Katarina était à fond sur son tapis de course, ce jour là. Elle avait pris l'habitude de venir deux à trois fois par semaine à cette salle de musculation, s'adonnant à chaque fois à un entraînement intensif. Être bien dans sa tête passait par un bien être corporel, Katarina s'appliquait à créer un bon environnement autour d'elle, propice pour la venue d'un bébé. Plus question de se laisser aller et de prétexter une surcharge de boulot à l'agence, pour justifier la façon outrancière dont elle avait déserté la salle de sport ces derniers temps. A Baltimore, elle réglait sa vie convenablement, organisait son emploi du temps pour que vie professionnelle, vie sentimentale et autres activités se coordonnent parfaitement. Depuis un an à Magnolia, elle glissait sur la pente, mais désormais elle la remontait avec fermeté.

Une musique entraînante à fond dans les oreilles, elle courait sur le tapis, poursuivant un objectif drastique qu'elle s'était fixé. Quand une chanson se termina sur son ipod, elle entendit la fin d'une annonce dans la salle. Un animateur avait dit "bonne chance à tous" malheureusement avec le volume de sa musique, elle n'avait pu saisir le début de l'annonce. Un concours, un jeu ? Ou simplement un changement d'horaires et elle aurait mal compris cette histoire de chance ? Sa curiosité la força à arrêter son tapis et à enlever ses écouteurs de ses oreilles. « Excusez-moi, j'étais absorbée par ma musique, il y a eu une annonce ? » demanda-t-elle à la jeune femme qui s'entrainait à côté d'elle. Une voiture mal garée qui pourrait être la sienne ? Un enfant perdu qui attendait sa maman ? Elle imaginait désormais mille et une raisons possibles de faire une annonce au micro dans une salle de sports, certaines crédibles, d'autres moins.

Sa voisine n'était pas plus au courant qu'elle sur l'annonce, et cela fit doucement rire Katarina. « Ce n'est pas grave, merci quand même ! » répondit-elle avant de se replonger dans son sport et sa musique. Katarina n'avait jamais été branchée par ce genre de jeux. En effet, elle avait toujours tellement envie de gagner, qu'elle se transformait en folle furieuse et effrayait tout le monde. Alors, afin de préserver son standing et sa réputation, elle s'abstenait de participer.

Tout à coup, sa voisine se précipita en vitesse dans un coin de la salle, ce qui sortit la jeune femme de ses pensées. Elle appuya sur le bouton de son tapis de course pour arrêter le système électronique, et s'approcha de l'émeute. Tout le monde s'entassait, Katarina eut du mal à comprendre au début. Ils étaient pire que des enfants dans une garderie quand une assistante amène le goûter. Mais l'ambiance morbide laissait penser qu'il ne s'agissait pas de nourriture. Enfin, Katarina le vit, cet homme affalé à terre. Sa voisine, apparemment douée et spécialiste, s'acharnait dans un massage cardiaque, quand elle héla Katarina. Défibrillateur d'urgence ? L'Estonienne se mit à parcourir la salle des yeux au galop, afin de le trouver. Bingo, en quelques pas elle l'attrapa afin de le ramener à la docteur. Elle remarqua quelqu'un qui filmait la scène, ce comportement l'énerva. « On vous à dit d'appeler une ambulance, pas de mettre ça sur internet ! » grogna-t-elle avant de s'accroupir. « Vous avez besoin d'aide avec ça ? » demanda-t-elle en tendant le défibrillateur.

Katarina regarde la jeune femme pratiquer ses pratiques de médecin, emplie d'une peur extrème. Et si cet homme ne revient jamais à lui, qu'advient-il ? Lui qui est seul dans cette salle de sport, qui contacte sa famille, son travail, son épouse, ses enfants ? Katarina imagine un instant, son téléphone qui sonne, et un inconnu qui lui annonce le décès de son époux, au centre de sport. Un médecin aurait tenté de le réanimer, deux ou trois fois, sans succès. Elle manque de défaillir, mais la voix de la docteur la ramène bien vite à la vie. « Oui oui, reculez s'il vous plaît, laissez leur de l'air ou de l'espace ! » A vrai dire, elle n'a aucune idée de ce dont ils ont besoin, mais ça sonnait bien, comme dans les films.

Une fois tout le monde reculé à une distance convenable, Katarina se retourne vers la "scène du crime". Elle tremble presque. « Vous allez le sauver, n'est-ce pas ? » Katarina a besoin d'un oui. Elle a besoin de savoir que, si un jour tout ça arrive à son mari, quelqu'un comme cet femme le sauvera, car c'est ce que font les médecins.

Katarina reste immobile, les yeux braqués sur le spectacle malheureux. Quand quelqu'un tente de s'approcher plus près, la jeune femme l'en empêche, comme le docteur l'a indiqué. Mais autrement, elle ne bouge pas. Les mains jointes, elle semble presque implorer le ciel pour que cet homme n'y laisse pas sa vie, pour que ses derniers instants ne furent pas sur un tapis de course.

Ce docteur semble vraiment concentrée dans ce qu'elle fait, Katarina la regarde avec attention, même si elle ne retiendra rien de ces gestes si techniques. Tout cela l'effraie, et si cette femme n'avait pas été présente, ce jour là, à ce moment là. Peut-on être sûr de toujours trouver un medecin quelque part dans un lieu public ? Il faudrait instaurer une loi, imposant un medecin partout : dans les centres commerciaux, au cinéma, au sport, dans le parc ... Parce qu'en fait, une crise cardiaque, ça peut arriver n'importe où, et plus rarement dans un cabinet médical ou dans un hôpital, là où se trouvent les docteurs, quoi.

On entend la sirène des pompiers dehors, les gens recommencent à remuer, cette fois-ci Katarina ne fait rien. Elle a comprit que la dame allait utiliser une nouvelle fois le défibrilateur, alors elle retient son souffle et ... « OUIII !! Vous avez réussi ! » Elle s'exclame au moment où les yeux de l'homme s'ouvrent, dans un miracle. Là, tout s'accélère, les pompiers arrivent, somment tout le monde de reculer encore plus loin. Katarina perd le médecin de vue, mais elle tient absolument à la féliciter, à lui parler pour lui dire n'importe quoi. Perchée sur la pointe des pieds, elle scrute la scène. Là, elle voit le docteur s'écarter de l'attroupement, alors elle la rejoint. « C'est un miracle, félicitations, vous l'avez sauvé, c'est magnifique ! » Elle en a presque les larmes aux yeux, cette femme va la prendre pour une folle. Mais Katarina vit souvent ses émotions à fond.

Katarina sent la pression doucement quitter son corps, comme une poussée d'adrénaline qui redescend après le rush. L'homme est pris en charge dans les pompiers, et bien vite tout le monde s'éparpille, ne laissant qu'un lointain souvenir dans les esprits. A regarder distraitement, on pourrait presque penser que rien de grave n'était arrivé. « Mais je n'ai rien fait du tout ! » dit-elle, modeste. Mais voir ainsi le médecin agir et sauver une vie, lui donne envie de se prendre en main. L'une de ses clientes lui a parlé de stages de secourisme, pour apprendre les premiers gestes qui sauvent. Et si cette femme n'avait pas été là ? « Vous m'avez donné envie de m'inscrire à un stage de secouriste, d'être plus responsable ! » confie-t-elle en souriant.

Les deux femmes retournent ranger leurs affaires, plus question de sport pour aujourd'hui. Katarina défait sa queue, ébouriffe ses cheveux avant de les attacher à nouveau, attrapant bien les mèches rebelles. Elle a quitté le tapis de course depuis un moment déjà, mais dans sa nuque, ses cheveux sont humides. Peut-être le stress de cette situation. « J'essaie de venir régulièrement, deux à trois fois par semaine, pour me tenir en forme. Et vous ? » Elle regarde Rachel terminer de remplir son sac, l'attendant pour rejoindre le vestiaire, où elle a laissé ses affaires dans un casier. « Au fait, je m'appelle Katarina ! Je gère une agence de rencontres, en ville. » dit-elle en souriant. Avec tout ça, elles ne s'étaient même pas présentées !