Plus d'un an, moins ? Andrew était incapable de dire depuis quand sa relation avec Elisabeth s'était détraquée. Environ un an, oui, quand sa relation avec Lou s'était officialisée, et qu'il avait perdu d'un coup ses deux meilleurs amis. La jeune femme lui reprochant un énième mensonge, elle n'avait pas tort. Leur relation avait déjà subi un coup dur, quand Andrew avait rechuté, au bal de fin d'année. Finalement, c'était une suite logique. Andrew avait emprunté un autre chemin, sans y convier Elisabeth, et désormais il ne pouvait que s'en mordre les doigts.

Sauf que aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, il avait besoin de quelqu'un, quelqu'un à qui confier sa joie d'être papa, mais aussi sa peur, et tout à la fois. Quelqu'un comme Elisabeth. Il ne l'avait pas vue depuis environ un an, donc, l'avait croisée ça et là dans le quartier, mais la saluer simplement relevait de la mission impossible. Alors aligner plus de deux mots, non merci. Pourtant, aujourd'hui, c'est elle qu'il avait envie de voir. Une fille mature, une fille qui n'avait jamais vu en lui que le gamin irresponsable, une fille rationnelle qui ne lui dirait pas (tout de suite) qu'il était inconscient. Il avait besoin d'Eli, son ancienne meilleure amie. Alors, sur un coup de tête, il partit. Une seule maison les séparait, c'est d'ailleurs ainsi qu'ils s'étaient rencontrés. Plus petits, Andrew la voyait comme sa grande soeur. Même si seules deux petites années les séparaient, elle était bien moins névrosée que Juliet, et c'est pour ça qu'il l'appréciait. En grandissant, il avait essayé de remplir le rôle du protecteur, mais rapidement ils avaient décidé qu'il ne tenait pas la route : c'était Elisabeth, la plus responsable. Et lui se demandait parfois qui la protégeait, elle, car même si elle était inatteignable, elle ne restait pas moins humaine. Même si elle savait fermer les clapets des moqueurs - ceux qui la qualifiaient de mort vivante à cause du travail de ses parents - leurs paroles la touchaient néanmoins. Et c'était aussi pour tout ça, qu'il la trouvait géniale.

Une fois devant la maison, il commença à regretter d'être venu. Au mieux, il tomberait sur Scarlett et pourrait la saluer, au pire il tomberait sur Carl et s'enfuierait en courant. Alors, après avoir respiré un bon coup, il sonna, sans idée aucune de ce qu'il allait bien pouvoir dire.

Comme maintenant presque tous les jours, Elisabeth se retrouvait seule à la maison, ses parents étaient sortis et en ce qui concerne Scarlett et Carl, elle ne savait même pas où ils étaient passés. Elle avait apprit dernièrement qu'elle devait arrêter de se mêler de leurs histoires et leur laisser vivre leur vie, même si ils risquaient de se faire mal, elle en avait déjà trop fait et trop dit et commençait à en avoir marre de toujours s'en prendre plein la figure parce qu'ils prennent mal le fait qu'elle tienne à eux.

Bref, elle avait décidé de mettre tout ça de côté et de se concentrer sur elle même pour une fois. Elle venait de passer toute la semaine à la morgue à travailler et ce fut au bout de la bonne dizaine de cadavres, qu'elle tilta qu'elle devait se bouger pour se sortir de là. Elle adorait ses parents et le fait de travailler à leur côté était assez intéressant puisqu'elle pouvait enfin savoir pourquoi est-ce qu'ils ont décidés d'ouvrir une morgue, mais finalement, elle n'allait même pas prendre la peine d'essayer de comprendre.

La jeune femme avait déjà fait pas mal de recherches de son côté pour se trouver un nouvel emploie, mais n'avait rien dit à personne, même pas à Scarlett. Elle ne voulait pas que cela se sache, même si elle savait que sa famille aurait pu comprendre sa décision.

Allongée sur le canapé du salon, journal dans une main et crayon dans une autre, elle poursuivait ses recherches pour voir si elle ne pouvait pas trouver quelque chose qui correspondait à ce qu'elle cherchait ou du moins, tout ce qui n'était pas en relation avec des cadavres ou tout ce qui était glauque, elle avait assez donné de ce côté là. Malheureusement pour elle, elle venait de terminer les annonces qu'elle n'avait rien trouvé d'intéressant si ce n'était des personnes qui vendaient des perroquets ou des gens qui cherchaient des cours particuliers.

Même si elle commençait à perdre espoir de trouver quelque chose qui lui conviendrait un jour, elle décida tout de même de ne pas baisser les bras, elle ne devait pas, sinon elle allait devoir accueillir des gens toute sa vie dans un endroit sombre, glauque et déprimant. Et même si elle n'est pas la personne la plus optimiste du monde, il ne fallait quand même pas exagérer, ce métier n'était pas pour elle.

Se levant du canapé, elle décida d'aller récupérer le journal du jour qui devait se trouver au pas de la porte d'entrée, peut-être qu'elle aurait plus de chance aujourd'hui.

Il ne lui fallut que quelques secondes pour arriver à la porte et lorsqu'elle l'ouvrit, elle ne fut pas surprise de trouver le journal à ses pieds. En revanche, la personne qui se trouvait également là était une vraie surprise, mais bonne ou mauvaise, telle était la question.

Quelques secondes s'écoulèrent, avant que la porte s'ouvre et dévoile son ancienne amie. Et durant ce laps de temps très court, Andrew vit sa vie défiler, à vitesse grand V. Comme s'il était au bord du précipice, et qu'il allait sauter. La Tête la première. Sans parachute. Quand leurs regards se croisèrent, il sauta. Il ouvrit la bouche et déballa un flot de paroles, continu et sans grand sens. Il avait peur de ralentir, et de laisser à Eli l'occasion de le couper, le remercier puis lui fermer la porte au nez. « Elisabeth, comme vas-tu ! C'est justement toi que je venais voir ! Tu viens chercher le journal c'est ça en fait ? Eh bah tiens le voici ! » Il se baissa rapidement pour lui tendre ensuite. « Tu aimes bien lire les nouvelles ? C'est bien de se tenir informé, je devrais t'imiter, oui ça serait bien je vais commencer à lire le journal, comme ça ensuite on pourra même en discuter ensemble, très bien je vais faire ça. » Puis, parti dans sa lancée, il commença à faire demi tour, afin de retourner chez lui lire le journal.

Après deux petits pas, il se stoppa net et fit volte face en râlant, les mains plaquées sur son visage. Encore une fois, il s'emportait. « Je suis vraiment perché ce matin, désolé Eli, je venais te voir en fait, te parler, si tu as quelques minutes à m'accorder ? » Il lui lança un regard implorant, acte absolument déloyal visant à déstabiliser son adversaire afin qu'elle flanche. Il n'avait pas honte, la fin justifiait les moyens. De toute façon, il n'imaginait pas leur première conversation pleine de regrets, d'excuses, de reproches. Ils n'étaient pas comme ça. Éventuellement, Elisabeth débuterait par une bonne engueulade. Et ensuite, si possible, ils reprendraient une relation normale, comme avant. Du moins, il l'espérait. Alors, il passa sa main derrière son dos et croisa les doigts, juste au cas où, pour demander à la chance de lui filer un petit coup de main.

Elle ne dit pas un mot et fixa la personne en face d'elle avec la bouche à peine ouverte, pour montrer son étonnement. Andrew était devant sa porte. Andrew Davies. Cela allait faire presque un an qu'ils ne s'étaient pas parlé et même si il était de retour depuis près de 2 ans, rien n'a plus jamais été pareil entre eux.

Elle avait eu beau essayé de le comprendre et de le pardonner pour qu'ils puissent tous les deux avancés, du moins qu'ils restent amis malgré tout, mais au lieu de ça, tout à complètement foiré à cause d'un énième mensonge qu'elle n'a pas pu tolérer.

Alors qu'Andrew prit la parole en premier, elle ne dit rien et resta silencieuse, n'affichant aucune expression particulière. Même si le temps les avait séparés, la jeune brune connaissait le jeune Davies et savait que cette situation n'était facile ni pour elle, ni pour lui et que pour cacher sa nervosité et surtout pour retenir Elisabeth avant qu'elle ne lui ferme la porte au nez, il allait parler vite et débiter des phrases dont lui même n'aurait jamais pensé qu'il prononcerait.

Pendant qu'il parlait et qu'il lui tendit le journal qu'elle était venue récupérer, elle le prit sans dire un mot pour autant, le laissant finir et lorsqu'il eut terminé de dire ses bêtises, elle décida de prendre les paroles, en poussant toutefois un soupir avant.

« Viens, on va parler à l'intérieur. »

Elle avait remarqué qu'il avait caché une main dans son dos, sûrement pour croiser ses doigts. Pour qu'il en arrive à un point où il compte sur sa bonne fortune pour parler à la jeune brune, il devait avoir quelque chose d'important à lui dire, du moins, il avait intérêt. Ce n'est pas parce qu'Elisabeth ne l'a pas engueulé tout de suite qu'elle ne fera pas, surtout si il lui fait perdre son temps.

Lorsqu'il fut entré, elle ferma la porte d'entrée et se dirigea vers le salon avec Andrew sur les talons. Elle était elle aussi nerveuse, voire même mal à l'aise à cause de la situation, mais essayait de ne pas le montrer et avec le journal qu'elle avait dans les mains et avec lequel elle jouait, ça pouvait l'aider grandement.

Elle s'assit sur le canapé sur lequel elle était avant d'être allée ouvrir la porte en ne lâchant pas son journal pour autant. Elle se contenta d'indiquer d'un geste de la main les fauteuils pour qu'il puisse s'asseoir, de toute façon elle savait qu'elle lui dise de s'asseoir ou pas, il allait finir par faire comme chez lui. Du moins, c'était ce qu'il faisait lorsqu'ils étaient encore proche.

«  Vas-y, je t'écoute. » lança-t-elle.

Elle avait tout d'abord baissé la tête en direction de ses mains et avait même hésité à le regarder. Mais très vite elle se dit qu'elle devait se ressaisir et ne pas se montrer faible, alors elle leva la tête en sa direction, en attendant qu'il commence.

Andrew attendait le verdict, comme s'il se trouvait dans une émission de télé réalité, et que la prochaine étape serait de gagner un million de dollars, ou de retomber à zéro et de rentrer chez lui. Il n'insinuait pas que sa meilleure amie avait un prix, cependant si elle refusait sa demande et l'envoyait bouler, ce serait le signe que tout était désormais fini. Alors il était là, stressé comme un candidat à la télé, il ne manquait que les milliers de regards braqués sur lui. Dans son dos, ses doigts étaient si croisés qu'il en avait un peu mal. C'était peut-être idiot, pourtant ça fonctionna. Contre toute attente, Elisabeth l'invita à entrer. D'abord, il crut à un blague, ou peut-être avait-il mal entendu. Mais quand elle retourna à l'intérieur, puis le regarda en attendant qu'il entre, il ne se fit pas prier et la suivit aussitôt.

Cette maison l'avait souvent intrigué, quand il était plus jeune. Embaumer les morts n'était pas une activité comme les autres, et les Spencer n'étaient pas non plus une famille banale. Avec le temps, il s'était habitué, avait compris que l'air glauque qu'il y ressentait n'était que le fruit de son imagination. Pourtant, aujourd'hui, il se sentait revenu des années en arrière, et manquait d'assurance. Alors, quand ils entrèrent dans le salon, il se précipita dans un fauteuil. Être assis le rassurait toujours, en quelque sorte. Il laissa son regard balayer rapidement la pièce, mais déjà Elisabeth l'invitait à parler. En gros, "parle ou retourne chez toi, j'ai pas trop de temps à te consacrer tu vois". Il avait presque l'impression d'être une présence gênante et dérangeante. Il connaissait Elisabeth, cet air distant qu'elle prenait, servait surtout à intimider ses interlocuteurs. Alors, est-ce que revoir son ancien meilleur ami l'agaçait réellement, impossible de le dire. Qu'importe, il pouvait se lancer tout de suite de toute façon, prendre des gants ne servirait à rien.

« Lou est enceinte, nous avons décidé de le garder, je vais être papa » récita-t-il comme une poésie trop bien apprise. Il laissa quelques minutes de silence, la nouvelle n'était pas des plus faciles à ingérer. Au moins, elle ne pourrait lui reprocher d'avoir gardé le secret très longtemps. Il la regarda, silencieuse, il appréhendait l'engueulade. Il la méritait. Mais ce dont il avait besoin, aussi, c'est que Elisabeth lui dise qu'il y arriverait. Il avait beau se répéter, que les enfants l'adoraient, qu'il n'avait jamais eu de problème à la garderie, et que les Davies roulaient sur l'or, dans sa bouche ça ne semblait pas suffisant. Andrew Davies avait peur, car oui un warrior n'est finalement pas pourquoi invincible. « Tu ... T'en penses quoi ? Tu crois que ça va aller ? »

Lorsqu'il prit la parole, elle cessa de bouger pendant une bonne dizaine de secondes, un peu comme si elle était pétrifiée. Elle ne s'attendait pas à cela et avait même du mal à le croire, elle était même à deux doigts de lui demander de répéter ce qu'il venait de dire ou alors d'arrêter de déconner comme ça. Mais elle avait surtout envie de lui demander pourquoi est-ce qu'il lui disait cela ? Pas que ça ne l'intéressait pas, mais ils avaient passés tellement de temps à s'éviter, alors pourquoi tenait-il à ce qu'elle soit au courant de sa futur paternité ? Elle n'y comprenait rien, du moins, jusqu'à ce qu'il enchaîne.

Ah. C'était donc ça. Il voulait que la jeune Spencer le conseille et qu'elle le rassure. Elle trouvait ça touchant qu'il vienne lui demander ça, mais pensait-il réellement qu'elle serait apte à lui répondre alors qu'elle avait l'impression de ne plus rien savoir de lui. Pendant tout ce temps, avant qu'il ne parte pour Londres, elle l'a fait confiance et a toujours été là pour lui, elle pensait tellement le connaître qu'il est parti sans qu'elle ne sache pourquoi et est revenue de la même façon. Lorsqu'il fut hospitalisé, ce fut la même chose. Lors de sa relation express avec Naya, c'était le même scénario.

Elle devait reconnaître quelque chose, c'était que là il n'avait pas attendu le dernier moment pour lui annoncer qu'il allait être papa. Mais n'était-ce pas trop tard pour qu'il tente de faire participer Elisabeth à sa vie ?

Quoi qu'il en soit, là, elle était beaucoup trop surprise pour lui dire tout ça et préféra essayer de passer outre l'espace de 10 minutes pour qu'elle comprenne la situation.

« Euh... wow... »

Elle se gratta la nuque en se fronçant les sourcils en réfléchissant. Elle savait qu'Andrew aimait les enfants et durant les années passés, il avait même prouvé à la jeune brune que malgré le fait qu'elle soit plus vieille que lui, il avait beaucoup plus l'instinct paternel, qu'elle l'instinct maternel, suffisait de voir comment elle s'en sortait avec les deux qui lui servait de frère et sœur.

« Félicitation ? »

Elle ne savait pas quoi dire et avait donc opté de lui dire félicitation mais en ne sachant pas si c'était une bonne nouvelle ou pas, mais très vite, elle réalisa que ce qu'elle venait de dire n'allait sûrement pas aider le jeune Davies à se sentir mieux à l'idée qu'il allait avoir un enfant. Et elle essaya donc de se rattraper.

« Oui, non, pardon. » elle releva la tête en direction de son « ami ». « Est-ce que tu... t'es prêt ? Enfin, vous vous sentez prêts tous les deux à vous occuper de l'enfant ? »

Elisabeth resta de marbre, battant par la même le record du silence après une nouvelle choquante.Bien sûr, Andrew comprenait que la nouvelle avait de quoi réduire au silence. On apprenait pas tous les jours que son voisin et ancien ami allait être papa, encore moins quand ledit voisin était encore étudiant, à l'instar de sa concubine. Présenté comme ça, le tableau donnait de quoi garder le silence.

Et finalement, Elisabeth parla. Mais il ne savait pas pour autant ce que ses deux onomatopées signifiaient. Peut-être était-ce un "wow tape m'en five dude", ou un "wow t'approche pas de moi c'est peut-être contagieux". Et quand elle le félicita, il choisit de croire que ces réponses étaient positives. « Euh, merci » répondit-il timidement, un léger sourire sur les lèvres.

Mais bientôt, les choses sérieuses arrivaient. Andrew ne pouvait pas se dérober à ces questions qui le pétrifiaient. D'un côté, c'est aussi pour ça, qu'il était venu ici, pour une discussion sincère et franche, pour connaitre la pensée d'Elisabeth à ce sujet. Car, sans qu'il sache pourquoi ni comment, l'avis de son ancienne amie avait toujours compté. Et même s'il n'était plus très bien classé dans son coeur, il osait croire qu'elle agirait avec sincérité. « Dès que Lou me l'a dit, moi j'étais pour le garder. Okay on est jeune, on n'avait pas prévu d'être parents si tôt et on n'en avait même jamais parlé sérieusement. Mais elle et moi, c'est du sérieux, et au fond de moi je savais qu'un jour ça arriverait. Donc pourquoi pas maintenant, tu crois que c'est trop tôt toi ? » Il débitait les phrases bien trop vite, mais tout se bousculait dans sa tête, il fallait que cela sorte. « Je m'occupe de gosses depuis un moment, je m'en sors bien, ils me kiffent, pourquoi ça serait différent avec ... le mien ? »

Elle essayait de réfléchir très vite mais n'y arrivait pas. Elle savait que les blancs qu'elle laissait à cause du manque de mots qu'elle pouvait mettre sur la situation, faisait en sorte de stresser Andrew qui n'était pas venu chercher ça, il devait avoir assez à faire comme ça avec ses propres peurs pour qu'elle en rajoute une couche.

Lorsqu'il lui demanda pourquoi est-ce que ça serait différent avec ses enfants alors qu'à la garderie tout se passait plutôt bien, ja jeune Spencer avait envie de lui répondre tout simple « mais parce que justement ça sera le tient ». Elle ne doutait pas des compétences d'Andrew pour s'occuper des enfants, à plusieurs reprises il avait prouvé qu'il avait le calme et la patience nécessaire pour s'en prendre soin. Mais ce ne sera pas la même chose, là il allait connaître toutes les inquiétudes d'un parent, il allait se poser toute sorte de question, et même si il s'en sort avec les enfants des autres, il avait soulevé un point, ils sont tous les deux jeunes. Comment est-ce qu'il allait faire pour élever un enfant alors qu'il en sortait lui-même tout juste ?

Elle ne voulait pas le brusquer en lui disant cela, alors la meilleure des choses était selon elle de se contenter de lui dire qu'elle était contente pour lui et qu'il allait assurer. Mais en même temps, si il est venu jusqu'à Elisabeth pour lui demander son avis, c'était parce que ce qu'elle pensait devait sans doute compter et il valait donc être honnête, de toute façon vu où en était leur relation, elle n'avait pas grand chose à perdre.

« Ecoute... »

Avant de poursuivre ce qu'elle avait à dire, elle se leva pour se rapprocher de là où était assis le jeune Davies. En l'espace d'un instant, c'était comme un retour en arrière. Il n'était pas rare,qu'avant que toutes ces histoires se passent, qu'ils se retrouvaient dans la même pièce, dans les mêmes fauteuils, dans les mêmes positions, à discuter de tout et de rien.

« J'vais pas te mentir, c'était la dernière chose à laquelle je m'attendais, même venant de toi. »

Elle voulait trouver les bons mots pour ne pas le blesser ou qu'il prenne la mouche. Elle n'avait certes, plus grand chose à perdre, mais ça n'allait servir à rien d'envenimer les choses en lui parlant de façon crue.

« Je dois t'avouer que j'ai un peu peur pour toi. Pas que je doute de tes compétences à être père hein, de toute façon on n'est jamais vraiment parent avant que l'enfant n'arrive. Mais... si tu penses être prêt avec Lou, alors tant mieux... »

Elle lui fit un petit sourire pour essayer de montrer qu'elle était honnête, même si elle avait un peu de mal à cacher ses inquiétudes.

Bien sûr, Andrew n'était pas naïf, la nouvelle avait de quoi surprendre. La réaction d'Elisabeth ne le surprenait donc pas. Ce long silence était difficile à gérer, mais il ne pouvait lui en vouloir. Ce n'est pas tous les jours qu'on apprend la grossesse d'un gringalet immature.

Et puis, il venait ici réclamer une réponse franche, un vrai avis, et pas juste des félicitations bancales. Il était normal que Elisabeth ait besoin d'un temps de réflexion. Il se contentait de la regarder, guettant la moindre réaction, la surprise, le rire, la moquerie, la condescendance. Cependant, Elisabeth maîtrisait plutôt bien ses réactions, cachait ses sentiments. Alors il ne pouvait qu'attendre, en patientant, sa réponse. « Peur ? Pourquoi peur ? Tu penses que je ne vais pas y arriver, ou que ça va être très compliqué ? » Il avait conscience qu'un enfant le forcerait à faire bien des concessions. Mais désormais, la plus grande partie de sa vie se résumait en un mot : Lou. Sans meilleur ami, sans meilleurs potos, sans meilleure amie ... Sa vie sociale avait incroyablement maigri. Alors, il n'aurait pas trop de regrets à passer ses soirées avec son gosse, puisque les sorties entre potes devenaient bien rares. Il avançait simplement dans la vie, sans s’apitoyer sur son sort. « Je ne passe plus vraiment mes nuits à faire le con, donc un bébé ne me privera pas non plus de sortir. J'évite, maintenant. Et s'il me prend trop de temps pour mes études, ce n'est pas à moi que ça va déplaire ... » Elisabeth n'était pas sans savoir que les parents d'Andrew le forçaient à étudier le commerce contre son souhait, afin qu'il reprenne plus tard la digne et forte entreprise familiale, la place de papa. Elle avait écouté longuement Andrew se plaindre de cette situation, durant leur adolescence, elle avait écouté ses plans bancals pour éradiquer le futur imposé par ses parents. Finalement, il avait échoué. Peut-être que la solution était simplement de devenir papa, et de se faire entretenir par sa femme. Bien sûr, il avait conscience que cette solution n'était pas réaliste une seconde. Pourtant, elle lui plaisait bien.

Peut-être qu'elle avait tort et qu'elle n'avait aucune raison de s'inquiéter, peut-être même qu'il allait mieux s'en sortir que la plupart des parents de Magnolia, du moins c'était ce qu'elle essayait de se dire. De toute façon ce n'était pas comme si il allait être seul à gérer la situation, il avait Lou et avait sûrement le soutien de Juliet à ses côtés.

« T'as peut-être raison, j'ai aucune raison d'avoir peur pour toi. Je suis sûre que tu feras un père génial. »

Elle lui fit le même sourire qu'elle lui avait fait quelques secondes auparavant, pour lui montrer la sincérité de ses paroles. Sur le coup elle s'était peut-être trop mis en empathie avec Andrew et du coup, elle a laissé ses propres inquiétudes d'avoir un jour un enfant, prendre le dessus.

Elisabeth le regardait et essayait de trouver quelque chose à lui dire pour arrêter qu'il y ait ce silence pesant entre eux, mais rien ne venait. Elle avait l'impression d'avoir tout dit, d'avoir même trop dit pour le coup. Il était venu lui parler pour lui annoncer la nouvelle, c'était fait. Il était venu dans le but qu'elle lui donne son avis, c'était fait. Et maintenant elle ne trouvait plus quoi dire, ils avaient fait le tour et n'avaient même pas prit le temps de faire un détour, ils y sont allé directement.

« C'est tout.... ? »

La jeune brune ne voulait pas le chasser en posant cette question qui pouvait passer pour une façon de lui demander de dégager si il n'avait plus rien à lui dire, mais en même temps, si ils n'avaient plus rien à se dire...

C'était pourtant étrange mais au tout début, lorsqu'Andrew était revenu de Londres et que toutes ces histoires s'était passé, elle s'était imaginé plusieurs fois la « scène de réconciliation » et dernièrement, la « scène où ils se parleraient tout court » dans sa tête, et c'était beaucoup plus actif dans sa tête que dans la réalité. Elle avait d'une part le sentiment d'avoir tellement de chose à lui dire, qu'il lui manquait quand même quelqu'un comme le jeune homme dans sa vie à qui elle pourrait parler quand ça n'irait pas, mais d'un autre côté, plus elle le regardait et plus elle réalisait qu'ils ne devaient certainement plus avoir grand chose en commun et qu'il valait peut-être mieux couper court et s'arrêter à là, pour leur bien à tous les deux.

Et finalement, Elisabeth rejoint son opinion, peut-être exagérait-elle sa pensée. Peut-être édulcorait-elle ses paroles. Andrew s'en foutait, c'était positif, c'était l'essentiel. Et puis, pourquoi Elisabeth l'aurait-elle épargné de sa franchise, elle ne pouvait pas avoir peur de le blesser. Il n'était qu'Andrew, son "plus vraiment meilleur ami, voire à peine ami". " Merci Eli " Merci d'y croire, merci de dire ça, il ne savait même pas vraiment.

Et comme toutes les bonnes choses ont une fin, une fois le sujet du bébé essoufflé, leur conversation retrouva le doux son du silence. Impassibles tous les deux. Andrew se creusait la tête, les méninges, les pensées, tout ce qui, dans sa tête, était susceptible de trouver un sujet pour parler. Tout et n'importe quoi, mais même la météo ne lui venait pas a l'esprit, ou la prochaine fête du quartier. Sa tête restait vide, comme cet espace invisible entre eux deux. Immense, comme ce mur qu'ils avaient dressé dans leur relation. Ce mur qu'il était venu détruire, ou tout au moins réduire. Mais devant Elisabeth, la tâche devenait impossible. "C'est tout", oui c'était tout, elle résumait bien. C'est tout ce qui restait de leurs longues années d'amitié. ils resteraient amis sur Facebook, se salueraient de loin dans la rue. Quand Andrew croiserait son nom dans les journaux, il pourrait dire "eh, elle je la connais ..." mais ne pourrait même plus expliquer comment. Cette vision future ne lui plaisait vraiment pas. " Euh, non c'est pas tout, enfin, j'imaginais que tu me donnerais des nouvelles de toi. Savoir ce que tu deviens, si tu en as envie ... quoi. " Ça passait ou ça cassait, Andrew pouvait très bien se rétaler. Rater son coup, comme il avait raté sa chance auparavant, comme il avait gâché leur amitié. Mais au moins, il pourrait dire "eh, elle je la connais, nous sommes de anciens amis, c'est vraiment terminé"

Elle n'avait pas trouvé autre chose à dire que de demander si c'était tout. Elle ne voulait pas le chasser et aurait aimé profiter du peu de temps qu'elle était en train de passer avec Andrew étant donné qu'elle ne savait pas quand est-ce que ça se reproduirait encore, sûrement que c'est même le genre de chose qui ne se produit qu'une seule fois dans sa vie.

«  Bah... »

Elle avait besoin d'un temps de réflexion pour répondre à sa question qui n'était pourtant pas si dure. Il voulait tout simplement savoir ce qu'il y avait de nouveau dans sa vie, elle avait envie de lui dire « y a rien de nouveau, ça se voit, non ? » mais ça aurait seulement fait fuir Andrew et ce n'était pas ce qu'elle voulait.

Elle ne savait même pas ce qu'elle devait vraiment répondre, soit elle lui disait tout simplement qu'elle bossait à la morgue de ses parents et c'est tout, soit elle lui donnait des détails de sa vie, mais au point où ils en étaient, était-ce vraiment nécessaire ?

«  Je deviens pas grand chose.... enfin, rien à changé depuis dans ma vie quoi... Et toi ? »

Il venait pourtant de lui dire ce qu'il y avait de nouveau dans sa vie, mais elle avait jugé bon de lui demandé de nouveau. Elle se sentait minable et essayait de ne pas le montrer, cette conversation ne rimait à rien, ils n'avaient plus rien à se dire et ça se voyait comme une fermière qui faisait du kayak sur le lac Titicaca.

«  Enfin, mis à part ce que tu viens de me dire je veux dire... »

Elle s'était empressée de rajouter ce bout de phrase et avait vraiment l'impression de s'enfoncer un peu plus, elle était déjà tellement profond qu'elle n'aurait même pas pensé qu'elle aurait pu toucher encore plus le fond.

«  Tu sais, j'ai vraiment l'impression que tout ça... ça rime à rien... » lâcha-t-elle entre deux blanc.

Elle avait dit ça de façon calme et presque douce, elle n'avait pas envie de l'attaquer ou de le blesser, loin de là, mais seulement de mettre un terme à ce  malaise, de toute façon, il savait comment elle était et était habitué à ce qu'elle fasse ce genre de chose quand la situation ne lui plaisait pas, de toute façon à quoi ça pouvait bien servir de continuer à nuer l'évidence, mis à part remuer un couteau quand quelque chose de douloureux déjà.

Elisabeth n'était pas dedans. Pas dans la conversation, pas dans cette difficile épopée, cette quête du sommet, cette lutte pour la reconquête de leur amitié. Il avançait, mais Elisabeth restait derrière, assise sur le bord du chemin. Peut-être qu'un caillou dans sa chaussure l'empêchait de continuer. Peut-être que son GPS lui indiquait une route différente, peuplé d'autres meilleurs amis. Il avançait seul, elle ne suivait pas, et à chaque nouveau pas en avant, il s'éloignait d'elle un peu plus. Il détestait ce sentiment. Mentalement, elle semblait déjà flou, au loin, comme le vestige de leur vieille amitié qu'il avait souhaité déterrer. Idiot, va ... Elle était sale, endommagée, rongée par la terre et le temps, il l'avait laissée enfouie trop longtemps. Et même si c'est rigolo, d'enterrer des trésors quand on est gosse, pour les ressortir plus tard, ce bijou avait désormais perdu son éclat, terne, il ne brillait plus, demandant seulement de retourner à son triste sort, sous terre, enfoui, terminé, conjugué au passé. 

« Ah ouais ... Bah moi, pas grand chose, à part ce que je viens de te dire oui » pourtant, il y avait tant à dire, sa soeur qui se battait avec Adrian, ce cours de cuisine qu'il avait pris avec Esperanza et qu'il avait tant apprécié, ses exams qui se déroulaient plutôt bien et qui le laissaient dans un état perplexe, Cricri qu'il ne revoyait toujours pas, les jumeaux avec qui il reprenait contact ... Mais elle avait brisé son élan, tiré du plomb dans ses petites ailes innocentes. Il n'avait plus envie, si elle n'était pas de la partie. Il était seul, sur son chemin, et loin de lui l'envie de papoter avec lui même.

Cependant, ça ne lui plaisait pas. Cette touche finale n'était pas digne d'eux. Leur amitié, aussi chaotique soit-elle aujourd"hui, méritait une plus jolie fin, une fin de film, qui mériterait un retentissant "The End" à la fin. « Essayer de redevenir amis comme avant, ne rime à rien ? » Bien sûr, il était dessus, de se trouver ainsi à des années lumières de l'onde sur laquelle elle naviguait. Et au bout du compte, il ne lui restait plus qu'à jouer le fier, pour ne pas trop afficher sa déception. « Oui, je suis comme toi, je trouve ça trop bizarre, on n'arrive pas à se parler, c'était pas une bonne idée » Il se gratta la tête, gêné. Dans leur relation, Elisabeth avait toujours eu le monopôle de la franchise, lui était trop lâche pour y prétendre. Alors, maintenant, il attendait simplement qu'elle le congédie. Elle n'y manquerait pas, de toute façon.

Elle avait lâché ça comme ça et s'en voulait un peu d'ailleurs, mais elle ne supportait plus de faire semblant que tout allait bien en se demandant des nouvelles de chacun sans que rien ne change au final.

La réaction d'Andrew ne surprit d'ailleurs pas la jeune Spencer, il avait l'air d'appréhender un peu la fin de cette discussion mais avait tout de même tenter de se lancer vers Elisabeth pour qu'ils puissent se parler ne serait-ce qu'un instant.

« Me fais pas dire ce que j'ai pas dis... »

Elle avait tenté de peser ses mots alors qu'en fait elle avait envie de le secouer, limite même de le frapper à cause de ce qu'il disait. C'était le fait qu'ils se parlent de la sorte qui ne rimait à rien, pas le fait qu'ils essaient de revenir avant, même si il n'y avait aucune vraie tentative.

Poussant un soupir, elle passa une main sur sa nuque avant de regarder Andrew sans rien dire. Elle ne savait pas quoi dire, elle ne voulait pas que tout se termine de la sorte, ils n'avaient même pas vraiment commencé. Il était venu la voir pour lui annoncer la nouvelle avant qu'elle ne l'apprenne de la bouche de quelqu'un d'autre, mais c'était tout.

« J'aime pas cette situation. J'aurais tellement voulu que ça soit tellement plus facile. »

Elle avait envie de lui dire qu'elle voulait que tout redevienne comme avant, qu'elle aurait aimé tout oublier et passer à autre chose, mais ça lui été impossible. Elle savait que rien ne serait plus jamais comme avant et devait peut-être l'accepter à présent.

Elle s'affala dans le fauteuil dans lequel elle était et continuait de fixer Andrew. Elle voyait à quel point il était gêné et dépassé par la situation, mais elle l'était autant que lui. Alors sans trop savoir pourquoi, elle se mit à rire comme si quelqu'un venait de sortir une bonne blague alors que personne n'avait dit un mot.

« On est ridicules... »

Elle continuait de rire mais avait levé les yeux vers le plafond cette fois. Probablement que ça n'allait rien arranger à la situation, mais elle ne savait pas quoi faire d'autre.

« Tu me manques tu sais. »

Elle regarda de nouveau Andrew pour voir sa réaction. Bien qu'on ne puisse penser qu'Elisabeth soit un véritable ascenseur émotionnelle, elle s'en fichait, son ami lui manquait et elle voulait le lui faire savoir.

Il allait prendre la poudre d'escampette, cette discussion était décidément trop gênante pour lui. Il n'aimait pas se prendre la tête. Dans un sens, personne n'aimait être dans une situation de mal être. Mais Andrew encore moins. Il fuyait tout ça, les prises de têtes, les discussions trop compliquées qui demandaient réflexion, effort ... Ou qui collectionnaient les longs silences. Le problème était simple : il ne savait pas quoi faire. Il imaginait, pourtant, Eli et lui, faire les cons, mater un navet en se marrant, se barrer d'un resto sans payer, explorer la morgue comme quand ils étaient petits et que ça faisait peur, passer l'après-midi allongés sur la pelouse en regardant les nuages, et savourer ces moments à la con qu'ils aimaient tant. Il les imaginait, tous les deux, dans le futur. Mais pour aller du point A au point B, il fallait dessiner une route qui n'existait pas. Or, Andrew n'avait jamais été bon dessinateur. Alors il restait là, perchait sur son point A, sans rien faire de grandiose, tel l'allumeur du petit prince qui allume et éteint le réverbère chaque jour.

Alors qu'il était perdu dans ses pensées, s'imaginant sur une toute petite planète en train d'allumer un réverbère, Eli l'en sortit brusquement en ... riant. Il leva les yeux, éberlués. Et nerveusement il la rejoignit, gagné par son rire communicatif. Elle n'avait pas tort, ils étaient ridicules. Mais à deux, ils l'avaient souvent été. Alors, quand elle lui avoua intimement qu'il lui manquait, il décela la sincérité dans sa phrase. « Nous sommes toujours ridicules, là peut-être un peu plus que d'habitude » Au fond, avaient-ils vraiment besoin d'explications ? Ils n'étaient pas très conventionnistes, tous les deux, vivant plutôt au grès de leurs humeurs. Alors la seule barrière qui les empêchait de redevenir comme avant, c'était eux. Ainsi, Andrew décida qu'il en avait marre. Il croisa les jambes dans le fauteuil et s'appuya sur le dossier. Détendu et posé, il ne manquait que les nuages dans le ciel. « T'imagines pas comment j'en ai ma claque de mes études, je déteste tellement ça. Mais avec un bébé qui arrive, je crois que je vais oublier tous mes plans foireux pour arrêter. Mes parents débarqueraient aussitôt pour me porter à la fac par la peau des fesses. » Il soupira. « En plus, je m'y fais trop chier, Greg et Lukas me snobent encore quand je suis avec Lou, je te jure. Quant à Christian, c'est comme s'il avait disparu du quartier, il doit être séquestré quelque part ce n'est pas possible autrement. » Triste récit de sa vie. « Et toi, tu bosses toujours avec tes parents ? ça se passe bien ? » C'était ça, leur amitié. Des phrases sans queue ni tête qui passaient du coq à l'âne, de la simplicité sans artifices ou conventions, une amitié précieuse dans ce quartier.

Quoi qu'elle aurait pu penser à ce moment là, le fait qu'elle rit comme une débile n'avait en rien rendu les choses encore plus difficile. Andrew joignit même son rire à celui de la jeune brune avant de décider enfin à faire comme chez lui, à faire comme avant.

Ils étaient passés d'une atmosphère à une autre sans réelle transition. Pendant que le jeune homme racontait sa vie à Elisabeth, cette dernière décrispa et se redressa de là où elle était assise de façon à être plus confortable.

Elle avait arrêté de rire mais pas de sourire et même si ce que lui racontait son ami était loin d'être tout beau tout joyeux, elle se disait que ça faisait du bien ce partage comme ça, sans qu'il n'y ait de réel malaise. Rien n'était réglé entre eux et sûrement qu'il y aurait encore beaucoup de choses à mettre à plat, mais pour une fois, elle avait envie qu'ils fassent impasse de ça pour aujourd'hui et qu'ils parlent comme si de rien n'était,c'était sûrement la meilleure chose à faire pour l'un comme pour l'autre.

«  Oui mais c'est pas parce que tu fais ça là, que tu pourras pas changer de branche après. Quitte à faire un truc autant que ça te plaise et que tu le fasses sans qu'il n'y ait quelconque obligation. »

Elle avait toujours admiré le choix qu'avait fait Andrew de suivre une voie qu'il n'aimait visiblement mais c'était toujours gardé de le lui dire. Elle savait que sa famille était quelque peu spéciale, et que ce n'était pas toujours facile, comme pour tout le monde, mais la différence était que là, qu'il aime ou pas ce qu'il fait, il allait devoir continuer pendant un bon moment à cause de la venue du bébé.

«  Bah pour les Whiteley, désolée de te dire ça mais avec le bébé qui arrive, ils vont encore te charrier pendant un moment. Et en ce qui concerne Christian, c'est Christian quoi, tu le vois une fois tous les 36 du mois quand il décide de sortir. »

Elle savait que les anciennes relations d'Andrew n'avaient plus été les même depuis qu'il est revenu, la preuve. Mais elle n'allait pas non plus lui dire « tu l'as cherché un même temps, t'avais qu'à bien agir et voilà » ce n'était pas son genre.

«  Ouais enfin, c'est temporaire. » dit-elle en montrant à Andrew le journal. «  Je commence à être fatiguée de voir tous ces gens déprimés venir à la morgue et en plus, y a ma mère qui me demande d'être souriante alors que je dois parler à des gens qui viennent parfois identifier le corps de leurs enfants. Je sais que ça veut pas non plus dire que je dois garder le sourire et avoir l'air de vouloir faire la bamboula tout le temps, mais voilà quoi. »

Rien que de penser à son travail lui donnait un frisson tellement elle aurait préféré ne jamais connaître pareil endroit.

«  Y a des jours comme ça où je regrette le temps où on était gosse, là au moins on avait pas de réel problème. » dit-elle en souriant. « D'ailleurs elle va comment ta sœur ? »

La question qu'elle avait posé n'avait aucun lien avec la morgue et le fait qu'elle veuille retourner en arrière, mais au point où ils en étaient, si ils devaient chercher des liens à tout, ils en auraient pour la journée alors autant aller droit au but.

Quand les mots sortaient de la bouche de Elisabeth, ils gagnaient tout de suite en crédibilité. Bien des fois, afin de se rassurer, Andrew s'était répété qu'il pourrait toujours, plus tard, se relancer dans la pâtisserie et ouvrir une boutique de cupcakes. Pourtant, venant de lui, ces paroles n'étaient que des blagues sans véracité. Quand Elisabeth l'affirmait, tout devenait plus véritable, vraisemblable, et Andrew s'en trouvait alors rassuré. « C'est vrai que, quand je ne dépendrai plus de mes parents, je pourrais peut-être plaquer tout leur truc ... » Une perspective certes lointaine, mais qui le rassurait déjà.

Cependant, la jeune femme était bien moins porteuse de bonnes nouvelles, quand il s'agissait de ses amis perdus. D'un autre côté, Andrew n'était pas exactement à plaindre. Naturellement sociable, il avait toujours quelqu'un vers qui se tournait en cas de besoin. Il n'empêche que ses potos lui manquaient salement. Il était impossible pour lui d'accepter que ces trois gugus appartenaient à une époque désormais révolue. « Je sais bien, mais ils pourraient arrêter, y'a prescription. M'enfin ... » Comme à son habitude, Andrew risquait plutôt de préférer le statut quo, en regrettant silencieusement que rien ne s'arrange.

Son amie, cependant, s'était décidée à bouleverser sa vie. Changer de métier, quel choc pour Andrew. Elisabeth avait toujours été la fille de la morgue, un métier fort rigolo. « Oui, je peux comprendre, en plus voir tes parents tous les jours ... Tu cherches dans quel domaine ? » A vrai dire, il ne savait pas vraiment si Elisabeth avec un secteur de prédilection particulier.

« Juliet, comment veux-tu qu'elle aille avec un gosse, un fiancé qui la fait cocu et qui devient dingue. Quand elle a décidé de quitter Adrian et la prison qui lui servait de maison, j'étais trop content pour elle. Mais au final, elle ne pourra jamais se débarrasser de ce mec. » dit-il, désolé pour sa pauvre soeur, qui avait commis le simple crime de tomber amoureuse.

Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait plus eut de nouvelles d’Andrew qu’elle en avait presque oublié les détails de sa vie, comme par exemple qu’il était encore dépendant de ses parents. Elle avait envie de lui dire qu’il allait devoir le faire le plus tôt possible pour le bien du bébé qui n’allait pas tarder à venir, mais elle se demandait si elle était la bonne personne à lui dire ça, si c’était légitime qu’elle lui tienne ce genre de discours, après tout il n’était venu la voir que pour lui annoncer la nouvelle et avait déjà pris ses décisions avant même de lui en parler, sûrement qu’il y a déjà pensé aussi.

Elle se contenta de hausser les épaules, ne sachant que répondre. Ce qui était bizarre était que lorsqu’on connait Elisabeth, on connait une jeune brune avec un certain répondant qui a toujours son mot à dire sur tout, même quand on ne lui demande pas son avis, elle était comme ça et pas autrement, mais là, elle était  court de mots.

« Ce n’est pas tellement le fait de voir mes parents tous les jours qui me dérange… quoi que si, en fait, ça me dérange un peu, mais seulement parce qu’on passe tellement de temps ensemble qu’à un moment, ça tourne en rond et du coup quand on se retrouve à table le soir, on n’a plus rien à se raconter. »

Elle savait que ça pouvait paraitre débile de s’attarder sur ce genre de choses alors que les autres auraient seulement dit qu’ils ne voulaient tout simplement pas avoir leur parents sur le dos, mais elle n’était pas comme les autres, elle a toujours été un cas à part, il suffisait de lui parler pendant quelques instant pour s’en rendre compte.

« Et en plus je déteste cette ambiance de la morgue, donc pour le moment je pense que je prendrais tout ce qui me tombe sous la main, tant que ça n’a aucun rapport avec le morbide. Et je dois aussi dire que j’ai pas passé tout ce temps sur les bancs de l’école pour m’entendre dire aux gens d’aller vérifier si c’est bien leur fils mort sur la table. »

Lorsqu’il enchaina pour parler de Juliet, Elisabeth se senti un peu mal de poser la question, après tout elle avait entendu ce qui s’était passé depuis ces quelques temps. Elle voulait le prendre dans ses bras pour lui dire qu’elle était désolée pour sa sœur, mais elle se contenta de lever sa main, avant de la poser sur elle en faisant semblant de nettoyer ses vêtements d’une poussière imaginaire.

« Je suis désolée pour elle, mais je suis sûre qu’elle s’en sortira. » dit-elle avec un petit sourire pour accompagner ses paroles.

Encore une fois, elle ne savait pas quoi dire.

Andrew ne pouvait pas comprendre ce problème que traversait Elisabeth. Lui, comptait les repas partagés avec ses parents sur les doigts d'une main. Enfin, il exagérait un peu, mais à peine. Plus jeune, leur absence l'avait énervé, alors il avait commencé à piccoler. Une sorte d'appel au secours, persuadé que ses parents reviendraient car leur fils allait mal et avait besoin de leur présence. Tu parles, il avait tout tenté, la sonnette d'alarme fut tirée plus d'une fois, mais jamais ses parents ne s'étaient pointés au commissariat, à l'hôpital ou ailleurs.

Alors non, il ne pouvait pas concevoir un "trop plein" de présence parentale, quand les seuls souvenirs de son enfance brillaient par l'absence de M. et Mme Davies. Il se souvenait d'Elisabeth, dans le jardin voisin, jouant avec son frère, sa soeur, sous le regard bienveillant de leurs parents. Et Andrew aurait tout donné pour une telle collection de souvenirs. Il n'avait rien contre sa soeur, cette dernière avait pris soin de lui à merveille. Mais leur vie sonnait faux depuis toujours, car elle ne collait pas à l'ordre des choses.

"L'ordre des choses veut que les enfants finissent par quitter le foyer familial, alors c'est normal que maintenant tu ne te sentes pas à ta place, c'est normal que tu doives partir." répondit-il simplement.

Et effectivement, la nature de son emploi n'arrangeait rien. Travailler avec ses parents toute la journée, les voir toute la soirée, les croiser à chaque minute de sa vie, Elisabeth était obligée de saturer aujourd'hui. Néanmoins, il réalisait la délicatesse de cette situation. Elle s'apprêtait à sauter dans le vide, sans parachute, sans savoir ce qui ce qui l'attendait en bas. Lui, à sa place, serait resté dans son lit, en attendant que quelqu'un le pousse dans ce fameux vide. Eli, elle, prenait les devants, elle s'engageait, prenait des décisions. Il n'en avait jamais été capable.

Alors, quand elle assura que Juliet s'en sortirait, Andrew fut rassurée. Elisabeth était de ces personnes qui semblent détenir la vérité, les solutions aux problèmes, la sagesse en somme. Il avait toujours bu ses paroles, quand ils étaient petits, elle avait toujours arboré cet aura impressionnant. "Tu as raison, ma soeur est forte. D'ailleurs, je vais retourner la voir, je n'aime pas la laisser seule trop longtemps, avec son malade de fiancé qui rôde." Andrew imaginait Adrian tel un loup, épiant la maison des petits cochons, échafaudant un plan machiavélique pour récupérer le petit bébé cochon de sa maman. Il se leva donc, prêt à prendre congé de son amie. Mais prêt également à ne pas attendre aussi longtemps pour la côtoyer à nouveau. "Tu me tiens au courant pour tes recherches d'emploi !".

Elle lui parlait et lui racontait sa vie, comme avant, comme si rien ne s'était passé, mais elle avait bien l'impression que rien ne serait plus comme avant. Ils passèrent en revu tout ce qui était « important » dans leur vie, du moins ce qui valait la peine d'être dit. Elle était tout de même contente qu'ils se soient revus, et qu'au moins ils essaient de mettre les choses à plat, même si c'était proche de l'échec. Même si ils avaient tous les deux avancés, elle avait l'impression de reculer en même temps. C'était assez étrange comme sensation, avant ils auraient pu passer des heures à parler de tout et de rien, là... limite si ils n'avaient pas survolés leur vie.

« Oui, tu devrais aller la retrouver. »

Elle se leva en même temps que son ami et le regardait en lui souriant, elle ne savait pas quoi dire à part le raccompagner jusque la porte d'entrée, alors c'est ce qu'elle fit. Elle commença à s'avancer jusque la porte d'entrée et l'ouvrit pour indiquer à Andrew le chemin de la sortie. Pas qu'il la gênait, au contraire, c'était un peu rassurant de l'avoir chez elle, mais elle avait aussi hâte qu'il s'en aille pour qu'elle puisse débriefer de ce qui venait de se passer, seule, tranquille et posée.

« T'inquiètes pas pour ça. »

Elle continuait de sourire et prise d'un élan, elle n'a pas réfléchit et s'approcha d'Andrew pour le prendre dans ses bras l'espace d'un instant. Juste le temps nécessaire pour qu'elle se remémore de nouveau tous les bons souvenirs qu'ils avaient entre eux, ce laps de temps passé, elle se détacha avant de le fixer en souriant toujours, mais avec une pointe de rouge sur les joues. Elle n'avait pas honte de ce qu'elle venait de faire et n'était pas non plus gênée, si elle devait le faire, elle le referait volontiers, mais c'était tellement bizarre et agréable à la fois.

« A bientôt Andrew. »

Elle savait que la visite du jeune homme n'était que le premier de l'évolution de leur relation amicale, elle était d'ailleurs heureuse que tout ce soit bien passé selon elle. Elle avait dit à bientôt pour laisser sous-entendre qu'elle aimerait bien fréquenter le jeune Davies de nouveau, mais il ne fallait pas compter sur elle pour aller vers Andrew.

Quand il se leva, Andrew eut l'impression que toute la pression avait soudainement disparu de ses épaules. Il se sentait serein, bien, comme avant quoi. Et cette sensation lui plaisait, elle signifiait que sa relation avec Elisabeth pouvait redevenir quelque chose. Peut-être pas pour atteindre un niveau aussi haut que par le passé, mais ils ne resteraient pas que de simples voisins.

Devant la porte d'entrée, il hésitait sur comment dire au revoir à Eli. Une poignée de mains était à exclure, mais qu'est-ce que leur conversation lui permettait ? Il ne se posa pas la question plus longtemps quand Eli le prit dans ses bras. D'abord surpris, il resta sans bouger, tétanisé, puis réalisa qu'il était un gros andouille et passa ses bras autour d'elle à son tour. Comme avant. « Oui au revoir, à bientôt » Il s'éloigna dans l'allée puis se retourna pour lui lancer un petit signe de la main. Le sourire ne quittait pas ses lèvres, il avait l'impression d'avoir accompli quelque chose, aujourd'hui, pour changer. Et surtout, il avait hâte d'en parler à Lou. De lui dire que, finalement, il n'avait pas perdu la totalité de ses amis. Et qui sait, si sa relation avec Elisabeth était récupérable, peut-être que son amitié avec Christian le serait tout autant ...