juillet 2012.

Nina était d'humeur taquine aujourd'hui. Elle n'avait pas arrêté d'embêter son père alors que ce dernier semblait très occupé avec des clients au téléphone, ne cessant d'accaparer son attention. Qui sème le vent récolte la tempête, la jeune femme s'était fait engueuler par son père et pour se changer les idées, elle était sortie un peu dehors, avec son seul téléphone dans une poche et une main dans l'autre. L'été commençait seulement, il commençait déjà à faire vraiment chaud. Les gens n'hésitaient pas à sortir et on pouvait apercevoir des bonnes mères de famille - et des pères aussi - arranger leur jardin ou jouer avec leurs enfants au toboggan. Nina, elle, avait l'intention d'aller se promener. En fait, elle était sortie sans réel but, elle n'avait même pas envoyé de sms à un ou une amie pour se voir, non, elle voulait simplement profiter du beau temps et de n'avoir rien à faire. Pourquoi ne pas aller au parc ? Ou près des bars, il y aurait bien des gens qu'elle connaissait là-bas. La rentrée à Philadelphie n'avait pas encore eu lieu ; en elle un sentiment mêlé d'excitation, de crainte et d'impatience faisait place. Heureusement, elle ne serait pas seule puisque sa meilleure amie Katya déménageait avec elle dans la grande ville, à l'aventure. C'est seulement arrivée au bout de Magnolia Street que Nina se rendit compte que des nouveaux arrivants avaient posé bagages à la dernière maison au bout de la rue, le numéro 50. Dans ce quartier, les gens allaient et venaient, certains étaient de passage peu longtemps, d'autres y restaient toute une vie.

Une femme brune venait d'entrer à l'intérieur. Nina n'avait jamais parlé avec les personnes de cette maison, bien qu'ils habitent ici selon ses souvenirs depuis plusieurs années déjà. En revanche, la petite blonde se démenant pour porter ses cartons ne lui disait rien du tout. Nina passa devant eux comme si de rien n'était, puis elle décida de revenir sur ses pas. « Tu as besoin d'aide ? » proposa-t-elle à la blonde en question avec un joli sourire. Cela faisait toujours plaisir de se faire aider à son arrivée, quand on ne connaissait personne dans un quartier, se disait l'étudiante. « Oh, moi c'est Nina. » Oui, plus pratique pour engager une conversation par la suite. Sous-entendu Nina attendait que son interlocutrice se présente à son tour.

La petite blonde semblait vraiment être en peine de porter ses cartons ; d'un côté Nina compatissait, ils avaient l'air vraiment lourds. Cette dernière accepta d'ailleurs son aide avec plaisir, ce qui n'étonna pas la jeune fille. La concernée s'approcha donc vivement d'elle avant qu'elle ne fasse tomber quoi que ce soit à la renverse. Nina n'avait pas beaucoup de forces avec son mètre cinquante-sept, mais au moins si elles se répartissaient les cartons elles devraient être en mesure d'y arriver toutes les deux. (L'union fait la force aight.) L'étudiante attrapa un carton, puis deux. Et enfin Jules put voir son visage, n'étant plus cachée par la pile qu'elle portait. Cette dernière se présenta à son tour, elle s'appelait Jules Robinson. « Oh, tu n'es pas de leur famille ? » demanda Nina en pointant du doigt discrètement la maison numéro cinquante. Selon ses souvenirs, les habitants de cette maison ne s'appelaient pas Robinson, cela ne lui disait rien. En revanche, elle était certaine d'avoir entendu ce nom quelque part, ailleurs. « Ah tu es de la famille de Lou peut-être ? » En effet le beau-père et donc la petite soeur de celle-ci portaient le même nom que Jules. C'était dommage, elles étaient si bien parties. Nina détestait Lou Huntington depuis toute petite depuis qu'elles s'étaient bastonnées pour un garçon - que Nina ne convoitait même pas d'ailleurs, elle avait seulement défendu son amie Claire. Autant dire que Nina était un peu déçue que sa nouvelle rencontre soit apparemment et sans doute de la famille d'une de ses ennemies. Mais elle décida de passer outre. Pour le moment du moins.

Les bras chargés, Nina et Jules se dirigèrent vers l'intérieur de la maison. C'était la toute première fois que Nina y mettait les pieds en six ans qu'elle habitait ici. Jamais invitée, logique elle ne connaissait aucun habitant de cette demeure. Cette famille paraissait assez discrète dans le quartier selon elle. Ou peut-être n'avait-elle simplement pas appris à s'intéresser à eux d'un peu plus près. Bref, cela ne résolvait pas le problème. Pourquoi une fille de la famille de Lou s'installait-elle une dizaine de maisons plus loin, mais dans la même rue ? « Vous.. Enfin je veux dire tu, es originaire d'où exactement ? » Par habitude de politesse, Nina commença par vouvoyer Jules. Mais elle se corrigea en remarquant qu'elles devaient avoir quasiment le même âge. Malgré tout la jeune femme avait toujours énormément de mal à placer un chiffre sur un visage. Alors autant poser la question directement. « Tu as quel âge en fait ? » Ainsi formulé, Nina avait l'impression d'être une petite fille de dix ans demandant à une camarade si elle était bien dans la même classe qu'elle. Alors elle jugea bon de préciser. « Non parce que j'arrive jamais à donner un âge aux gens. » souffla-t-elle en riant doucement.

Nina était une vraie curieuse. Lorsque quelqu'un lui paraissait intéressant, elle ne pouvait s'empêcher de lui poser mille questions ; elle voulait tout savoir, dans les détails. Et cette Jules l'intrigait quelque peu, une énergie positive se dégageait de cette fille, Nina était certaine qu'elles allaient s'entendre. Mais avant tout, elle voulait être certaine de quelques petits détails. La nouvelle arrivante lui expliqua effectivement en long en large et en travers pourquoi elle n'avait pas le même nom de famille que les autres habitants de la maison numéro cinquante. Une autre pipelette, comme elle. Voilà que tout s'expliquait. Et pour Lou ? Nina fut rassurée, elle n'avait aucun rapport ni aucun lien familial avec elle. « Tant mieux. » commenta-t-elle d'un ton affirmé. Au moins, Jules ne démarrait pas sur un mauvais pied en débarquant à Magnolia. (a) Pour autant, le quartier ne lui semblait pas tout à fait inconnu. Effectivement celle-ci lui expliqua qu'elle connaissait déjà quelqu'un, ici. Intriguée, il n'en fallut pas plus pour relancer Nina avec ses questions. « Oh, qui ça ? Tu es déjà venue en vacances dans le quartier alors ? » La jeune femme réfléchit un peu à toutes les possibilités de réponse. Qui pouvait-elle bien connaitre. En réalité Nina réfléchissait pour rien, il était impossible qu'elle puisse deviner. Elle n'avait qu'à prendre son mal en patience et attendre que sa nouvelle copine lui raconte.

Ensuite, Nina aborda la question des origines. Forcément. Incontournable pour un nouvel arrivant. Alors que les deux jeunes femmes entraient à l'intérieur de la grande maison pour y déposer les cartons, Jules lui répondit qu'elle était anglaise. De plus en plus surprenant ! Il était plutôt rare que des personnes venant d'Europe viennent s'installer ici. La plupart étaient déjà américains de souche. « L'Angleterre, ça doit être vachement cool, je n'y suis jamais allée. » La petite brune nota intérieurement de demander à ses parents de l'argent pour un voyage au pays de la pluie un beau jour. « Et je suis européenne aussi, en fait. » ajouta-t-elle. Les origines des VV étant assez complexes, il ne valait peut-être mieux pas partir sur ce sujet. En réalité Nina n'y comprenait pas tout elle-même. « Mais j'ai toujours vécu aux Etats-Unis. » s'empressa-t-elle de préciser.

Dernière question cruciale, l'âge. Jules lui répondit qu'elle avait dix-neuf ans, tout comme Nina. Cette dernière lui aurait peut-être donné quelques années de plus, en y réfléchissant. Finalement, cette Jules et elle avaient un sacré paquet de points communs. « Comme moi alors. » La petite brune lui sourit d'un rire qui voulait dire "on va être potes, toi et moi." « Oh, j'espère que je ne t'embête pas avec toutes mes questions (indiscrètes?) au fait. Je parle vraiment trop. » confessa-t-elle en riant.

En peu de temps, Nina en avait déjà appris beaucoup sur la nouvelle arrivante. Elles semblaient aussi bavardes l'une que l'autre, logique qu'elles ne puissent plus s'arrêter. Mais il ne fallait pas non plus oublier pourquoi Nina était venue à sa rencontre à la base : pour l'aider, même si ce n'était en quelque sorte qu'un prétexte. Les deux jeunes femmes déposèrent les cartons dans l'entrée, Jules se chargerait de les monter dans sa chambre plus tard, Nina ne savait pas du tout où les mettre sinon. Puis, elles ressortirent chercher les derniers paquets et enfin elles purent se poser un peu. Jules lui révéla enfin l'identité de ce garçon qu'elle connaissait déjà. Andrew. « Ah.. Oui oui ça me dit quelque chose. » Nina ne savait pas trop quoi penser de ce garçon. Elle ne lui avait jamais vraiment trop parlé, à part à la fête de Noël de l'an dernier où elle s'était retrouvée dans la cuisine avec lui et d'autres voisins à faire des jeux stupides. Il fallait dire qu'ils n'avaient pas vraiment les mêmes fréquentations. « J'habite ici depuis un peu plus de six ans, donc je connais un peu tout le monde ici. » Nina fit un petit sourire à Jules. Cette dernière n'avait pas répondu à sa question pour autant : était-elle déjà venue en vacances ici ou non. Nina sentit que le sujet était un peu tendu, que la petite blonde ne souhaitait pas forcément entrer dans les détails. Alors elle respecta ce choix, et changea de sujet. De toute façon, au vu de tous les points communs qu'elles semblaient avoir, elles auraient encore plein de choses à se dire.

« Ça doit te faire bizarre de déménager dans le coin après avoir vécu à Londres. » remarqua la jeune femme. Elle-même avant d'habiter Magnolia avait vécu dans une ville plus grande, et cela faisait toujours un sacré choc ce changement de milieu. Mais au fond, Nina ne regrettait pas du tout. C'était plus tranquille, convivial, agréable. Enfin, tranquille n'était pas forcément le mot le plus approprié pour qualifier Magnolia, en réalité. D'ailleurs, Jules connaissait-elle l'existence de Dirty Secret ? Cette garce semant la zizanie dans toutes les familles. Nina en doutait ; hors du quartier on n'en entendait pas du tout parler. La jeune fille préféra ne pas l'informer de ce côté négatif du quartier, après tout elle le découvrirait bien toute seule.

La petite blonde lui assura que les questions en masse de Nina ne la dérangeait pas le moins du monde. Heureusement, Nina se sentit soulagée, elle avait peur de sembler un peu trop intrusive parfois, avec sa curiosité. Mais Jules était sur la même longueur d'onde qu'elle, et c'était tant mieux. Les deux jeunes femmes rièrent ensemble. Alors la jeune femme continua sur sa lancée. « Et comme on a le même âge, je suppose que tu es étudiante, toi aussi ? » Une façon de lui demander vers quelle branche elle se dirigeait. Nina, elle, s'apprêtait à embarquer les cartons pour Philadelphie, une nouvelle vie s'annonçait pour elle. A l'instar de Jules.

Tout en discutant, Jules s'en alla promener dans les couloirs de sa nouvelle maison. Nina ignorait ce qu'elle comptait faire, mais vu le temps qu'elle mit pour revenir, il semblerait qu'elle ne connaissait pas tant la maison que cela. Ne lui avait-elle pourtant pas dit qu'elle était déjà venue à Magnolia de nombreuses fois ? Puisqu'elle connaissait déjà des gens ici. « Tu t'es perdue ? » lui demanda la jeune femme en riant. La petite blonde lui tendit un verre de jus d'orange que Nina accepta volontiers. La chaleur dehors lui pesait, et puis il ne fallait pas croire, porter des cartons si lourd c'était crevant. Un peu de vitamines et elle allait repartir. La conversation reprit après cet interlude sur les origines londoniennes de la jeune femme. Jules lui fit remarquer que la plupart des européens rêvaient de partir vivre en Amérique. Ce qui n'était pas faux, mais en tout cas réciproque. Les américains trouvaient géniales des villes comme Paris, Londres.. et Nina ne faisait pas exception. Evidemment, jamais satisfait de ce que l'on a. Si elle avait des origines européennes, elle avait toujours vécu aux Etats-Unis mais était cependant ravie de son pays. « Je veux bien te croire. » La jeune femme voulut lui demander les raisons de son déménagement, mais peut-être que cela faisait trop en une seule fois. Après tout, cette question était plutôt personnelle et puis, elles auraient bien vite l'occasion de se croiser à nouveau.

D'ailleurs, peut-être pourraient-elles se croiser à la fac, se demanda Nina, avant de se rappeler qu'elle n'étudiait plus à Magnolia. Mais Philadelphie étant la grande ville la plus proche d'ici, la petite brune n'était donc pas étonnée lorsqu'elle rencontrait des gens qu'elle connaissait déjà, à l'université. Du coup, Nina lui posa la question. « Oui je vois. Ça pour marquer le coup.. » laissa-t-elle en suspend avec un petit sourire. « Moi aussi je suis partie pour mes études, mais bon, pas aussi loin que toi. Je suis à l'école de design de Philly, à trente minutes d'ici. » expliqua-t-elle en riant un peu. Pour sûr ce n'était pas le même type de déménagement que Jules, qui elle traversait carrément un océan et changeait de continent. Non, Nina, elle, avait trente minutes de trajet la séparant de ses parents, de nouveaux colocataires ainsi qu'un appartement, voilà ses changements à elle. Mais comme elle restait une jeune femme assez fragile, elle avait du mal à couper le cordon, il fallait l'avouer. Alors cette séparation progressive n'était pas plus mal. Et pourquoi pas partir plus loin dans le futur.

Lorsque Jules revint enfin de sa petite escapade, Nina lui demanda si elle s'était perdue, sous-entendu qu'est-ce que t'es allée faire là-bas sans moi. Mais celle-ci ne lui répondit pas, se contentant de sourire. Décidément, cette jeune femme intriguait Nina. Lorsque sa nouvelle copine lui tendit le verre de jus d'orange, la petite brune comprit qu'elle était en fait tout simplement allée chercher de quoi se désaltérer. Ce qui était une idée à laquelle Nina ne pouvait se refuser, vu la température à l'extérieur. Le soleil tapait vraiment, ce n'était pas plus mal qu'elle soit rentrée à l'intérieur de la nouvelle demeure de Jules. Nina avait bien envie de s'asseoir quelque part pour se reposer, mais elle n'allait pas non plus s'inviter dans le salon ou dans une autre pièce, déjà qu'elle s'incrustait suffisamment dans la vie de Jules présentement. Cela partait cependant d'une bonne intention puisqu'elle était venue à sa rescousse avec les cartons. Tiens d'ailleurs, les cartons. Nina commença s'asseoir sur l'un d'eux, avant de se relever aussitôt, au vu du bruit que son geste avait engendré. « Euh désolée, c'était une mauvaise idée. » fit-elle sur un ton gêné à l'égard de Jules. Nina essaya de tâter le carton. « Je n'ai rien cassé j'espère. » Elle n'osa cependant pas ouvrir celui-ci puisqu'il semblait bien fermé. La jeune femme ne s'était pas rendue compte qu'il pouvait y avoir autre chose que des objets solides et robustes dans ces cartons, même si vu le poids qu'ils faisaient on pouvait tout aussi bien penser l'inverse. Au moins peut-être Jules comprendrait-elle que Nina avait envie de s'asseoir. (a)

Passé cet incident gênant, les deux nouvelles amies en vinrent à aborder le sujet études. Inévitable pour deux jeunes personnes de leur âge. Jules sembla un peu déçue d'apprendre que Nina et elle n'étudieraient pas au même endroit. Cependant elles pourraient se revoir très vite, ce que la petite brune voulut lui expliquer. « J'étudie le design. » répéta-t-elle gentiment même si elle l'avait déjà dit tout à l'heure ; Jules semblait avoir oublié mais vu la chaleur elle ne lui en voulait pas. « Je ne sais pas exactement ce que je veux faire plus tard mais voilà ça me plaisait. » anticipa-t-elle, s'attendant à ce que la question du ah oui tu veux faire quoi plus tard, vienne sur le tapis, étant la suite logique de leur conversation. « Et parce que j'ai été prise aussi, surtout. C'est l'université de UPenn, je sais pas si tu connais.. » expliqua-t-elle, pas peu fière. Cette école était côtée mais Nina n'était pas sûre que Jules connaisse, étant donné qu'elle débarquait seulement dans le pays. « Mais tu sais ce n'est qu'à trente minutes d'ici, je prends ma voiture quand je veux, même le soir après les cours si j'ai envie, donc on aura l'occasion de se croiser souvent. » Sourire. Jules la remercia de son accueil. « Oh il n'y a pas de quoi. J'ai été accueillie de la même façon quand je suis arrivée ici alors je me mets à ta place ! Ça me fait plaisir en tout cas. »