Jamais contente celle-là. Jo tire la tronche, tout le temps, c'est un fait mais son entourage, habitué, ne s'en formalise plus. Elle grogne pour un oui ou pour un non et se spécialise dans les regards glacials quand quelque chose la contrarie. C'est vrai que malgré une intelligence rare, Jo manque cruellement de seconds degrés et prend bien trop rapidement la mouche. Tout est un peu trop sérieux dans la tête de la petite blonde qui se sent vite menacé sans de raisons apparentes et qui vous enverra paitre sans demander de reste si vous la titillez un peu trop. Un comportement qui comme vous devez vous en doutez, ne lui a pas valu que des amies. Ce n'est pourtant pas une mauvaise bougresse, Josephine Greggson, elle sait se montrer à l'écoute quand elle veut et est aussi loyale que patiente. Un peu trop laxiste, d'ailleurs, on lui reproche sa nonchalance et on aurait tendance à lui demander un peu plus de tenue. Malgré qu'elle ait atteint le quart de siècle, la blonde s'assied toujours dans les couloirs comme une collégienne, ronge ses ongles sans gêne et pose ses pieds sur les tables sans demander de reste, une attitude qui en dérange plus d'un.

Cynique, mais pas méprisante, Jo se sent un peu à part dans ce monde qu'elle ne comprend pas et juge souvent avec sévérité les choses qu'elle condamne. Elle ne supporte pas les gens étroits d'esprit, ceux qui ne montrent aucune motivation et les personnes qui baissent trop rapidement les bras. Pour elle, la vie est un combat perpétuel, et bien qu'elle n'en saisisse pas toutes les règles elle est bien décidée à remporter la partie malgré les obstacles qu'on lui a personnellement réservés. Hors de question de perdre, c'est son côté mauvaise joueuse.

Pour finir, derrière ce côté « grande gueule je m'en foutiste » se cache évidemment une jeune femme pleine de doutes mais bien trop fière et orgueilleuse pour l'assumer et mettre des mots dessus. Elle fonce souvent tête baisé parce qu'à trop réfléchir, elle se bloque, émet des réserves, et il n'y aurait rien de pire pour elle que de passer à côté de quelques choses et le regretter par la suite. Ce comportement un peu irréfléchi lui a valu bien des ennuis mais au final, ces erreurs, elles, elle les assume. C'est grâce à elles qu'elle s'est construite.

Jo s'estime profondément heureuse d'être une Greggson. Certes, elle n'est pas toujours en accord avec sa famille, mais elle a été élevée dans un climat de profonde bienveillance et elle ne remerciera jamais assez ses parents pour ça. Parlant de ses parents, elle est plus proche de son père que de sa mère. Quelque part, elle en a toujours voulu à sa génitrice d'avoir quitté Trevor du jour au lendemain et si ses frères et elle continue de lui rendre visite, elle garde ses distances pour lui faire entendre qu'elle ne lui pardonne pas de les avoir abandonné. La blondinette montre rarement son affection, il faut comprendre ses faits, ses gestes, traduire constamment ses mots pour saisir qu'elle ne cesse pourtant jamais de dire « je t'aime » à sa proche famille. Elle est d'ailleurs la première à sortir les griffe si on les attaque alors que l'on ne s'y attendrait pas forcément, détaché qu'elle semble être. Avec son frère ainé, aussi exaspérant soit-il, elle partage de nombreux souvenirs précieux qu'elle chérit comme un trésor. Son petit frère, elle le respecte comme personne, il est le premier à qui elle révéla son homosexualité, elle savait qu'il serait le plus apte à comprendre et le premier à la soutenir.

Si on se penche bien sur son sourire, on remarquera qu'une des dents de devant de Jo est très légèrement fêlée. Souvenir d'enfance, Calvin et elle se chamaillait en jouant et le garçon dans un mouvement brusque donna un coup de coude involontaire à sa sœur. Dans l'action, elle ne remarqua même pas les conséquences et continua le jeu sans se préoccuper de cette petite dent qui venait de prendre un sacré coup. Ce n'est que plus tard dans la soirée, quand sa mère attrapa son menton en lui ordonnant d'ouvrir la bouche, qu'elle comprit que sa génitrice avait remarqué un détail qui lui avait échappé jusqu'alors. Perdu dans la bataille, le bout manquant fut à jamais égaré et la dent ne put être réparée. Rien de bien méchant cependant, presque invisible, juste une petite coupure, nette, sur laquelle Jo passe souvent sa langue, un vilain tic qu'elle adopta depuis ce jour. Pour rien au monde elle ne voudrait la raccommoder aujourd'hui.

Le t-shirt était poisseu, à chaque pas Jo sentait le tissu se coller sur ses côtes humides, impression désagréable dont elle ne pouvait se défaire, les mains étant prises par deux gros sacs de course qu'elle ramenait de la petite supérette dans laquelle elle travaillait. Et puis, elle avait beau souffler à plusieurs reprise sur cette insupportable méché de cheveux blond qui recouvrait sa vue, la maligne effrontée revenait se rabattre constamment sur son front, aussi avançait elle avec cet air bougon et fermé qu'on lui connaissait si bien, arpentant férocement ce chemin qu'elle connaissait par coeur. Jo faisait tache au milieu de ses allées bien rangé, de ces gens si propre et de ces boites aux lettres toutes identique, elle tachait de ne pas y porter grande attention, cela faisait bien longtemps qu'elle avait compris qu'elle n'était pas en adéquation avec le beau tableau qui se dressait devant elle. Et puis, après tout, ce n'était pas comme si elle comptait pas finir sa vie à Magnolia Crescent. Elle désespérait d'ailleurs de voir arriver le jour où elle quitterait ce quartier trop propre pour faire sa vie, trouver son autonomie et un job un peu plus glorifiant. Enfin, ça, c'est se dont elle se persuadait. La vérité, c'est qu'elle avait arrêté ses études trop tôt et mis un terme à des rêves trop vite, et que, même si il était or de questions de l'avouer, pour l'heure elle ne s'imaginait pas une seule seconde vivre seule dans un petit loft pourri, le seul qu'elle pourrait se permettre de payer avec ses économies minables. Elle aimait son foyer, elle aimait son père et ses frères, elle aimait la chaleur de leur habitat et la bienveillance de cette maison aussi couteux soit-il de le reconnaitre. Aussi, l'idée de se retrouver en solitaire une bonne fois pour toute, à manger un bol de nouille instantanée devant la télé d'un 10m² ne la réjouissait en rien. Trop fière pour avouer cependant que cette forme d'autonomie l'effrayait, elle continuait de vivre, ou plutôt de vivoter, en attendant... En attendant quoi, d'ailleurs ? Elle ne pouvait même pas terminer cette phrase, ce qui l'énervait au plus haut point, alors elle évitait d'y penser trop longtemps.

Posant enfin les sacs de courses sur le palier et faisant craquer sans vergogne ses articulations, la blonde chercha ses clés, ouvrit la porte et donna un grand coup de pied dedans pour pouvoir s'engouffrer dans la maison, récupérant les provisions au passage. La chaumière semblait vide, pourtant le bruit feutré de la télévision lui apprenait qu'elle n'était pas seule et ne lui fallut pas beaucoup de temps avant de mettre un nom sur la présence. Déjà agacé parce qu'elle s'apprêtait à voir, ses muscles se contractèrent, les souvenirs d'une journée harassante l'assaillirent et ses doutes se confirmèrent quand, allongé dans un fauteuil, filet de bave le coin de la bouche, elle découvrit son grand frère Calvin somnolant comme un bien heureux.

- Bordel Calvin... Mais bouge-toi !!

S'insurgea-t-elle sans se priver de faire entendre sa voix alors que Cheyenne jappait déjà en tournant autour d'elle, manifestement heureuse de voir quelqu'un on ne peut plus apte à jouer avec elle que son amorphe propriétaire. Entrant rageusement dans la cuisine, la blonde posa les courses ouvrit une fenêtre et s'assit sur le comptoir en se saisissant d'une bouteille d'eau qu'elle termina presque aussi vite. Elle n'allait quand même pas finir comme lui ? Elle ne se le pardonnerait pas. Comment lui faire entendre qu'après les journées qu'elle avait derrière le dos, elle n'avait rien moins envie de voir que son frère qui ne bougeait pas le petit doigt ? Soufflant un grand coup en basculant la tête en arrière, son regard se promena vers le jardin. Au fond, elle ne pouvait entièrement lui en vouloir, ils avaient tous les deux peur de quitter le confort et la sécurité que leur garantissait cet habitat, peur de se confronter enfin à la vrai vie, aussi, et à ses assommantes responsabilités. Bon sang ne saurait mentir.