« Rhaaaaaaaaaaa ! » Alana hurla de rage en se crispant, laissant retomber sa jambe à terre, ce qui la fit hurler deux fois plus. Comme tous les jours, elle devait faire ses exercices, comme tous les jours elle essayait, et comme tous les jours, elle n'y arrivait pas. Près de trois mois s'étaient écoulés depuis l'accident, et l'état d'Alana ne s'améliorait que très lentement. Comment elle maudissait Liam ! A cause de lui elle était obligée de rester clouée au lit -ce qu'elle ne faisais pas d'ailleurs- et de ne pas travailler -ce qu'elle ne faisait pas non plus-. Enfin, elle était supposée se reposer. Mais Alana et reposer ? Un paradoxe des plus total. Elle se refusait de rester à rien faire, et tellement de choses l'attendaient ! Comment organiser des soirées au lit ? Comment trier des documents ? A moins d'amener tout son bureau dans la chambre, il n'y avait aucun moyen. Tout doucement elle se levait donc chaque matin et s'installait à son bureau, où elle ne bougeait plus jusqu'au soir. Deux fois par jour elle faisait les exercices demandés par son médecin, mais cela la mettait dans une rage si folle qu'elle abandonnait. En général, elle se contentait d'arrêter l'exercice et se calmer en travaillant. Mais là, c'était trop. Ce samedi, il faisait beau, elle s'était donc réveillée tôt avec un rayon de soleil par la fenêtre. De bonne humeur elle était décidée cette fois à réussir son exercice. Pour une fois.

Alana s'était donc posée à terre sur son petit matelas, s'était allongée et avait levé haut sa jambe, réussissant à la laisser droite et levée en la contractant. Puis elle tenta plus haut, en faisant des aller-retours avec son pied, ce qui actionnait les muscles de son mollet. Et là, bim, sa jambe se mit à trembloter donc elle fut obligée de la redescendre. Trois fois de suite elle retenta le coup, trois fois elle le loupa. Mais bordel, c'était pas compliqué de lever une jambe ! Enervée, elle se remit debout en oubliant totalement qu'elle n'était pas supposée s'appuyant fortement sur sa jambe, et elle poussa un cri de douleur en retombant à terre. Des larmes coulaient sur ses joues, telle une cascade qui ne tarit jamais. Alana essuya ses joues tout en sanglotant. Elle avait l'impression d'être une gamine. Mais ça faisait mal, et c'était insupportable. Et pas seulement physique. Certes la douleur de sa jambe la lançait dans tout le corps, mais le pire c'était la douleur psychologique. Le fait de ne jamais réussir, de croire qu'on y arrivera jamais, qu'on restera boiteuse toute sa vie. Qu'on ne servira à rien. Sa jambe chauffait, comme si cela irradiait son corps tout entier, son corps secoué de sanglots. Se laissant aller, la brune replia sa jambe valide contre son torse et laissa les larmes couler. Pour une fois, -ou plutôt déjà la deuxième fois cette semaine-, elle s'autorisa à pleurer. C'en était trop. Trop de stress, trop de douleur, trop de trop. C'est à peine si elle entendit Junie rentrer dans la pièce. Celle-ci accourra vers son amie et la prit dans ses bras, l'embrassant sur le front. Alana se raccrocha à elle, redoublant de pleurs, contente que ce soit la Fynes qui se soit retrouvée là. Si jamais Charly était passée, ça aurait été l'enfer. Junie avait toujours été celle qui avait réconforté Alana. Celle qui jouait un peu le rôle de la mère réconfortante, la mère qu'Alana n'avait jamais eue, la mère qui l'avait abandonnée. Et depuis, la brune jouait la forte, la courageuse, celle qui se donnait à fond dans son boulot et ne vivait que pour ça. Mais en réalité elle cachait un désarroi profond, celui de ne jamais se sentir en confiance. Celui de se sentir coupable, de dire que c'était de sa faute si ses parents l'avaient abandonnée, qu'elle avait du faire quelque chose qui les avaient déplu. La douleur de se dire que c'était sans cesse de sa faute.

Junie réconforta son amie et lui tendit son petit doigt, comme quand elle étaient enfants. Alana sourit à trvers ses larmes, et fit le pinky swear à son amie qui lui disait que ça s'arrangerait. Mais au fond, la brune n'en était pas convaincue. Elle serra Junie dans ses bras, et réussit à parler malgré les sanglots. « J'en peux plus Junie, j'en ai marre, j'en ai marre... » Les larmes continuaient de couler, tandis que Junie se dégageait pour faire face au visage de son amis, en séchant ses larmes. Elle rajouta qu'elle n'aimait pas la voir comme ça, et que la deuxième fois en plus, ça lui faisait de la peine. Un énième sanglot secoua Alana tandis qu'elle repoussa la main de Junie sur sa joue. « La deuxième fois ? Mais ça fait pas que deux fois Junie, c'est ça tous les jours, toutes les semaines depuis l'accident ! Tous le sjours j'essaye, tous les jours je rate, et une fois sur deux j'explose en pleurs parce que je me sens comme une merde ! » Elle accompagnait ses paroles de grands gestes tandis que les larmes coulaient à terre, intarissables. « Mais comment t'aurais pu le savoir de toute façon, hein ? T'es partie du jour au lendemain, en nous prévenant à peine, en sachant très bien que c'était une période difficile pour moi, en sachant très bien que j'avais besoin de toi ! J'avais besoin de toi putain ! » cria-t-elle avant que sa voix se brise et s'éteigne dans un autre sanglot. Comment son amie avait-elle pu la laisser comme ça ? La jeune fille était en plein dépression et une de ses meilleures amies partaient sans un mot. Il y avait de quoi se foutre en l'air.

Spoiler:

Alana ne voulait pas faire de mal à Junie. Elle était juste énervée, crevée, et en grande peine, ce qui la faisait exploser, de plus en plus souvent. En général, elle se qualifiait être comme une éponge. Elle absorbe, absorbe, absorbe et ne rejette que quand elle ne peux plus rien absorber. Absorber quoi ? Les erreurs de la vie quotidienne, les tracas, les ennuis, les défaites, les déceptions. En général, elle tenait très longtemps. Mais en ce moment, il semblait à Alana que l'éponge se vidait trop souvent, comme si ce qu'elle absorbait était trop gros pour elle. Qu'elle le rejetait, que ce n'était pas fait pour elle, qu'elle n'arrivait pas à l'ingurgiter. Que l'éponge n'était pas suffisante pour absorber tout ce qu'elle avait à absorber. Bref, et aujourd'hui elle rejetait tout sur Junie alors qu'elle était simplement venue la réconforter. Mais ce qu'Alana lui avait balancé à la figure n'en était pas moins que ce qu'elle pensait vraiment, peut-être juste un peu exagéré. Elle n'avait pas le droit de demander à son amie d'être là auprès d'elle, comme une reine à sa servante. Elle n'avait pas le droit d'être égoïste, alors que Junie devait aussi avoir ses propres problèmes. Mais voilà, la situation était qu'elle n'avait pas été là quand Alana en avait le plus besoin, et elle lui en voulait. Tout comme plein de choses d'ailleurs. Cela faisait longtemps que les deux filles n'avaient pas eu une bonne discussion. Toujours à courir de droite à gauche, toujours à sortir avec Jennifer ou à critiquer Charly. Rien n'allait jamais bien dans cette maison, et aucune d'entre elles ne prenait le temps de discuter avec l'autre de choses autre que les sorties, le beau mec d'hier ou les fringues. Bref, cette conversation, même si elle était brutale, elle serait sûrement bénéfique, et qui sait, peut-être remplies de révélations intéressantes.

Les larmes coulant sur ses joues, Alana laissa exprimer sa colère contre Junie, qui se trouvait un peu au mauvais endroit au mauvais moment. Quand la Kauffman vit des larmes perler au coin des yeux de son amie, elle regretta tout de suite ses paroles, mais ne réagit pas, trop secouée par tout ce qui se passait. Et puis Junie ne lui laissa pas le temps de placer un mot, elle se mit elle aussi à hausser la voix en accusant Alana de ne pas voir que elle aussi, avait des problèmes dans sa vie. Cela fit réfléchir la jeune brune qui se dit que son accident l'avait peut-être aveuglée sur les autres. Elle avait été trop égoïste à ne penser qu'à elle et elle. Sans voir qu'au fond, la jeune Fynes allait plus mal qu'elle ne paraissait. Mais était-ce une raison pour être partie comme ça ? Alana ne se laissait pas marcher sur les pieds, et de toute façon, maintenant qu'elle était partie, rien ne pouvait l'arrêter. « Mais bien sûr, mais tout le monde a des périodes difficiles ! C'est pas une raison de partir comme ça pendant un mois sans donner de nouvelles ! Et ok je t'ai rien demandé mais tu ne m'en a jamais laisser le temps ! Ne rejette pas la faute sur moi ! » s'écria-t-elle, furieuse des accusations de la Fynes. « Et t'as beau faire paraître ta naiveté, moi je sais que t'es loin de l'être, parce que tu nous a tous roulé dans la farine avec ton histoire d'aveugle ! Et dont tu nous a toujours pas donné d'explications, d'ailleurs ! Tu crois que ça allait passer inaperçu, qu'on allait accepter que tu nous ai menti pendant tout ce temps ? Que tu allais continuer ta vie sans qu'on poses des questions ? On ne l'a jamais fait avant parce que beaucoup de choses dans nos vies se sont passées mais là, c'est le moment, tu vois. C'est le moment où tu m'expliques pourquoi t'as fait ça, et t'as intérêt à avoir une bonne, très bonne raison de nous avoir menti à toutes ! » hurla-t-elle. C'était sorti, mais alors, tout seul. Alana ruminait ces pensées depuis tellement longtemps sans oser ni avoir le temps ni l'occasion de lui dire, et bien on dirait qu'elle était là, l'occasion.

C'était la première fois qu'Alana se disputait avec Junie. En presque vingt ans, les deux amies n'avaient jamais haussé la voix comme elles le faisaient maintenant. Le pire c'est qu'elles ne faisaient pas qu'hausser la voix, elles s'envoyaient des méchancetés à la figure. En plein conscience de cause. Alana ne voulait faire de mal à ses amies, elle avait toujours préservé les autres de ce qu'elle pensait d'eux -bon, mis à part pour Charly-. Et voilà qu'elle balançait les quatre vérités à Junie ? Cet accident avait beaucoup plus de conséquences qu'elle le pensait.. Elle se faisait du mal à elle-même et aux autres, il fallait que ça s'arrête ! Mais l'état de la Kauffman n'aidait pas, et tout ce que son corps lui disait de faire c'était de continuer à hurler, continuer à dire tout ce qu'elle avait sur le cœur, même si elle ne le pensait pas vraiment. Alana avait besoin de se lâcher, de lâcher toutes les frustrations qu'elle gardait en elle depuis des années. Que ce soit Junie n'était le résultat qu'une coïncidence et d'être là au mauvais moment. Alana aurait en fait préféré faire face à Charly, au moins les filles se seraient battues comme d'habitude. Mais là, elle blessait Junie et se blessait elle-même..

C'est alors que la Fynes choqua Alana. Pour la première fois depuis qu'elle la connaissait, Junie haussa le ton éclata en sanglots et renvoya la balle à Alana encore plus férocement. Ouh, ça allait as être beau à voir. Surtout que les dernières paroles de Junie firent sortir Alana de ses gonds. « Attends, quoi ? Lécher les bottes de Charly et des gens autour de moi ? Mais t'hallucines, c'est pas possible ! S'il y a bien une personne qui lèche les bottes de Charly dans cette maison, c'est déjà Tara d'abord, et toi là-dedans, tu crois que t'es innocente encore ? Tu crois pas qu'on sait que derrière ta gentillesse tu manigance des choses ? Parles-moi de lécher les bottes des autres encore une fois et tu vas vite le regretter ! » hurla-t-elle. Junie était allée trop loin. Toute sa vie Alana avait certes pensé plus aux autres qu'à elle-même, mais cela ne la faisait pas être soumise, loin de là. Et puis être trop gentille avec les autres, c'était Junie. Alana était connue pour être toujours à fond dans son boulot, n'avoir pas de vie, pas de mec, pas beaucoup d'amis, certes. Mais lécher les bottes des autres ? Certainement pas. Et c'était une insulte qu'elle ne tolérait pas. Alors qu'Alana continuait ses réprimandes quand au faux handicap de Junie, les larmes coulaient sur ses joues, elle tremblait de peine et de douleur. Et ce que répondit la Fynes la fit souffrir deux fois plus. Un grand silence suivit la déclaration de Junie, qui se laissa tomber par-terre, les yeux rivés au sol. Dans la tête d'Alana, les paroles de son amie tournaient et tournaient, et elle était perdue. Est-ce qu'elle devait la croire ? Est-ce qu'elle devait se contenter de cette révélation ? Ou bien la provoquer encore plus ? Alana ferma les yeux, soupira, et fronça les sourcils. Essuyant les larmes qui coulaient sur sa joue, quelques sanglots secouaient encore son corps. Trop de choses s'accumulaient en même temps. Comment faire face à un tel aveu ? C'était quelque chose qui hantait la jeune femme depuis tellement longtemps, quelque chose qu'elle avait toujours regretté. Tout ça pour quoi ? Pour avoir voulu de la jouer bisounours au pays des teletubbies ? Pour se la jouer à Robin des Bois ? Alana se rendait compte combien tout cela était bien puéril, et savait maintenant qu'elle avait été bien stupide. Le souffle d'Alana était fort, tellement elle avait crié et pleuré en même temps, joint à la douleur de sa jambe qui ne s'amenuisait pas. Elle grimaça et se massa le mollet tout en fermant les yeux et toussant. Pleurer lui donnait toujours envie de tousser, pour on se sait quelle raison. Bref. Puis elle s'adossa contre son lit, et ouvrit les yeux, posant son regard sur son amie, qui regardait toujours le sol. Alana expira doucement. Son pouls s'était calmé, autant que son humeur. Maintenant elle avait cette boule dans la gorge, cette boule de tristesse, de peur, de regret. « Je suis désolée. » souffla-t-elle. « Mais donc, la mozzarelle est restée sur la pizza juste pour tenir compagnie au chorizo ? Alors que le chorizo a cuit la mozzarelle pour lui montrer que lui ne fondait pas ? » Alana ne comprenait pas comme Junie avait pu réagir comme ça. Lui mentir pendant tout ce temps, juste pour ça ? En même temps, il est vrai que ses craintes étaient fondées, sûrement que ce qu'elle craignait aurais eu lieu, mais cela n'empêchait pas la Kauffman de penser que c'était débile. Surtout combien on pouvait être débile parfois. Qu'on soit jeune ou pas, d'ailleurs. Alana récupéra sa voix et sa force. « Mais quand même, tu trouves pas que c'était un peu exagéré ? Nous le cacher pendant si longtemps ! » Puis elle haussa les épaules, abattue. Dieu sait ce que ses colocataires feront lorsqu'elles l'apprendront. Peut-être valait mieux qu'elle le garde pour elle..

On dit qu'après le calme vient la tempête. Entre les deux jeunes filles, cela avait été l'inverse. Après s'être gueulées dessus, se balançant des méchancetés à la figure, le calme revenait dans la maison n°34, et les deux amies soufflaient, en pleurs. Alana n'avait pas répliqué aux derniers cris car elle avait été trop choqué. Junie, prendre ses clics et ses claques et partir ? Ce ne serait pas possible. Comment la maison pourrait-elle alors rester calme ? Si elle n'était pas là pour raisonner ses amies, ça partirait vite en bagarre générale. Et elles pouvaient dire définitivement adieu au silence. D'ailleurs, un silence s'installa entre les deux jeunes filles, qui réfléchissaient à ce qui venait de se passer, chacune de son côté. Alana n'aurait jamais pensé ça. Junie venait de lui faire découvrir un autre aspect de sa personnalité qu'elle, ni aucune autre des filles sûrement, ne connaissait. Elle s'était alors calmée et s'était excusée. la douleur la rendait folle, et elle s'en prenait à la première personne venue. La blonde répondit au sourire de son amie, qui tourna la tête pour s'allonger par-terre. Alana, pour sa part, resta assis contre le lit, une jambe pliée, l'autre allongée. Elle l'aurait bien pliée, mais elle ne pouvait pas.. Inspirant un bon coup, elle soupira. Au moins, tout était expliqué, et elle comprenait maintenant mieux ce qui se passait dans la vie de sa meilleure amie. Souriant de nouveau, elle se sentit soulagée. Tout ce temps elle avait cru que Junie cachait quelque chose de beaucoup plus lourd. Non pas que ce ne soit pas lourd, le fait d'avoir été aveugle était une souffrance, mais au moins, rien ne se tramait contre elle. Et elle apprécia le fait que Junie lui en parle, qu'elle sache qu'elle était digne de confiance.

Après un moment, Alana finit par briser le silence. « J'imagine que t'en a pas parlé aux autres ? » Elle ne voulait pas faire de bourde. C'était mieux si elle savait qui était au courant ou non, comme ça elle ne risquait pas de lâcher le morceau par inadvertance. C'est fou comment ce genre de choses sortent facilement ! Junie lui confiait quelque chose de personnel, Alana n'allait pas trahir sa confiance, mais elle préférait tout de même savoir quoi. Puis elle décida de changer un peu de sujet. Cela faisait longtemps qu'elle et Junie ne s'étaient pas parlées. « Et sinon, il se passe quoi dans ta vie ? Désolée, en ce moment je bosse beaucoup, j'essaye de rattraper mon boulot, avec ma jambe c'est pas facile et tout.. Bref, j'aimerais savoir un peu comment tu vas, si tu vois quelqu'un, et tout.. » fit-elle avec un sourire. Elle était un peu larguée côté relations amoureuses de ses amies, et elle comptait bien montrer à Junie que ce qu'elle avait avoué ne changeait rien à leur amitié. Ce n'était pas une connerie du style qui allait tout changer. Après tout, elles avaient quand même passé toutes ses années à tout se dire, elle ne voyait pas pourquoi cela changerait.