Isaac soupira. Toute la journée il était resté assis dans son fauteuil, au bureau, à étouffer de chaleur. Bien sûr, les fenêtres ne pouvaient pas s'ouvrir -oui, prévention contre les suicides- et l'air conditionné était en panne. Comme par hasard. Pourtant il avait appelé aujourd'hui pour faire réparer, mais apparemment, le mec était pas venu. Encore un contre temps, sûrement. Faudrait qu'Isaac pense à changer d'entreprise de réparation. Ceux-là étaient un peu trop oisifs, et la moindre chose les empêchaient de venir. Vu le temps, il devaient être tous partis à la plage tiens. Isaac se prit la tête entre ses mains. Quelle bande d'incompétents ! Tout la journée il avait failli mourir tellement il suffoquait dans son bureau, qui virait au sauna. D'ailleurs le Melrose était limite en tenue de sauna.. Il avait eu tellement chaud qu'il avait enlevé sa veste, sa cravate, ses chaussures et ses chaussettes, avait enfilé des tongs et déboutonné sa chemise. Et heureusement, personne n'était venu le déranger dans la journée. De quoi il aurait eu l'air ? Déjà que la plupart des personnes croyaient qu'il bullait, se tournant les pouces dans son bureau, jouait à la Wii ou au solitaire. Ah mais oui, il n'avait que ça à faire... Certes Isaac donnait l'impression d'être un grand glandeur, et il était autoritaire avec ses employés, qui du coup se réconfortaient entre eux en le critiquant. Si ça pouvait les amuser.. C'est toujours comme ça, vous avez remarqué ? Isaac aurait bien rigolé avec ses employés, il aurait bien fait des petites soirées relax avec eux. Mais s'il faisaient ça, ils prendraient l'occasion pour moins bien faire leur boulot. Alors que si Isaac agissait comme il le faisait, sèchement et sévèrement, ils avaient beau le critiquer, au moins il faisaient bien leur boulot, de peur de se faire taper sur les doigts. Dans l'hôtel, il n'y avait que Jennifer et Espéranza qui avaient connues le rire du Melrose. Et on voyait bien où ça les avaient menées...

Isaac se balança alors en arrière sur son fauteuil en expirant bruyamment. Il étira sa nuque, ses bras et bailla, avant de se remettre correctement en face de son bureau. C'est fou toute la paperasse qu'on a à faire quand on dirige un bâtiment. Les entrées, les sorties, les employés et leurs particularités, leurs salaires, le ménage, les réparations, les animations pour les soirées, les repas, les avis des clients.. Bref, la liste était encore bien longue. Il allait se remettre à faire ses comptes lorsque le téléphone sonna. Une sonnerie stridente, classique, horrible, comme d'habitude. Et il ne pouvait pas la changer bien sûr, sinon cela ferait bien longtemps qu'il aurait mis la danse des canards à la place. (a) « Isaac. » répondit-il en décrochant le combiné. « Oui ? … Un problème ? De- … Quoi ? … J'arrive. » Il reposa le combiné en roulant des yeux. Un homme était apparemment entré dans le bar en parlant très fort, annonçant sa commande, limite pour tout le quartier. Pour l'instant il était stable, lui disait son barman, mais les mecs comme ça en général, ça ne s'arrête pas au premier whisky. Roulant des yeux, le Melrose reboutonna vite fait sa chemine et mit sa veste, puis descendit en bas pour voir ce qu'il s'y passait. Il ne tolèrait pas d'ivrogne violent dans son hôtel. Le Bar était ouvert à tous, certes, mais il y avait des limites.

Ding. La porte de l'ascenseur s'ouvrit au -1 et Isaac pénétra dans le bar. Son barman Fred lui indiqua un homme assis à une table non loin. Il le remercia puis porta son attention sur ce soi-disant gueulard. Quand il le reconnut, le Melrose fit un sourire en soupirant. Ah, Nathan. Il aurait du deviner. S'approchant de lui, son sourire s'élargit. « Bah alors l'ami, on m'invite pas ? » fit-il à l'attention du Evans. Pour l'instant, ce que faisait Nathan à l'hôtel ne le perturba pas le moins du monde. Isaac ne pensait qu'à la possibilité de fuir ses papiers pour se soûler avec son pote. Et pourquoi pas ?

Nathan et Isaac, ça datait. Lui était à Magnolia depuis bien longtemps, et Isaac, arrivée en 1996, le connaissait depuis lors. C'était lui qui lui avait appris les choses à savoir sur la ville, les gens à fréquenter ou non, les endroits huppés et même où se bourrer la gueule, entre autres. Tous les deux se ressemblaient fortement. Pas physiquement, quoiqu'ils étaient tous les deux de magnifiques papas beau gosses (a), mais caractériellement -si toutefois ce mot existait-, ils étaient assez semblables. Plongés dans leur boulot mais trouvant toujours le temps de s'amuser. La belle vie, selon certains. Enfin, après, leur relation n'était pas aussi forte que celle qu'il avait avec le père Hamilton, pour on ne sait quelle raison ils semblaient étrangement proches. Enfin, il s'en foutait un peu. La vie des autres, ça n'avait jamais réellement intéressé Isaac, même s'il aimait bien entendre les petites histoires de Clara le soir. C'était toujours bien, de savoir les petites chose sur les autres, pour pouvoir les utiliser en cas de force majeure. Un peu hypocrite dans le style. Il haussa les épaules. Qui ne l'était pas ?

En face de lui se tenait donc le père Evans, bien éméché. Isaac regarda sa montre. 21H42. Même pas dix heures et Nathan était déjà bourré. Remarquez, ça ne changeait pas de d'habitude (a). Il fit un grand sourire à son ami en l'interpellant sur le fait qu'il ne l'aie pas invité. Bah, oui, comment avait-il pu ne pas l'appeler, alors qu'il était juste au-dessus de lui ? Certes, appeler le patron de l'hôtel pour boire un coup n'était pas des choses des plus communes, m'enfin, avec Nathan, il fallait s'attendre à tout. On disait qu'Isaac était impulsif, mais Nathan, c'était un bon concurrent. Il faisait toujours ce qu'il voulait quand il voulait, et Isaac l'enviait un peu. Lui n'y arrivait pas, son besoin d'ambition mettant un frein à sa décontraction. Ceci dit, il aimait Nathan pour ça, il lui permettait d'échapper à la réalité pendant quelques heures, et ça, c'était de l'or. Et ce soir, ça tombait bien, la réalité lui était trop plate, trop chaude, trop normale. Il fallait un peu de changement, un peu de pep's dans cette soirée ! Et Nathan était pile la personne qui lui fallait. « Deux ! » rajouta-il à l'intention du serveur, pour continuer les paroles du Evans. Le serveur acquiesça tandis que l'éméché reprenait la parole, avec une sorte.. d'accent bizarre. Non mais sérieusement, il parlait du nez ? Isaac écarquilla les yeux puis explosa de rire. Nathan était décidément vraiment étrange. « Bah ouais, je bosse qu'est-ce que tu veux ! Certaine d'entre nous ont un but dans la vie ! » s'exclama-t-il après s'être calmé. Oh, il n'avait pas dit ça méchamment, Nathan savait bien qu'Isaac le taquinait. Ceci dit, c'était plutôt la réalité. Le Melrose avait toujours le don de révéler des choses cachées sous ses blagues, et il en était assez fier. Souvent, la personne en face ne s'en rendait pas compte tout de suite, et le lendemain, les vestiges de la soirée réapparaissaient, et les mots du Melrose leurs claquaient aux oreilles. Ah, qu'il aimait avoir du pouvoir.

Nathan continua de parler comme un canard enroué bègue, ce qui donnait un résultat tout à fait charmant, et ses paroles furent suivies d'un immense silence. Avec un sourire en coin, Isaac leva un sourcil et pouffa. « Oui... ? » Et l'Evans enchaîna, ne paraissant même pas avoir remarqué avoir eu un moment de blanc. Ah, les joies de la boisson.. Et ce qu'il avoua fit rigoler le Melrose encore plus. « Ah parce que tu dors sur tes genoux ?! » s'exclama le gérant tandis que son sourire s'agrandissait. Wow, il fallait décidément qu'Isaac boive pour le suivre, il fallait qu'il arrive à son niveau pour qu'ils se tapent de barres ensembles. Joignant le geste à la parole il but cul sec son verre de whisky, et son ami le suivit peu après dans un sourire. « Bon attends, par contre.. » Il s'approcha de Nathan et chuchota. « Je suis un peu en tongs là, tu vois.. » Et reprenant sa voix normale, « Donc on va pas rester ici. » D'autant plus que si les deux hommes continuaient à boire comme des trous, le respect des employés d'Isaac s'évanouirait en deux secondes. C'est fou comment ça marchait bien le bouche à oreilles. « Ah ouais, mais j'avais oublié ton état. » rajouta-t-il en souriant. « Ca va, tu crois que tu vas pouvoir te lever sans assomer de serveur ni te prendre tous les murs cette fois ? » fit-il, sarcastique. Il laissa un billet sur la table pour les consommations effectuées, fit un geste à son barman pour lui dire qu'il s'occupait du "problème", puis se dirigea vers l'ascenseur en espérant que personne n'ait pensé à regarder ses chaussures.

Nathan le suivait, et Isaac espérait très fortement quil ne ferait plus de bourdes en chemin. Le gérant de l'hôtel qui s'affiche avec un bourré, c'était pas super.. Mais Isaac pensa trop vite. Alors qu'ils était à peine rentrés dans l'ascenseur, l'Evans cria -et Isaac crut bien que Nathan fit exprès de le crier aussi fort qu'il pouvait- qu'il portait des tongs. Alertés par ce cri, toutes les personnes de la salle se retournèrent vers eux, et Isaac leur fit un petit sourire gêné en faisant un geste de main. Les portes parurent mettre trente ans à se fermer et une fois ceci fait, il se retourna vers son ami. « Mais ça va pas la tête ? T'as bu quoi pour être comme ça ? » Nathan ne répondit pas, et au lieu de ça se baissa, et toucha ses tongs comme si c'était des monstres. Le Melrose ne put s'empêcher de rire tellement Nathan avait l'air débile. Puis son ami fut comme pris d'une fascination étrange devant ses tongs, pour demander si c'était des vrais. Isaac n'en pouvait plus de rire, et il s'en tenait le ventre. Pourtant, c'était pas une chose à rire, il devrait l'engueuler pour s'afficher comme ça dans son hôtel. Mais c'était plus fort que lui, et honnêtement, ça faisait longtemps qu'il n'avait pas rit autant. 

Avec le son familier de l'ouverture des portes de l'ascenseur, ils arrivèrent au dernier étage. Nathan était toujours par-terre, et les yeux fixés dans le vide. Isaac pouffa en souriant. « Qu'est-ce tu fous ? Tu veux de l'aide pour te lever ? On est arrivés hein ! » Isaac revint vers son ami, le prit par dessous les épaules et le sortit de l'ascenseur avant qu'il ne se referme. Son bras sur son épaule, il essaya d'avancer, mais Nathan ne paraissait pas décidé. Il lui demanda, toujours en parlant du nez -dieu sait pourquoi- où ils allaient, précisant que s'ils allaient dans son lit, il voulait une fille. Isaac haussa et rigola de plus belle. « Mais bien sûr ! T'es pas un peu marié ? » demanda-t-il en secouant la tête, en signe d'incompréhension. Il sourit puis reprit la marche vers le bout du couloir en soutenant son pote. « De toute, on va dans mon bureau, pas dans mon lit ! T'es fou toi. »

Arrivés dans le bureau, le gérant déposa Nathan dans un des fauteuils, puis alla chercher son whisky dans le recoin de son armoire. Bah quoi ? Tout bon businessman se doit d'avoir une bouteille de whisky ou de scotch dans son bureau ! Il ajouta deux verres sur la table, et les remplit. Mais il en versa moins dans celui de l'Evans, ne voulant pas trop qu'il dégurgite son steak sur la moquette.. « Santé ! » fit-il alors en levant son verrre avec un sourire. Il avait du temps devant lui, pas de nouveaux clients dans la soirée, et un étage insonorisé pour lui tout seul. En somme, il pouvait faire la fête.

Le verre levé, Isaac attendit que Nathan prenne le sien et répète le mot santé. Mais non seulement il ne prit pas le verre, mais il commença à déblatérer sur le fait qu'il se tapait une autre femme, avant cette fois de prendre le verre et de gueuler -ah oui oui, gueuler- santé. Isaac resta un moment la bouche ouverte, comme pétrifié. Puis il comprit que c'était une blague, puis soupira en souriant. « Putain, t'es vraiment con toi alors.. T'as vraiment des fantasmes bizarres ! » rajouta-t-il en rigolant. Puis il vida son verre cul sec, s'en resservit un autre et se rassit dans son gros fauteuil. « Remarque.. » fit-il, « ça doit pas être si mal d'aller voir ailleurs de temps en temps.. » Avec Clara, ce n'était pas toujours gai, et en y pensant, Isaac songerait bien à.. Ouais, non, plus maintenant. Il n'avait pas envie de créer de guerre familiale, déjà que c'était pas toujours la fête..

« Et mes matelas sont pas durs ! » s'exclama-t-il. « 'fin t'étais dans quelle chambre aussi ? Parce que si tu dis que mes suites ont des matelas durs, j'te fourre dehors avec un coup de pied au cul ! » rajouta-il en rigolant. Ou pas. Isaac avait dépensé beaucoup d'argent pour que ses suites soient impeccables, et jamais personne ne s'était plaint. Après, certes que les autres chambres restaient plus basiques, mais si il voulait faire de son hôtel un hôtel destiné à toutes les classes sociales, il fallait bien évidemment des différences (a). Nathan avant sûrement choisi une chambre de bas prix, au premier étage, et c'est pour cela qu'il se plaignait des matelas. Tant pis pour lui, se dit le Melrose, il n'avait qu'à payer plus cher (a).

Isaac poussa alors un petit soupir. « Bon, trêve de plaisanteries. J'espère que la chaleur ne te gêne pas trop, la clim ne marche plus aujourd'hui.. Mais bref, tu m'racontes quoi sinon, ça va faire un bail ! Tes enfants, ça va ? » Oui, cela faisait un peu discussion de bonjour, comment va la famille et les amours, mais tant pis. Ils étaient adultes après tout, ce n'était plus trop leur style -enfin, à voir- de se demander combien de meufs l'autre avait pécho en soirée, et s'il avait fait un body shot à sa pote Gertrude parce qu'elle avait refusé de coucher avec lui avant, du coup il profitait d'être bourré pour l'embrasser. Enfin bref, vous m'avez compris.

 

A chaque fois que Nathan ouvrait la bouche, Isaac était plié en deux. Par on ne sait quel mystère, cet homme parlait du nez quand il était bourré, et c'était hilarant. « Une réduction, bien sûr ! Ah, j'recobais bien le commercial en toi ! » répondit-il au Evans en se moquant allègrement de son pseudo-accent. Il se resservit un verre, tout en écoutant Nathan encore déconnant sur le fait de revenir. « Ouais t'inquiètes pas, je te ferais payer plein pot ! » fit-il en rigolant. « Bah ouais, hein, tu comprends bien que j'dois tenir mes affaires (a). C'pas parce que t'es mon pote que t'as le droit à des faveurs ! » Il regarda Nathan dans les yeux pour voir sa réaction. Bien sûr, il écarquilla grand les yeux, choqué. Isaac explosa de rire. « Je décooooonnee ! » continua-t-il, hilare. Mais il continua en murmurant . « Ou pas.. » Et il sourit de toutes ses dents, avant d'avaler son verre cul sec, suivi d'une expiration poussée, digne d'un gros buveur désaltéré. 

Le Melrose demanda alors à son ami comment allait sa famille et ses enfants. Le visage de Nathan se décomposa, et alors qu'il servait les verres une autre fois, il trembla de la main et versa de l'alcool partout sur le bureau du Melrose. Et bien sûr, ne trouva rien d'autre pour éponger que la pile de feuilles à ôté de lui, qui n'était autre que la pile de courriers urgents qu'il avait passé tout l'après midi à trier. « Nan ne prends pas ç- » tenta-t-il de dire. Mais trop tard, les feuilles s'imbibaient du liquide marron sous les yeux impuissants du Melrose. Il soupira en fermant les yeux, rageant intérieurement. Mais l'alcool en lui finit par le faire sourire, et il ne s'emporta pas. « Ah t'es vraiment malin toi. » Haussant les épaules, ils laissèrent les feuilles s'imbiber. Du bon côté, ça épargnait la moquette. 

Nathan s'enfonça de nouveau dans son siège et mit du temps à parler. Isaac leva un sourcil. Nathan avait-il des soucis avec ses enfants ? Aux dernières nouvelles, la familles Evans était plutôt parfaite, tout le monde paraissait bien s'entendre.. N'était-avec qu'une apparence ? « Bah alors, accouuches ! » s'exclama Isaac, impatient. Sa tête commençait bien à tourner..

 

Isaac buvait depuis une bonne heure et pourtant il ne ressentait toujours pas les effets de l'alcool. Pourtant, c'était bien du pur, mais sûrement que sa présence au bureau freinait sa conscience. C'était comme si son corps lui disait de rester alerte au cas où quelque chose pouvait arriver. Et si l'hôtel prenait feu ? Isaac soûl ne servirait pas à grand chose. Il imaginait déjà la censure de son hôtel, et non, ça ne lui donnait pas envie. Et après, vive la réputation. Non, il devait vraiment écouter sa conscience et arrêter de boire. Surtout que Nathan était un peu trop bourré, et entamait la phase de violente tristesse et déprime. Etrange, alors que dix minutes plus tôt il pétait la forme, racontant n'importe quoi et agissant comme un retardé. Bientôt il commencerait à devenir violent peut-être ? Isaac avait intérêt à calmer l'Evans et faire gaffe à ses miches, au risque de se faire refaire le portrait. Nathan était malgré tout bien plus fort que lui, et il ne tenterait pas de se battre avec lui. Sachant qu'un homme bourré triste pouvait facilement devenir violent. Bref, de toute façon, Nathan était pour l'instant bien triste, et aucune forme d'agression ne semblait se former.

Isaac lui demanda alors de s'expliquer et son ami finit par lui avouer qu'entre ses enfants et lui, ce n'était pas la gloire. Notamment à cause des disputes avec Katlina. Isaac leva les sourcils. Ouaip, il connaissait bien ce genre de situation, quoique à la maison ce n'était pas vraiment pareil. Ses enfants ne souffraient pas des disputes familiales, c'était plutôt... interne. Il ne savait pas vraiment quoi dire à son ami, qui commençait même à pleurer et à parler de son père. Le Melrose fronça les sourcils. « Ton père ? » C'était la première fois qu'il entendait Nathan en parler, et honnêtement, son père aurait pu être marié à une fermière qu'il ne l'aurait pas su non plus. Ce n'était pas trop le genre de Nathan de parler de son passé ou de ses sentiments. Comme Isaac d'ailleurs. C'était des amis de beuverie et de conneries, certes, mais des amis qui se disaient tout, pas vraiment. Peut-être que ce que Nathan vivait était vraiment trop difficile et qu'il n'avait personne d'autre vers qui se tourner. « Vas-y, balances ce que tu veux si ça peux te faire du bien. T'inquiètes je dirai rien, les secrets ça me connait. » Avec une femme psychologue, sans déconner..

C'est là que le Evans posa des questions à Isaac par rapport à Allie. Il se braqua tout de suite, se demandant si Nathan se foutait de sa gueule. C'était quoi le rapport ? Et puis il avait deux enfants, pas qu'une. Faut dire que le sujet d'Allie fâchait un peu Isaac, c'était une enfant difficile et il ne l'avait jamais vraiment cernée. Quant à Austin, pas de souci avec lui, c'était un garçon adorable. Mais le fait que Nathan n'ait parlé que de sa fille l'intriguait. Que savait-il ? Etait-ce juste une mascarade pour lui tirer des infos ? Il s'enfonça dans son siège en répondant à la négative, fermement. « Pas du tout. » C'était bien évidemment faux. Mais pas tant que ça. C'est-à-dire qu'Isaac ne passait pas de temps avec Allie, elle ne voulait pas passer du temps avec lui, mais lui non plus, à vrai dire. Il avait abandonné l'idée depuis trop longtemps. Il était fier qu'elle réussisse dans ses études, mais de là à lui proposer une sortie Disney, hors de question. Ce n'était pas comme ça, entre eux. Difficile d'ailleurs de situer leur relation, mais bref, ce n'était pas le sujet. Isaac resta sur ses positions et attendit de voir ce que Nathan allait faire ensuite. Valait mieux se tenir bien loin, au cas où.

 

Isaac était assis dans son fauteuil, la mine renfrognée. Il était content de voir son ami, mais ce dernier commençait à dépasser les limites. Bourré comme pas possible, il lui avait d'abord foutu la honte au Bar, et voilà maintenant qu'il s'insérait dans sa vie personnelle ? Isaac n'avait pas demandé de confident. Il n'avait pas besoin de se confier, pas besoin de quoi que ce soit venant de quelqu'un d'autre. En plus, Nathan n'était plus ivre déconneur mais ivre déprimé. Et ça avait le don d'exaspérer le Melrose, puisque ce n'était plus du tout drôle. Et quand c'était plus drôle, Isaac devenait irrité, colérique, moqueur, voire méchant. Isaac s'enfonça dans son fauteuil et mit sa tête en arrière tout en écoutant l'Evans parler de ses problèmes de famille. Il roula sa tête de droite à gauche contre le dossier de la chaise, mais il finit par avoir un peu le tournis alors il reprit une position naturelle et joua plutôt avec la boule à neige qui se trouvait sur son bureau. Et son ami parlait, parlait, et Isaac écoutait, écoutait, jusqu'au moment où il sortit son portefeuille pour lui montrer une ancienne photo de famille. Le Melrose jeta un coup d'oeil à la photo et éclata de rire en les voyant tous déguisés. Il décida alors d'arrêter de maugréer et rebooster son ami.

« T'es sûr que tu veux pas prendre rendez-vous avec ma femme ? » rigola-t-il, en voyant l'air désespéré du père Evans. « Allez souris un peu, joie de vivre là ! C'est pas avec c'te tête que t'ira mieux ! » dit-il. « Et puis tout le monde a des problèmes de famille Nathan, vraiment, donc ne fais pas ta pauvre petite bête ! Reprends plutôt un coup à boire, et ça ira mieux ! » Isaac avait indirectement avoué que lui aussi avait des problèmes de famille, mais bon, rien d'anormal, au fond. Tout le quartier semblait avoir ses petits secrets, et côté famille, le gérant de l'hôtel n'en connaissait aucune qui fut particulièrement toujours heureuse. Aucune.

Isaac se leva alors de sa chaise et posa ses deux mains à plat sur son bureau. « Bon ! Il est temps que je rentre chez moi. Plus trop envie de moisir ici. En plus il fait trop chaud. Ma Clara a du me faire une bonne petite soupe ce soir ! Ah que c'est bon d'avoir une femme aussi gentille. » s'exclama le Melrose, à moitié sarcastique. Non bien sûr, il aimait sa femme, ne croyez pas le contraire. Mais il aimait toujours faire des petites remarques un peu macho, bon, c'était comme ça.  

 

Isaac pouffa et ses épaules se secouèrent légèrement quand il entendit son ami lui répondre. Nathan soûl, ça valait vraiment la photo. Ou la vidéo même, tiens. Quelle tête il ferait s'il savait ce qu'il avait raconté comme conneries ! Isaac et Nathan étaient amis, certes. Mais les deux hommes n'étaient pas si proches, ne se confiaient vraiment pas tout, et le Melrose avait l'impression que ce soir, Nathan en avait dit beaucoup plus que ce qu'il ne croyait et il n'y avait pas que du superflu dû à l'alcool. Enfin, il n'y avait aucun moyen de vraiment savoir ce qui se passait dans les pensées de l'Evans, et Isaac en avait envie comme il avait envie de s'acheter le dernier tome de Twilight, autant dire qu'il s'en foutait comme du dernier usage de sa brosse à dents. C'était toujours intéressant de savoir les petits secrets des autres, mais pas question de se prendre la tête avec ça ni de tout faire pour chercher à le savoir. Isaac n'avait pas demandé à Nathan de lui pleurer sur l'épaule – façon de parler mais on en était pas loin-  et personne n'avait intérêt de lui reprocher de savoir ceci ou cela. Isaac resterait muet comme un tombe. Jusqu'au jour où il finira par balancer une connerie, mais là, faudra vraiment pas lui chercher des noises. Après tout, c'est pas lui qui n'avait pas sa langue dans sa poche.

Nathan failli faire dégringoler toute son étagère de classeurs, et le gérant esquissa un mouvement rapide en direction de son ami pour le rattraper si jamais il tombait. Manquait plus de devoir appeler l'hôpital. « Woh, doucement compagnon ! Va pas t'assommer, ce serait malin ! » fit Isaac en se moquant légèrement. « Tu veux pas de l'aide pour descendre ? T'es sûr ? » demanda-t-il, un peu inquiet. En vérité, Isaac craignait plus pour son hôtel que pour Nathan. Du vomi dans l'ascenseur, trop glamour. Sur le tapis, encore mieux.. Mais Nathan secoua la tête et continua ses idées fantasques d'ivrogne. « Bon..alors amuse-toi bien ? Mais fais gaffe à mon hôtel, s'il arrive un truc pendant mon absence t'entendras parler de moi ! » fit le Melrose, en esquissant un vague geste en direction de son ami, qui déjà pensait à autre chose. Isaac poussa un long soupir. Et beh, il avait des problèmes à résoudre lui ! Il ferait bien d'aller se faire soigner par sa femme tiens.

Un petit sourire naquit sur les lèvres d'Isaac puis il ferma les yeux un moment, exténué. Il s'étira, grogna un peu de sommeil, et se décida donc à rentrer auprès de sa jolie femme. Récupérant ses affaires, mettant ses éternels écouteurs dans ses oreilles, Isaac prit les clefs du bureau dans sa main, et le tintement résonna dans le couloir tout à coup très silencieux. Nathan devait déjà être en bas, à se payer un autre verre. Irrécupérable. Isaac fit tourner la clef dans la serrure et se rappela qu'il fallait qu'il appelle le gars de la maintenance pour la climatisation. Peut-être qu'il faudrait qu'il pense à moderniser un peu son hôtel. On était dans l'ère de la téléinformatique, fallait bien se mettre à jour, non ? Rien à voir avec l'air conditionné, mais de belles télévisions dans les chambres pourraient éviter les clients de râler. Enfin, c'est ce qu'il espérait.