C’était l’été, il faisait bon, beau même et comble du ravissement Esperanza était en vacances. Cela faisait plusieurs mois qu’elle n’en avait pas pris mais elle avait enfin une semaine complète. Une semaine sans avoir à se rendre au Savoy Truffle et sans un seul contrat en vue pour l’entreprise Valken’s. Un peu de repos, Esperanza était aux anges. Et pour la combler au maximum, c’était les soldes. La cuisinière avait donc décidé de faire chauffer la carte bleue.

Deux heures après être partie de chez elle la jeune (oui oui) femme avait déjà acheté plusieurs articles. Un jean, un chemisier, deux belles jupes et une paire d’escarpins. Elle avait également acheté une petite robe et une veste pour sa fille. Elle était à présent dans un magasin assez généraliste qui faisait des vêtements de toute sorte, pour femmes, enfants, mais aussi pour hommes. Esperanza avait trouvé une robe affichée à moins 70%, ce qui la ramenait à un prix très intéressant.

L'espagnole se présenta donc à la caisse avec la robe, sauf que la caissière refusa de lui faire la promotion, argumentant qu’il s’agissait d’une erreur d’affichage et que la robe n’était pas soldée. Mais Esperanza savait que dans ce cas la robe devait être faite au prix acheté. Sauf que la vendeuse ne voulait rien entendre. Pire encore, lorsque Esperanza avait abandonné en disait qu’elle ne voulait plus l'acheter la vendeuse avait découvert que le vêtement avait une tâche et accusait Esperanza de l’avoir fait exprès. Mais elle refusait de payer pour une robe qu’elle n’avait pas abîmée.

Le ton entre les deux femmes montait. La vendeuse avait des propos vraiment irrespectueux envers elle et Esperanza se sentait totalement démunie. Elle était tellement déstabilisée qu’elle avait du mal à s’exprimer en anglais. Sa langue maternelle reprenait le dessus et la jeune femme se retrouvait à se défendre en espagnol. Les gens autour commençaient à être attirés par les cris des deux femmes, mais Esperanza s’en moquait, elle refusait de se laisser manquer de respect par la vendeuse.

Alors qu’Esperanza râlait encore face à la vendeuse, une voix d’homme vint les interrompre. Il prit sa défense, s’adressant d’abord à la vendeuse, puis à l’espagnole pour lui dire qu’il la croyait. Cette intervention eut pour effet de faire taire les deux femmes. Toutes les deux furent surprises que quelqu’un ose s’interposer entre elles et restèrent donc sans voix, regardant l’homme qui se tenait face à elles.

« Euh… Merci. » Dit-elle, encore déstabilisée. « Evidemment que je ne l’ai pas tachée. » s’insurgea-t-elle une nouvelle fois. La vendeuse, elle, semblait avoir mis de l’eau dans son vin parce qu’on ne l’entendait plus. « Elle veut me la faire payer, alors que je n’y suis pour rien ! » se plaignit-elle à Lawrence comme si elle était en face de son avocat et que maintenant il devait la défendre face à la partie adverse.

Esperanza était une femme qui en général aimait se défendre toute seule, elle était autonome et aimait penser qu’elle n’avait besoin de personne. Sauf que là elle était fatiguée et en avait marre. Elle avait besoin de quelqu’un pour parler à sa place pour ne plus avoir à faire à cette vendeuse qui ne comprenait rien. Elle n’arrivait pas à s’exprimer. Elle recula d’un pas et croisa les bras, sans parler, pour voir ce qu’il allait se passer maintenant et si Lawrence saurait, ou non, la tirer d’affaire.

Cet homme prenait la défense d’Esperanza, croyant ce qu’elle lui disait. C’était agréable de voir un inconnu donner de l’importance à sa parole. Mais vu à quel point la vendeuse était désagréable et peu professionnelle, pas étonnant que les gens se rangent du côté d’Esperanza. L’espagnole ne comprenait pas comment quelqu’un comme elle pouvait encore travailler auprès de la clientèle. En restauration on lui avait toujours appris que le client était roi. Alors oui des fois il était chiant, mais il fallait prendre sur soi et jamais au grand jamais lui manquer de respect.

Lawrence proposa que la vendeuse regarde dans le sac d’Esperanza pour lui prouver qu’elle n’avait rien de la couleur de la tâche. Sauf qu’Esperanza n’avait aucune envie de se laisser fouiller comme une vulgaire coupable. Il était hors de question que cette femme, qui n’avait aucun droit, regarde dans ses affaires. Bien sûr c’était une bonne idée parce que ça l’innocenterait immédiatement, mais il était hors de question qu’elle se laisse fouiller.

« Ah si, ça me dérange ! » s’exclama-t-elle. Elle allait préciser le fond de sa pensée, lorsqu’un homme arriva avec un talkie-walkie. Il semblait être le chef du magasin. Il s’excusa immédiatement auprès d’Esperanza et Lawrence et pris sa vendeuse en aparté. Il parlait doucement, mais Esperanza arriva à comprendre qu’en réalité la tâche avait été produite car quelqu’un avait essayé de retirer l’antivol qui avait laissé échapper l’encre spéciale en cas de tentative de vol. Il ajouta que sur les caméras de surveillances on voyait parfaitement une jeune fille essayer de voler cette robe. Esperanza y était donc pour rien. Le directeur envoya ensuite la vendeuse dans l’arrière boutique, qui partie, toute penaude, sans même un regard pour la cliente qu’elle venait d’accuser à tord.

L’homme, qui reprit la direction de la caisse d’excusa platement auprès d’Esperanza, il la remboursa et lui offrit même un bon d’achat à valoir dans la boutique. Elle pourrait donc revenir et profiter de vêtements gratuits, c’était une très bonne nouvelle. La Damenez le remercia avec un grand sourire et se tourna vers Lawrence, satisfaite de la tournure qu’avaient pris les choses. "Voila qui est mieux !" déclara-t-elle.

Lawrence lui dit qu’elle avait eu de la chance. Elle pensait que c’était juste ‘normal’ après tout elle n’avait rien fait, encore heureux que ça se finisse comme ça. « C’est normal quand même. » dit-elle, ne pouvant s'empêcher de dire ce qu'elle pensait, encore intransigeante avec ceux qui lui avaient au final fait perdre son temps. L’homme en fait d’elle semblait lui particulièrement gentil et tolérant.

Lawrence proposa à l’espagnole d’aller boire un verre. Elle se demanda s’il ne s’agissait pas là d’une technique de drague, elle était encore jolie et avait souvent à faire à des garçons un peu lourds et dragueurs. Mais lui avait l’air plutôt bien alors elle lui laissa le bénéfice du doute, se disant qu’après tout elle pouvait se faire là un ami. Et puis elle n’avait rien à faire alors il n’y avait aucune raison de refuser un moment avec un gentil inconnu.

« Pourquoi pas. Il y a un café juste en face, on peut peut-être s’installer sur la terrasse ? » Lui proposa-t-elle en s’avançant vers ledit lieu. En fait ce n’était pas qu’un café ça fait café-restaurant-bar, servant de toutes les boissons possibles jusqu’aux crêpes sucrées en passant par le steak-aubergines. Le lieu était sympa, il y avait des petites décos qui rendaient le lieu agréables, des petits lampions, un nain de jardin avec une brouette, on se serait presque cru dans un jardin familiale.

« Au fait, je m’appelle Esperanza. » se présenta-t-elle.

Lawrence accepta de s’installer en terrasse et tous les deux s’assirent face à face. L’homme se présenta à son tour. Lawrence Richardson.

« Richardson ?? » Esperanza fronça les sourcils.  « Comme Rachel Richardson ? » Elle connaissait bien la femme de Lawrence pour l’avoir consulté plusieurs fois. « Votre femme ne serait pas médecin par hasard ? Je l’ai consulté plusieurs fois suite à un accident survenu lors de la tempête qu’il y a eu dans le quartier. Elle continue de me suivre tous les trimestres. Puis j’ai travaillé pour son CE également. » C’était étrange comme le monde était petit. Surtout dans ce quartier évidemment. Si il s’agissait bien d’elle Espé était ravie, elle aimait beaucoup Rachel qu’elle considérait comme  une très bonne professionnelle et une femme très sympathique.

« Oui oui, je vis à Magnolia. En fait j’habite chez ma sœur et son mari, les Van Valkenburg je ne sais pas si vous les connaissez ?" demanda-t-elle "Je suis cuisinière au Savoy Truffle et en même temps travaille dans l’entreprise de ma sœur, Valken’s, traiteur à domicile. Et vous, que faites vous dans la vie ? » Elle désirait en savoir un peu plus sur son interlocuteur. « Et vous avez des enfants ? » Tant qu’à faire autant poser toutes les questions de présentation, comme ça au moins ils auraient fait le tour.

Lawrence lui confirma que Rachel était bien sa femme. Que le monde était petit ! Comme il le disait lui aussi. « Drôle de coïncidence ! Vous lui passerez le bonjour de ma part ? » Les deux femmes auront un nouveau sujet de conversation la prochaine fois qu’elles se verraient.

L’homme lui dit ne pas connaitre sa famille. « Ah, ben un jour peut-être » lui sourit-elle. Une serveuse s’approcha de la table. Celle-ci avait de grosses lèvres remplies de botox ça aurait presque arraché un sourire à la cuisinière, mais celle-ci refusait de se moquer de quiconque, le respect était une valeur importante. Elle commanda un café.

« Oui, je fais beaucoup d’activités professionnelles, mais c’est ce qui m’intéresse, qui me pousse à me lever le matin. Vous savez, j’ai besoin d’être active. Je n’aime vraiment pas rester sans rien faire. » Esperanza était comme ça, dynamique, elle ne supportait pas de rester sans rien faire. Alors ces deux activités, ce n’est pas ce qui lui faisait peur. Et puis elle avait toujours appris à travailler, se donner à fond, pour s’en sortir. Elle n’a jamais roulé sur l’or et c’est ce qui lui permettait de tenir et d’offrir une vie correcte à sa fille. « Ah, vous travaillez avec les jeunes, c’est super. » Esperanza aimait la jeunesse, elle se sentait bien entourée de jeunes. Travailler avec des ados devait être super enrichissant.

« Le restaurant Savoy Truffle est à Magnolia, sur Madison avenue, juste entre l’hôtel et la bibliothèque. Est-ce que vous voyez ?? Quant à Valken’s, l’entreprise de ma sœur, nous n’avons pas encore de local. Nous nous lançons juste et malheureusement nous n’avons pas trop les moyens, donc nous préparons tout ça chez nous, à Magnolia Street et livrons directement chez les clients. » Explica-t-elle. « D’ailleurs, si un jour vous avez besoin d’un traiteur n’hésitez pas. » dit-elle en souriant, se débrouillant toujours pour placer sa publicité dans une discussion. « Oh ! Et si vous veniez au restaurant avec Rachel ?? » s’exclama-t-elle soudain. « Je pourrais me débrouiller pour vous faire une petite réduction. » Recevoir Rachel et Lawrence au Savoy Truffle serait sympa.

« Oui, j’ai une fille, Evane. Peut-être qu’elle connait vos enfants, elle a 22 ans. » Le serveur apporta le café d’Esperanza et la boisson-je-ne-sais-pas-laquelle de Lawrence. Une jolie petite tasse sur une ardoise de présentation, le tout accompagné d’un mini-cookie, d’une serviette ornée de losange et un verre d’eau. Esperanza sortit sa pochette pour payer le serveur.

Esperanza était ravie que Lawrence soit le mari de Rachel. Ravie aussi de rencontrer un homme si gentil. « Merci beaucoup, mais vous savez ce n’est pas vraiment du travail. Enfin… Je veux dire c’est ma passion, c’est plus facile. » Esperanza considérait son travail comme une passion et ne pourrait sans doute jamais vraiment se passer de la gastronomie.
Lawrence voyait où se trouvait le restaurant et promis d’y passer un jour avec Rachel, ce qui ravie Esperanza.

Puis la discussion s’orienta sur l’un des autres sujets préférés de l’espagnole : sa fille. « Oh, sans doute qu’ils se connaissent ils ont quasiment le même âge. Et puis dans ce quartier tout le monde se connait en plus. Le monde est vraiment petit ici. Regardez, je connaissais Rachel, je suis prête à parier que nos enfants se connaissent. » Ils devaient être à la même fac, aller aux mêmes soirées, avoir les mêmes amis.

Puis l’addition arriva et Esperanza voulut régler mais Lawrence insista et tendit l’argent à la vendeuse. « Oh, merci beaucoup. » finit par abandonner Esperanza. Elle n’aimait pas trop se faire inviter par un homme, elle était un peu féministe sur les bords. Mais bon, pour une fois, et puis ça avait l’air de lui faire plaisir.

« Bon, ben je vais rentrer chez moi. J’espère à bientôt, je vous attends au restaurant. » dit-elle en se levant et en souriant. Elle avait hâte de voir le couple, voire la famille, au savoy Truffle.