Quoi qu'elle aurait pu penser à ce moment là, le fait qu'elle rit comme une débile n'avait en rien rendu les choses encore plus difficile. Andrew joignit même son rire à celui de la jeune brune avant de décider enfin à faire comme chez lui, à faire comme avant.

Ils étaient passés d'une atmosphère à une autre sans réelle transition. Pendant que le jeune homme racontait sa vie à Elisabeth, cette dernière décrispa et se redressa de là où elle était assise de façon à être plus confortable.

Elle avait arrêté de rire mais pas de sourire et même si ce que lui racontait son ami était loin d'être tout beau tout joyeux, elle se disait que ça faisait du bien ce partage comme ça, sans qu'il n'y ait de réel malaise. Rien n'était réglé entre eux et sûrement qu'il y aurait encore beaucoup de choses à mettre à plat, mais pour une fois, elle avait envie qu'ils fassent impasse de ça pour aujourd'hui et qu'ils parlent comme si de rien n'était,c'était sûrement la meilleure chose à faire pour l'un comme pour l'autre.

«  Oui mais c'est pas parce que tu fais ça là, que tu pourras pas changer de branche après. Quitte à faire un truc autant que ça te plaise et que tu le fasses sans qu'il n'y ait quelconque obligation. »

Elle avait toujours admiré le choix qu'avait fait Andrew de suivre une voie qu'il n'aimait visiblement mais c'était toujours gardé de le lui dire. Elle savait que sa famille était quelque peu spéciale, et que ce n'était pas toujours facile, comme pour tout le monde, mais la différence était que là, qu'il aime ou pas ce qu'il fait, il allait devoir continuer pendant un bon moment à cause de la venue du bébé.

«  Bah pour les Whiteley, désolée de te dire ça mais avec le bébé qui arrive, ils vont encore te charrier pendant un moment. Et en ce qui concerne Christian, c'est Christian quoi, tu le vois une fois tous les 36 du mois quand il décide de sortir. »

Elle savait que les anciennes relations d'Andrew n'avaient plus été les même depuis qu'il est revenu, la preuve. Mais elle n'allait pas non plus lui dire « tu l'as cherché un même temps, t'avais qu'à bien agir et voilà » ce n'était pas son genre.

«  Ouais enfin, c'est temporaire. » dit-elle en montrant à Andrew le journal. «  Je commence à être fatiguée de voir tous ces gens déprimés venir à la morgue et en plus, y a ma mère qui me demande d'être souriante alors que je dois parler à des gens qui viennent parfois identifier le corps de leurs enfants. Je sais que ça veut pas non plus dire que je dois garder le sourire et avoir l'air de vouloir faire la bamboula tout le temps, mais voilà quoi. »

Rien que de penser à son travail lui donnait un frisson tellement elle aurait préféré ne jamais connaître pareil endroit.

«  Y a des jours comme ça où je regrette le temps où on était gosse, là au moins on avait pas de réel problème. » dit-elle en souriant. « D'ailleurs elle va comment ta sœur ? »

La question qu'elle avait posé n'avait aucun lien avec la morgue et le fait qu'elle veuille retourner en arrière, mais au point où ils en étaient, si ils devaient chercher des liens à tout, ils en auraient pour la journée alors autant aller droit au but.

Quand les mots sortaient de la bouche de Elisabeth, ils gagnaient tout de suite en crédibilité. Bien des fois, afin de se rassurer, Andrew s'était répété qu'il pourrait toujours, plus tard, se relancer dans la pâtisserie et ouvrir une boutique de cupcakes. Pourtant, venant de lui, ces paroles n'étaient que des blagues sans véracité. Quand Elisabeth l'affirmait, tout devenait plus véritable, vraisemblable, et Andrew s'en trouvait alors rassuré. « C'est vrai que, quand je ne dépendrai plus de mes parents, je pourrais peut-être plaquer tout leur truc ... » Une perspective certes lointaine, mais qui le rassurait déjà.

Cependant, la jeune femme était bien moins porteuse de bonnes nouvelles, quand il s'agissait de ses amis perdus. D'un autre côté, Andrew n'était pas exactement à plaindre. Naturellement sociable, il avait toujours quelqu'un vers qui se tournait en cas de besoin. Il n'empêche que ses potos lui manquaient salement. Il était impossible pour lui d'accepter que ces trois gugus appartenaient à une époque désormais révolue. « Je sais bien, mais ils pourraient arrêter, y'a prescription. M'enfin ... » Comme à son habitude, Andrew risquait plutôt de préférer le statut quo, en regrettant silencieusement que rien ne s'arrange.

Son amie, cependant, s'était décidée à bouleverser sa vie. Changer de métier, quel choc pour Andrew. Elisabeth avait toujours été la fille de la morgue, un métier fort rigolo. « Oui, je peux comprendre, en plus voir tes parents tous les jours ... Tu cherches dans quel domaine ? » A vrai dire, il ne savait pas vraiment si Elisabeth avec un secteur de prédilection particulier.

« Juliet, comment veux-tu qu'elle aille avec un gosse, un fiancé qui la fait cocu et qui devient dingue. Quand elle a décidé de quitter Adrian et la prison qui lui servait de maison, j'étais trop content pour elle. Mais au final, elle ne pourra jamais se débarrasser de ce mec. » dit-il, désolé pour sa pauvre soeur, qui avait commis le simple crime de tomber amoureuse.

Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait plus eut de nouvelles d’Andrew qu’elle en avait presque oublié les détails de sa vie, comme par exemple qu’il était encore dépendant de ses parents. Elle avait envie de lui dire qu’il allait devoir le faire le plus tôt possible pour le bien du bébé qui n’allait pas tarder à venir, mais elle se demandait si elle était la bonne personne à lui dire ça, si c’était légitime qu’elle lui tienne ce genre de discours, après tout il n’était venu la voir que pour lui annoncer la nouvelle et avait déjà pris ses décisions avant même de lui en parler, sûrement qu’il y a déjà pensé aussi.

Elle se contenta de hausser les épaules, ne sachant que répondre. Ce qui était bizarre était que lorsqu’on connait Elisabeth, on connait une jeune brune avec un certain répondant qui a toujours son mot à dire sur tout, même quand on ne lui demande pas son avis, elle était comme ça et pas autrement, mais là, elle était  court de mots.

« Ce n’est pas tellement le fait de voir mes parents tous les jours qui me dérange… quoi que si, en fait, ça me dérange un peu, mais seulement parce qu’on passe tellement de temps ensemble qu’à un moment, ça tourne en rond et du coup quand on se retrouve à table le soir, on n’a plus rien à se raconter. »

Elle savait que ça pouvait paraitre débile de s’attarder sur ce genre de choses alors que les autres auraient seulement dit qu’ils ne voulaient tout simplement pas avoir leur parents sur le dos, mais elle n’était pas comme les autres, elle a toujours été un cas à part, il suffisait de lui parler pendant quelques instant pour s’en rendre compte.

« Et en plus je déteste cette ambiance de la morgue, donc pour le moment je pense que je prendrais tout ce qui me tombe sous la main, tant que ça n’a aucun rapport avec le morbide. Et je dois aussi dire que j’ai pas passé tout ce temps sur les bancs de l’école pour m’entendre dire aux gens d’aller vérifier si c’est bien leur fils mort sur la table. »

Lorsqu’il enchaina pour parler de Juliet, Elisabeth se senti un peu mal de poser la question, après tout elle avait entendu ce qui s’était passé depuis ces quelques temps. Elle voulait le prendre dans ses bras pour lui dire qu’elle était désolée pour sa sœur, mais elle se contenta de lever sa main, avant de la poser sur elle en faisant semblant de nettoyer ses vêtements d’une poussière imaginaire.

« Je suis désolée pour elle, mais je suis sûre qu’elle s’en sortira. » dit-elle avec un petit sourire pour accompagner ses paroles.

Encore une fois, elle ne savait pas quoi dire.

Andrew ne pouvait pas comprendre ce problème que traversait Elisabeth. Lui, comptait les repas partagés avec ses parents sur les doigts d'une main. Enfin, il exagérait un peu, mais à peine. Plus jeune, leur absence l'avait énervé, alors il avait commencé à piccoler. Une sorte d'appel au secours, persuadé que ses parents reviendraient car leur fils allait mal et avait besoin de leur présence. Tu parles, il avait tout tenté, la sonnette d'alarme fut tirée plus d'une fois, mais jamais ses parents ne s'étaient pointés au commissariat, à l'hôpital ou ailleurs.

Alors non, il ne pouvait pas concevoir un "trop plein" de présence parentale, quand les seuls souvenirs de son enfance brillaient par l'absence de M. et Mme Davies. Il se souvenait d'Elisabeth, dans le jardin voisin, jouant avec son frère, sa soeur, sous le regard bienveillant de leurs parents. Et Andrew aurait tout donné pour une telle collection de souvenirs. Il n'avait rien contre sa soeur, cette dernière avait pris soin de lui à merveille. Mais leur vie sonnait faux depuis toujours, car elle ne collait pas à l'ordre des choses.

"L'ordre des choses veut que les enfants finissent par quitter le foyer familial, alors c'est normal que maintenant tu ne te sentes pas à ta place, c'est normal que tu doives partir." répondit-il simplement.

Et effectivement, la nature de son emploi n'arrangeait rien. Travailler avec ses parents toute la journée, les voir toute la soirée, les croiser à chaque minute de sa vie, Elisabeth était obligée de saturer aujourd'hui. Néanmoins, il réalisait la délicatesse de cette situation. Elle s'apprêtait à sauter dans le vide, sans parachute, sans savoir ce qui ce qui l'attendait en bas. Lui, à sa place, serait resté dans son lit, en attendant que quelqu'un le pousse dans ce fameux vide. Eli, elle, prenait les devants, elle s'engageait, prenait des décisions. Il n'en avait jamais été capable.

Alors, quand elle assura que Juliet s'en sortirait, Andrew fut rassurée. Elisabeth était de ces personnes qui semblent détenir la vérité, les solutions aux problèmes, la sagesse en somme. Il avait toujours bu ses paroles, quand ils étaient petits, elle avait toujours arboré cet aura impressionnant. "Tu as raison, ma soeur est forte. D'ailleurs, je vais retourner la voir, je n'aime pas la laisser seule trop longtemps, avec son malade de fiancé qui rôde." Andrew imaginait Adrian tel un loup, épiant la maison des petits cochons, échafaudant un plan machiavélique pour récupérer le petit bébé cochon de sa maman. Il se leva donc, prêt à prendre congé de son amie. Mais prêt également à ne pas attendre aussi longtemps pour la côtoyer à nouveau. "Tu me tiens au courant pour tes recherches d'emploi !".

Elle lui parlait et lui racontait sa vie, comme avant, comme si rien ne s'était passé, mais elle avait bien l'impression que rien ne serait plus comme avant. Ils passèrent en revu tout ce qui était « important » dans leur vie, du moins ce qui valait la peine d'être dit. Elle était tout de même contente qu'ils se soient revus, et qu'au moins ils essaient de mettre les choses à plat, même si c'était proche de l'échec. Même si ils avaient tous les deux avancés, elle avait l'impression de reculer en même temps. C'était assez étrange comme sensation, avant ils auraient pu passer des heures à parler de tout et de rien, là... limite si ils n'avaient pas survolés leur vie.

« Oui, tu devrais aller la retrouver. »

Elle se leva en même temps que son ami et le regardait en lui souriant, elle ne savait pas quoi dire à part le raccompagner jusque la porte d'entrée, alors c'est ce qu'elle fit. Elle commença à s'avancer jusque la porte d'entrée et l'ouvrit pour indiquer à Andrew le chemin de la sortie. Pas qu'il la gênait, au contraire, c'était un peu rassurant de l'avoir chez elle, mais elle avait aussi hâte qu'il s'en aille pour qu'elle puisse débriefer de ce qui venait de se passer, seule, tranquille et posée.

« T'inquiètes pas pour ça. »

Elle continuait de sourire et prise d'un élan, elle n'a pas réfléchit et s'approcha d'Andrew pour le prendre dans ses bras l'espace d'un instant. Juste le temps nécessaire pour qu'elle se remémore de nouveau tous les bons souvenirs qu'ils avaient entre eux, ce laps de temps passé, elle se détacha avant de le fixer en souriant toujours, mais avec une pointe de rouge sur les joues. Elle n'avait pas honte de ce qu'elle venait de faire et n'était pas non plus gênée, si elle devait le faire, elle le referait volontiers, mais c'était tellement bizarre et agréable à la fois.

« A bientôt Andrew. »

Elle savait que la visite du jeune homme n'était que le premier de l'évolution de leur relation amicale, elle était d'ailleurs heureuse que tout ce soit bien passé selon elle. Elle avait dit à bientôt pour laisser sous-entendre qu'elle aimerait bien fréquenter le jeune Davies de nouveau, mais il ne fallait pas compter sur elle pour aller vers Andrew.

Quand il se leva, Andrew eut l'impression que toute la pression avait soudainement disparu de ses épaules. Il se sentait serein, bien, comme avant quoi. Et cette sensation lui plaisait, elle signifiait que sa relation avec Elisabeth pouvait redevenir quelque chose. Peut-être pas pour atteindre un niveau aussi haut que par le passé, mais ils ne resteraient pas que de simples voisins.

Devant la porte d'entrée, il hésitait sur comment dire au revoir à Eli. Une poignée de mains était à exclure, mais qu'est-ce que leur conversation lui permettait ? Il ne se posa pas la question plus longtemps quand Eli le prit dans ses bras. D'abord surpris, il resta sans bouger, tétanisé, puis réalisa qu'il était un gros andouille et passa ses bras autour d'elle à son tour. Comme avant. « Oui au revoir, à bientôt » Il s'éloigna dans l'allée puis se retourna pour lui lancer un petit signe de la main. Le sourire ne quittait pas ses lèvres, il avait l'impression d'avoir accompli quelque chose, aujourd'hui, pour changer. Et surtout, il avait hâte d'en parler à Lou. De lui dire que, finalement, il n'avait pas perdu la totalité de ses amis. Et qui sait, si sa relation avec Elisabeth était récupérable, peut-être que son amitié avec Christian le serait tout autant ...