Andrew était peut-être le roi des flemmards, mais quand il s'agissait d'éviter quelqu'un, il devenait bien vite le roi des malicieux. Aussi, pour éviter Katya durant deux mois, mit-il au point tous les stratagèmes possibles. Sa plus brillante idée - qui le rendait fier et lui faisait bomber le torse - fit de partager la garderie en deux : une moitié des enfants chez Katya, l'autre moitié chez lui. Il justifia cette solution par le fait qu'il y avait peu d'enfants à la garderie, beaucoup restant à l'étude, ils étaient donc bien mieux chez eux pour s'occuper de leur lot de bambins. Bien sûr, cette raison était en carton, et la réalité était que Andrew voulait éviter Katya depuis ce fameux jour où elle était venue chez lui avec Christian. Ils communiquaient uniquement par sms, mails et facebook, dès qu'il apercevait sa chevelure blonde et ses tâches de rousseur, il changeait de trottoir. Leur relation s'était détériorée, et Andrew préférait ne pas envenimer leurs rapports. Il était bien sûr nostalgique du temps où ils avaient eu l'idée de créer Sunny Side, de leurs après-midis à acheter des jouets pour les enfants, puis à les assembler, à transformer une des chambres des Davies en salle de jeux ... Pour cause, Katya avait choisi quelques uns des enfants préférés de Andrew. Il était certain qu'elle l'avait fait exprès, pour se venger. Mais au moins, il évitait les conversations gênées et les regards fuyants. Connaissant la jeune fille, elle lui reprocherait de sortir avec l'ex de son bro, et d'avoir infligé tant de peine à Christian. Ce à quoi Andrew rétorquerait qu'elle rageait juste parce que Christian avait encore de l'affection pour Lou et qu'elle était jalouse. S'en suivrait une bataille sans précédent, où voleraient peluches, petits soldats, cupcakes et barres chocolatées. La solution miracle et cartonnée restait donc la meilleure.

Malheureusement, les vacances d'octobre pointèrent le bout de leur nez, et avec elles un regain de fréquentation de la garderie : plus possible de partager, ils devaient faire front à deux. Andrew n'avait pu refuser cette suggestion de Katya. Un refus aurait signifié qu'il flippait de la revoir, or il ne pouvait pas avoir peur d'une fille plus petite que lui (sauf quand elle est rousse). A regret, il écrivit son mail de réponse, attendit plusieurs minutes avant de cliquer sur envoyer mais, ne trouvant pas d'autres idées, se résout à capituler.

Le jour J, il stressait. Pourtant, ce n'était que Katya, il la connaissait bien. Enfin, ce verbe est correct conjugué au passé. Depuis l'altercation, et même avant, Andrew avait bien remarqué que la jeune fille changeait. Différente, sans qu'il sache dire comment. Elle n'était plus cette blonde timide qu'il avait rencontré au parc. Et la nouvelle Katya ne lui plaisant pas, il avait fait peu d'efforts pour garder contact avec elle. Ensuite, elle se rangea du côté de Christian, ne plaida même pas sa cause, et Alea Jacta Est. Il avait bien pensé à trouver une autre associé pour Sunny Side, mais Katya n'était pas décidée à quitter le navire, malheureusement. Il devait donc se coltiner mademoiselle "je parle encore à Christian moi monsieur". Et il la détestait pour ça, même si elle n'était pas seule fautive. Les images de ce jour là se bousculaient dans sa tête. Katya et son panier de cupcakes, Christian qui s'énerve, Lou désolée ... Andrew sentait la pression monter. Il réalisa que sans s'en rendre compte, depuis plusieurs minutes, il s'acharnait sur un paquet de gâteaux. Le pauvre emballage qu'il avait simplement voulu ouvrir, avait connu là une triste fin. Il devait se maîtriser, les enfants allaient arriver. Il se concentra donc sur les activités à proposer cet après-midi, tout en finissant de préparer le goûter de seize heures. Il effectua un rapide contrôle de la salle de jeux : elle était nickel. Il avait pris l'habitude de la ranger le soir, avec Milou. Il se levait bien trop tard le matin pour s'acquitter de cette tâche. Maintenant, il faisait les cent pas dans le salon, ses yeux allaient et venaient fiévreusement de l'horloge de la cuisine à celle de l'entrée, mais elles indiquaient la même heure. C'est alors que la sonnette retentit. Il se stoppa, net, et redressa la tête. En se dirigeant vers la porte, il pria le petit Ronald McDonald's pour que ce soit un enfant, l'idée d'être seul avec Katya l'inquiétait. D'un geste fébrile, il tourna la clé, la poignée ... et découvrit son associée. « Katya, tu es à l'heure ! Vas-y entre ! » Il la laissa faire comme chez elle, cachant son désarroi. Dire que, il fut un temps, elle venait ici souvent, et qu'ils faisaient de la pâtisserie avec tous les autres enfants. « Oui oui j'ai mangé beaucoup de soupe t'as vu ! » Avant, ces blagounettes était monnaie courante entre eux. Aujourd'hui, il en était presque gêné. « Les enfants ne sont pas encore arrivés mais vas-y, installe toi. Tu as des idées pour planifier la journée ? Je pensais que faire des crêpes serait sympathique déjà. »

S'ils ne parlaient que des enfants et de la garderie, ça pouvait le faire. Mais honnêtement, Andrew flippait grave à l'idée de passer l'après-midi avec sa collège ancienne-amie-et-actuelle-meuf-de-son-ex-bro. Heureusement, Katya rebondit sur son idée de crèpes, leur passion pour les enfants les sauveraient peut-être. C'était décidé, des crèpes cet après-midi, il y avait toujours quelques enfants motivés pour cuisiner avec eux, tandis que d'autres jouaient calmement dans le salon. Et puis tous les enfants aiment les crèpes, il n'avait pas proposé cette idée au hasard. Il avait bien pensé à des marrons et des citrouilles un instant, surtout qu'il avait fait planté ces dernières dans son jardin et qu'une petite récolte serait la bienvenue. Mais les enfants n'apprécieraient sûrement pas. « Cool, j'ai commencé à préparer les ingrédients justement, on pourra les préparer avec quelques enfants. » Tout en écoutant ses autres idées, il la suivit dans le salon. « Je dirais plutôt dessin pendant qu'on prépare les crèpes, comme on ne les surveillera jamais en même temps toi et moi, ils risquent de mettre de la pâte à modeler plein partout » et Andrew détestait nettoyer. « Et on pourrait faire une partie de jeux de société après le goûter, oui » ajouta-t-il en souriant. Quelques enfants étaient particulièrement fans de la Bonne Paye, un jeu particulièrement bien trouvé en cette période de Black Friday. D'autres - incapables de tenir en place - préféraient des jeux qui bougent, comme les policiers et les voleurs, ou les indiens et les cowboys, mais le vase de l'entrée - rafistolé avec de la colle - en gardait un mauvais souvenir. Désormais, à chaque fois que les enfants turbulants devenaient ingérables, Andrew leur rappelait le vase de l'entrée, et la rage de Juliet quand elle découvrit le drame. Une sorte de petite comémoration pour leur rafraichir la mémoire, en somme. Et si ça ne suffisait pas, Andrew leur proposait le jeu des pélerins : faire un pélerinage jusqu'à l'entrée, s'agenouiller devant le vase et lui répéter dix fois la prière du pardon. Aussitôt, les enfants choissisaient le jeu de sociétés, efficacité assurée.

Quand Katya évoqua soudainement Christian, Andrew eut bien envie de faire un petit pélerinage jusqu'à l'entrée. Non non non il ne voulait pas en parler. Et il savait que s'il fournissait cette seule réponse à Katya, elle n'en serait même pas étonnée. Mais à ne pouvoir en parler à personne, il se retrouva à déblatérer sur Christian - malgré lui - avant de réaliser ce qu'il faisait. Les mots sortaient tous seuls, comme si Katya avait prononcé le Sésame ouvre toi de la caverne d'Ali Baba. « Ben non pas depuis que vous êtes venus ici, que vous m'avez surpris avec Lou et que t'as bien été contente de pouvoir t'occuper de lui toute seule et de nous passer un savon en mode "je suis une grande fille et vous êtes des gamins" » Au moins, il était sincère. Les paroles de Katya lui restaient toujours en travers de la gorge. Cette dispute ne concernait en rien Katya, elle les concernait eux, Andrew Christian et Lou, les trois amis de toujours. Et c'était probablement ça, qui avait foutu Katya en rogne : être out de la situation. Ajouté à de la jalousie car normalement Lou était l'ex de Christian et par définition une ex c'est du passé. Mais il était incapable de ressentir une once de pitié pour elle : elle lui avait dit Ta gueule, quoi. « Comment ça se fait que tu n'as pas trop de nouvelles, tu ne t'es pas "occupée" de lui si bien que ça ? » Même si la raison était plutôt que Christian évitait de parler d'Andrew, ça faisait du bien au warrior, d'imaginer juste une seconde que le couple n'était pas heureux. C'était mauvais et méchant, mais il leur en voulait aussi, un peu. Enfin, à elle surtout, bien contente que son copain perde son bro et devienne alors peut-être un peu moins flemmard. Et puis, il était incapable d'en vouloir vraiment à Christian.