Furieuse, elle était fu-rieuse! La nouvelle était tombée sans qu'elle ne s'y attende. Dirty Secret l'avait annoncé: Zoë était enceinte. Zoë, sa soit-disant meilleure amie. Et tout le quartier avait été au courant, en même temps qu'elle. Jamais une seule seconde elle n'aurait imaginé que son amie soit en cloque, mais alors encore moins que celle-ci lui ait caché durant tout ce temps. Lorsqu'elle avait reçu une notification comme quoi Dirty avait publié un nouveau billet, Kennedy s'y était rendue à reculons cependant. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle lut ces lignes qui peignaient bel et bien la vérité. Et dire que Kennedy pensait seulement que son amie avait un peu trop abusé des œufs de Pâques! Râté, ce petit bidon avait en fait une tout autre explication. Et bien c'était ce qu'on allait voir!

Après avoir lu l'article et refermé violemment le clapet de son ordinateur, Kennedy était sortie de chez elle limite en courant. Une furie, je vous ai prévenus! D'habitude, elle n'était pas si soupe au lait, et ne s'énervait pas si vite. La colère n'était pas un de ses péchés -elle en avait d'autres- mais aujourd'hui était l'exception qui confirmait la règle. Une fois devant la demeure des Kahn, elle frappa trois fois à la porte. C'est bon, c'était suffisamment fort pour qu'elle entende là non? Kennedy inspira une ou deux fois, il fallait qu'elle se calme quand même.

C'est son amie qui lui ouvrit la porte peu après.

« BONJOUR ! »

S'exclama Kennedy avec un grand sourire forcé et ironique, voire moqueur, tout en entrant naturellement et en se dirigeant vers le salon à la hâte. Oula, elle ne se reconnaissait plus. Elle n'était jamais comme ça d'habitude, moqueuse et ironique. La colère changeait vraiment sa façon d'être, on dirait. Elle s'assit au ras-bord du canapé. Tout ce qu'elle faisait semblait si exagéré qu'on aurait dit qu'elle sortait d'une pièce de théâtre. Qu'est-ce qui prenait donc à la pauvre Kennedy?

« Alors? C'est quoi ce bordel? Qu'est-ce qui t'as pris? Pourquoi tu me l'as pas dit? Ca fait combien de mois? C'était quand? Il s'est passé quoi? Avec qui? Comment Dirty l'a su? T'attendais quoi pour me le dire? Ton père est au au courant? Et ta soeur? Tu comptes le garder? C'est qui le père? »

Récita-t-elle sans respirer. Voilà, c'était dit. C'est vrai quoi, si elles étaient vraiment meilleures amies, elle aurait du être au courant avant tout le monde, non? Zoë n'avait pas du comprendre la moitié de ce qu'elle venait de déblatérer, mais tant pis. Kennedy avait fait son petit truc c'est bon, elle pouvait se calmer, maintenant. Ce n'est qu'à cet instant que la brune détailla son amie et remarqua ses joues creusées et son teint pâle. Elle avait l'air d'aller si mal. Kennedy se sentit mal à son tour d'être arrivée comme une harpie et de l'avoir quasiment agressée sur place. Elle se racla la gorge, mal à l'aise, et reprit d'un ton excessivement calme:

« Hum, pardon. C'est pas ce que je voulais dire. »

Kennedy avait plus ou moins repris son calme. En fait, elle essayait surtout de se contenir. Elle voyait bien que son amie n'allait pas bien, pas bien du tout même. Certes, la jeune femme ne voulait pas enfoncer le couteau dans la plaie et l'accabler de questions ou de reproches, mais d'un côté elle pouvait, elle devait savoir. C'était son droit, c'était sa meilleure amie. Ou plutôt ce qu'elle était censée être. En général, la première chose que l'on faisait en apprenant une nouvelle aussi énorme qu'une grossesse -désirée ou non- était d'en avertir ses proches, notamment sa famille, mais aussi ses amis auxquels on tient le plus. Kennedy avait cru bêtement faire partie de ceux de Zoë.

« J'aurais pensé que j'avais plus d'importance que ça pour toi. Tu m'as déçue, c'est tout. »

Prononça-t-elle d'une voix posée. Ça y est, elle arrivait à se maitriser. Mais en serait-il encore le cas longtemps? Kennedy soupira bruyamment. Une fois, deux fois. Zoë était au bord des larmes. La situation était pitoyable, mais voilà, elle l'avait cherché. Pourquoi bon dieu pourquoi la jolie blonde n'était-elle pas allée sonner chez les Smith, ne serait-ce que pour se décharger de toutes ses émotions? Elles n'habitaient qu'à deux maisons l'une de l'autre! Ce n'était pas rien, une grossesse. Et visiblement, cela la mettait vraiment mal. Kennedy avait compris que cet enfant, elle ne l'avait pas voulu. Voilà, elle tenait peut-être une des raisons qui avaient poussé Zoë à agir ainsi. La honte, elle devait simplement avoir honte.

« Tu ne me l'as pas dit car tu n'as pas confiance en moi? »

Cette dernière phrase était révélatrice de l'état d'esprit actuel de Kennedy. Elle se sentait complètement trahie. En ce moment, le malheur frappait à sa porte chaque jour, mais aujourd'hui, il avait décidé de lui porter le coup de grâce. Elle baissa la tête, abattue.

Kennedy n'allait pas non plus la faire culpabiliser, mais elle aimerait comprendre. Comprendre pourquoi cette fille qu'elle avait pourtant cru connaître s'était-elle cachée dans son malheur et enfoncée dans cette histoire douteuse? Si elle avait quelque chose à cacher, c'était normal qu'elle se sente ainsi. Elle devait être déboussolée. Soudainement, elle fut prise de compassion pour la blonde qui était assise à côté d'elle. Mais Zoë n'était pas la seule victime, dans l'histoire. Déboussolée et perdue, Kennedy l'était aussi.

La jeune femme serra les poings. Elle était encore en colère, tout compte fait. Quelques instants plus tôt, elle avait lu l'article de Dirty Secret sur son ordinateur portable et, sans hésiter une seconde, elle avait débarqué chez les Kahn. En aurait-il été de même si elle avait appris à la place qu'elle-même était enceinte, par exemple? Kennedy se mettait à la place de Zoë mais ne trouva pas de réponse à ses interrogations. Et puis même se mettre à sa place, cela ne changeait rien à la situation. Le mal était fait. Désormais, elle devait mettre les choses au clair.

« Quand même, je ne sais pas si tu te rends compte! Comment as-tu pu me cacher un truc aussi gros, Zoë? Toutes ces fois où on a pris un café ensemble, ou que nous nous sommes vues en ville et où tu ne m'as rien dit. COMMENT tu as pu? Dis-le moi. »

Pesta-t-elle en haussant le ton. Ça y est, elle s'énervait à nouveau. Le calme l'avait quitté bien rapidement. Peut-être que son père ou sa soeur Camilla n'étaient pas loin, mais peu importe! Après tout, si Kennedy avait été dans l'ignorance aussi longtemps, peut-être sa famille l'était-elle aussi? C'était inadmissible. Il y avait un truc qui clochait, non quelque chose n'allait pas dans cette histoire. Ça ne tournait pas rond chez les Kahn. Kennedy avait loupé un truc.

Kennedy ne souhaitait pas remuer le couteau dans la plaie, et encore moins faire du mal à son amie. Elles avaient toujours été là l'une pour l'autre, s'étaient soutenues à chaque épreuve difficile qu'elles avaient enduré, mais là.. Aujourd'hui tout était différent. Est-ce que quelque chose dans leur amitié s'était brisée? Cela faisait mal au petit cœur de Kennedy de penser à cette éventualité. C'était la dernière chose qu'elle désirait. Mais voilà, si une meilleure amie ne sert pas à déballer tout ce qu'on a sur le cœur et la conscience, à quoi ça sert? Elle avait beau tourner et retourner cette question dans sa tête, elle n'y trouvait aucune réponse.

En plus d'avoir été vexée et déçue par le comportement de Zoë, Kennedy se sentait inutile. Profondément inutile. C'était atroce comme sensation d'avoir le sentiment qu'on ne peut rien faire pour aider une personne en détresse, une personne chère à qui l'on tient et qu'on ne souhaiterait voir souffrir ou pleurer pour rien au monde. Et c'était ce qui était en train de se produire. Zoë pleurait à chaudes larmes, et, totalement inutile, Kennedy se savait que faire.

Elle était en fait partagée entre deux sentiments: l'envie de tout casser et de lui mettre plein la gueule pour lui avoir caché un truc si énorme pendant autant de temps, et la volonté de la réconforter, de lui demander ce qui n'allait pas, et tout simplement de la prendre dans ses bras. Pour l'instant, Kennedy pensait opter pour la première option étant donné la rage dans laquelle l'article l'avait mise. Elle ne pouvait plus se contenir, c'était insupportable. Zoë avait beau lui répéter que tout ça n'était pas intentionnel, elle ne la croyait pas. Certes, elle ne lui avait pas menti, puisqu'elle n'avait fait que taire ce secret. Mais si on cache quelque chose, c'est qu'on a un truc à se reprocher, non?

« Si tu le dis. »

Kennedy soupira. Et dire qu'elle aurait réagi tellement autrement si elle avait appris la nouvelle de la bouche de Zoë elle-même. Elle aurait été présente à chaque instant. Elle-même était une fille qui avait beaucoup souffert dans sa vie, elle savait ce que c'était que de se sentir au fond du trou mais de creuser encore. Elle savait que pour elle il n'y avait plus rien à faire, c'était fichu, alors autant aider les autres..

Il y a quelques jours de ça seulement, Zoë et Kennedy avaient discuté par téléphone, alors que la blonde sortait de son lieu de travail, le musée. Mrs Smith lui avait même assuré qu'elle était disponible pour elle H24 si elle avait un problème, et que sa porte lui était ouverte nuit et jour, ainsi que son portable allumé en permanence. Et voilà que Zoë n'avait pas pris ses conseils en compte. Kennedy avait beau faire des efforts pour son amie, celle-ci ne voulait apparemment plus compter sur son aide. Est-ce qu'elle était en train de perdre son temps avec Zoë? Si elle ne voulait plus lui parler, plus rien lui confier, à quoi bon?

« Et tu comptais me l'annoncer quand? »

Demanda-t-elle en insistant très fort sur le dernier mot. Zoë reconnaissait qu'elle avait eu tort, elle s'était excusée même. Mais ce qui était fait était fait, et Kennedy n'oublierait jamais ce que sa soit-disant amie lui avait fait. C'était une sorte de lâcheté. Elle avait fui, repoussant le plus loin possible le moment où elle lui aurait annoncé l'étrange nouvelle. Elle craignait peut-être sa réaction, mais Kennedy n'était pas une fille méchante, et jamais elle ne se serait permis de juger Zoë sur cette grossesse si elle le lui avait dit d'elle-même.

« Je me sens juste.. inutile. Je t'ai toujours dit que j'étais là pour toi, mais toi tu ne m'as pas appelé. Je ne comprends pas, je t'aurais soutenue, j'aurais tout fait pour toi. Mais non. Rien. Je sais même plus quoi te dire, je.. Je suis juste dégoutée, voilà. »

Pour Kennedy, il était clair que quelque chose avait été brisé pour de bon dans leur amitié. La déception était le mot qui revenait le plus à ses lèvres lorsqu'on lui demandait ce qu'elle ressentait vis-à-vis de Zoë. « Alors, ça fait quoi d'apprendre en même temps que tout le quartier que sa meilleure amie est enceinte? Han, et puis surtout par Dirty Secret, le choc a du être brutal, non? Ma pauvre.. » Et ma main dans ta gueule, elle était brutale aussi ? Au fond, Kennedy leur en voulait tous, ils avaient tous raison en fait. C'était comme dans un couple, au final. Quand on apprenait qu'il y avait eu mensonge et cachotteries sur quelque chose d'important, voire de grave, comment refaire confiance à l'autre ? Comment continuer à le voir de la même façon ? Les gens la surprendraient toujours. Même ses amis. Même Zoë. Au fond, on ne connaissait jamais vraiment personne. Même pas soi-même. Et même si on aimait plus que tout la personne, la découverte du mensonge caché gâchait forcément intimement quelque chose d'irréparable. Un mensonge, une découverte, plus de confiance, plus d'amour - ou d'amitié, dans le cas présent.

Kennedy le savait très bien car, oui, elle aussi elle mentait éperdument. Elle mentait à son mari, à sa famille, à Zoë, à elle-même parfois aussi, et puis à ses voisins, à vous qui lisez ces quelques lignes. Elle s'en voulait tellement, mais c'était pour se protéger, elle et son égoïsme inévitable. Peut-être que par le passé elle n'avait pas pris la bonne décision, que tout ça n'avait fait qu'accentuer ou peut-être déclencher son malheur, que si elle avait fait l'autre choix sa vie aurait été différente, peut-être meilleure mais peut-être aussi pire encore? Cependant, il n'y avait pas eu de choix de la facilité. Quoi qu'elle fasse, elle aurait été triste. Alors tant pis, c'était sa décision et elle ne pouvait plus faire marche arrière. Et si Zoë apprenait à son tour ce que Kennedy cachait? Elle lui en voudrait certainement à vie, ou alors la comprendrait-elle, qui sait? Kennedy se mit à la place de son amie. Au final, il lui semblait que chaque Magnolien ici avait ses secrets, même les êtres les plus insignifiants.

La jeune femme soupira. Elle ne pourrait en vouloir à Zoë une seconde de plus.

« Allez, viens là. »

Fit-elle en la prenant dans ses bras pour l'enlacer chaleureusement. Cela se voyait que Zoë était soulagée. Kennedy ne lui voulait plus aucun mal. Elle allait faire table rase de ce qui s'était passé. Elle serait là pour elle, désormais.

La brune desserra son étreinte et prit les deux mains de son amie dans les siennes, puis elle les pressa.

« Bouche-toi les oreilles fort, fort, fort. Tu entends comme je t'aime? »

Kennedy était sûre que Zoë reconnaitrait la référence. Combien de fois avaient-elles regardé Jeux d'enfants ensemble? Elles l'adoraient, ce film, même s'il était un peu niais et romantico-naïf sur les bords. Les histoires d'amour qui durent toujours, c'était beau, mais c'était faux. Bah quoi, cela ne faisait pas de mal de rêver un peu dans ce monde de brutes...

Kennedy s'était progressivement calmée. Elle venait de se lâcher comme rarement elle l'avait fait dans sa vie, et bon sang ça lui avait fait du bien. Elle en vint même à se demander pourquoi elle ne le faisait pas plus souvent. Elle se sentait comme libérée à présent. Comme si toute sa colère avait été évacuée, elle était sereine à présent. Kennedy comprenait maintenant pourquoi sa psy lui avait toujours répété mille fois qu'il fallait s'exprimer d'une façon ou d'une autre, et ne jamais tout garder au fond de soi, car de toute façon au bout d'un moment ça explose. C'était un fait qui se vérifiait à chaque fois. Kennedy n'avait jamais trop su maîtriser ses émotions, peut-être par manque de confiance en soi. Mais à tout accumuler dans un coin de sa tête, elle finissait par péter sérieusement un cable. Et Zoë venait donc d'assister à une de ces scènes incroyables. Kennedy s'en voulait un peu, c'est pourquoi elle décida de changer de sujet rapidement pour changer l'atmosphère.

« Je reviens. Je vais nous servir du thé. »

Fit-elle en se dirigeant vers la cuisine, laissant Zoë seule à nouveau. Cinq mniutes plus tard, la brunette revenait avec un plateau en argent sur lequel étaient disposés deux tasses, deux cuillères, une théière brûlante et une petite boîte pour le sucre. Elle déposa le tout sur la table basse devant le canapé avant de se rasseoir près de sa meilleure amie. Elle sécha ses larmes en essuyant les joues de la blonde qui lui promit que jamais plus cela ne recommencerait. Kennedy la croyait à présent. Après tout, elle aussi avait fait des erreurs, elle aussi lui cachait des choses. Elle ne pouvait plus lui en vouloir.

« D'accord. Tu veux bien tout me raconter, maintenant? Depuis le début. Prends ton temps ma Zoë. »

L'encouragea-t-elle. Pour mieux la comprendre, Kennedy voulait connaître l'histoire d'un peu mieux. Elle n'avait pas trop fait attention à ce qui se disait ces derniers jours dans le voisinage mais elle imaginait aisément ce que les commères pouvaient être en train d'inventer pour pourrir la réputation de sa meilleure amie.

Kennedy prit la main de Zoë et la serra entre les siennes, comme pour la rassurer, pour lui faire comprendre que la mauvaise histoire était finie, et que son malheur était derrière elle. Elle était là, maintenant. Elle allait l'aider à affronter les autres voisins, leurs regards et leurs chuchotements malsains.