Une bouteille de bière à la main, des cartes dans l'autre, j'observais mes amis se disputer par rapport à qui était en train de gagner. Amusé, j'apportais la bouteille à ma bouche et en but une gorgée. Aujourd'hui, c'était après-midi poker. Je restais en retrait, jouant mon tour tranquillement, peu enclin à changer de sujet ou à dire que c'était l'un ou l'autre qui gagnait. J'en avais rien à foutre, j'aimais pas être là de toute façon. Mais j'avais "besoin de me changer les idées" selon les personnes qui me servaient de potes. J'avais donc accepté de venir, mais préféré largement être seul dans ma chambre à ressasser des idées noires. Je jouais donc machinalement, mais n'avait pas vraiment l'envie de me joindre à leur discussion. Et puis j'étais fatigué des faux-semblants comme quoi j'allais bien et blablabla. Je commençais un peu à me foutre de l'image que je donnais de moi.

J'allais poser une carte sur la table lorsque mon portable vibra, juste à côté de moi. Je posais donc la carte, et attrapait ce bijou de technologie qu'était le téléphone. Un nouveau message. Tiens, Cinzia. Ca faisait très longtemps que je ne lui avais plus adressé la parole, et elle non plus. Ca nous arrangeaient bien, jusqu'à aujourd'hui apparemment. J'avais arrêté de lui parler après la mort de ma mère, comme plusieurs autres amis d'ailleurs. Je n'avais rien contre eux, j'avais juste eu besoin de m'éloigner un peu. J'ouvris le message et vu qu'elle voulait que je la rejoigne à la plage. Et que ça lui ferait plaisir si je venais. Je levais les yeux vers mes amis, qui avaient l'air de beaucoup rigoler, et hésita. J'aimais beaucoup Cinzia, et repensait à elle ces derniers temps. Mais était-ce une bonne idée de la revoir ? On verrait bien. Je tapais rapidement un ça marche, j'arrive. et me levais, posant les cartes sur la table et finissant ma bouteille rapidement.

Julian . J'dois y aller les gars, désolé, une urgence. Merci pour les bières et à la prochaine.

En fait, je n'étais pas désolé du tout. Mais je n'avais pas envie de rester plus longtemps à me morfondre ici et je remerciais Cinzia de m'avoir donné une excuse. Et puis ça me faisait un peu bizarre de savoir que j'allais la revoir aussi. Elle m'avait manqué, et je ne savais pas ce que j'allais lui dire. Je me dirigeais vers la porte après les "saluts" de mes amis et me partait vers ma voiture. Je montais rapidement et démarrait, prenant ensuite la direction de Long Beach. Cela faisait un moment que je n'étais plus allé à la plage, n'aimant pas beaucoup le soleil. Mais là c'était différent, la journée tirait pratiquement à sa fin, et je n'y allais pas pour me baigner ou prendre le soleil. Je ré-ajustais mes lunettes sur mon nez, malgré le peu de lumière, et sortit de la voiture, arrivé au parking de la plage.

Arrivé sur la plage, j'enlevais mes chaussures et marchait le long du sable, cherchant du regard mon amie. Je ne pensais pas qu'elle ait beaucoup changé en trois mois, mais bon, sait-on jamais. Je la vit, allongée sur un serviette non loin de moi. Je l'observais quelques secondes avant de me dirigeais dans sa direction, puis m’agenouillais à côté d'elle sans un bruit, souriant doucement.

Julian . Salut Cinzia..

Une quinzaine de minutes étaient passées, et Julian n'était toujours pas arrivé. Certes la plage n'était pas tout près de Magnolia, mais peut-être que le jeune homme n'avait tout simplement pas eu envie de venir. Cinzia n'arrêtait pas de psychoter. Finalement, elle s'endormit sur le sable fin, allongée sur sa serviette. Cependant son sommeil fut de courte durée et prit fin lorsqu'elle fut réveillée par la voix rauque de Julian qui la saluait. En entendant son "salut Cinzia", elle l'avait tout de suite reconnu avant même d'avoir ouvert les yeux. Il n'avait pas changé. La jeune femme se redressa en prenant appui sur ses deux mains et enleva ses lunettes de soleil par politesse avant de faire la bise à un Julian agenouillé près d'elle. Elle se décala un peu pour lui faire comprendre qu'il pouvait s'asseoir sur sa serviette à côté d'elle.

« Salut, toi.. »

Prononça-t-elle tout doucement. Et là, the blanc. Les mots ne lui venaient pas, elle ne savait pas du tout quoi lui dire. Ils ne se parlaient plus depuis trois mois déjà. Et puis, on est censé dire quoi à quelqu'un qui a perdu sa mère ? Un "ca va?" serait trop grossier dans cette situation, alors, que dire? La jeune femme remit ses lunettes de soleil sur son nez et, pour se donner une contenance, sortit une bouteille d'eau dont elle but une gorgée aussi glacée que le sang dans ses veines. Elle n'avait pas du tout préparé cette rencontre. Elle avait l'impression d'être à un premier rendez-vous, genre trop mal à l'aise et qui retourne la question "je dis quoi?" cinquante fois dans sa tête. Pourtant ce n'était pas un rendez-vous, non, juste deux anciens amis qui se retrouvent. Cinzia espérait que Julian brise le silence, mais il n'en fit rien. Vite, Cinzia, trouve quelque chose sinon il va se demander pourquoi tu lui as proposé de venir. Maintenant qu'il était là, elle se devait de lui parler.

Elle avait envie de lui poser un tas de questions, elle voulait qu'il lui raconte si ça allait pour lui en ce moment même si elle se doutait bien que non. Cinzia s'était souciée de lui pendant ces trois mois, elle se sentait même coupable de ne plus lui parler. Mais voilà il s'était éloigné de plusieurs amis, dont elle faisait partie. D'un côté cela l'arrangeait car elle se sentait mal par rapport à la situation familiale des King, mais de l'autre elle aurait aimé être l'épaule sur qui il aurait pu se reposer. Pourtant elle n'avait pas eu la force de le recontacter. Jusqu'à aujourd'hui.

« J'espère que tu as passé une bonne journée? Tu n'as pas trop froid? »

Finit-elle par dire pour combler le grand vide. C'était nul. Archi nul de chez nul, mais c'était la première chose qui lui était venue à l'esprit. Tant pis, au moins elle avait dit quelque chose, c'était déjà ça. Sa première question était une déviante du "ça va?" habituel, mais elle espérait qu'il ne détourne pas le sujet en lui renvoyant la question. Car elle, que pourrait-elle lui répondre? Ses problèmes étaient si futiles en face de quelqu'un qui venait de vivre une tragédie comme la sienne. Une fois les formalités passées, Julian allait sans doute lui demander pourquoi elle était là ou pourquoi elle lui avait demandé de venir. C'était sur un coup de tête, finalement. Mais Cinzia s'attendait à ce genre de question de la part de Julian. Cela lui faisait tellement plaisir de revoir son visage. Il lui avait manqué, bon sang.