Dans sa robe jaune, elle virevolte à travers la cuisine, sifflotant une vieille mélodie de sa mère. Un tablier sur les hanches, les cheveux attachées, elle est penchée au dessus d'un poulet à l'odeur appétissante. Elle remue régulièrement le mélange avant de se pencher sur son wok où cuisent doucement les nouilles. Le repas préféré de son époux. Elle ne sait pas pourquoi mais ce matin, en se levant seul dans le lit froid, elle a eu envie de lui préparer quelque chose de spécial pour son retour. Un petit dîner tranquille. Entre amoureux. Pas d'autres O'Conell hormis eux deux, les plus jeunes partant vadrouiller elle ne sait où. Elle entrouvre la fenêtre de la cuisine afin d'aérer un peu la pièce où la chaleur devient étouffante. L'air frais du début de soirée balaie légèrement les odeurs de cuisine, refroidissant son antre. Elle pourrait sans doute affirmer qu'elle est heureuse à Magnolia. Jamais elle n'aurait imaginé finir ainsi. Mariée à un homme charmant et remarquable, vivre dans une maison magnifique, avoir des beau-enfants aussi bien élevés. Au fond, elle a tout ce dont elle a toujours rêvé petite. Elle est chouchoutée comme une reine, porte des robes de luxe et se balade au bras d'un roi. Seul le regret de ne pas avoir son propre enfant la hante parfois. Parce qu'elle aimerait voir grandir un petit bout, assister au premier pas, rire aux bêtises... Elle vide la poêle de poulet dans les deux assiettes, ajoute une poignée de nouilles sautées et égaille le tout avec quelques légumes colorés et une petite salade verte. C'est simple, doux, cosy.

La porte d'entrée claquant la fait légèrement sursauter. Elle entend nettement les pas lourd de Joey et le bruit d'une valise posée à l'entrée. Essuyant ses mains sur son tablier, elle finit par le retirer et l'abandonner sur l'un des tabourets de la cuisine. Elle recoiffe ses cheveux blonds en passant devant un miroir et gagne la pièce où se trouve son époux, vidant ses poches sur l'un des meubles. Un sourire rayonnant aux lèvres, elle s'approche de lui et dépose un baiser sur ses lèvres en guise de bienvenue. Il lui a manqué durant ses deux jours. « Tu as fait un bon voyage ?» Elle ne sait pas vraiment où il est allé - comme d'habitude. Elle ne le questionne que très rarement sur son travail, non pas par désintérêt mais parce qu'elle ne comprend pas la subtilité de la politique. Elle se sent souvent larguée lorsque Joey et Adrian se mettent à parler boulot lors des repas. Elle n'est pas l'une de ces écervelés, mais ça dépasse ses connaissances. Un monde totalement inconnu. « Je t'ai préparé une petite surprise...» Se saisissant de la main de son époux - dont elle ne cesse d'apprécier la chaleur - elle l'entraine jusqu'à la salle-à-manger où elle a déjà déposé le couvert. C'est simple, doux et cosy. Une ambiance bonne-enfant, rien de guindant ou surjoué. Le poulet caramélisé et les nouilles ont embaumé l'air d'une douce odeur sucré, titillant les narines. « Tu m'as manqué Joey.» Ses mots sont sincères, remplis de tendresse et de douceur. Et, c'est avec amour, qu'elle dépose à nouveau ses lèvres sur celles de son époux, pour un baiser tendre et doux à l'instar de ses propres sentiments.

Spoiler:

La campagne pour les prochaines élections était bien entamée. Il fallait que je voyage pour rencontrer divers potentiels électeurs, faire des meetings, réunions et tout ce que fait habituellement un politicien. Cela faisait maintenant deux jours que j’étais parti de Magnolia. J’en avais l’habitude, et je n’éprouvais pas de manque sauf peut-être d’une personne. C’était Eliza, ma femme. Oui, tout le monde ici pensait que c’était un mariage d’intérêt. Mais ils avaient tous tort, j’étais tombé sous son charme dès que j’ai croisé son regard. Vous pouvez penser que cela ne me ressemble pas, mais votre politicien préféré a aussi un cœur. Certes, je n’ai pas vraiment l’habitude de dévoiler mes sentiments, mais c’est mon caractère. Je n’étais pas du genre à faire de multiples déclarations d’amour, ni à embrasser ma femme tous les quatre doigts comme le font beaucoup de couples de maintenant, non. J’ai été élevé à la vieille école, et pour moi cela faisait partie de mon éducation. Chez les O’Conell, c’était tabou d’avouer ses sentiments.  

Ma voiture venait de se garer dans l’allée du n°8 Magnolia Street. J’éteignis le moteur, et je descendis du bolide que je venais de conduire. Je me dirigeais vers le coffre, pour sortir ma valise de là. Une fois en main, je le refermai et me rendit vers le porche de la maison O’Conell. J’ouvrai la porte et déposa ma valise à mes pieds, lorsque j’entendis des pas arriver vers moi. C’était Eliza. Elle déposa un léger baiser sur mes lèvres, j’appréciais ce contact qui m’avait un peu manquait. Mais je ne lui dit pas. « Oui, il a été… productif » C’est tout ce que je voulais et pouvais dire. De toute façon, je savais qu’elle ne comprenait pas grand-chose à la politique. Je ne lui en voulais pas, ce n’était pas à la portée de tout le monde. Elle a d’autres qualités, comme par exemple la cuisine. Autant moi je suis un piètre cuisinier, autant elle savait tout cuisiner. D’ailleurs, au moment où elle m’annonça qu’elle m’avait préparé une surprise tout en m’emmenant dans la salle à manger, je sentis la bonne odeur de poulet caramélisé. Elle avait visé juste. Elle me connaissait par cœur. Avec elle je n’avais pas besoin de parler ou de m’exprimer sur mes sentiments la concernant. Elle savait que je l’aimais sincèrement, et c’était le principal. Elle m’avoua que je lui avais manqué. Sa bonne humeur m’avait manqué aussi, mais je ne pouvais lui dire. Alors je lui souris, très sincèrement. Je pense qu’elle comprit instantanément, puisqu’elle y répondit par un doux et léger baiser, qui avait le goût de caramel. Elle avait probablement gouté la sauce avant de servir. Cela me donnait un avant-gout du repas. Et j’aimais ça.

Je la repoussai doucement, puis m’asseyais à table. Le couvert était mis, il n’attendait plus que moi. Alors que je vis qu’il n’y avait que deux assiettes, je compris qu’on était que tous les deux. « Ils t’ont dit où ils sont allé ce soir ? » Je voulais savoir si on allait passer une soirée rien qu’a deux ou si un des enfants O’Conell allait débarquer. J’avais envie de rester seul avec ma femme. C’était compréhensible je pense.