierre n'en était pas moins réel, et il battait pour une femme qui n'était pas la sienne. Mais jamais il n'avait pensé découvrir un Adrian si affecté. « Si tu n'arrêtes pas tout de suite, je vais m'énerver ! J'ai dit que c'était bon » dit-il, sur le ton de la rigolade. Mais au fond, il n'en pensait pas moins.

Heureusement, Adrian finit par comprendre, et arrêta son petit manège. En fait, peut-être avait-il voulu gagner du temps. Car, au fond, se morfondre en excuses était plus facile que de décrire son état actuel. Lorenzo avait de la peine pour lui, sincère. Les précédents aveux de l'avocat n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd. Tous ses autres amis l'avaient donc abandonné ? Même Holden, cet homme dont Adrian lui rabattait tant les oreilles ? Lorenzo ne pouvait pas y croire. Mais dans le doute, il ne préférait pas insister, plutôt que de réveiller une plaie douloureuse et encore béante. « Adrian, tu ne réalises pas. D'accord, tu as toujours pensé que le bonheur était ailleurs, avec Sasha, que ta relation avec Juliet était terminée. Mais ce bébé, c'est peut-être le signe que tout n'est pas fini, que ce n'est pas fichu. Peut-être que, au fond, cela signifie que vous auriez fait une erreur, en vous séparant. » Il stoppa sa tirade, fier de lui. Il était convaincu, et espérait prêcher auprès d'Adrian sa bonne parole. « Et la seule façon de savoir si j'ai raison, c'est de laisser aller le temps, mais aussi de tout faire pour que ça marche. » Venait la partie moralisatrice de l'histoire, et Lorenzo prit la peine de peser les mots qu'il allait employer, avant de reprendre sa lancée. Or de question de réveiller une nouvelle fois Bad Adrian. « Si tu passes tes journées à te dire que tu aurais dû être avec Sasha, jamais tu ne seras heureux. Pire, tu risques d'en vouloir au bébé et à Juliet, et ils le ressentiront » Sans tomber dans les violons, Lorenzo pensait s'en être bien tiré. En même temps, c'est toujours plus facile de tirer les leçons pour les autres, que de le faire pour sa propre situation.

Lorenzo était un mec cool, gentil avec tout le monde, mais il avait ce ton autoritaire que personne n'osait vraiment défier. Je ne sais pas pourquoi je m'arrêtais net dans mes jérémiades lorsqu'il haussa la voix, même s'il le disait sur le ton de la plaisanterie. Peut être était ce parce qu'il était plus vieux que moi... bref, je ne faisais pas le fier. Je me taisais donc, le laissait me conseiller comme il savait si bien le faire, même s'il n'allait que rarement dans mon sens. Oui, il aurait été plus facile de l'entendre m'encourager à aller vers Sasha, suivre mes désirs, et passer le pas. Au lieu de cela, il tentait de me faire comprendre que ma vie est peut être bien avec Juliet et que l'arrivée d'un bébé au sein de notre couple pourrait changer sa nature. Soit, j'espère qu'il a raison.

C'est vrai, au final, peut être que je ne vois pas le bonheur où il est. Peut être que je me perds à penser à Sasha, alors que Juliet est la femme de ma vie. J'aimerais y croire, tout serait plus facile. J'aime mieux me dire que Lorenzo a raison, même si je suis convaincu du contraire, pour le moment. Nous verrons bien quand le bébé sera là. Voilà, laisser passer le temps, et faire en sorte que ça marche. Je ne promettais rien, mais je pouvais toujours essayer... je le devais avant tout.

Il aborda ensuite cette idée que je m'étais faite il y a peu, celle de faire souffrir Juliet et l'enfant si je ne suis pas heureux au sein de cette famille. Et je me refusais d'y penser, je ne voulais faire souffrir ni l'un ni l'autre, et surtout pas Logan. Je m'en voudrais d'être un père comme Joey si je le devenais. Si mon père peut tout se pardonner et n'avoir aucun scrupule quant à la manière dont il nous a élevé, moi, je ne pourrais pas le supporter. C'est peut être ce qui nous différencie un peu l'un de l'autre, j'ai ces sentiments que lui se refuse d'avoir.

J'acquiesçais tout simplement, de toutes façons, je n'avais rien à ajouter, Lorenzo avait tout dit. "Je sais bien que tu as raison Lorenzo... Peut être que cette naissance me permettra d'y voir plus clair.". Je préférais changer de sujet avant de me retrouver une fois de plus à court d'arguments. Suffit de parler de moi, après tout j'étais venu prendre de ses nouvelles, je voulais que pour une fois il puisse me raconter un peu sa vie. "Allez, parlons de toi un peu, tu veux bien?! Que comptes tu faire avec Summer?" .

Lorenzo laissa planer un regard interrogateur sur son ami. Que Adrian aille dans son sens si facilement, sans se battre pour ses opinions, le surprenait. Lorenzo était sincère, ses conseils étaient sans faux semblants. Il ne pouvait pas croire qu'une vie de misère et de malheur continus attendait son ami. mais que le jeune homme acquiese si rapidement ne lui ressemblait pas. Il avait cette obsession le poussant à toujours avoir raison, avoir le dernier mot. Mais peut-être que cette naissance l'affectait plus qu'il ne le laissait entendre, brouillant son esprit et laissant le doute planer sur son futur désormais flou. Et peut-être que, au fond, il n'était pas cette bête égoiste et orgueilleuse qu'il jouait parfois, et qu'il prenait avec importance le fait d'être père. Il n'en restait pas moins un homme, après tout, capable de sentiments, une personne humaine en proie à un florilège de sentiments. "Rien ne sert de te tracasser maintenant, alors que tu dois attendre de voir comment ça se passe. C'est tout nouveau pour toi, tu ne peux pas prévoir comment la situation va évoluer avec l'arrivée du bébé" ajouta-t-il, en guise de conclusion heureuse. Puis d'ajouter "En tout cas, j'attends ton appel dès que le bébé est né, il me tarde de voir un petit Adrian !" Une note de plaisanterie était toujours plus joyeuse.

Lorenzo comprit alors que Adrian n'était pas venu QUE pour se morfondre. Il avait aussi eu en tête de prendre des nouvelles du professeur. Sa conduite était légitime, lors de leur dernière entrevue, Lorenzo avait laissé Adrian sur des confidences énigmatiques. Depuis, Dirty Secret avait sévi, dévoilé à tout le quartier qu'une dispute avait éclaté entre Lorenzo et Summer, et que Nina en serait bien contente ... De quoi révéler à Adrian l'identité de tous les protagonistes de son coeur. "Ah ... j'imagine que tu as "appris" que rien n'allait plus avec Summer, et que cette mystérieuse fille dont je te parlais était Nina Van Valkenburg" Il s'appuya contre le dossier de son siège en soupirant. Planter le décor de l'histoire, d'abord. Puis continuer. Le problème, c'était que Lorenzo était incapable de répondre à la question. "Je ne sais pas quoi faire. Je crois qu'on se laisse une dernière chance, mais quelque chose s'est brisé, entre elle et moi. Quand nous sommes à deux, il y a toujours une gêne entre nous, depuis ..." Continuer n'était pas chose aisée. Pourtant, pour justifier le comportement de sa femme, il devait bien dire à Adrian qu'il avait agi comme un goujat. Il inspira un grand coup, les yeux rivés sur un point vide de son bureau. Il avait trop honte pour soutenir le regard de son ami. "Il y a quelques semaines, je suis rentré un peu plus tard, mais pour rien tu vois, j'étais resté travailler tard, je t'assure. Summer m'attendait de pied ferme, à peine rentré elle m'a passé un savon, s'imaginant que j'étais avec Nina, c'était faux. Le ton est monté, c'est devenu intense ... Et je me suis malencontreusement trompé de prénom, en lui parlant" Voilà c'était dit, Lorenzo n'avait pas jugé nécessaire de s'attarder sur les détails. A savoir les circonstances dans lesquelles il avait murmuré le prénom de Nina. Les faits étaient là. "Les faits sont clairs, je sais, je me voile la face pour rien ... Mais je suis marié putain, et j'aime Summer. C'est plus fort que moi, comme si je n'arrivais pas à m'en contenter. Comme si j'avais besoin de ... de Nina"

"Ne t'inquiète pas, je le ferai!". Il attendra mon appel lorsque le bébé arrivera, et je l'appellerai, promis. Au moins je pouvais vraiment compter sur son soutien, c'était déjà une bonne chose. Si je regarde autours de moi, je peux facilement compter mes vrais amis sur les doigts d'une main. Entre ceux qui mentent, ceux qui ne sont là que par intérêt, ceux qui cachent bien leur jeu... il y'en a très peu comme Lorenzo. Parfois même, je m'étonne de trouver plus d'intérêt à passer du temps avec l'italien qu'avec Holden. Je l'avais facilement remarqué, Holden et moi étions de moins en moins complices, et de plus en plus différents. J'étais le premier à changer, j'étais en train de grandir, et cette grossesse faisait de moi un homme et plus un jeune garçon. Holden s'amusait encore, il profitait de sa jeunesse, et je ne pouvais le blâmer pour ça. Mais finalement, le seul réconfort que je réussissais à trouver était auprès de Lorenzo, qui plus âgé, plus responsable, était capable de me donner à chaque fois que j'en avais besoin. Lorenzo me connait, et il me connait bien. De mon côté, je me rendais compte que j'ignorais encore tout de lui, et qu'il méritait vraiment que je m'intéresse à lui.

Alors il y avait eu cet article de DS dans lequel elle révélait mes moindre faux pas. Mais il y avait aussi ce passage au sujet de l'italien et de la jeune Nina. Notre précédente conversation avait amené Lorenzo à me parler d'elle, sans jamais cité son nom. Cette fois ci, je pensais savoir de qui il s'agissait réellement. Nina Van Valkenburg, nom qu'il ne tarda pas à confirmer. J'hochais la tête: "C'est bien ce que j'ai cru comprendre oui...". Pour une fois, je découvrais un Lorenzo complètement perdu. L'homme qui a réponse à tout, tel un grand sage, n'était ni plus ni moins comme tout le monde, et j'étais presque choqué d'apprendre qu'il n'allait pas si bien que ça finalement, que lui aussi pouvait avoir des problèmes, et aucune solution pour y remédier. C'était d'autant plus étonnant lorsque je remarquais que son histoire n'était pas tant différente de la mienne. Un choix à faire, et l'impossibilité de prendre une décision. Il me racontait alors l'intégralité de l'histoire, sa dispute avec son épouse Summer, le coup où il était rentré tard du travail et qu'elle le suspectait d'être aller voir Nina... La confusion des prénoms, bref, une histoire digne des séries télévisées que Claire aime tant regarder. Il se demandait s'il avait besoin de Nina, comme je me demandais si j'avais besoin d'être avec Sasha. Je n'étais donc pas vraiment la personne qui pouvait le conseiller au mieux, mais perdu dans le même genre de situation, j'étais capable de le comprendre. Je soupirais longuement avant de prendre à mon tour la parole.

"C'est pour ça que tu es parti Lorenzo? C'était pour ne plus voir Nina?"

Désormais, Adrian connaissait toute l'histoire, il découvrait un Lorenzo alors inconnu. Une facette de sa personnalité que le professeur s'était toujours appliqué à cacher. Il était Lorenzo Di Mascio, un de ces rares hommes qui garde toujours tout sous contrôle. Pourtant, aujourd'hui, sa vie éclatait en mille morceaux, aux yeux de ses voisins avides de nouvelles fraiches. Il perdait les pédales, à cause de ses sentiments pour Nina qui refusaient de s'éteindre. Adrian voyait clair en son jeu, comme tout les autres voisins. « Oui c'est pour ça, c'était mon élève à l'époque donc forcément ... » Il s'étonnait qu'Adrian n'ait encore fait aucune remarque d'ordre juridique. Son ami n'en restait pas moins un avocat, du point de vue de la loi il était illégal d'entretenir une relation avec une de ses élèves, mineure qui plus est. Il imagina un instant la situation, si les parents VV portaient plainte, il ne savait pas ce qu'il adviendrait, mais n'osait pas l'évoquer avec son ami. De toute façon, c'était fini, terminé, over. « Au fond je m'en doute, ce qui m'attire chez Nina c'est justement l'interdit. Je n'ai pas envie de gâcher mon mariage. En plus, Nina est passé à autre chose. Mais moi je n'y arrive pas, c'est plus fort que moi » Il cherchait en vain un électrochoc qui le réveillerait, lui ferait prendre conscience qu'il devait grandir et stopper ces enfantillages. Nina appartenait au passé, une bien belle relation, intense, mais terminée. Elle lui avait fait comprendre en évoquant ce nouveau petit ami auquel il avait refusé de croire. Elle était jeune, et lui se sentait si vieux. Sa vie était plate, monotone, mais ce n'était pas la faute de Summer. Par paresse, ils avaient tous deux laissé leur couple sombrer dans l'ennui. Alors il ne pouvait pas la tenir pour responsable de son malheur. Mais c'était tellement plus facile que tenter de réparer les choses. « Avec Summer, on se donne une dernière chance, on tente de tout réparer. On va peut-être partir en week-end. » confia-t-il, sur un ton sérieux. Aujourd'hui, il y croyait, il était déterminé. Les jours qui avaient suivi la tempête furent difficile à vivre. Aujourd'hui, ils étaient encore deux étrangers vivant sous le même toit. Mais Lorenzo avait trouvé la force de se battre, de sauver son couple, de raviver cette flamme essoufflée. « Je crois que mon erreur a été de considérer mon couple comme acquis. Dès lors, tout est devenu banalement ennuyeux. J'ai compris qu'un couple s'entretient tout le temps, à deux. N'oublie jamais ça Adrian, avec Juliet. » Il espérait au moins que ses erreurs puissent servir à quelqu'un.

Oui à l'époque, Nina était l'élève de Lorenzo. Il fallait que cette petite relation reste secrète. Juridiquement, Lorenzo risquait gros. Il pouvait perdre son emploi, et pire, se retrouver en prison. J'ai un peu de mal avec cette règle, et d'autres d'ailleurs. Je ne suis peut être pas l'avocat qui respecte le plus les lois. J'ai pris de la drogue pour animer mes soirées, j'ai menti à la police en disant que j'étais avec Jay lorsque l'on a découvert le corps d'un homme dans une ruelle proche de Justice Street, alors que le chanteur était seul sur les lieux lorsque je suis arrivé... et la justice ne comptera pas sur moi pour dénoncer mon ami Lorenzo pour l'attirance et les sentiments qu'ils pouvaient avoir pour Nina, à l'époque où il était encore son professeur. Lorsque je regarde ma propre situation, je me dis que l'amour ne se commande pas, et il arrive comme ça, qu'on le veuille ou non, incontrôlable, imprévisible... qu'il soit entre deux personnes de même sexe, entre une personne de vingt an et une autre de soixante dix, entre un professeur et un étudiant... il est réel, il existe. Il ne s'agit ni d'une déficience, ni d'un acte de provocation, et s'il choque l'opinion public, au fond, il n'a rien de mauvais en soi. Il est juste amour, rien d'autre. Ma vision des choses pourrait peut être choqué Lorenzo, parce qu'il pense peut être que l'avocat que je suis ne peut s'en tenir que strictement aux lois qui érigent notre société. Peut être serait donc t'il surpris d'apprendre que je trouve certaine règles stupides, et contraires aux droits de l'homme, et que j'assume entièrement mes positions. Partir était cependant la solution pour se préserver de tous les risques auxquels il s'exposait... car la justice n'a parfois pas suffisamment de coeur ni de bon sens pour être tolérante. "Ce qui m'embête, c'est que tu n'as jamais vraiment eu le choix. Et c'était plutôt courageux de ta part que de partir, et tirer un trait sur tout ça... surtout à contre coeur.". C'était triste, parce que je savais que les sentiments de Lorenzo pour cette jeune étudiante étaient vrais, et qu'il était difficile de faire une croix sur quelqu'un, tout simplement parce qu'il existe des lois qui nous disent qui on a le droit ou pas d'aimer. Alors Lorenzo était parti, pour revenir la bague au doigt, avec cette femme respectable qu'est Summer. Peut être qu'il l'aime vraiment, elle aussi... mais je reste persuadé qu'il regrette amèrement de ne pas avoir vécu aux côtés de Nina. Il peut prétexter que ce qui l'attirait chez elle, c'était l'interdit, et que ce qui compte le plus pour lui est de sauver son mariage, je n'y crois pas vraiment. Et si j'y croyais réellement, alors je serais le premier à vouloir sauver mon propre couple et n'aurait aucun scrupule à couper tous contacts avec Sasha. J'écoutais Lorenzo, et levais les yeux au ciel. Je ne voulais pas l'agacer, mais s'il était toujours franc avec moi, je me devais de l'être aussi. "Lorenzo, arrête ! J'ai beaucoup de respect pour Summer, et je trouve très honorable que tu veuilles sauver ton mariage, mais tu ne peux pas nier éternellement tes sentiments pour Nina. Seras tu vraiment heureux comme tel, c'est ça la question...".

Peu après, il m'avoua sa plus grosse erreur, celle d'avoir pensé son couple comme acquis. Il me dit alors de ne jamais oublié qu'un couple s'entretenait tous les jours, et qu'il ne fallait pas, en quelque sorte, se reposer trop facilement sur ses lauriers. J'acquiesçais, je savais tout cela. "Tu sais, je suis en couple avec Juliet depuis presque 12 ans, alors la routine a bien eut le temps de s'installer depuis. Je ne sais même plus si j'ai la motivation et l'envie de faire en sorte que les choses s'arrange, parfois je me dis que je n'ai pas vécu toutes les expériences que j'aurais voulu vivre, et que je n'ai pas fait les bons choix. Mes grands parents viennent de fêter leur 55 ans de mariage, j'ignore encore comment ce peut être possible... car j'ai aussi beaucoup de mal à croire à l'amour éternel entre deux personnes?"

Avec cette discussion sur son passé, Lorenzo se retrouvait projetté quelques années en arrière. Lors de cette fin d'année scolaire, où il hésitait encore à rejoindre New York. Sa relation avec Nina durait depuis plus de six mois maintenant, il avait mis un terme à toutes ses autres aventures. Pour lui, Nina n'était pas une fille comme les autres, même s'ils n'avaient rien officialisé, c'était tout comme. Malheureusement, ils devaient sans cesse se voir en secret, inventer excuses et mensonges pour se cacher du monde entier. Partir, cela avait semblé la meilleure solution. Nina, durant sa dernière année, aurait tout le loisir de se trouver un autre compagnon. Il ne la prévint pas de son départ, manquant de courage pour affronter des séparations déchirantes. Il n'était pas fait pour les au revoir. « Oh j'ai eu le choix, personne ne m'a forcé à partir, mais nous ne pouvions pas continuer ainsi, et je ne pouvais pas l'oublier si elle restait mon élève. Bien que, même en partant pendant un an, je n'ai finalement pas tiré un trait sur elle. » Son absence avait été un fiasco. Pourtant, à New York, ses pensées avaient évité le sujet Nina comme la peste. Loin de ses yeux, elle n'en était pas moins loin de son coeur, mais il l'ignorait, inconsciemment, ou pas. Alors, le coeur soit disant libre, il avait cru cette histoire avec Summer possible. Après tout, tout le monde finit par se marier, pourquoi pas lui, ça pouvait fonctionner, c'était une bonne idée, sur le papier. Mais une fois de retour à Magnolia, croiser Nina lui fit l'effet d'une grosse claque, bien méritée. Il avait dû se rendre à l'évidence, trop tard ... « Je sais bien que j'aime encore Nina ! » dit-il sur un ton peut-être plus virulent que ses précédentes paroles. « Je peux très bien imaginer la situation inverse, si j'étais avec Nina serais-je heureux sans Summer ? Rien n'est moins sûr. » Au fur et à mesure qu'il avait parlé, son visage s'était légèrement crispé. il avait réalisé, doucement, qu'il était probablement dans le faux, mais qu'importe. « Je fais peut-être un choix de raison, mais je sais que c'est avec Summer que je dois être. » Il faut dire que Nina n'était plus disponible, de toute façon ...

Le conseil que le professeur avait donné à son ami semblait arriver trop tard. Ce dernier avait déjà fait les frais de la routine, ce monstre qui venait ronger les vieux couples. 12 ans ... Le temps était long, effectivement. « Tu sais, je ne pense pas qu'il y ait de bons ou de mauvais choix, il y a ceux que tu fais, et ceux que tu ne fais pas, par manque de cran ou d'opportunité. On dit bien "c'est fait c'est fait", et si tu as pris telle ou telle décision c'est pour de bonnes raisons, du moins à l'origine. » Lorenzo ne pouvait simplement pas croire que, depuis le début, Adrian n'éprouvait aucun sentiment pour Juliet. Il y a 12 ans, il était encore un adolescent, il n'était pas perverti par l'orgueil et la pression de son père. « Quant aux expériences dont tu parles ... A quoi bon décrocher la lune ou escalader je ne sais quel montagne, si c'est pour se retrouver seul au final ? L'être humain n'est pas fait pour vivre seul. Et moi j'y crois, à l'amour éternel » En fait, il voulait simplement montrer à Adrian que, s'il ne s'était pas engagé si tôt avec Juliet, s'il avait vécu d'amour et d'eau fraiche, s'il avait réalisé je ne sais quel projet, peut-être se retrouverait-il seul, à la fin du jeu. Rien n'indiquait que Sasha n'aurait pas trouvé un prétendant avant. Quand on aime, rien ne valait d'attendre. Il avait aimé Juliet, et probablement l'aimait-il toujours, on n'oublie pas un premier amour. Mais dès lors, Lorenzo réalisait ses erreurs. Il avait voulu partir, vivre sa vie, comme ça sans réfléchir, et au final il avait perdu la partie.« Je rêvais d'aventure, de vie sans attache, alors je suis parti ... Tu me trouves plus heureux que toi, aujourd'hui ? »

Je me souviens du jour où Lorenzo à quitté Magnolia. On ne savait pas pourquoi il partait, ni vraiment ce qu'il allait chercher ailleurs. Il n'a jamais été vraiment capable de nous expliquer pourquoi il partait, mais nous savions bien que quelque chose ici le dérangeait. Les rumeurs à son sujet peut-être... ce sont elles qui l'ont fait fuir. Il ignorait combien de temps il allait partir, s'il allait revenir un jour, mais nous disait simplement qu'il ne pouvait pas rester ici, qu'il avait besoin de changement, de sortir de Magnolia quelques temps, peut être pour y revenir lorsqu'il s'en sentirait prêt. Il est donc parti, rapidement. Peut être cachait-il un lourd secret, comme la plus part des gens ici.

Lorsque Lorenzo a refait surface ici, c'était étrange. Il était marié à Summer, que nous ne connaissions pas, et il semblait avoir beaucoup changé. Le type fêtard que je connaissais était devenu un homme responsable, droit... Oui, il avait grandit. Et même si j'avais désormais l'impression d'ignorer tout de lui, c'était comme si je ne l'avais jamais quitté. Même s'il n'a donné aucune nouvelle durant son absence, il était toujours Lorenzo Di Mascio, mais un Lorenzo plus sage. Et aussi plaisant soit il, je découvrais lors de chacune de nos rencontres une nouvelle facette de sa personnalité.

A force de discuter, je comprenais enfin pourquoi il avait mis un pied en dehors de la ville, quelques temps. Je découvrais l'identité de la jeune étudiante dont il était amoureux à l'époque, et en l'écoutant se confier, je retrouvais les quelques traits du Lorenzo que je connaissais avant son départ. Pourquoi était-il revenu à Magnolia, s'il se doutait que recroiser Nina pouvait peser sur sa conscience et refaire basculer ses sentiments? Finalement, n'aurait-il pas eu plus intérêt à rester à New York? Il confessait qu'il ressentait encore bien des choses pour Nina, mais qu'il avait décidé d'être raisonnable, affirmant avec aplomb et conviction qu'il se devait d'être avec Summer. Il semblait déjà avoir fait son choix, et venant du Lorenzo responsable et adulte que je découvrais chaque jour depuis son retour, je ne pouvais m'empêcher de penser que cette décision avait été longuement réfléchie. Soit, qu'il en soit ainsi. J'espère juste qu'il ne s'en mordra pas les doigts, et qu'il sera heureux. Je ne trouvais donc rien à redire, il avait probablement raison sur toute la ligne. J'acquiesçais donc.

Notre situation était peut être similaire, c'est vrai. Mais Lorenzo et moi étions rarement sur la même longueur d'onde, et pensions différemment. L'inciter à finir dans les bras de Nina, m'aiderait certainement à prendre ma décision quant à Juliet... Du moins ça serait plus facile. Voir comment les choses se passent chez les autres, pour oser à son tour. C'était ridicule, et très mauvais de ma part que de penser comme ça, mais je me rendais compte que j'avais très peu de courage, et que je me laissais plus facilement mourir que je ne décidais de me battre. Je faisais l'autruche, voila tout. Lorenzo croyait en l'amour éternel, de mon côté j'étais beaucoup plus septique. La simple idée que mon père puisse être lié à la mort de ma mère, ou qu'il ait été voir ailleurs et mis enceinte une autre femme dans le plus grand secret, me laisse penser que les gens ne sont pas toujours fait pour demeurer ensemble toute une vie. Et étrangement, alors que je le refusais encore, je me retrouvais presque dans la même situation que Joey 26 ans plus tôt, à vivre dans le secret, pour ne pas perdre la face et ne pas entacher l'honneur de notre famille. DS n'a pas dit dans son dernier article que j'avais des sentiments pour Sasha, elle n'a parlé que de ceux de la jeune femme à mon égard, la faisant passer pour la pire des idiotes, la fille la plus naïve au monde... Si DS avait révélé mon attirance pour Sasha, en mentionnant même que Juliet était enceinte à ce moment là, je pouvais dire byebye à ma réputation... C'était aussi ça le problème, porter un nom difficile à assumer, devoir toujours penser aux conséquences avant d'agir, être irréprochable. Parfois même, je me dis que partir d'ici, comme Lorenzo l'a fait quelques années plus tôt, serait probablement judicieux.

Parfois, il est vrai que je regrette de m'être mis en couple aussi jeune. Je parlais de cette envie de vivre de nouvelles expériences à Lorenzo. Puis je me souvins alors que Lorenzo avait profité de ce départ pour vivre ces propres expériences. Il était revenu, et se rendait finalement compte qu'il n'était pas plus heureux que lorsqu'il nous avait quitté. Il me demanda alors si je trouvais qu'il était plus heureux que moi aujourd'hui... J'avalais ma salive, un peu surpris qu'il me prenne a parti alors que je ne m'y attendais pas. "J'imagine que non, si tu le dis. J'entend bien tout ce que tu me dis Lorenzo, mais je ne peux pas m'empêcher de me poser la question. Ca n'a pas forcément marché pour toi, mais ça pourrait être différent pour moi... ou alors le résultat serait le même. On n'en sait rien, le problème est là." Je soupirais longuement. Au fur et à mesure de la conversation, je culpabilisais de n'avoir jamais eu cette discussion avec Lorenzo, bien avant. Il avait passé des mois à tenter de me raisonner, à faire en sorte que je me sente mieux une fois les choses dites. Et je me rendais compte que mes problèmes avaient pris le dessus, et égoïste, j'en avais oublié de savoir comment lui allait. Sa dernière remarque sur lequel de nous deux était le plus heureux avait alors intensifié chez moi ce sentiment de culpabilité. Soucieux, je reprenais: "Je ne t'ai jamais vraiment connu malheureux. Tu as un peu cette faculté surhumaine de ne rien montrer lorsque ça ne va pas. Je ne m'étais rendu compte de rien jusqu'à ce que l'on en parle... Ca m'embête.".

Lorenzo avait malencontreusement confondu vitesse et précipitation. Alors qu'il souhaitait démontrer à Adrian qu'accomplir tous ses rêves n'était pas forcément signe de bonheur, il l'avait finalement fait culpabiliser. Parler sans réfléchir au préalable, voilà qui ne ressemblait pas au professeur. Mais quand il s'agissait de Nina, ses pensées perdaient facilement les pédales. Il suffisait qu'il ait son prénom en tête pour que ses facultés primaires soient défaillantes. « Adrian ... Tu attends que je te dise quoi ? "Tu as raison, quitte Juliet, vis tes rêves et vois où la vie te mène" ? ou carrément "réfugie toi dans les bras de Sasha" ? » Comme si Adrian attendait une approbation, une excuse pour se dévier du droit chemin. Mais Lorenzo, lui, avait toujours mal agi sans pare-feu pour se protéger ensuite. « Peut-être que ça fonctionnera pour toi, peut-être pas. Mais si tu fais ton égoïste, tu auras à jamais sur ta conscience le fait d'avoir laissé Juliet. C'est entre toi et toi seul, Adrian » Puisque c'était bien de ça, qu'il s'agissait. Mais au fond, ni l'un ni l'autre n'était bien objectif dans cette histoire, au final. Lorenzo, apparemment plus mature, choisissait la sagesse, et restait avec sa femme. Mais Adrian, plus jeune et moins raisonnable, mourrait d'envie de quitter la sienne. Des situations fort similaires, deux réactions fort différentes ... Mais au fond, si Adrian choisissait de vivre sa vie comme un égoïste, Lorenzo finirait forcément pour le jalouser, même s'il resterait convaincu qu'il n'avait pas fait le choix d'un homme adulte, mais d'un gosse pourri gâté.

« Non non Adrian, excuse moi on se comprend mal. Je n'ai jamais eu à me plaindre, tout a toujours été plutôt bien. » Il soupira, posant les mains sur son visage. « Mais la situation avec Summer met mes nerfs à rude épreuve, ces derniers temps, je l'admets. On se croise tous les jours, au bureau, chez nous, mais il y a cette gêne entre nous, et je ne trouve toujours pas comment tout arranger, je vais finir par désespérer. » Il laissa passer quelques minutes de silence, plongé dans ses pensées. Il avait envisagé de repartir à New York, bien des fois, là bas la vie était plus facile. Mais la situation présente était trop compliquée, et certains engagements passés l'en empêchait désormais. Alors, il ne restait qu'à réparer les pots cassés, et apprendre à vivre à jamais avec un vase brisé, contempler ses fêlures, les marques de colle d'un travail bancal et si fragile. Sur les ruines de leur mariage, ils construiraient un temple de pacotille, mais suffisant pour ne pas sombrer, pour se voiler la face le restant de leurs jours, et mimer un semblant de bonheur. « On a envisagé de partir en weekend, loin de tout ça, un retour aux sources, je crois que c'est notre dernière chance ... »

La discussion avec Lorenzo aurait pu rapidement tourner au vinaigre, vu nos deux points de vue complètement divergeant. Il fallait peut être que je mette un peu d'eau dans mon vin, et que j'arrête de me poser trop de questions. Les choses étaient ainsi, il fallait peut être que je m'en contente. "Mais non Lorenzo, non..."Même si je n'avais pas envie de croire que Juliet et moi avions encore un avenir ensemble, il suffisait tout simplement de laisser le temps faire les choses, mais j'avais aussi de gros effort à faire. "Non je ne veux pas que tu me dises ça Lorenzo... je sais très bien ce que tu penses, et je ne cherche pas à te faire changer d'avis... Ca me gonfle tellement, les choses auraient pu être différentes, j'aurais pu être quelqu'un d'autre, penser différemment, et je n'en serais pas là aujourd'hui, à me poser toutes ces questions, parce que les choses seraient claires et évidentes: Je suis lié à Juliet, et à personne d'autre. Mais elles ne le sont pas. Et ça me tue... Et je ne suis pas quelqu'un d'égoïste, tu le sais. Si je ne pensais qu'à ma gueule, je n'aurais aucun scrupule à faire des choix, uniquement à mon avantage. Je sais que les choses ne se passent pas comme ça, je m'en rend compte à chaque fois que l'on en parle..."

Je me levais de ma chaise, et avançais de quelques pas dans la pièce. Mon regard se posa ensuite sur le diplôme de Lorenzo, et en lisant la date d'obtention, je me rendais compte que le temps passait bien vite. Nous n'étions plus des enfants, et parfois je rêvais juste de retourner des années en arrière, juste pour retrouver cette innocence et ne plus avoir tant de responsabilités à assumer. J'allais être père dans quelques jours, et n'ayant plus foie en mon couple, je craignais de ne pas avoir les épaules assez solides. Finalement, devenir un homme était plutôt difficile lorsque l'on y était si peu préparé. Je soupirais, tandis que Lorenzo reprenait la parole. Il s'excusa de m'avoir laissé penser qu'il n'allait pas bien, me faisant culpabiliser de ne pas m'en être rendu compte bien avant et de ne l'avoir jamais aidé. Mais même s'il disait que tout allait plutôt bien, je ne pouvais m'empêcher de penser que j'aurais dû être plus attentif à son égard, et m'intéresser à lui autant qu'il s'intéressait à moi. Je n'avais jamais été très doué dans les relations, et finalement, J'étais bien plus égoïste que ce que j'imaginais. Je plongeais mes mains dans mes poches, me tournant vers Lorenzo. Il expliquait alors la situation dans laquelle Summer et lui se retrouvait dernièrement. Ils se croisaient tout le temps, et ni l'un ni l'autre n'arrivait à faire abstraction sur cette histoire qui liait Lorenzo à Nina. Ca semblait logique, il fallait qu'ils crèvent l'abcès, et un weekend en amoureux pour effectivement leur permettre de se donner une dernière chance. J'acquiesçais, j'étais plutôt de son avis. Au moins Lorenzo avait le courage de prendre des initiatives pour sauver son couple, et pour se rendre la vie meilleur. Rien que pour ça, je l'admirais. "Tu sais quoi? Je pense que tu as raison... Il t'a suffit de t'éloigner quelques temps de Magnolia pour "refaire ta vie" autrement... J'espère que ce weekend t'aidera à ouvrir les yeux, et que tu finiras par trouver solutions à tes problèmes. Un weekend en amoureux, un bébé... peut être sont ils les remèdes à tous nos soucis!".

Ils étaient dans la même situation, simplement Adrian semblait plus enclin à dévier du droit chemin que Lorenzo. Pourtant, l'italien en mourrait autant d'envie. Mais le respect envers Summer le retenait. A croire qu'il aimait plus sa femme que Adrian n'aimait Juliet. Après tout, ce qu'on avait pu lire dans Dirty Secret à propos de l'avocat - on lui prêtait même une liaison avec Diana, la fiancé de Liam - était peut-être fondé. Adrian avait-il cédé à ses faiblesses là où Lorenzo résistait encore et toujours. Mais cela ne voulait pas forcément dire que ses sentiments pour Juliet étaient éteints. « Notre situation ne nous convient pas parfaitement, nous aimerions changer ceci ou cela ... Mais au fond, je finis par me dire que nous ne sommes pas à plaindre. Et aussi surprenant que ça soit, ça m'aide à faire taire mon égoïsme, et à m'accommoder à cette situation que je rejette. » dit-il, comme pour conclure.

Adrian se leva prestement, sans prevenir, et non sans surprendre le professeur. Il le regarda arpenter le bureau, qui semblait tout à coup si petit, avec un Adrian si imposant au milieu. Il dégageait prestige et respect. Lorenzo ne connaissait pas Juliet plus que ça, mais il avait toujours pensé - avant de connaître les problèmes du couple - qu'ils allaient parfaitement bien ensemble. Deux personnes parfaites pour prendre la relève au titre du "couple parfait". Une femme au foyer exemplaire, douce, aimante, et un homme fort et puissant. Et Lorenzo aurait mis sa main à couper que bien des couples du quartier ne connaissaient pas le bonheur. Prenez cet élève là, William Livingstone. Quand Lorenzo recevait ses parents, la mère dirigeait toujours la réunion, la discussion, et le père se taisait, obéissant à sa femme tel un petit toutou bien dressé. Eux, ne devaient pas être très heureux. Pourtant, beaucoup les admiraient. Ah croire qu'on ne peut pas tout avoir, que certaines concessions doivent être faites. Pourtant, Adrian semblait convaincu - ou alors tentait désespérément de se convaincre - qu'ils leur restaient un espoir, à ces deux malheureux malades d'amour. Aucune cause n'est perdu tant qu'il reste quelqu'un d'assez fou pour se battre pour elle, a dit un jour un pirate renommé (oui, je tire ma citation de Pirates des Caraïbes, et alors). Et Lorenzo et Adrian battaient des records de folie. Tout, plutôt que d'admettre qu'ils étaient condamnés. « Ah, je préfère ce discours optimiste ! Après tout, peut-être qu'il suffit juste d'y croire. » Il sourit, s'imaginant déjà New York, loin de tout.

« Au fait, ça n'a fichtrement rien à voir, mais à la fin du mois je vieillis. Il y a de la place, dans ton emploi du temps d'avocat overbooké, pour une soirée poker entre mecs le samedi 23 ? J'ai invité la bande habituelle ... Le bébé sera déjà né, au fait, à ce moment là ? » Avec tout ça, Lorenzo n'avait même pas demandé la date prévisionnelle de naissance.

Un sourire sur le visage de Lorenzo, apparemment j'avais réussi à le satisfaire par ma réponse. Je me demandais à mon tour s'il ne fallait pas que Juliet et moi envisagions de partir quelques temps, histoire de changer d'air et nous retrouver. C'était peut être une bonne idée. Mais avec l'arrivée du bébé, nous devrons attendre un peu avant de prendre des vacances! Je sais que nous allons devoir passer un peu plus de temps ensemble. Je vais lever le pied sur le boulot, quelques semaines pour pouvoir épauler Juliet dès son retour de la maternité. Joshua saura se débrouiller sans moi au bureau. J'ignore encore si Heathcliff va vraiment rester à Magnolia, mais s'il reste, mes deux frangins pourront reprendre l'affaire durant mon absence.

Je relevais la tête, adressais un léger sourire à Lorenzo, puis plongeais mes mains dans les poches de mon blouson. "Et vous iriez-où si ce n'est pas indiscret?" demandais-je, curieux.

Quelques instants plus tard, Lorenzo me demanda si j'étais disponible le 23 février pour une soirée poker. On m'invitait rarement à fêter un anniversaire, je n'allais pas manquer l'occasion. Il fallait encore que je sois libre, et je savais qu'avec la naissance de Logan, je serais bien occupé. La naissance du petit est prévue pour le 13, soit dans 3 jours. Le 23, j'arriverai bien à m'échapper du domicile familiale pour aller me la coller avec les copains! J'adressais un franc sourire à mon ami puis lui dit: "Oui oui, Logan devrait naître dans quelques jours! Je pense que tu peux m'ajouter à la liste de présence pour le 23! Ca nous fera du bien de tous se retrouver depuis le temps! En tout cas merci de ton invitation!" déclarais-je avant de me souvenir que Liam serait certainement de la partie. Je ne l'avais pas beaucoup vu depuis l'histoire avec Diana, et nos derniers échanges avaient tourné au vinaigre. Mais je viendrais surtout pour Lorenzo, même si je dois affronter les pulsions meurtrières de Parker toute la soirée!

Quelques instants, Lorenzo imagina son week-end avec summer, loin de magnolia et de ces souvenirs qui les empêchaient d'être heureux. Il ne savait pas vraiment ce qui adviendrait lors de ces quelques jours rien qu'à deux, mais une chose était certaine : il ferait tout pour arranger son couple, pour utiliser cette dernière chance que sa femme lui accordait. Un sentiment de honte l'envahissait, quand lui revenait en mémoire cette horrible soirée, la tristesse mêlée au désespoir qui se lisait sur le visage de la jolie rousse, après qu'il ait prononcé le prénom d'une autre. Mais ils devaient passer outre et aller de l'avant, ils en étaient capable, ils n'avaient pas le choix. « Nous irons très certainement a New York. C'est là bas que notre histoire a commencé après tout. »

Mais gêné que son mariage accapare tant de temps dans leur précieuse conversation, Lorenzo finit par changer de sujet. Évoquant son anniversaire, qui sonnerait d'ici quelques semaines des 29 ans, il convia son ami a une soirée poker chez lui. Celles ci se faisaient rares, chacun devenait peu a peu occupé par ses propres problèmes, délaissant des amis. Cette soirée serait l'occasion pour tous de se retrouver, même si elle représenterait pour Lorenzo sa dernière année dans la vingtaine, alors que Nina n'avait même pas encore entamé la sienne. Nina, encore Nina, il se réprimanda en silence de penser a elle, comme si le sujet le plus anodin était prétexte pour évoquer la jeune fille, comme si tout dans sa vie se rattachait a ce fantôme d'amour passé, venant le hanter. Il calma le léger tremblement de ses mains, agacé. Il devait arrêter de se laisser aller ainsi à des sentiments si futiles. Mais il allait finir par croire que seul un neurologue pourrait lui sortir cette fille de la tête. « En voilà une bonne nouvelle ! Et j'ai hâte de voir ce petit Logan, alors » conclut-il, non sans penser que lui était plus âgé et toujours pas papa. loin de lui l'envie de gâcher la joie de son ami, il garda pour lui cette pensée déprimante. Qui sait, peut-être qu'une petite italienne rousse feu peuplerait bientôt le quartier. Mais pour se faire, il devait d'abord arrêter de penser à une autre en évoquant sa femme.