Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis la catastrophe, depuis l'horrible nouvelle inacceptable. Plusieurs jours durant lesquels, Andrew avait renoué avec cette bonne vieille habitude consistant à hiberner toute la journée. Depuis son accident, Juliet avait déserté Magnolia avec Adrian, ce qui n'était pas pour ravir Andrew, mais de trop noirs démons l'habitaient, pour qu'il soit capable de se préoccuper de sa soeur. Il avait réussi - sans savoir comment - à se persuader que Juliet se portait bien en convalescence. C'était dire l'état paumé dans lequel il se trouvait. Mais sans sa Lou, il était comme perdu au milieu de nulle part, désorienté et désappointé, incapable de choisir quelle route emprunter. Alors il restait là, figé, et il dormait pour oublier. Il espérait au fond que, lors du réveil, tout ceci ne serait qu'un gros cauchemar. L'échographie qu'il avait accroché au dessus de son bureau ne serait plus chiffonnée dans la poubelle, un sms de sa belle le sommerait affectueusement d'arrêter de jouer la marmotte, et une bonne odeur de gâteau au chocolat made in Julietland s'échapperait de la cuisine. Rien de tout ça. Quand il se réveilla, sa chambre était plongée dans la pénombre, les rideaux tirés cachaient le désordre qui régnait. Mais à côté de sa vie, actuellement, sa porcherie semblait presque ordonnée. C'était le bordel, le gros bordel, depuis que ce docteur aux urgences leur avait annoncé que Lou avait perdu le bébé. Depuis que Lou avait décidé de rompre avec lui, afin de rompre avec ce souvenir trop douloureux. Ce n'était pas sa faute s'il avait une tête de bébé qui lui rappelait celui qu'ils auraient pu avoir, d'abord.

Andrew avait tenté de la retenir, un peu. Déboussolé par la nouvelle, il l'avait surtout regardée s'échapper, attendant qu'elle se ressaisisse, et qu'elle revienne. Et il attendait encore, refusant l'idée que tout était terminé. Mais au bout de tout ce temps, il devait accepter les faits : il l'avait perdue. Lui qui s'apprêtait à avoir une famille, aujourd'hui il n'avait plus rien du tout, à part sa vieille collection de cartes pokemon, quelques fringues chiffonnées ça et là, une boîte de biscuits probablement moisis, et un tas de rêves brisés.

Mais non, ce n'était pas possible. Il ne pouvait pas l'accepter. Malheureusement, il n'avait pas le courage nécessaire pour se battre, pour se lever et partir au front, ce n'était pas son genre, à son grand désarroi. Il se leva pour gagner la salle de bains, la chaleur avait raison de lui et le poussait à se rafraichir le visage. Il avait un si piteux air, dans cette glace. Pourquoi donc Lou avait-elle voulu de lui si longtemps. Honteux, son regard se baissa, il tomba alors sur sa brosse à dents, à côté de la sienne. Elle avait déserté la maison aussi vite qu'elle s'y était installée. Alors m*rde, Andrew allait faire en sorte qu'elle revienne de la même façon. Décidé, il mit sa casquette imaginaire à l'envers, se donnant ainsi tout le courage de Sasha Ketchum et de Pikachu réunis. Avec la même hargne que s'il jetait une pokeball, il se jeta dans la douche en chantant qu'un jour, il serait le meilleur dresseur, avant de courir s'habiller comme s'il parcourait la Terre entière pour découvrir les pokemon, leurs mystères et le secret de leur pouvoir.

Il était prêt. Prêt à toquer chez les Huntington et à dormir par terre devant la chambre de Lou jusqu'à ce qu'elle vienne lui ouvrir. Prêt à lui chanter la sérennade afin de lui rappeler tous leurs bons souvenirs. Fissa, il gagna la maison d'en face où Mme Robbins l'accueillit avec indifférence. Il grimpa vite vers cette chambre qu'il connaissait si bien. « Lou, c'est moi, ouvre s'il te plait »

En pyjama, Lou écoutait retranché sous sa couette, écoutant pour une énième fois les Arctic Monkeys. Seul groupe qui réussissait à installer chez elle une sensation de paix intérieur. Elle était rentrée de l’hôpital depuis quelques jours seulement, et depuis elle n’avait pas quitté son lit. Même pas pour manger. Sa mère se faisait du souci, lui apportait du thé, des potages, mais Lou y touchait à peine. La seule chose qu’elle faisait était se lamenter. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle avait perdu le bébé, n’avait pas su le garder en bonne santé. N’avait pas su être une bonne mère. Le pire, dans tout ça, c’était qu’elle avait pensé à une époque ne pas vouloir de cet enfant. Alors qu’aujourd’hui la situation se concrétisait, Lou la vivait comme une punition pour ne pas avoir apprécié ce cadeau dès le départ. Alors, elle avait décidé de mettre un terme à sa relation avec Andrew. Lui, était quelqu’un de bien, qui méritait quelqu’un de bien. Elle, n’était qu’une égoïste. Le mieux pour Andrew était de ne plus avoir affaire à elle. Et puis, elle ne pouvait même plus le regarder dans les yeux. Elle se sentait bien trop coupable. De toute façon, leur histoire d’amour avait été trop belle pour ne pas se terminer en tragédie. C’était sans doute mieux ainsi, même si Lou avait la sensation d’avoir tout perdu. Elle se disait que le temps allait guérir son malheur. Dans l’immédiat, elle ne voyait que beaucoup de souffrance, de peine et de solitude. Toute cette merde qui lui revenait en pleine figure était amplement méritée, d’ailleurs. Elle se trouvait dans un demi sommeil, quand elle entendit qu’on frappait à sa porte. Elle pensa que ça devait être sa mère, et fut étonnée que ça soit déjà l’heure de dîner. Son sang ne fit qu’un tour quand elle entendit la voix d’Andrew à travers la porte. Pourquoi sa mère l’avait-elle laissé enter ? Elle avait pourtant été claire. Malgré tout, Lou était heureuse d’entendre sa voix. Elle lui avait manquée. Elle hésita quelques secondes à lui ouvrir. Son envie de revoir son visage prit le pas sur tout. « Une minute. » répondit-elle simplement. Elle s’extirpa de sous sa couette, passa un léger coup de brosse dans ses cheveux, et ouvrit sa porte. Si elle pensait avoir mauvaise mine, Andrew était pareil qu’elle. Ils étaient beaux, dis donc. « Qu’est-ce que tu veux ? » demanda-t-elle, l’air de rien. Elle espérait cependant qu’il était là pour quelque chose de précis. Même si Lou était celle à l’origine de cette séparation, elle voulait grappiller quelques minutes avec son ex ( ?). « Je n’ai pas très envie de parler. » et pourtant Lou voulait garder la face, faire comme si sa décision était la plus juste et la meilleure pour eux deux. Même si son cœur lui criait de lui sauter dans les bras, de se coucher auprès de lui, et de ne jamais plus se relever.

La Lou qui apparut effraya Andrew. Son ancienne petite amie était difficilement reconnaissable, affaiblie, meurtrie et si faible. Elle était pâle comme un fantôme. Ce spectacle ne surprenait pas le warrior, il avait longuement envisagé l'état de sa belle, avant de venir. Afin de se préparer, de se ménager quand il croiserait enfin ce qu'elle était devenue. Son ton était froid, il sentit presque un vent glacial souffler. Rien de dur, rien de méchant, son visage ne semblait afficher aucune haine à son égard. Il était simplement fermé, éteint ... Et c'était peut-être pire, encore plus inquiétant. Comme si la jeune fille était trop absente pour ressentir une émotion. Car non, Andrew ne pouvait pas admettre qu'elle ne ressentait plus rien pour lui, il aurait tout accepté, même de la colère. Mais Lou n'avait rien à lui donner, excepté quelques réponses vides le priant de ne pas s'attarder. " Ce que je veux ? Il me faut donc une raison pour venir ici ? Première nouvelle ... " Cela pouvait sembler logique, considérant qu'ils n'étaient plus ensemble. Ils ne formaient plus un couple, la perte du bébé avait brisé cet ensemble, cette unité qu'ils constituaient auparavant. Seulement Andrew ne pouvait pas accepter cette décision prise sous le coup de la tristesse, de la peur, ou de n'importe quelle étape du chagrin dont a parlé Lucas ce matin. Les émotions de Lou n'obéissaient à aucune rationalité, ne reflétaient ni ses envies, ni ses pensées. Alors il ne pouvait pas la laisser gâcher ainsi l'une des plus belles histoires d'amour qu'il puisse un jour exister. " Alors voyons, je veux savoir comment tu vas, si tu remontes doucement la pente,j'aimerais bien savoir si je te manque, aussi " Ses questions seraient peut-être trop intimes pour permettre à Lou de répondre. Peut-être se renfermerait-elle, peut-être s'énerverait-elle. Mais il était hors de question qu'elle nie plus longtemps son existence.