Elles étaient somptueuses ces fleurs. Un bouquet tout en couleur, entouré de roses blanches. Celles destinées aux enfants, comme on disait. Maureen les redisposa correctement et fit en sorte que la répartition soit parfaite. Elle y tenait bien que cela semblait avoir peu d'importance. Elle y tenait. Tessa le méritait amplement et cela, personne ne pouvait le démentir.
La mère de famille s'agenouilla délicatement devant une tombe dont la pierre semblait encore très neuve. Tant mieux. Elle y déposa de la même manière le bouquet de fleurs sur l'herbe, bouquet dont elle réarrangea encore les bouts. Il fallait que ce dernier soit parfait après tout. Tessa aimait les marguerites. Elle aimait également la neige, mais ça, Maureen ne pouvait la ramener d'elle-même. Sur la tombe étaient gravées les inscriptions de le jeune fille défunte, sa date de naissance et sa date de mort. "Fille, soeur et meilleure amie" suivit cette ultime torture. Un sourire apparut sur les lèvres de Maureen. Un sourire triste. "J'ai changé tes fleurs, j'espère qu'elle te plairont" Elle n'avait jamais l'habitude de parler ainsi, à voix haute. Elle n'en voyait jamais l'utilité, jugeant que le silence était roi à travers ces lieux. Ce jour était différent visiblement. La mère de famille ressentait le besoin de sentir la présence de la sa fille, qu'elle soit fictive ou non. Toute la famille Hamilton avait passé Noël sans elle. Encore une fois. De plus, cela faisait très longtemps qu'elle n'était pas allée visiter sa tombe. Pourquoi ? Pas par lâcheté. Non. Juste parce qu'elle se voyait occupée de toute part et ne n'avait jamais la chance d'y aller. Mais parfois, oui, il y avait un soupçon de lâcheté qui traînait autour de son esprit. Il s'agissait, là, d'un sentiment fort incontrôlable. Elle le savait, mais l'ignorait d'un simple revers de main.

Son regard se tourna vers une voiture. Celle par laquelle elle était sortie, et par laquelle elle rentrerait tout aussi bien. Elle attendit que son mari en sorte lui aussi. Il devait venir, se joindre aux paroles futiles de Maureen et peut-être parler au nom de sa fille. Parce que ce jour était bel et bien un jour exceptionnel. Et c'était le jour de l'anniversaire de Tessa Hamilton.

En ce triste jour de février, Tessa aurait eu vingt ans. Dans un monde plus juste et plus beau, les Hamilton auraient invité la famille Evans à dîner et ils auraient tous chanté joyeux anniversaire autour du gâteau, sauf Elin, évidemment. Ils aurait offert quelques présents à la jeune Tessa qui les aurait remercié de son plus beau sourire. Elle aurait insisté pour organiser une fête avec ses amis, et un long débat se serait ensuivi entre elle, soutenue par ses frères et soeurs, et ses parents. Finalement, Maureen et Nolan aurait cédé à la condition qu'un adulte responsable supervise la soirée. Il y aurait peut être eu de l'alcool, voire de la drogue, des baisers échangés dans les recoins sombres, beaucoup de rires et d'embrassades. Cela n'aurait pas été bien méchant. Cela aurait été ce que méritait Tessa après tout, des vingt ans pleins de joie et de vie.

Malheureusement, la réalité était bien loin de tout cela. Pour ses vingt ans, Tessa avait droit à la triste visite de ses parents sur son nouveau lieu d'habitation: le cimetière de Magnolia. Nolan était encore dans la voiture, tandis que sa femme était déjà sur la tombe de leur fille. Il lui fallait toujours quelques minutes avant de sortir de l'habitacle rassurant qu'était la voiture familiale. Il souhaitait aussi laisser du temps à Maureen pour s'exprimer dans l'intimité. Il savait qu'elle aimait parfois parler à voix haute comme si elle s'adressait à Tessa. Le père de famille ferma les paupières et inspira fort avant de sortir dehors. Il ferma à clé la voiture et marcha d'un pas mal assuré jusqu'à la tombe de Tessa. Il connaissait le chemin par coeur, il aurait pu y aller les yeux fermés tant il avait l'habitude de parcourir ces allées, de fouler cette herbe mouillée.

Il rejoignit sa femme et se posta à ses côtés. Elle avait déjà posé le bouquet de roses sur la pierre. Doucement, il prit sa main en signe de réconfort, et de l'autre fit le signe de la croix. Il n'était pas catholique pratiquant, mais avait reçu une éducation religieuse et cela faisait partie de lui. Depuis le décès de sa fille, il avait retrouvé une certaine relation avec le Seigneur. C'était la seule façon pour lui de se dire que Tessa était sous la protection de quelqu'un, et pas de n'importe qui: le Créateur. Il porta son regard sur les inscriptions gravées sur la tombe de sa fille et esquissa un sourire triste. Venir sur sa tombe était à la fois délicieux et destructeur: il avait le sentiment de la retrouver, mais dans le même temps, il réalisait qu'il l'avait perdue à jamais. Nolan n'avait pas encore réussi à faire son deuil, à canaliser ses émotions, à savoir comment réagir pendant ce genre de situation. Il ne savait pas s'il devait sourire ou pleurer, être soulagé ou torturé... alors c'était tout cela à la fois. Après le sourire, les larmes lui montèrent aux yeux et il tenta de cacher sa peine en enfouissant le nez dans son écharpe. Il ne devait pas fléchir.

A travers ses yeux embués de larmes, il aperçut une petite mésange se poser sur le haut de la tombe. En plein hiver, il était rare de voir ces petits oiseaux sortir le bout de leur nez. C'était comme si, elle aussi, venait se recueillir pour les vingt ans de Tessa.

Nolan ne tarda pas à venir la rejoindre, à sa manière. Il resta silencieux tout du long. Maureen pensa qu'il en était mieux ainsi pour lui. Elle connaissait si bien son mari. La mort de Tessa l'avait profondément affecté, bien plus que le reste de la famille. Parfois, la mère au foyer se sentait égoïste face à cette situation : elle ne se sentait pas aussi anéantie que son mari. Elle l'était toujours évidemment au fond d'elle mais Nolan avait été le dernier à se relever de cette histoire, le dernier à pleurer. Et il y avait Maureen, celle qui l'avait soutenu à son tour, celle qui s'était juré de ne jamais le laisser sombrer. Et elle avait tenu sa promesse.
Il lui prit doucement la main, puis fit le signe de croix. Cela n'étonnait pas Maureen. Depuis la mort de leur fille, il s'était davantage tourné vers la religion et cela eut pour effet de rassurer sa femme : il se raccrochait à quelque chose et cela ne pouvait qu'être bénéfique pour lui. Un très faible sourire apparut sur les lèvres de Maureen, une manière de lui montrer de la compassion. Il comprendrait après tout. Il comprenait toujours.
Elle jeta un nouveau coup d'oeil en direction de son mari, qui tentait comme il pouvait de retenir ses larmes. Son sourire maladroit avait disparu alors elle resserra l'étreinte qu'elle exerçait sur sa main. "Tout va bien" chuchota-t-elle de la manière la plus délicate possible. Quelques secondes passèrent et un oiseau se posa sur la tombe de Tessa. Une Mésange. Et une belle. Un nouveau sourire apparut à travers Maureen. De belles roses, un bel oisillon. Elle avait la sensation que quelque chose prenait vie autour d'eux. Tessa probablement. Certainement. "Tu crois qu'elle est aussi venue pour Tessa ?" se demanda-t-elle en en observant calmement la Mésange.

Spoiler:

Maureen était là, toujours, pour lui rappeler son soutien sans faille. Mais aussi pour lui rappeler que des deux, c'était bien elle la plus forte. Il était conscient que jamais il n'aurait été capable de surmonter cela sans elle. Enfin, surmonter, pas vraiment, plutôt survivre à cela. Car il était clair que Nolan était encore loin d'avoir surmonté cette épreuve. Tout va bien, prononça-t-elle doucement. Etait cela sa solution miracle ? Se répéter inlassablement que tout allait bien ? Mentir aux autres et à soi même ? Lui en était incapable. La peine était trop immense, le souvenir trop présent pour tenter ne serait ce qu'un instant de prétendre. Il avait renoncé deux ans auparavant à être heureux à nouveau.

Ouais.

Un simple ouais pour répondre à sa question, la voix étranglée par les sanglots. Il baissa la tête pour ne plus voir cette tombe et les larmes se mirent à couler. Il lâcha sa main et repartit dans la voiture. En tout et pour tout, il avait du tenir 7 minutes. Beaucoup le trouvaient faible, sans volonté pour sortir de sa dépression. Lui se sentait impuissant face à sa peine. Impuissant à surmonter les choses pour lui, mais aussi pour sa famille. Parfois, il semblait reprendre le dessus, il redevenait sociable et souriant. Mais aujourd'hui il n'en était pas capable. Les deux mains appuyées contre le volant, la tête posée contre l'appui-tête, il attendit que Maureen le rejoigne.