Samedi était le jour préposé aux courses. Cette règle s’appliquait même chez les Van Valkenburg. Aujourd’hui, c’était Rose qui avait été désignée pour les faire. Son père avait du boulot, et sa mère et sa tante s’octroyait le luxe d’une journée entre filles. Nina et Evane passaient la journée ensemble, car Nina rentrait de Philly uniquement quelques jours, et Evane avait insisté pour la traîner quelque part, bref Rose n’avait pas tout compris, mais il ne restait plus qu’elle pour s’acquitter de la tâche. Ça ne la dérangeait pas vraiment, elle, ce qui l’embêtait c’était la foule de gens qui allaient se bousculer pour une promotion pour le papier toilette… Malheureusement, les choses étaient ainsi faites. Armée de la liste de course dument préparée par sa mère la veille, Rose arpentait les rayons, remplissant son chariot au fur et à mesure. Au loin, elle avait aperçut la chevelure flamboyante de Summer, la femme de Lorenzo. Décidément ce n’était pas son jour de chance ! Elle évitait Lorenzo depuis un moment, et à chaque fois qu’elle se retrouvait face à sa femme, elle se montrait bien trop gentille pour que ça sonne vrai. N’appréciant pas se montrer aussi faux-cul avec la jeune mariée, Rose faisait tout pour ne pas la croiser. Elle avait donc décidé de partir à contre sens. Mais voilà, Rose avait terminé ses courses et devait maintenant se rendre à la caisse, seulement, elle devait traverser les fruits et légumes où Summer se trouvait en pleine réflexion, ne sachant visiblement pas trop quoi choisir. Rose s’était arrêtée quelques minutes, l’observant du coin de l’œil, et surtout consciente de trop en faire. Se sentant ridicule, elle avait pris son courage à deux mains pour traverser l’allée.

Et bien sûr c’était à ce moment-là que Summer tourna la tête et la vit. Rose vissa un sourire sur ses lèvres. Elle était tellement mal à l’aise d’être en sa compagnie, surtout compte tenu des révélations que lui avaient faites Lorenzo la dernière fois qu’ils avaient eu une vraie conversation. « Salut Summer. Et oui, personne n’était volontaire cette semaine. » répondit-elle sur le même ton qu’elle. Evidemment, Summer s’était rendue compte que Rose ne passait plus beaucoup de temps avec Lorenzo. Celui-ci s’était apparemment bien gardé d’en commenter les raisons et sa femme venait chercher des explications. C’était légitime, même si cela mettait Rose dans une position très inconfortable. « Ça va très bien. » elle lui fit un petit sourire. « Ah oui, je n’ai pas eu beaucoup de temps à vrai dire. Je viens tout juste d’être engagée dans un orchestre, on a beaucoup de répétions. Je n’ai plus beaucoup de temps pour ma vie à moi. » fit-elle dans un petit rire. Elle se donnait vraiment beaucoup de mal pour se justifier. Elle sentait qu’elle en faisait trop, mais n’arrivait pas à se contrôler. « Vous allez bien tous les deux ? » demanda-t-elle consciente que sa phrase pouvait être interprétée de deux façons différentes…

Rose avait toujours aux lèvres ce grand sourire énigmatique pour Summer. Quelque part, c'est peut-être pour en déceler l'origine qu'elle avait tenu à aller la voir au lieu de simplement la saluer, de loin, dans une retenue suggérée par le peu de conversations profondes qu'elles entretenaient, ou par le fait justement que son sourire paraisse parfois trop forcé pour être sincère. Parfois, la rouquine avait l'impression de devenir paranoïaque, et elle n'aimait pas ça. Pourtant il fallait l'admettre, le comportement de Rose avait vraiment changé; ce n'était pas seulement le fruit de son imagination. Pourquoi? Sous le mobile d'une curiosité parfois maladive et en tout cas irrépressible, la jeune femme tenterait donc de savoir ce qui lui avait valu tant d'affection. Mais la tache s'annonçait compliquée, Rose n'était pas stupide, et s'il y avait vraiment une raison à ce qu'elle soit étonnement gentille, si l'on supposait que ce n'était pas une hallucination d'une Summer fatiguée, elle ne lui annoncerait pas pour autant ses raisons les plus secrètes. Peu importe, elle voulait lui parler.

Malgré son ton enjoué, Rose faisait preuve d'une certaine gêne, partagée à vrai dire par son interlocutrice. Elle n'était plus très certaine d'elle, de la raison pour laquelle elle s'était convaincue qu'il était bon de lui adresser la parole. Elle voulait des réponses, certes, mais il y avait peu de chances pour que celles-ci viennent directement de la bouche en coeur de miss Van Valkenburg... Alors elle réfléchit un instant, et conclut rapidement qu'il valait peut-être mieux lui parler normalement, comme si elle n'avait rien remarqué. Après tout, elle se faisait certainement des films. Effectivement il y avait une explication très rationnelle au simple fait que Lorenzo et Rose se voyaient moins souvent; la jeune femme venait d'intégrer un orchestre. Voilà qui contenta -et devait contenter- la rouquine, qui lui adressa un grand sourire. « C'est génial ça, félicitations! » Ceci dit, malgré toute l'occupation que cela pouvait lui imposer, il aurait été logique qu'elle continue de le voir; ils étaient assez proches, et, loin de se douter que Lorenzo, lui, savait très bien pourquoi Rose ne lui parlait plus vraiment, elle lui affirma d'un ton presque naïf; « Enfin il faudra que tu passes à la maison à l'occasion, je suis sûre que tu manques à Lorenzo! » Manqué! Summer y croyait réellement, pour elle ils étaient amis -encore- et de ce fait ils devaient avoir tout autant envie de se voir qu'auparavant. Son sourire se dissipa néanmoins quelque peu devant l'air dubitatif de Rose. Elle toussota, comme pour changer de sujet, puisque visiblement celui-ci la mettait mal à l'aise. Ce fut d'ailleurs la brunette qui reprit, lui demandant comment ils allaient "tous les deux". Summer s'apprêta à répondre d'un oui franc et assuré, puis elle se demanda si elle parlait "d'eux" en tant que deux individus susceptibles d'aller bien ou non, ou bien si elle parlait d'eux comme du couple qu'ils étaient; en l'occurrence, prenait elle des nouvelles des deux jeunes gens ou de leur vie conjugale? Songeant que la première option était plus plausible -et n'ayant surtout aucune envie de faire part de ses doutes à la soeur de la potentielle amante de son mari-, la jeune femme acquiesça doucement, d'un air toutefois convaincant. « Oui oui, ça va très bien aussi! On est un peu débordés avec la fin du trimestre, l'arrivée des fêtes mais... ça va! » Après tout elle avait toujours apprécié Rose, même si elles n'étaient pas devenues les meilleures amies du monde; peut-être devait-elle simplement lui parler normalement, et arrêter de penser que tout était factice. « Et ta famille ça va? Nina se plait à Philadelphie? » et en l'occurrence c'est probablement ce qu'elle aurait demandé à n'importe qui; alors elle le demanderait à Rose aussi.

La bonne excuse qui marchait toujours quand on voulait se justifier de ne plus passer de temps avec untel ou untel était qu’on n’avait pas assez de temps. Rose n’échappait pas à cette règle, et c’est l’argument qu’elle soumit à Summer pour lui faire croire que ce n’était que par force des choses qu’elle ne pouvait plus voir Lorenzo. La gentille rouquine ne put qu’adhérer, et félicita même Rose pour son nouveau travail. La jeune femme acquiesça d’un air fier et remercia timidement Summer pour ses félicitations. Rose s’en voulait de lui mentir. Elle avait en effet un emploi du temps chargé, mais si elle avait vraiment voulu voir son ancien meilleur ami, elle aurait tout à fait pu. Cependant elle ne se voyait pas répondre à Summer qu’elle ne pouvait plus voir Lorenzo parce que c’était le dernier des connards. Même si l’excuse était efficace, Summer invita quand même Rose à passer chez eux, parce qu’elle affirmait que Rose manquait à son mari. Si Rose n’était pas du genre à toujours calculer ses réactions, elle aurait sûrement levé les yeux au ciel ; en effet, elle doutait bien manquer à Lorenzo. Après le sale tour qu’il lui avait joué, elle se demandait même si elle n’avait jamais représenté quoi que ce soit à ses yeux. Mais à la place, elle ne quittait pas son sourire, et acquiesça une nouvelle fois, poliment cette fois-ci.

La jeune violoniste avait décidé de changer de sujet par la suite. C’était assez gênant d’avoir une conversation avec Summer, sachant que le seul truc qui les reliait vraiment – du moins à leur connaissance – était Lorenzo. Elle s’était donc interrogée sur eux, savoir comment ils allaient, ne précisant pas vraiment si elle parlait d’eux individuellement, ou eux en tant que couple. La réponse de Summer fut très complète, comme si elle était contente de parler de son petit couple. Ce qui bien évidemment faisait de la peine à Rose. Elle savait de source sûre que leur couple n’était pas tout beau tout rose. « Ah oui je vois. » se contenta-t-elle de répondre. De toute façon, la rousse ne lui laissa pas le temps de répondre autre chose, car autre mesure purement conventionnelle elle retourna la question à Rose. La déplaçant logiquement sur sa famille, étant donné que Rose n’était pas marié, il était normal qu’on s’interroge sur sa famille. Et puis Rose le sentit venir gros une maison ; la vie était une bitch, forcément donc Summer avait dû parler de Nina. Le mal à l’aise de Rose s’accentua. Elle remit ses cheveux en place, geste purement machinal pour ne pas commencer à taper du pied ou bien à jouer avec ses mains, autres gestes qui auraient totalement pu montrer qu’elle n’était pas dans son élément. Elle se reprit néanmoins, essayant d’impulser dans sa voix de l’enthousiasme. « Tout le monde va bien merci de t’en préoccuper Summer. » et voilà maintenant le sujet délicat. « Oui, Nina se plaît vraiment à Philadelphie. Je pense qu’être loin de Magnolia l’aide à gagner en maturité. » Rose parlait en grande sœur, et vu qu’elle ne savait pas trop quoi répondre à Summer, elle avait préféré aborder le sujet de façon presque pédagogique. « Mais elle ne rentre pas assez souvent. » finit-elle par dire ; comment tuer deux oiseaux avec une même pierre ; ainsi elle manquait à Rose, mais aussi implicitement cela voulait dire qu’elle ne pouvait plus traîner autour du cher mari de Summer.

La conversation avait subitement divergée vers Nina, innocemment ou pas, Rose devait répondre aux questions de Summer. Elle avait toujours considéré la jeune rouquine comme une femme douce, naïve, aujourd’hui, elle ne pouvait s’empêcher de se demander si elle ne lui posait pas toutes ses questions pour simplement avoir des informations sur Nina. On ne pouvait pas être autant naïf. Rose n’avait certainement pas envie de blesser Summer, et pourtant elle était partagée entre deux façons d’agir. La première était de ménager Summer, en lui en disant le moins possible, ce qui permettait aussi à Nina de ne pas être mêlée aux histoires des jeunes mariés. D’un autre côté, en tant que femme, Rose avait sincèrement de la peine de voir Summer dans une telle situation. Qui plus est, la jeune violoniste ne savait même pas ce dont Summer était au courant. Si depuis sa houleuse conversation avec Lorenzo ils avaient enfin eu une explication. Elle était donc un peu perdue quant à l’attitude à adopter avec elle. Elle était compatissante, mais un peu méfiante quand même. Ainsi, Rose faisait son maximum pour donner à son interlocutrice des réponses évasives mais quand même satisfaisantes. Malgré tout, elle voulait vite changer de sujet, ou mieux prendre congé de Summer.

Cependant, cette dernière ne l’entendait pas de cette oreille. Après avoir souligné le fait que Nina devait beaucoup manquer à Rose, remarqua à laquelle Rose hocha positivement la tête, Summer continua en affirmant que Lorenzo et Nina s’étaient vus récemment. « Pardon ?» fit-elle ne pouvant plus tenter de calmer ses émotions. Lorenzo lui avait pourtant promis de ne plus s’approcher d’elle. Rose lui avait pourtant dit très clairement. Elle pensait pourtant avoir mis les points sur les i une bonne fois pour toute. Et en plus il mettait sa femme au courant de ce genre de chose ? Il n’avait donc aucun respect pour personne ? Toutes ses théories se bousculaient désormais dans la tête de Rose qui avait du mal à tout digérer. Rose pensait pourtant qu’elle avait réussi à calmer les choses, mais Lorenzo et Nina se fichaient apparemment d’elle dans son dos. « Tu as dû te tromper Summer, je ne vois pas pourquoi ils se seraient vus. » elle posa un regard froid sur la secrétaire, elle n’avait plus envie d’entendre parler de toutes ces histoires sordides, elle avait simplement envie d’oublier, de passer à autre chose, elle avait déjà perdu son meilleur ami, ce n’était pas suffisant ? « C’était Lorenzo qui t’a dit ça ? » finit-elle par demander essayant d’être un plus agréable dans le ton de sa voix. Après tout Summer n’avait strictement rien fait, et si elle disait vrai elle avait plutôt du souci à se faire et pouvait d’ores et déjà trouver un bon avocat pour traiter son divorce. Après cette étonnante révélation, Rose avait bien du mal à ménager Summer, qui allait sans doute trouver l’attitude de Rose très étrange. Toutefois la jeune femme n’en avait rien à faire, si Lorenzo voulait que Summer soit protégée qu’il commence déjà lui-même par le faire !

Comme Rose détestait quand ses émotions la rattrapaient. Sa famille avait toujours été - à ses yeux - quelque chose de précieux. Elle pouvait difficilement cacher ses émotions quand il s’agissait de sa petite sœur, et de cette relation qu’elle avait eue avec Lorenzo. D’un coup, le visage poli et sympathique qu’elle s’était forgée venait de se briser, laissant place à une froideur qui allait peut-être dérouter Summer. La déception la gagnait une nouvelle fois. Déçue de Lorenzo, mais aussi de Nina, qui continuait de faire les mauvais choix. Elle était jeune, jolie, dynamique, elle aurait tout le temps de s’aventurer dans des relations tordues et qui la feraient souffrir. Elle était bien trop jeune pour être la maîtresse d’un homme, trop jeune pour agir en briseuse de ménage. Nina, était une petite fille, au fond. Au regard de cette histoire, Rose ne faisait que constater combien sa sœur avait grandi.

Fixant son regard sur la jolie rousse, Rose ne put s’empêcher de lui demander des informations supplémentaires. Elle n’était pas au courant de cette rencontre. De plus, elle se demandait si Lorenzo n’était pas complètement maso d’en avoir fait part à sa femme. Après tout, Dirty Secret avait déjà lancé assez de rumeurs pour qu’il mette délibérément de l’huile sur le feu. Summer comprit qu’il y avait quelque chose de louche là-dessous. Elle répondit aux interrogations de la jeune femme, tout en restant évasive. Elle préférait nettement s’intéresser à la réaction un peu trop vive de la violoniste. En même temps, Rose devait paraître tout à fait louche à ses yeux. Elle s’en voulu un peu d’avoir montré cette faille, mais elle pouvait toujours changer la donne. « Non aucun problème, je m’interrogeais juste. » certes, ce n’était absolument pas convaincant, Rose en avait conscience, mais elle se laissait clairement dépasser par ses sentiments. C’était une des raisons qui faisait qu’elle les cachait si souvent d’ailleurs. Il était bien plus simple de contrôler une situation quand on est maître de ce que l’on ressent. Évidemment, Summer n’y crut pas une seconde, et mit le doigt là où sa fait mal. Grillé. Elle venait de découvrir que la relation entre Lorenzo et Rose s’était dégradée pour bien plus qu’un problème d’emploi du temps. Elle était tellement désolée, et ne savait pas quoi répondre. Un gros mensonge ? Summer ne la croirait jamais. La vérité ? Peut-être bien trop dure à entendre. « Écoute Summer, je n’ai pas envie de te mentir… » commença-t-elle pas tout à fait sûre de savoir où cela allait la mener. « Lorenzo et moi, on s’est disputés, c’est vrai. » voilà, elle commençait à tourner autour du pot. C’était mal barré pour se sortir de cette situation rocambolesque. « Disons que je n’ai pas apprécié son comportement. » elle baissa la tête, elle ne pouvait pas en dire plus ou bien elle ne pourrait plus jamais se regarder dans un miroir. « Je suis désolée. » finit-elle par ajouter, elle n’était même pas sure de savoir pourquoi elle s’excusait. Sans doute pour simplement achever sa tirade qui n’avait en fait ni queue ni tête ?