Depuis quelques semaines, j’étais papi, mon héritier venait d’avoir un fils, un héritier, à son tour. Cela ne me plaisait guère, il n’était pas prévu dans l’agenda que je lui avais préparé. Il commençait à prendre son indépendance, et je n’aimais pas ça. Je ne pouvais plus choisir ce qu’il devait faire. Toutefois, j’avais été les voir dans leur nouvelle maison, un peu plus loin dans notre rue, en compagnie de ma femme. Comme cadeau de naissance, j’avais ouvert un livret d’épargne où j’avais mis une somme assez convenable. Je l’avais fait pour chacun de mes enfants, proportionnellement à leur ordre d’arrivée bien sur. Adrian avait eu beaucoup plus dans ce livret que la petite dernière. J’avais fait de même pour Logan. Peu de temps après ça, une violente dispute avait éclaté. Il m’avait envoyé au visage qu’il ne m’était aucunement semblable et qu’il ne serait jamais, au grand jamais comme moi. Je ne lui ai pas montré, mais cela m’avait fait souffrir. J’avais de grands projets pour lui et il ne le pris même pas en compte.

Une journée de travail acharné venait de se terminer pour moi, j’avais pris la voiture pour rentrer dans la maison des O’Conell. Alors que je patientais au feu rouge en songeant à Adrian et à notre dernière dispute, je vis une scène digne d’un film qu’Eliza aimait tant. Une jeune femme blonde, je reconnu Sasha Adamovitch, se faisait courir après par un beau jeune homme qui avait l’air un peu soul. Je regardais un peu plus attentivement et je vis que c’était Adrian, mon fils. J’observais plus attentivement la scène, en lançant des regards furtifs vers le feu en attendant qu’il verdisse. Ce carrefour était réputé pour avoir les feux les plus longs du quartier, une aubaine pour moi à cet instant. Mon héritier avait réussi par rattraper la jeune blonde, puis il l’embrassa fougueusement avant de ne l’emmener dans une ruelle sombre à l’abri des regards Mais cela avait été trop tard, j’avais tout vu. Le feu passa enfin au vert, j’accélérai donc tout en étant plus concentré sur ce que je venais de voir que sur la route, mais j’étais un très bon conducteur, je n’avais pas de soucis à me faire. Non, les soucis, c’était plutôt Adrian qui allait les avoir. Lui qui me disait qu’il n’était pas du tout comme moi, voilà qu’il a eu tord de sous estimer le sang O’Conell. Je riais, telle une sorcière, dans ma voiture. J’allais pouvoir utiliser ses nouvelles informations pour jouer avec lui. J’avais toutes les cartes en main à présent. Je m’en lavais les mains.

Quelques jours passèrent et je n’avais toujours pas eu l’occasion de voir Adrian, ce qui allait changer ce soir, même si je ne le savais toujours pas à l’heure actuelle. Il était presque 20h, comme à mon habitude, j’étais tranquillement en train de me siroter un petit verre de whisky pur malt en me fumant un bon cigare et en lisant mon journal quotidien. Alors que je venais de finir mon verre et de le poser sur la table basse, j’entendis la porte d’entrée s’ouvrir, croyant que c’était la dernière j’envoyai d’un ton sec et froid. « C’est à cette heure ci que tu arrives ? » Puis je remarquai mon erreur, mais je ne me défilai pas en voyant mon futur héritier. « Je t’attendais plus tôt fils. » Je me levai en direction du buffet où était rangé les bouteilles et je me resservis un verre puis en pris un autre et le remplis également. Je tendis, enfin, ce dernier à Adrian. « Tu m’accompagnes ? » C’était une question rhétorique, puisque je lui avais déjà servi le verre et qu’en bon fils bien élevé, il n’allait pas refuser ma proposition.

Leur dernière rencontre avait été électrique, le fils et son père n'était plus aussi proche qu'ils ne l'étaient quelques mois plus tôt. Quand Franny O'Conell est décédé en 1996, Adrian avait tout juste 9 ans. Depuis ce jour, Joey était la seule personne sur qui Adrian pouvait compter. Adrian se souvient encore de ce jour d'école où, malade comme une chien, son papa était venu le chercher pour le ramener à la maison.

***

Joey venait de se garer devant l'école primaire. Une heure plus tôt, la maîtresse lui avait téléphoné. Le jeune Adrian se sentait mal, très mal. Il était recroquevillé sur son lit, à l'infirmerie, prit de douleurs au ventre. Il avait une sacrée fièvre, il ne pouvait même plus bouger la tête. Joey passa la porte de l'infirmerie, puis s'assis sur le rebord du lit. Il regarda un instant Adrian, lui demanda où il avait mal. Le jeune garçon resta silencieux. Le front couvert de sueur, il tremblait presque tellement il avait froid. Joey passa sa main sur son front puis laisse ses doigts filer entre les cheveux d'Adrian. Il posa sa deuxième main sur le dos de son fils, puis lui demanda de se lever, pour qu'il puisse le reconduire jusqu'à chez eux. Adrian ouvrit les yeux, et hocha la tête. Il grimaça en tentant de se relever, et de sortir du lit. Il saisit la main de son père, et se hissa hors du lit. Il le suivit ensuite jusqu'à la voiture.

Arrivé chez eux, Adrian se laissa tomber dans le canapé. Son visage était pâle, il avait vraiment mauvaise mine. Joey vint s'asseoir à côté de lui. Adrian lui dit: "C'est bon, t'inquiète pas Papa, ça va...". Joey resta là, une bonne dizaine de minute, silencieux, à côté de son fils. La petite famille tentait de se remettre du décès de Franny, survenu quelques mois plus tôt. Arriver dans une nouvelle ville, loin de Boston, n'avait pas été chose facile. S'acclimater l'était d'autant plus. Adrian était devenu de plus en plus anxieux, et Joey ne s'étonnait même pas de le trouver dans cet état là..."

***

Il en avait voulu longtemps à son père de ne lui avoir jamais dit qu'il avait un grand frère. Il s'étonnait même de s'en être rendu compte aussi tard, comme quoi, Joey O'Conell avait aussi des petits secrets bien gardé. Il lui avait dit ne jamais vouloir devenir comme lui. L'avocat lui avait clairement dit qu'il ne serait jamais comme son père. Il n'avait pas eu l'impression que cela ennui son père, mais il se trompait certainement.

Son aventure avec Sasha lui avait fait finalement prendre conscience qu'il suivait dangereusement le même chemin que son père. Et Adrian ne supportait pas l'idée d'être la successeur parfait de son monstre de père. Mais comme on dit si bien, tel père, tel fils. Quand Heathcliff avait quelques jours plus tôt appelé Adrian "Mini Joey", l'ex aîné de la famille s'était emporté dans une colère incommensurable, faisant valser tous les objets présents dans le salon de la maison O'Conell. Non, il n'avait pas aimé qu'on lui face prendre conscience de ses erreurs.

Le jeune avocat était donc dans un sale état ses derniers jours. Il était pris de remords quant à son attitude envers Juliet, mais il n'arrivait pas à chasser de sa tête la belle Adamovitch. Il ne savait toujours pas faire un choix, et il craignait que Juliet s'en aille avec Logan lorsqu'elle apprendrait la nouvelle.

Adrian avait donc décidé de se rendre au numéro 8 pour emprunter quelques outils à son père. Il voulait continuer les travaux dans sa nouvelle maison, pour se vider la tête et se libérer l'esprit. Il poussa la porte d'entrée... puis entendit la voix grave de son père retentir depuis le salon: « C’est à cette heure ci que tu arrives ? ». Adrian fronça les sourcils, depuis quand devait il rendre des comptes à son père sur l'heure de ses sorties et ses entrées? Il avança jusqu'au salon, silencieux, tout en quittant son blouson. Là son père leva la tête et lança: « Je t’attendais plus tôt fils.... Tu m’accompagnes ? ». Adrian hocha la tête, et se dirigea vers son père. Il attrapa le verre que Joey venait de lui servir, et fit une légère accolade à son père pour le saluer. "Je... Je ne m'attendais pas à te trouver à Magnolia, encore moins à la maison. Tu vas bien?" demanda poliment Adrian, surpris de rencontrer son père en plein milieu de la semaine.

Alors que j’attendais mon fils, je jubilais rien qu’à l’idée que je pouvais le faire chanter, lui qui m’avait blessé plus tôt en hurlant qu’il n’était pas un mini-Joey. J’allais pouvoir jouer avec lui et lui faire cracher le morceau. J’étais un très grand oratoire, il ne fallait pas l’oublier. Quand je l’entendis entrer dans la maison familiale des O’Conell, je l’accueilli d’abord par une réponse un peu sèche, croyant que c’était la cadette, mais je me repris rapidement et lui tendit un verre de ce whisky qu’il adorait. Le travail au corps allez être plus facile avec un peu d’alcool dans le sang. Lorsque Adrian pris le verre que je lui avais servi, il fut étonné de me voir ici à Magnolia, et me demanda si j’allais bien. Oh que oui, il ne pouvait pas se douter à quel point.


Tout en sirotant doucement le verre que j’avais dans les mains, je répondis à mon fils « Demain je suis dans le coin, alors j’avais envie de passer par la maison, c’est toujours la mienne il me semble non ? » Dis-je avec un petit sourire, bien que le ton employé fu toujours un peu sec, comme à mon habitude. « Moi ça va, et toi fils, comment ça va, et ta femme et ton fils vont bien ? » En attendant sa réponse, je l’invitai à prendre place sur le canapé à côté de celui où j’allais m’installer. Mais avant cela je pris la bouteille de whisky ainsi que mon paquet de cigares, les allumettes et le cendrier étaient déjà sur la table basse qui se situait face aux fauteuils confortables.

Spoiler:

« Demain je suis dans le coin, alors j’avais envie de passer par la maison, c’est toujours la mienne il me semble non ? » lança fièrement Joey. Il se montrait toujours froid, mais ce n'était qu'une apparence. Joey savait bien qu'Adrian n'était pas venu pour lui chercher des poux. Cette période était révolue, depuis que le jeune O'Conell avait accepté le fait qu'il ne soit désormais plus l'aîné de la famille. Puis ces derniers mois, et les précédents évènements lui avait appris à prendre plus de recule, à faire passer Joey en second plan, et à vivre sa propre vie sans le laisser le mener à la baguette. Cependant, Adrian n'en restait pas moins le fils de Joey, et il savait que même s'il n'arrivait plus à lui faire confiance, il pourrait tout de même trouver du réconfort auprès de lui. Adrian acquiesça d'un sourire timide, puis répondit: "Je te l'accorde, c'est bien plus ta maison que la mienne à présent!". Depuis qu'il vivait à l'autre bout de la rue, Adrian avait complètement abandonné la maison du n°8. Mais il n'était jamais contre une petite visite, histoire de retrouver ses vieux souvenirs d'adolescent, ou passer du temps sur le canapé à regarder de vieux films avec Heathcliff et Claire.

« Moi ça va, et toi fils, comment ça va, et ta femme et ton fils vont bien ? ». Cette question était redoutable. Elle forçait bien souvent Adrian à mentir, pour ne pas continuer à devoir s'expliquer sur la chose. Son couple était une catastrophe. S'il y avait bien une chose dans laquelle Adrian excellait, c'était l'éducation de son fils. Jamais il n'aurait pensé être aussi doué pour s'occuper d'un nourrisson. Adrian fit la moue, puis avala une gorgée de son verre. Hors de question de parler de ses précédents ébats avec Sasha à son père, ça ne le regardait pas... et Adrian n'osait pas imaginer sa réaction s'il l'apprenait. Le savoir avec Juliet, c'était aussi l'assurance de préserver un patrimoine financier entre les familles Davies et O'Conell, mais il n'y a que les hommes d'affaires comme Joey et Monsieur Davies qui savent de quoi ils parlent. "Oui... oui tout va bien. Juliet est à New York en ce moment, et... je me débrouille plutôt bien avec le petit... Tout est... super." déclara t'il en balbutiant. L'histoire avec Sasha lui pesait de plus en plus sur la conscience, et il était bien difficile pour Adrian de ne pas le laisser ressentir dans ses réponses.

Depuis quelques temps, je sentais mon fils s’éloignait de moi, Adrian commençait à prendre son indépendance, à prendre son envol. Depuis qu’il était devenu père, il avait aménagé dans une maison non loin de la demeure familiale. Ça ne me plaisait guère. J’aimais avoir de l’influence et le contrôle sur mes enfants, surtout lui, le futur héritier O’Conell.  "Je te l'accorde, c'est bien plus ta maison que la mienne à présent!" Il avait dit vrai, même si cela était légèrement douloureux pour moi, je ne le montrai pas d’un poil. Cela m’embêtais pas parce qu’il me manquait, non, je n’étais pas sentimental, mais pour ce que je vous ai dit plus haut, parce que j’aime avoir de l’emprise sur mes enfants. Et là, du fait de son éloignement, je n’en ai plus autant. « Tu as raison fils » M’exclamais-je en m’approchant de lui et en le tapotant amicalement sur l’épaule, comme le faisait parfois un père sur son fils. Je tentais de l’amadouer, pour lui faire cracher le morceau concernant son aventure avec la jeune Sasha Adamovich.

Captif, je guettais le moindre micro-geste qu’il pouvait faire lorsqu’il tenta de répondre à ma question sur sa nouvelle petite famille. Je maitrisais parfaitement l’art de la synergologie, l’étude des gestes inconscients des personnes. Cela m’avait permis à plusieurs reprises de casser mes adversaires politiques en leur poussant dans leur retranchement et en m’amusant avec eux. "Oui... oui tout va bien. Juliet est à New York en ce moment, et... je me débrouille plutôt bien avec le petit... Tout est... super." Oh oh, je voyais là qu’il commençait à balbutier, je sentis qu’il commença à perdre pied, il fallait que je continue sur cette pente. Qu’il soit tellement dans ses retranchements qu’il aurait l’impression de se trouver à l’intérieur d’un isoloir. « Super… ?» Je reprenais son dernier mot avant de reprendre. « Bah tant mieux. J’espère que tu ne te sens pas trop seul le soir à s’occuper du petit alors que Juliet est partie à New York. » J’y allais doucement dans mes propos, savourant chaque instant en dissimulant parfaitement l’air narquois que je faisais habituellement. Il ne fallait pas que mon fils voit que je sais tout, et il n’allait pas le savoir avant que je ne le décide. C’est-à-dire, quand il m’aura tout avouer.

Spoiler:

D'ordinaire, rester dans la même pièce que Joey demandait à Adrian un effort surhumain, mais cette fois-ci, il ne se sentait pas mal à l'aise. Étrangement, il avait l'impression de retrouver ces moments intimistes et particuliers avec son père, comme à l'époque où il appréciait grandement passer du temps avec lui. C'était dommage de voir à quel point leur relation avait pu changer, si seulement le fils et le père avaient été sur la même longueur d'onde... Si Joey s'était comporté en père plutôt qu'en tirant. Ils auraient pu être heureux... Lui, son frère, sa soeur... Sa mère...

Joey s'approcha d'Adrian et tapota son épaule, un geste qui ne le surprit pas. Il avait l'habitude que Joey l'appel "fils" ou "fiston", et regrettait parfois qu'il ne l'appelle pas simplement par son prénom. Il y avait cette diplomatie au sein des familles riches, bien souvent à la limite du vouvoiement, qu'Adrian détestait. Pourquoi ne pas ajouter un "cordialement" à la fin de chacune de leurs phrases tant qu'on y est?!

Quand Joey lui demanda comment allait sa petite vie à l'autre bout de la rue, Adrian tenta de paraitre l'homme le plus heureux et le plus comblé au monde. Non, il ne voulait pas donner raison à son père. Il ne voulait pas lui laisser penser que s'il avait continué à suivre sa propre ligne de conduite, sa vie ne serait pas aussi désastreuse. Mais Joey n'avait pas l'air de croire Adrian. Il renchérit... Ce à quoi Adrian répondit : " Tu sais, je peux me débrouiller sans Juliet... Tu as fait ton job quand tu pouvais quand maman est... Partie..." . Il esquissa ensuite un sourire timide, et avala d'une traite le contenu de son verre. [b]"Tout va bien, ne t'inquiète pas Papa..."