Les cheveux serrés en un strict chignon, Elin s'avança dans l'ensemble orange de détenue dont elle était affublée, une pince ramasse débris à la main. Face à toute cette étendue de terre et de déchets, elle hésita entre un regard de désespoir, un rire nerveux ou carrément des larmes. Cela devait être une blague. Comme si ramasser des débris allait faire renaitre l'église de ses cendres... Ce qu'ils pouvaient être bêtes. Même l'adolescente, pourtant plus jeune que les autorités, se rendait compte de la perte de temps que cela représentait. S'ils croyaient sérieusement qu'elle allait "se rendre compte de la gravité de son acte", pour les citer, et bien ils se trompaient ! Tout ce qu'elle souhaitait sur le moment, c'était une bombe afin de faire exploser cet endroit pour n'y laisser qu'un trou. Un trou sans déchet, un trou propre. Solution radicale et efficace, qui pourrait s'avérer cependant un peu bruyante. Toujours plus utile en tout cas qu'envoyer une bande de délinquants juvéniles sur un bord d'autoroute pour ramasser des canettes jetées par des automobilistes qui eux avaient dû s'amuser avant d'ouvrir la fenêtre de leur voiture entre deux éclats de rire et une dernière gorgée de soda.
Ici, c'était loin d'être l'éclate à en juger par les regards menaçants que s'échangeaient les jeunes. Il y avait de tout : des filles, des garçons, des gros, des laids, d'autres moins laids, des petits mais surtout des grands. Ils partageaient cependant tous un point commun, celui de subir cette situation. Cela se manifestait sur leurs visages, et aucun d'eux ne semblait comprendre la raison de leur présence ici, à moins qu'il ne s'agissait juste d'un désintérêt total. Il était en tout cas certain que personne dans cette assistance ne semblait regretter l'action qui les avait menés sur ce bord de route. Sauf peut-être une fille, probablement la plus jolie du groupe de par l'innocence qu'elle dégageait contrairement aux autres qui respiraient la bêtise et la violence. Elin se tenait à côté d'elle et ressentait presque une certaine fierté d'accompagner la blonde pour ces travaux d'intérêt général.
Il y avait de quoi se réjouir car en effet, elle avait bien failli s'y retrouver seule ! Des larmes et une prestation époustouflante de la part de l'adolescente furent nécessaires à faire croire à la police qu'elle n'était pas la seule responsable de l'incendie de l'église. Contrairement aux sœurs McClair qui n'avaient sûrement pas hésité à la dénoncer rapidement, Elin avait émis quelques réserves, prétendant qu'elle ne savait pas s'il était de bon ton de dénoncer celles qu'elle considérait comme ses amies. Sous la pression, elle avait fini par admettre qu'elle n'était pas entièrement responsable. Un jeu d'enfant, même si elle avait cru un moment ne jamais y arriver.

C'est ainsi qu'après avoir discuté de cette affaire, on leur annonçait que leur sanction serait de porter cet uniforme immonde pour des travaux d'intérêt général. C'était toujours mieux qu'une peine de prison certes, mais... Ne pouvaient-ils pas simplement faire cracher de l'argent à leurs parents ? La jeune fille se demandait si ça n'avait pas été le cas, car cette peine semblait tout de même bien faible pour un tel crime. Bizarrement, l'incident n'a pas pris de dimensions trop importantes dans le foyer : ses parents l'ont à peine sermonnée. La mort de Tessa devait heureusement toujours les préoccuper et faire passer tout le reste pour quelque chose de superflu. Elin en était bien contente. Après tout, la perte d'un membre de la famille n'était jamais quelque chose de bien réjouissant, mais il fallait savoir en voir les bons côtés ! C'était la façon dont Elin appréhendait la mort de sa sœur : il était hors de question de commencer à se laisser décourager. Aujourd'hui, elle était bien contente que ses parents aient trop de problèmes en tête pour l'engueuler. Il n'était donc pas question de verser une larme ou de se plaindre. De toute façon, il était trop tard pour pleurer. La mort de sa sœur l'avait certes surprise, mais elle était loin d'avoir pleuré. Il s'agissait tout juste d'une grosse nouvelle qui venait de tomber, une très grosse nouvelle il fallait bien l'avouer. Mais comme pour tout le reste de la famille à l'exception de Nora Jane, Elin n'avait jamais été proche de Tessa. Peut-être jusqu'à ses treize ans, l'âge où la métamorphose en adolescente s'était opérée. Deux ans plus tard, elle perdait sa virginité et se sentait enfin comme une vraie femme. Ce décès prématuré réveilla en elle des questions : à quel âge Tessa avait-elle perdu sa virginité ? Peut-être l'avait-elle conservé jusqu'à sa mort... Ce n'était pas une vie ça, que de mourir vierge. La pauvre... Enfin ! Vierge ou pas, Tessa n'allait sûrement pas l'aider à ramasser les déchets, non, cela ne risquait pas d'arriver. Tandis qu'Elin allait trimer toute la journée, Tessa reposait en paix confortablement calée dans un cercueil, dans une jolie robe en plus. Et c'était elle qu'on pleurait... Toutes les larmes versées lors de son enterrement auraient dû être gardée pour cette triste journée ensoleillée par laquelle Elin se voyait contrainte de porter cette horreur. Un désastre pour la mode et une catastrophe pour tout le quartier... Au lieu de ça, on faisait tout un plat d'une fille qui ne savait pas conduire.
Cette façon plutôt douteuse d'aborder la mort de sa sœur émanait probablement d'une étrange réflexion qu'elle s'était faite après avoir pleuré sur l'épaule de Zain, la seule personne avec qui elle s'était laissée aller jusqu'aux larmes et à qui elle avait confié sa peine. Ce lourd deuil qu'elle avait tenté de dissimuler afin de ne rien laisser paraitre devant sa famille avait très certainement oppressée l'adolescente, qui avait jugé son petit ami comme étant le plus digne de confiance et le plus apte à la rassurer. Elle avait même cru bon de lui avouer qu'elle agissait de la sorte pour ne pas se laisser submerger par les sentiments. S'il l'aimait vraiment, alors il la comprendrait.

En attendant, Elin n'avait toujours pas bougé. Cette masse de détritus la décourageait à un tel point qu'elle ne voulait même pas daigner s'y mettre pour en venir à bout plus rapidement. Elle fut cependant réveillée par quelqu'un qui la bouscula. Elle lança un regard noir à la fille qui venait de lui taper dans l'épaule puis à Gaëlle, la principale responsable de toute cette mise en scène pitoyable avec en prime des costumes des plus déplorables.

- J'espère que tu es contente. C'est bien ce que tu voulais, non ? Remercie ton dieu, sans qui on n'en serait pas là ! lança-t-elle d'un ton à la fois ironique et offensif. Elle l'avait d'ailleurs mesuré avec attention : il devait provoquer son interlocutrice mais pas la faire fuir. Après tout, elle n'avait qu'elle pour occuper sa journée aujourd'hui. Elle se voyait mal sympathiser avec toute cette racaille.

La jeune fille fit quelques pas et commença à ramasser des canettes qu'elle balançait dans un sac poubelle. Elle ne pu s'empêcher d'en jeter une à la dure qui l'avait bousculée, droit dans le derrière. Cette dernière se retourna dans sa direction, l'air menaçant, les yeux gros ouverts et les narines gonflées, les lèvres serrées. Elle ne sembla cependant pas remarquer qui lui avait lancé le projectile et retourna rapidement à ses occupations, toujours à l'affut cependant. Avec un peu de chance, elle pourrait se mettre à suspecter Gaëlle. Et là, ça deviendrait réellement drôle...

Gaëlle & Elin ϟ

no woman no cry ♪

CRÉDIT - CSS

Plongée dans un cauchemar vivant, la jeune McClair se retrouvait entourée de jeunes délinquants, abandonnés sur un bord d'autoroute. Quand elle avait appris que Angelique et elles avaient été dénoncés par Elin comme étant les principales responsables de l'incident de l'église, les deux sœurs n'en croyaient pas leurs oreilles et en étaient restées bouche bée. Même si cela ne changerait absolument rien à la situation, Gaëlle n'avait pas pu s'empêcher de pleurer toutes les larmes de son corps. Démentant tous les propos que cette peste avait pût dire. C'était tellement injuste ! Subir les conséquences des autres. Subir les conséquences d'Elin qui plus est. Cette fille qu’elle méprisait à présent de toutes ces forces. Même si ce sentiment n’était pas sain, elle ne pouvait pas l’effacer. Plus d’une fois Elin avait eu le choix de se racheter et de -pour une fois- faire quelque chose de bien. Elle en avait décidé autrement, tant pis pour elle. Dieu la punira à un moment ou un autre, ce n’était plus de leur recours à présent. Et puis de toute façon, que pouvait–elle y faire ?

C’est une fois devant ces détritus que Gaëlle fut confrontée à la réalité. Sa place n’était pas ici non. Elle aurait de loin été plus utile à la kermesse organisée par le patriarche aux profit des enfants malades. Elle rêvait tant d'y être. Au lieu de cela, on lui faisait faire un travail peu glorieux. Le regard noir, elle osa à peine regarder la jeune brune plantée à côté d’elle. Cette dernière était pourtant la seule fille qu’elle connaissait ici. Et d’un côté c’était plutôt rassurant. Même si être avec Elin n’avait en soit rien de rassurant, surtout en connaissant le comportement de la jeune fille. Durant le trajet elles ne s’étaient adressés la parole, d’ailleurs Gaëlle s’était éloignée le plus possible de cet être diabolique. Mais depuis qu’on les avait largués là comme des chiens, Elin ne la quittait plus. C’était plutôt embarrassant. La jolie blonde attacha soigneusement ses cheveux en une queue de cheval et retroussa ses manches. Cette couleur orange lui allait plutôt bien en réalité, seulement c’était la signification de cette tenue et sa coupe qui gâchait le tout. Lui rappelant sans cesse qu’elle faisait partie de cette racaille. Le regard vide elle prit la pince en main et commença à remplir un sac poubelle. Une moue de dégout s’afficha quant à la vue d’un préservatif usé. Sa voisine quant à elle n’avait encore rien commencée, pas étonnant. Même si tous ces travaux ne réjouissaient pas la jeune McClair elle faisait tout de même un effort pour en finir le plus vite possible. Mais la Hamilton ne devait pas avoir suffisamment de jugeote pour comprendre cela.

Après cinq minutes à se prélasser et à refaire une manucure, une autre fille un peu enrobée bouscula cette dernière qui se réveilla enfin. Gaëlle avait observé la scène d’un œil discret, un demi-sourire aux lèvres. Alors qu’elle n’y était absolument pour rien Elin s’en prit à la jeune blondinette. Lui faisant comprendre que c’était à cause de « son Dieu » qu’elles étaient là. Elle n’avait définitivement rien compris, c’était désespérant.

« Dieu n’a rien à voir là-dedans. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Tu es la seule fautive de l’histoire Elin. Tout ce que je voulais c’était que justice soit faite, au lieu de ça tes mensonges font qu’on doit subir tes actes. Contente ? Toi tu devrais l’être vu que tu as réussi ton coup... Bravo ! Regardes où tu nous a amené. » finit-elle en balançant avec énervement une bouteille d’alcool dans le sac à moitié plein.


Cela en était de trop. Elle continuait à faire son innocente -avec son air ironique- et à porter la faute sur les deux sœurs. Gaëlle n’en pouvait plus de ce comportement de gamine, elle avait déjà beaucoup dépassé les limites mais là c’était juste incroyable. Gaëlle avait envie de s’en aller loin, de rejoindre sa sœur à l’autre bout de la ville. Elles avaient malheureusement été séparées, rendant ainsi les tâches plus difficiles sans soutien. Ses parents les avaient bien sur crus quant à leur non implication dans l’incendie. Aucunes des McClair n’étaient capables de mentir à leur parents, c'était bien connu. Mais le fait était qu’elles avaient volontairement amené Elin, et qu’elles avaient été vu par tous ensemble avant la tragédie. Peut-être que si Gaëlle n’avait pas tiré Elin pour la faire descendre du dos d’Angélique tout cela ne se serait pas produit. Alors oui, Gaëlle était en quelque sorte responsable mais elle ne voulait pas se l’avouer. C’était bien trop facile de prendre les choses dans ce sens-là. Tout ce qu’elle voulait à ce moment-là s’était d’aidé sa sœur, rien ne partait d’un mauvais sentiment. Alors que Elin... la McClair aurait juré que son plan machiavélique avait été planifié. A l’instant où la brune avait franchi la porte de l’église. Faisant croire à Angélique son dévouement, rien de tout cela n’était vrai alors on pourrait presque croire à une conspiration. Personne ne saura vraiment la vérité mais Gaëlle était persuadée qu’Elin avait tout fait pour que les choses se passent mal. L’incendie était peut-être non voulu, du genre un bonus de sa machination mais cela n’empêche qu’elle avait dès le départ adoptée une attitude malsaine qui n’avait pas échappé au regard de Gaëlle. C’est cette même attitude qu’elle continuait à avoir, elle n’avait définitivement rien appris de cette histoire, c’était désolant.

Après avoir répondu froidement à la Hamilton, Gaëlle continua ce qu’elle faisait précédemment. C’était d’un ennui... mais la jeune femme n’était pas vraiment en mesure de négocier. Elin venait de provoquer la dure en lui balançant une canette en plein dans le derrière. La jeune Gaëlle fut choquée mais ne laissa rien paraitre, faisant comme si elle n’avait rien vu. La victime ne semblait pas avoir remarqué d’où provenait ce geste déplacé, cependant elle sentait son regard se poser sur elle. Doucement, Gaëlle s’éloigna d’Elin, amenant avec elle son sac rempli de détritus. La jeune femme n’avait pas envie d’avoir encore une fois des problèmes à cause de cette dernière. Elle préférait de loin l’ignorer et s'éloigner, histoire qu’on ne puisse pas les associer. Que personne ne sache qu’elles se connaissaient. La McClair avait décidée de tirer un trait sur cette personne qui ne méritait en rien son attention.

Elle savait que c’était stupide. Oui, c’était tout à fait ridicule. Et pourtant, Elin ne revenait toujours pas du manque de second degré de sa voisine. Aucun sens de l’humour ou de l’autodérision… Elle semblait dénuée d’ironie, comme si elle n’était même pas au courant de son existence. Lorsqu’elle répondait à quelqu’un, elle semblait se contenter d’exposer des faits et de les interpréter d’une façon à la fois méprisante et posée qui était terriblement irritante. Il y avait cependant eu une nuance cette fois : elle avait manifesté un signe de colère en balançant une bouteille qu’elle avait en main. Elin se félicita d’avoir su susciter ce genre de réaction chez sa camarade. Finalement, peut-être que ces journées à payer pour l’incendie de l’église pourraient s’avérer plus amusantes qu’elle ne le pensait. Si elle continuait à titiller Gaëlle, Elin pourrait ressortir de ces travaux d’intérêt général avec d’agréables souvenirs en tête, incluant disputes, confrontations et pourquoi pas manipulations. Car la jeune fille était bien décidée à ne pas en rester là. Elle sentait bien que la McClair lui échappait et flairait parfaitement la distance qui les séparait désormais : la petite sainte se méfiait d’elle et la méprisait. Autant dire qu’elle était irrécupérable mais Elin n’était pas du genre à se laisser abattre ou à reculer face aux difficultés. Armée d’une confiance en elle redoutable lorsqu’il s’agissait de mensonge, elle restait persuadée qu’il était encore possible de jouer avec cette fille. Si celle-ci se croyait épargnée, elle était bien loin de la vérité…

Il fallait tout de même reconnaitre que la tâche s’avérait plutôt rude. En effet, Elin avait peut-être exagéré en brûlant le sanctuaire de la chrétienne. Se racheter ou du moins paraitre à nouveau inoffensive à ses yeux n’était pas gagné. On était même bien loin de la victoire, mais l’actrice en herbe restait confiante. Peut-être qu’user des larmes n’était pas l’option la plus judicieuse. Après tout, cela avait déjà marché avec Angélique mais la tournure des évènements avait révélé l’hypocrisie dont elle avait fait preuve avec elle. Celle-ci avait d’ailleurs dû mettre en garde sa sœur. Dommage. Les larmes, elle pouvait les faire couler sur commande. Il lui suffisait de se forcer à penser à Tessa et à ranimer cette profonde tristesse qu’elle avait refoulée pour se convaincre que la perte de son ainée ne l’avait pas affaiblie. Peut-être était-ce pour cela que ces derniers temps Elin redoublait de méchanceté et de perversité dans ses petits tours. C’était probable mais la jeune fille agissait de façon inconsciente et tout à fait spontanée, naturelle. Après tout, elle n’avait jamais été une sainte. Elle avait vite compris que dans ce monde, il n’y avait pas de place pour les saintes. Elles étaient les principales victimes de cette société, la preuve : Elin avait peut-être été punie mais les sœurs McClair aussi, et elles avaient perdu quelque chose qui leur était cher. Qu’avait perdu Elin ? Des heures pendant lesquelles elle se serait ennuyée à se regarder devant le miroir et à complexer sur sa silhouette qu’elle jugeait d’un œil de plus en plus sévère et qu’elle voyait grossir de jour en jour ? C’était d’une futilité. Elle n’avait rien perdu.
Les chrétiens avaient été témoins de l’incendie qui avait ravagé leur très chère église, ils avaient vu les flammes qui s’en étaient emparées et qui rappelaient celles de l’enfer. Cela devait être insupportable d’assister impuissant à un tel spectacle. De plus, la communauté chrétienne de Magnolia Crescent et de ses environs verrait désormais les McClair comme une famille d’hérétiques. En plus d’avoir perdu leur sanctuaire, leur réputation était désormais dégradée. Leurs filles seront à jamais considérées comme des coupables. Au fond, Elin se fichait de ce qu’un groupe de personnes aussi inutiles pouvait penser d’elle. Du moment que son nom était sur leurs lèvres, tout allait pour le mieux. Elle n’allait pas cracher sur un peu de notoriété. Gaëlle, par contre, vivrait probablement de façon bien plus pénible cette situation de rejet à laquelle elle allait probablement être confrontée. Si elle était parvenue à convaincre ses parents de la vérité, il s’avérait plus difficile de faire entendre raison à des croyants outrés par l’accident.
Voilà une autre raison pour laquelle Elin aura probablement beaucoup de mal à manipuler Gaëlle.

- Oh oui, je suis en effet ravie d’être ici en ta compagnie. Moi qui ai toujours voulu te connaitre davantage. C’est pour ça que je suis venue à l’église. Je me suis dit que ça pourrait nous rapprocher. On n’a jamais vraiment trainé ensemble. C’était pourtant pas faute d’avoir essayé ! avait lâché Elin d’un air désinvolte, comme si elle s’adressait à une camarade de classe avec qui elle entretenait des rapports plutôt neutres. Aucune haine ne transparaissait dans ce qu’elle venait de dire, au contraire, on pouvait même distinguer une certaine sympathie qui semblait tout à fait sincère.

- C’est regrettable ce qui est arrivé. Je te sens encore plus méprisante à mon égard. Je n’ai jamais compris pourquoi tu ne m’aimais pas, d’ailleurs !

Il s’agissait de la tentative du dernier espoir. Si Elin ne parvenait pas à semer le doute en Gaëlle, elle pouvait y renoncer. Cela ne servirait plus à rien de s’évertuer à lui mentir. Cependant, elle était optimiste et ne comptait pas lâcher l’affaire aussi facilement. Plus déterminée que jamais, elle avait opté pour la gentillesse et la franchise. Elle ne voulait plus se donner des airs de victime. S’il fallait verser des larmes, ce serait plus tard. Pour l’instant, elle préférait miser sur son franc parlé et sur son naturel. Elle ne jouait pas trop la comédie jusque-là, elle avouait même certaines réalités bien qu’elle savait pertinemment pourquoi Gaëlle ne l’avait jamais aimée.

- Je pense qu’on se fait trop d’idées sur ceux qui nous entourent, sans même prendre la peine de les connaitre avant de les juger. C’est pour ça qu’on n’a jamais été proches, je pense. Je reconnais que c’était stupide de ma part de t’avoir jugée sur ta religion.

Quelle sagesse habitait la jeune Hamilton au moment où elle avait fait preuve d’autant de raison ? Une sagesse artificielle, sûrement. Elle paraissait cependant si naturelle qu’on pourrait s’y méprendre. Il n’était pas là question de jouer la comédie mais bien de faire preuve d’honnêteté. Elle ne pensait bien entendu pas un mot de ce qu’elle disait mais ses paroles semblaient plus spontanées que de faux pleurs ou une gentillesse feinte.
Tout ce qui venait de sortir de sa bouche était du pur Elin Hamilton : elle avait parlé d’un ton qui paraissait le plus franc du monde. Cela pouvait sembler étonnant venant d’Elin mais c’était encore assez crédible pour être avalé par n’importe qui. Ce n’était pas comme si elle joué un autre rôle que le sien. Elle restait la jeune et superficielle Elin que tout le monde connaissait, faisant tout simplement une remarque pourvue d’un minimum de sens.

- Au fond, on est toutes les deux fautives. Alors oui, je suis contente. On a eu ce qu’on méritait. Ca nous apprendra à se juger, à toi comme moi.

C’était en contradiction totale avec sa première accusation envers Dieu mais maintenant qu’elle s’était engagée sur ce terrain, elle devait poursuivre sa stratégie. C’était le meilleur moyen de rallier Gaëlle à sa cause. De plus, l’absence d’Angélique s’avérait être un atout de taille pour sa mission. En attaquer une alors qu’elle était seule et démunie, ayant pour unique alliée Elin n’était pas un détail négligeable. Séparées, les McClair étaient moins fortes et les manipuler était un défi bien moins rude à relever.
Angélique était définitivement perdue. Si l’occasion se présentait, Elin continuerait à lui mentir mais il serait bien trop risqué de continuer à jouer avec elle. Au moins, l’ainée l’avait menée jusqu’à Gaëlle qui était jusqu’à présent la cible la plus difficile à atteindre. Pourquoi ? Elle ne l’avait jamais compris. Des trois filles McClair, la deuxième était de loin la plus influençable. La première l’était tout autant puisqu’on pouvait lui mentir mais elle était très à cheval sur ses principes. Quant à la petite dernière, elle était probablement plus vicieuse que ses deux autres sœurs mais Elin avait perçu cet aspect de sa personnalité empreint de sarcasme.
Gaëlle était réellement un cas à part car elle représentait le seul pilier de cette famille qui pouvait céder à la tentation de ce monde moderne. Cela paraissait si évident, il suffisait d’être un tant soit peu réaliste : elle côtoyait plus de garçons que ses sœurs n’en connaitront jamais et parmi ses relations comptait un homosexuel. Pour une jeune fille de famille chrétienne, elle était plutôt dévergondée même s’il y avait encore du boulot.
Voici une assez bonne raison de la considérer comme une victime facile en dépit de l’entêtement dont elle faisait preuve envers Elin.

La réponse prévisible de Gaëlle ne déstabilisa pas le moins du monde Elin. Elle encaissait les mots et à vrai dire, ils lui passaient carrément au-dessus de la tête. Cet échange auquel la jeune fille tenait ne l’intéressait pas vraiment. Elle aurait aimé faire avance rapide afin d’être épargnée du blabla inutile de cette chouineuse de McClair pour en arriver à l’essentiel : l’abdication de cette dernière. Mais il fallait se montrer patiente et surtout attentive car ce dialogue engagé entre les deux adolescentes, aussi futile paraissait-il, serait sûrement révélateur des limites qu’elle pouvait franchir avec son interlocutrice et des points sensibles à toucher par la suite.
Par stratégie, il fallait donc endurer et ne rien laisser transparaitre de son ennui grandissant. Elin étouffa donc un bâillement sous les yeux de la blonde qui ne remarqua rien tant l’autre semblait concernée par ses paroles. Elle la regardait d’un air désolé, tel un enfanta accablé par la honte d’avoir fait une bêtise. A cela était confondue la fierté d’Elin qui ne voulait rien montrer de cette prise de conscience feinte. Ses sourcils légèrement froncés et inclinés vers le haut révélaient néanmoins le doute qui s’emparait d’elle, un doute bien évidemment aussi faux qu’elle-même. Il fallait cependant semer celui de Gaëlle et jusque-là, la jeune Hamilton pensait s’en tirer de façon tout à fait convenable, à en juger par la longue réponse de sa voisine. Plutôt que de plaider la bêtise d’une jeune pècheresse qui ne sait pas quelle attitude adopter dans une église – ce qui paraissait peu crédible – Elin resta silencieuse, un silence bien plus éloquent qu’un autre mensonge et qui jouait en sa faveur.

La suite s’avérait plutôt prometteuse : Gaëlle en venait maintenant aux justifications, alléguant qu’elle n’était pas une méchante fille. N’est-ce pas adorable ? pensa Elin. Non, elle ne rêvait pas : la jeune McClair était bel et bien en train de se défendre afin de prouver qu’elle avait tenté d’être compatissante à l’égard de sa comparse. Comme c’était drôle, ce retournement de situation. Elin se félicita d’y être parvenue aussi facilement, elle qui pensait avoir perdu Gaëlle.
Mais elle ne se laissait pas gagner par la joie qui l’envahissait. Il ne fallait pas encore considérer la confiance de Gaëlle comme acquise. On aurait pu s’y méprendre pourtant, mais Elin restait méfiante. Elle avait beau être égocentrique et vaniteuse, elle ne se félicitait pas au premier signe de victoire. Cela la motivait cependant à poursuivre, à creuser plus loin en la personne de Gaëlle. Elle sentait qu’elle commençait à la cerner. Elle n’allait en tout cas sûrement pas s’arrêter en si bon chemin : elle avait le sentiment qu’elle avait une certaine emprise sur elle ou que du moins, elle était parvenue à semer le doute dans son esprit naïf.

Lorsque Gaëlle répondit qu’elle n’était pas méchante, Elin eut envie de répliquer qu’elle non plus ne l’était pas mais ne dit rien car elle se demanda soudain si ce qu’elle faisait était bien.
Il lui arrivait peu de se remettre en question, mais elle était quelquefois prise d’un doute surgissant de nulle part sur sa personne et sur sa vie. Parfois, elle pensait mal agir et était consciente de faire du mal aux autres. Elle n’était pas toujours dans l’inconscience comme c’était le cas avec Nora Jane. Avec sa sœur, elle était persuadée de ne pas mal agir. Selon elle, elle adoptait un comportement tout à fait normal et justifié : Nora était bien une fille introvertie et timide ? Il ne fallait pas la brusquer et tant qu’à faire, autant se servir de cette opposition psychologique qui contrastait avec leur ressemblance physique pour se mettre en avant. Si cela l’avait gênée, il y aurait bien longtemps que la deuxième jumelle aurait protesté.
Mais quant à son autre « sœur », Heather, celle-ci parvenait parfois à remettre en cause l’attitude d’Elin. Il arrivait à l’adolescente de se demander ce qui motivait le mépris qu’elle ressentait envers sa sœur adoptive. Concrètement, elle ne lui avait rien fait et ne s’était jamais montrée mauvaise à son égard, même s’il fallait avouer que le comportement d’Elin ne devait pas la pousser à la sympathie. Mais Elin ne disposait d’aucune raison qui lui permettait d’appuyer sa position à propos d’Heather. Absolument aucune. Un autre motif qu’elle ne voulait s’admettre était la jalousie : première fille d’une famille aisée, jolie, mystérieuse, artiste, attirante, Heather Hamilton avait tout pour plaire et Elin lui enviait cet aspect intriguant qui se dégageait de sa personne. Sans réellement comprendre pourquoi, la jeune fille avait constaté dans son entourage une certaine fascination à l’égard de l’insaisissable brune. C’était quelque chose à quoi elle aspirait : intriguer les autres, susciter leur intérêt et leur curiosité, les attirer par un simple regard… Peut-être était-ce la clé : le regard ! Si c’était le cas, alors elle n’avait aucune chance. Elle n’avait pas les yeux bridés, dieu merci. Non pas qu’elle était raciste, non. Elle considérait tout simplement son profil comme idéal. Elle était une adolescente blanche et cela lui convenait parfaitement. En tout cas, elle enviait Heather, c’était certain.
En dehors du sentiment de jalousie qui l’habitait constamment – et pas seulement par rapport à Heather – Elin s’interrogeait parfois sur la raison de ses actes. Pourquoi est-ce qu’elle se montrait cruelle envers Katya Fitzgerald, par exemple. Non, c’était un mauvais exemple. Elle savait précisément pourquoi elle agissait de la sorte avec cette fille, tout simplement parce que si ce n’était pas elle qui l’écrasait, ce serait l’inverse. Et elle considérait qu’elle se faisait assez marcher dessus comme cela pour se permettre de faire de cette petite blonde sa victime. Elle ne s’acharnait pas non plus sur elle, elle tâchait juste de prendre le contrôle de la situation lorsque cela s’imposait. Qu’y avait-il de mal à cela ? C’était de la légitime défense. L’autre pouvait au moins se vanter d’avoir des amis, et d’attirer un garçon plus vieux qu’elle, même s’il s’agissait de Christian Livingstone… Elin s’empressa de recentrer ses idées sur sa personne afin d’éviter de penser à cet affreux personnage.
Elle avait bien quelques garçons qui s’intéressaient à elle, à commencer par son petit ami Zain. Ce n’était pas un détail négligeable : elle avait un petit copain ! Elle pouvait au moins se vanter de cela. Si en plus il était sincère, doux et attentionné, c’était le jackpot. Combien de filles pouvaient se vanter d’avoir un Zain ? Elles devraient toute leur vie se contenter de Sean Rcihardson, des beaux gosses ténébreux qui n’avaient en somme rien de bien intéressant au-delà de leur physique. Il y avait aussi Clyde Ainsworth, qui lui manifestait un grand intérêt… à elle ainsi qu’à Joy King et Naya Freeman. A qui d’autre, d’ailleurs ? Elles ne devaient pas être les seules.

Avant de trouver une réponse à sa question, Elin fut interrompue par Gaëlle, qui lui en posait une autre. Elle se demanda d’ailleurs s’il ne s’agissait pas d’une blague. Elle le savait naïve, mais pas au point de lui demander si elle était sincère… C’était comme demander à un homme qui vous menaçait d’un couteau et qui ouvrait sa braguette s’il avait l’intention de vous violer. Exemple parfait des transpositions imagées qu’Elin se faisait à longueur de journée.

- A ton avis ? demanda simplement la jeune fille. Je peux comprendre que tes préjugés te font douter de moi, et que ce que je viens de dire peut paraitre surprenant sortant de ma bouche. C’est comme si tu te mettais à jurer, dit-elle en se mettant à ricaner.

Qu’essayait-elle de faire ? Probablement de détendre l’atmosphère et d’en instaurer une qui lui ressemblait un peu, une qui pourrait facilement s’apparenter à elle et avoir l’air naturelle tout en étant factice. C’était dans des moments comme celui-là qu’Elin était le plus fière d’elle : lorsque le contrôle de la situation lui échappait en quelque sorte et qu’elle se laissait complètement habiter par le rôle qu’elle jouait, agissant instinctivement et ne se trompant jamais dans la justesse du personne qu’elle interprétait sur le moment. Il s’avérait qu’ici, elle jouait son propre personnage. Il s’agissait tout simplement d’avoir l’air plus sympathique et plus intelligente que d’habitude sans jamais faire défaut à la personne d’Elin Hamilton, qu’il fallait incarner le plus fidèlement possible. C’est pourquoi elle poursuivit sans hésitation.

- Tu es sérieuse ? demanda-t-elle à sa voisine, arborant un air ironique et quelque peu dépité. Tu as bien vu ce qu’a donné ma dernière tentative de reconversion… Non. Je pense pas que la religion soit faite pour moi, alors je t’épargne ta mission évangélisatrice.

C’était une prise de risque assez excitante que de contrer les arguments sur la foi de Gaëlle. Peut-être marquait-elle des points négatifs dans l’esprit de la jolie blonde en la contredisant, mais Elin Hamilton n’était pas du genre à répondre : oui, tu as raison… J’ai désormais la foi. Il fallait donc la jouer avec justesse et conviction, en n’hésitant pas à tenter le tout pour le tout.
Et puis comme elle s’était fait la réflexion plus tôt à ce sujet, Gaëlle était bien amie avec cet homosexuel de Jesse Gallagher, non ? Quel mal pouvait-il donc y avoir à affirmer son athéisme à une fille qui côtoyait le pire des pêcheurs, un gay ?
Afin d’assurer ses arrières, elle jugea tout de même utile d’ajouter :

- Si jamais un jour je devais croire en quoi que ce soit, il me faudrait une preuve… Tu vois, comme ces gens qui ont des illuminations, qui voient la vierge ou Judas. C’est l’aspect superstition qui m’empêche d’y croire réellement, tu comprends ? Enfin bon, après c’est quand même une énorme superstition vu le nombre d’adhérents… Donc c’est peut-être pas si con que ça, mais moi, ça ne me suffit pas.

Une adolescente exprimait ses doutes sur la religion. Quitte à jouer la carte de la franchise, autant lui épargner la peine d’une autre tentative de reconversion. Bien décidée à jouer la carte de la franchise avec modération cependant, elle en avait profité pour exprimer son point de vue sur le sujet. Au moins, les choses étaient claires et dans le cadre de leur réconciliation, il n’y avait plus de place pour la religion. Celle-ci était définitivement hors-jeu.

Lorsque les regards se braquèrent sur les deux jeunes filles, Elin pensa d’abord que sa réponse avait suscité le rire des délinquants qui les entouraient. Elle remarqua bien vite que ce n’était pas elle qui était visée par les moqueries et les ricanements mais Gaëlle. De quoi remettre en question sa foi… A leurs yeux, elle devait avoir l’air aussi ridicule qu’Elin aux yeux de la communauté chrétienne, et notamment des McClair. La principale différence était que les jugements des voisins comblaient Elin de la joie qu’on parle d’elle Gaëlle avait plutôt l’air touchée par le fait qu’on se moque de ses convictions. Elin en fut sincèrement affectée. Comme elle le lui avait dit, elle n’était pas une méchante fille. Elle était donc une cible facile, une victime idéale. Un sentiment d’injustice se fit ressentir en la jeune Hamilton qui crut presque l’espace d’un instant que les paroles de l’autre l’avaient convertie, comme si une sorte de transformation s’était effectuée en elle. Ah, les paroles d’une prêcheuse… Plus efficaces que tous les sortilèges et toutes les incantations de magie noire. Mais non, il ne s’agissait pas d’une illumination comme elle en avait évoqué. Elle n’avait vu ni la vierge, ni Judas. Elle s’était juste rendue compte que cela ne se faisait pas de se moquer d’elle. Alors que Gaëlle lui tournait le dos, Elin sentit dans son regard une lueur de compassion et de pitié, ses sourcils s’inclinèrent vers le haut et elle en eut presque des larmes. Elle serra les lèvres et revêtant la peau de sa version modifiée d’elle-même, elle fusilla du regard les autres jeunes vêtus en orange et lança à sa camarade :

- Regarde la gueule de ces résidus de sperme pas finis. Comment tu veux que je croie en dieu en voyant ça ?

Elle avait enchainé ces mots d’une seule traite, pouffant légèrement et surtout en désignant du doigt chacun des « résidus de sperme » évoqués. Après cela, elle ne doutait pas qu’elle allait s’attirer les foudres des autres mais elle restait confiante : elle savait se défendre et était une vraie chienne lors des bagarres, bien qu’elle les évitait soigneusement.

Elin triomphait. Elle triomphait tout simplement, encore une fois. Elle était une fois de plus parvenue à retourner la tête de la McClair, même si son petit trait d’esprit n’avait pas eu l’air de la ravir totalement. Ce n’était plus qu’un détail sans importance face aux nombreux points qu’elle avait marqué. La preuve : elles discutaient. Elles avaient renoué le dialogue. Au début de la journée, rien n’aurait laissé présager qu’elles seraient capables de s’adresser à nouveau la parole compte tenu de la rancune que ressentait Gaëlle à son égard. Et pourtant, Elin l’avait dupée encore une fois. Elle triomphait

Mais en y réfléchissant bien, le terme « duper » n’était peut-être pas le plus approprié pour définir les enjeux du jeu d’Elin. En réalité, elle avait l’impression, cet infime sentiment qu’elle faisait cela pour se racheter aux yeux de Gaëlle. Il était évident qu’elle lui parlait depuis tout à l’heure dans le seul but de paraitre plus gentille qu’elle ne l’était auprès de sa voisine. C’était certain, il s’agissait même de sa principale motivation. Mais elle ne voulait pas la duper, user de sa confiance à de mauvaises fins, non. La jeune fille refusait de l’admettre mais cela semblait pourtant être le cas : elle souhaitait en effet se racheter auprès de Gaëlle afin de remonter dans son estime, presque parce qu’elle en ressentait le besoin et que cela lui ferait plaisir, au-delà de la satisfaction qu’elle pouvait éprouver en mentant. Elle ressentait de la sympathie pour la jolie blonde et commençait à l’apprécier. Non seulement elle la divertissait mais en plus, elle était assez bonne pour continuer à vouloir croire en elle.
D’habitude, elle aurait mis la naïveté de quelqu’un à profit d’un autre de ses mensonges, mais celle de Gaëlle la rendait particulièrement innocente et agréable à ses yeux. Elle l’écoutait passivement lui dire qu’elle n’avait aucune idée de la notion de respect et tandis qu’elle l’écoutait, elle pensait que ces paroles n’étaient pas dénuées de sens. Elin ne respectait personne, et n’en témoignait guère plus envers elle-même. Pas étonnant qu’elle se montre si mesquine avec les autres si elle n’était même pas capable de s’aimer. Cette prise de conscience violente la choqua un instant, pendant lequel elle ne réagit pas avant de finalement revenir à elle. Elle leva les yeux au ciel et fit une moue dépitée afin de manifester son désaccord.

Elle voulait que Gaëlle l’apprécie. Elle le désirait réellement. Elle n’était cependant pas encore prête à l’assumer. Pour l’heure, elle devait rester Elin Hamilton. Elle ne pouvait se permettre de se changer en quelque chose qui lui échappait et dont elle n’aurait pas le contrôle. Elle ne pouvait se laisser aller à la franchise avec sa comparse.

La conversation reprit alors que sa voisine lui exposait ses arguments en faveur de l’existence de dieu. Tout ce que pourrait dire Gaëlle ne suffirait à la convaincre, et inversement. C’était un dialogue de sourds mais Elin était ouverte au débat et à vrai dire, elle pensait même qu’il s’agissait d’une occasion pour elle de prouver à la petite blonde qu’elle était beaucoup plus sensée qu’elle n’en avait l’air. Cependant, elle ne sut trouver d’autres mots que ceux-ci afin d’exprimer sa réaction :

- Et pendant qu’il y en a qui sont sauvés, il y en a d’autres qui sont malheureux, qui souffrent et qui crèvent. Il se base sur quels critères Dieu pour décider de qui il va sauver la vie ?

Sa réponse avait de quoi laisser Gaëlle perplexe. Elin avait balancé cette accusation de façon tellement franche qu’elle craignait d’avoir failli au rôle qu’elle s’était imposée : l’adolescente qu’elle était en plus sympathique, du moins juste assez pour plaire à la fervente croyante. Elle en avait peut-être dit trop cette fois-ci, mais sous le coup de l’impulsivité elle n’avait pu se retenir. L’argument de la chrétienne était tellement superficiel et bien-pensant, d’un politiquement correct à en faire vomir la jeune Hamilton. On se serait cru dans un épisode de Grey’s Anatomy.
Elle finit par croire qu’il y avait un dieu lorsque – par chance – des voyous vinrent à sa rencontre en espérant l’intimider. Ouf ! Au moins, leur arrivée n’avait pas laissé le temps à Gaëlle de répondre à l’attaque virulente d’Elin.
Les pauvres petits semblaient vexés par sa remarque sur leur face de cul. Comme quoi ce portrait leur semblait familier. Dans ce cas, ils étaient deux : Elin n’avait pas vraiment apprécié que l’un d’eux la désigne de « grosse » mais elle ne laissa rien paraitre, continuant d’arborer cet air fier et arrogant qui lui allait si bien.

S’ils pensaient lui faire peur, ils faisaient fausse route : elle était bien déterminée à ne pas se laisser faire.

- Oh, tu t’es senti concerné ? demanda Elin d’un ton mielleux et plein d’ironie, posant sa main sur son cœur comme pour faire la compatissante. Tu as dû te reconnaitre. Je suis désolée. Parfois, la vérité est violente…

Comme ta gueule, mec ! T’es un déchet total que je baiserais même pas dans le noir.

Avant que celui-ci ne puisse répondre, sa copine – toute aussi laide – décida de se liguer contre elle avec les deux autres. Ils étaient désormais trois contre elle et pourtant, elle ne ressentait aucune peur. L’idée d’aller discuter avec Naya Freeman dans le but de l’impressionner l’angoissait bien plus que celle de se retrouver face à une bande de délinquants. Les enjeux de popularité étaient bien plus importants à ses yeux que tout le reste, c’est pourquoi elle ne comptait pas baisser les yeux et partir la queue basse devant ces losers.

- J’ai l’habitude de lancer des canettes aux moches, déclara Elin le sourire aux lèvres. Elle les provoquait ouvertement et ne semblait attendre qu’une bonne raclée, qu’ils semblaient quant à eux prêts à lui donner.

Elin n’était pas une bagarreuse et à vrai dire, elle évitait soigneusement d’avoir à en venir à la violence car elle n’était pas très bonne en ce domaine. Il y en avait d’autres dans lesquels elle excellait : l’art de la provocation, l’arrogance, le mensonge… mais pas la bagarre. Elle était même ce que l’on pouvait appeler une dégonflée à vrai dire, mais sur le moment elle se sentait pousser des ailes, sûrement dues à la présence de sa voisine. Peut-être cherchait-elle à l’impressionner... à lui montrer qu’elle pouvait se faire taper dessus rien que pour détourner l’attention de « sa super copine de catéchisme » et ainsi l’épargner, se prendre les coups à sa place…

Ni une ni deux, la délinquante poussa Elin qui se laissa lamentablement tomber à terre, sans le moindre signe de résistance. La violence du choc la déstabilisa mais elle ne voulait pas se laisser abattre : elle se releva tant bien que mal pour faire à nouveau face à son adversaire qui lui aboya dessus :

- Tu crois que je rigole avec toi ? demanda la laideur, en collant son visage près du sien. Baisse les yeux !
- Oh, éloigne ça de moi, tu pues de la gueule ! dit Elin en poussant de la main son visage, se bouchant le nez de l’autre avec un air de dégoût. Lâche-moi, remets-toi au boulot et par pitié, trouve un tic-tac !

Ignorant royalement la réaction de cette dernière, Elin se retourna face à Gaëlle et enchaîna sans transition :

- Donc comme je te disais… J’espère que tu n’as pas mal pris ce que j’ai dit, déclara Elin avec sincérité, sans totalement le penser pour autant. Je ne pourrai pas te faire changer d’avis mais à mes yeux, tes arguments ne tiennent pas la route. Je suppose qu’on n’y peut rien !

Elle se retourna et, fusillant du regard le groupe qui s’était ligué contre elle, ajouta :

- On ne peut plus rien pour eux non plus… Au fait, reprit-elle sur un ton presque enjoué, tu sais dans combien de temps on aura fini ces travaux ? J’aimerais continuer à discuter de tout ça avec toi. Et pourquoi pas d’autres choses, si l’occasion se présente !

Première tentative d’approches dont elle ignorait totalement les résultats. Elle s’était montrée beaucoup moins calculatrice qu’auparavant, agissant par impulsion. Elle ne s’était même pas fiée à son intuition, elle s’aventurait sur un terrain qui lui était bien trop étranger.

Peut-être qu’en fin de compte Elin avait trouvé le rôle idéal qui lui permettrait d’atteindre plus facilement sa cible. Son acte de bravoure un peu raté semblait avoir eu effet sur sa comparse, et elle comptait bien continuer sur cette voie si cela lui promettait un accès au pardon de l’indulgente petite blonde. Elle avait beau se donner des airs de sévère chrétienne moralisatrice, Elin restait convaincue que Gaëlle n’était rien d’autre qu’une adolescente docile facilement manipulable. La preuve. Cependant, elle ne se faisait pas cette remarque en mal. Il s’agissait plus d’un constat. La jeune fille était bien entendu décidée à se servir de cette faille à son profit personnel mais où était le mal ? Elle voulait tout simplement se racheter aux yeux de Gaëlle, non pas pour apaiser sa conscience mais tout simplement parce qu’elle pensait avoir assez d’ennemis comme ça. Elle devait même être la fille la plus détestée de Magnolia Crescent, à bien y penser. Cette perspective la réjouissait bien moins qu’elle ne voulait bien le faire croire. En public, elle agissait comme si les critiques la faisaient jubiler par l’attention qu’on lui portait mais en tant qu’adolescente en quête de reconnaissance, elle était plus que déçue de cette réputation catastrophique dont elle était affublée depuis... depuis ses quinze ans, peut-être. Dès lors qu’elle avait entrepris de perdre sa virginité pour être une femme, elle avait radicalement changé. Elle n’avait jamais eu beaucoup d’amis de toute manière, malgré son statut de fille populaire. Popularité qui d’ailleurs lui échappait puisqu’elle n’était pas tout à fait volontaire. Elle ne la négligeait pas et ne la reniait pas non plus, mais elle n’avait jamais rien fait d’approprié pour l’entretenir dans le bon sens.

Gaëlle était une occasion de se rattraper de ce côté-là. Elin aimait flirter avec l’inconnu. Si elle n’était pas limitée d’esprit, elle adorerait côtoyer des homosexuels qui la mettraient en valeur par leur excentricité et leur folie. Jouer les lesbiennes avait quelque chose d’excitant mais ça la répugnait, alors elle tâchait d’éviter, mais c’est tout à fait le genre de chose qu’elle serait capable de faire pour attirer l’attention. Se montrer aux bras d’une religieuse, sans aucune connotation, était une expérience qu’elle aimerait bien tenter. Après tout, une paire composée d’Elin Hamilton la vulgos et Gaëlle McClair la catho, ça aurait de quoi faire du bruit et lui assurer quelques bavardages à son sujet. Mais au-delà de cette question superficielle, Gaëlle semblait être une fille capable de l’apprécier. Dans un futur plutôt lointain, certes, alors autant s’y prendre maintenant. Elin était convaincue qu’en travaillant la blondinette, elle parviendrait à entrer dans son cœur. Si une pédale telle que Gallagher y était parvenue, elle n’aurait aucun mal !

- Peut-être qu’on pourrait aller faire les magasins… ajouta Elin d’un air anodin comme si les deux jeunes filles avaient toujours été les meilleures amies du monde. Devinant que son interlocutrice devait être perplexe, elle surenchérit : bah quoi ? Pour un nouveau départ, il faut bien des nouveaux vêtements. Non ?

Oulah ! Non, calme-toi ma fille ! pensa-t-elle aussitôt.

Il fallait absolument éviter que l’autre s’emballe et commence à songer à l’évangélisation sur la Hamilton. Il en était hors de question ! Cependant, Elin n’avait pas pu se retenir d’aborder cette notion de changement. Elle voulait prouver à sa voisine qu’elle était capable de se repentir, dans une certaine limite cependant. Le naturel pour lequel elle avait opté depuis un moment semblait avoir son effet sur la McClair, et Elin était bien décidée à creuser dans ce sens…

- Tu sais, dit tout à coup la jeune fille pendant un moment de silence. Je n’attendrai pas que l’occasion se présente, sinon on n’aura jamais l’opportunité d’apprendre à se connaitre et on restera sur les aprioris qui nous éloignent. J’ai vraiment envie de te connaitre, tu sais…

L’air gêné qu’elle arborait était bien entendu forcé et tout à fait faux, mais malgré son envie de faire preuve d’un minimum de sincérité envers Gaëlle, Elin ne pouvait s’interdire totalement d’avoir recours au mensonge. C’était comme tricher à un examen : cela favorisait nos chances de réussite. Cette philosophie, Elin l’adoptait exclusivement dans le domaine de l’hypocrisie. Contrairement à ce que l’on pouvait croire, la jeune fille était abonnée au A et obtenait d’excellentes notes à l’école, sans avoir recours à la triche. Elle était bien plus honnête dans son travail que dans ses rapports aux autres.
En feignant l’innocence et la candeur, Elin pensait marquer des points auprès de Gaëlle. Sans ça, sa remarque aurait pu passer pour une tentative d’approche lesbienne, et elle voulait absolument éviter que la jolie blonde prenne cette conversation pour un plan drague. Dans d’autres circonstances, cette situation se serait avérée assez drôle à exploiter, mais ce n’était pas manifestement pas le bon moment pour se lancer dans un jeu de séduction en espérant mettre mal à l’aise la chrétienne qu’elle était. Elin avait d’ailleurs déjà exploité le filon en faisant un innocent bisou sur la bouche d’Angélique au supermarché, et elle n’était pas du genre à recycler ses vieux tours même si elle se trouvait méchamment tentée.

Malgré son vif désir de se racheter aux yeu de Gaëlle, Elin ne savait plus quoi faire. Peut-être qu’il fallait simplement attendre un peu avant d’en rajouter. Elle ne voulait pas risquer que sa voisine fasse une overdose de bonnes paroles et d’actions de sa part… Il valait peut-être pour elle qu’elle dose de façon modérée les gentilles attentions. Cela dit, Elin avait du mal à démordre et à lâcher l’affaire si facilement. Elle en voulait toujours plus, et dans ce cas précis, il fallait qu’elle en rajoute une couche.

- Enfin, je peux pas t’y forcer. Et puis peut-être que tes parents ne seront pas d’accord, après ce qui s’est passé. Ce serait dommage, qu’ils ne croient pas au pardon et tout ça…

La jeune fille essayait de tâter le terrain et de savoir ce que les McClair pouvaient bien penser d’elle. Indirectement, elle se renseignait sur sa réputation et la conversation prenait à ses yeux un aspect de commérage qui ne lui déplaisait pas. Assez bien déguisé pour passer naturellement auprès de sa voisine, Elin pourrait en profiter et s’exalter de ce qu’elle allait entendre. De quoi les parents de la jolie Gaëlle pouvaient-ils insulter la jeune Elin Hamilton ? D’être une dépravée ? Une catin ? Une salope ou une pute ? Elle était excitée à l’idée d’être mal vue par cette famille. Le fait de choquer lui plaisait bien, mais un sentiment nouveau se confondait à cet enthousiasme qu’elle ressentait souvent à l’idée de se faire détester. Comme une honte, ou en tout cas une sensation de mécontentement envers elle-même. Un peu comme si elle se rendait compte que cela ne l’aidait pas de se faire mal voir par le voisinage contrairement à ce qu’elle pensait, qu’elle n’était pas gagnante dans cette histoire. Mais elle n’avait pas envie de se prendre la tête avec de telles futilités pour le moment.

Toutes les choses auxquelles pensait Elin lui faisait complètement oublier que depuis tout à l’heure, elle ramassait des déchets. C’était devenu un geste mécanique qu’elle accomplissait sans même s’en rendre compte. Tant mieux, dans un sens. Cela lui permettait d’oublier qu’elle était avec des déchets sur pattes et qu’elle en avait encore pour une heure, comme l’en avait informée Gaëlle… Son sac fut bientôt plein, elle ralentit alors le rythme pour ne pas avoir à en demander un second. Elle n’aurait pas su quoi faire de celui qu’elle avait dans les mains, et n’aurait pas su ou le mettre. Elle faisait donc semblant de chercher quelque chose à ramasser sans trouver. De toute manière, son sac était déjà bien plus fourni en merdes de toute sorte que ceux de ses comparses, qui semblaient vraiment à la traine. Elin s’en félicita et eut soudainement envie de regarder celui de Gaëlle pour rire du dévouement de la jeune fille à cette tâche. Mais une idée lui traversa l’esprit, déviant son regard du sac de sa voisine.

- Je suis une gentille fille, tu sais. C’est juste que personne ne prend le temps de s’en rendre compte.

Elle avait adopté un ton neutre afin de ne pas tomber dans le pathétique, bien qu’elle voulait complètement apitoyer Gaëlle. Il ne fallait cependant pas trop en faire : elle se rendait compte que lorsqu’elle restait un peu naturelle, cela passait plus et elle avait moins l’air d’une fille instable en proie à la schizophrénie. Elle sourit tristement à la jolie blonde et baissa les yeux.
Elin avait beau joué la comédie, elle pensait sincèrement ce qu’elle venait de dire. Elle ne comprenait réellement pas pourquoi personne ne l’aimait. Elle ne se trouvait pas si désagréable que cela, et la haine que les autres éprouvaient envers elle restait un mystère. L’adolescente était bien consciente qu’elle ne devait pas toujours passer pour une fille franchement sympathique, mais était-elle repoussante au point de faire fuir tout le monde et d’être incapable de s’attirer une once de sympathie ? Elle se plaisait pourtant à penser le contraire, à se voir comme une fille populaire alors que la seule popularité dont elle jouissait était celle d’être une des filles les plus détestées du quartier. Y avait-il vraiment de quoi se réjouir ? Elin savait ce qu’elle valait, et ce n’était pas ça. Cependant, elle n’aimait pas s’apitoyer sur son sort, c’est pourquoi elle se replaça rapidement dans le contexte actuel : la manipulation.