Cette soirée était tout sauf une bonne idée. Le couple Lorenzo-Summer était au plus mal. Sur une échelle de un à dix, le professeur situait à vingt le niveau de crise. Et il avait encore l'impression de sous évaluer la situation. Le chaos régnait chez eux, tantôt ils se disputaient comme deux vulgaires chiffoniers, tantôt ils s'ignoraient, comme deux étrangers ne partageant qu'un toît. Lorenzo était parfaitement conscient d'être en grande partie le responsable de cette dégradation malsaine, pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à Summer. Leur fin semblait proche, pourtant, il avait suggéré leur inscription à ces dîners arrangés. Dernière tentative ultime et irréaliste d'un vieux fou animé par l'espoir irraisonné de sauver son mariage, alors que la navire semblait déjà bien coulé. A côté, le nauvrage du Titanic s'apparentait à un vulgaire bateau en plastique martyrisé lors du bain d'un enfant de 3 ans. Leur mariage, c'était une vraie tempête, percutée par des miliers d'icebergs à n'en plus finir. Mais c'était aussi une raison de se battre, encore et encore, au nom de cette cause qui n'était pas encore perdue, tant qu'il restait un fou prêt à y croire.

Mais quand Lorenzo reçut la fameuse invitation, son visage se décomposa. Ce fameux restaurant, responsable de la descente aux enfers accélérée de leur couple. Ce fameux soir, où Lorenzo invita Summer pour dîner, où l'animateur le reconnut et se souvint l'avoir croisé avec cette brune si célèbre qu'elle ne méritait même plus d'être nommée. Ils s'étaient engagés, ne pouvaient plus se défiler, mais la soirée promettait d'être houleuse.

Quand ils arrivèrent, ils étaient encore silencieux. Leurs échanges se résumaient désormais à des paroles conventionnelles, et quelques commentaires sur leurs journées de travail respectives. Lorenzo fit néanmoins preuve de galanterie, et tira la chaise de sa femme pour qu'elle s'asseoit. Avant de faire de même, il jeta un coup d'oeil aux cartons de leurs compatriotes d'un soir. Sara et William, deux de ses élèves. Au moins, il n'avait jamais eu d'aventure avec elle. "Sara et William ... tu les connais bien ?"

William remontait la rue, en serrant au creux de sa main celle de la jolie Van Wagner. Il caressait machinalement ses doigts du bout du pouce, tout en songeant à la soirée à venir.
Summer et Lorenzo. Passer sa soirée de St Valentin avec l'équipe pédagogique de choc de la Sterling High School, voilà qui promettait d'être original. Original ou complètement étrange, à vrai dire il ne le savait pas encore. Lorsqu'il avait vu leur noms apparaître sur le carton d'invitation, le Livingstone avait bien faillit s'étouffer trois fois. Oh, il n'avait rien en particulier contre le personnel de son lycée, loin de là. Même s'il ne connaissait pas plus que ça Summer, elle avait l'air d'être une de ces personnes douces, dévouées, qui arrivaient à voir le bien même dans les pires cas désespérés. Un genre de mère Thérésa, en quelque sorte. Lorenzo quant à lui était un bon professeur, et William un élève modéle. Leurs rapports avaient toujours été polis et courtois, mais au fond, William ne pouvait s’empêcher de se méfier de lui. Il avait toujours perçu le professeur comme étant un séducteur né, ce qui ne lui avait jusqu'alors pas posé de problème... jusqu'à ce qu'il se mette à filer le parfait amour avec sa soeur Jersey. Bon, leur relation s'était terminée sans trop de dégâts, et les deux anciens tourteaux avaient même réussi à devenir amis. L'histoire aurait put se terminer ici, mais malheureusement ce ne fut pas le cas : lorsque que William sortait encore avec Montaine, il n'avait pas put s’empêcher de remarquer avec quelle insistance celle ci tournait autour de son professeur. Aie, on avait joué avec son orgueil de mâle dominant, touché, coulé ! Depuis, William fuyait le professeur comme la peste, malgré son apparente courtoisie. Cette situation lui convenait comme ça, et à vrai dire il aurait encore put continuer son petit manège un bon moment.
Mais le destin, le harard, cupidon ou que sais je, bref, que chose avait décidé de les réunir ce soir là. Soit. Après tout ce repas ne durerait que deux petites heures, trois à tout casser, et William pensait pouvoir survivre à ça. Du moins, il l’espérait.
Perdu dans ses pensées, il regagna la terre ferme lorsque son regard croisa celui de Sara. Sa petite amie était absolument ravissante ce soir là, et William sentait que derrière cette charmante tenue devait probablement résulter de longues heures d'essayages passées devant le miroir. Mais le résultat en valait la peine. D'ailleurs, lorsque William était passé la chercher chez elle et qu'elle avait ouvert la porte, ses premiers mots furent pour complimenter la jeune fille.
A présent, William était bien content qu'elle soit à ses côtés pour affronter ce dîner. Il lui adressa un sourire, et prenant soudainement conscience de son mutisme durant ces dernières minutes, il se décida enfin à ouvrir la bouche.

« - Ca va, pas trop stressée ? »

Cela étant, William s'arrêta devant l'adresse qu'indiquait le carton d'invitation. Il jeta un coup d'oeil au bâtiment qui lui faisait face.

« - Oh, je crois que c'est ici, marmonna t-il plus pour lui même qu'autre chose. »

Sans plus attendre, il prit une légère inspiration avant de d'ouvrir la porte du restaurant, et s’effaça pour laisser rentrer sa belle.

Quelle folie s'était emparée de Sara ? Elle-même ne le savait pas. Mais cette démoniaque emprise l'avait poussée à accepter un dîner de Saint Valentin organisé par la mairie. Elle savait pourtant que chaque évenement était sujet à quelques histoires désagréables et étranges. En date, la disparition de Naya Freeman. Sara n'avait jamais eu l'occasion de parler avec la métisse, mais elle lui vouait un culte, comme à toutes ces filles populaires, belles et connues qui peuplaient Magnolia Cresent. Alors ce dîner ressemblait plus à un suicide express ordonné par la municipalité.
Malgré tout, elle était ravie de passer ses dernières heures en compagnie de William. C'est pourquoi elle s'était parée d'une robe magnifique, velours rouge qui rehaussait ses cheveux dorés. Elle s'était ainsi assurée d'être belle pour l'apocalypse. Ses cheveux ondulaient sur ses épaules recouvertes d'un blaser, qu'elle ôterait sitôt installée au restaurant. Ils étaient d'ailleurs enfin arrivés, main dans la main.

-Non, pas du tout, mentit Sara qui s'imaginait déjà agonisante à cause d'une surprise malencontreuse dans la nourriture.

Elle avait caché son angoisse par un joli sourire, et William ne parut rien déceler. Il lui ouvrit finalement la porte, galant, et elle pénétra dans sa dernière demeure. C'était ravissant, vraiment. Elle sentait les étoiles dans ses yeux; mais fallait-il avouer que les propriétaires avaient certainement sorti le grand jeu à l'approche de la fête des amoureux ? Un hôte vint les trouver aussitôt, et William présenta son carton d'invitation. L'homme les fit parvenir jusqu'à une table où étaient déjà assis Lorenzo et Summer, leurs voisins de table. La perspective de profiter d'un repas avec des adultes n'effrayait pas Sara. Elle trouvait Lorenzo très agréable en tant que professeur, en dépit des rumeurs plus ou moins fondées véhiculées à son sujet. Et Summer était d'une douceur extrême, elle lui enviait beaucoup sa patience. Cependant, il y avait bien une chose qui posait problème à Sara : devrait-elle tutoyer ou vouvoyer le couple ? Ah, dur dilemme.
Saluant les deux amoureux d'une adorable courbette, la jeune fille se dépêcha de prendre place.

-Je... je ne sais pas si je dois vous tutoyer ou non, lâcha la demoiselle pour enfin obtenir une réponse à ses questions.

Elle avait rougi une seconde, mais avait serré le poing pour récupérer une couleur de peau naturelle. Sara voulait faire honneur pour cette dernière soirée, elle devait donc être assurée et bien se tenir.

Summer connaissait à peine William et Sara, au fond elle était chanceuse. Le professeur ayant les deux adolescents dans sa classe, la discussion risquait d'être bizarre, du moins au début. « Eh bien ils sont tous les deux dans ma classe, donc oui je les connais, mais ils me causent peu de problèmes » expliqua-t-il, plus pour meubler que pour informer réellement sa femme. Un dîner avec des élèves pouvait semblait spécial, Lorenzo aurait pu penser qu'ils épuiseraient vite les différents sujets de conversation commun, et qu'ils finiraient par se taire, tous les quatre. Mais, au fond, c'était les blancs de conversation avec sa femme, qui l'effrayaient encore plus. Que leur couple soit désormais un désastre était une chose, mais que tout le monde l'apprenne était une autre, dont le professeur se serait bien passé. Et dire que, il fut un temps, tout le monde enviait leur idylle parfaite. Mais le titre de "jeune marié" était comme celui de "jeune conducteur" (oui j'enlève mon A dans quelques mois alors je fais les comparaisons que je veux voilà), au début, on fait très attention sur le chemin, le regard vif on guette la moindre péripétie. Puis, on prend l'habitude, le stress disparait au fur et à mesure que l'on s'affale dans un train train quotidien, dénué de romantisme. Les sentiments sont toujours là, mais ils se cachent, à croire que ça les amuse. Aujourd'hui, Lorenzo et Summer avaient atteint un stade inattendu, insoupçonné, mais surtout impossible à gérer. Chacun avait muté en une personne différente, inconnue de l'autre. Lorenzo, en acte, était toujours resté fidèle à sa femme. Mais ses pensées ressemblaient à un film interdit aux moins de 18 ans. Et dire qu'il aurait pu être le héros d'une de ces comédies romantiques qui commencent bien, se déroulent bien, et finissent sous des effluves de roses, de mots doux et de niaiseries. Mais dans ce genre de navets, l'héroïne était rarement rousse. Summer, quant à elle, évitait son mari comme la peste. Elle cherchait à se préserver de cet homme qui ne la méritait pas, il ne pouvait pas la blâmer. Pourtant, ce soir, elle se laissa aller, lui confia ses états d'âme. Elle avait peur. Il fut surpris d'avoir sous ses yeux une Summer si familière, sa Summer, celle que tant admiraient, mais que tout impressionnait. Il posa maladroitement sa main sur celle de son épouse. « Ça va aller, c'est un dîner, fait pour passer un bon moment, pas un examen » Cette allusion à son travail brisa l'atmosphère amoureuse qui s'était créée entre eux, Lorenzo jura contre lui même. Heureusement, l'autre couple les rejoignit.

Fidèle à ses habitudes italiennes, le professeur se leva à l'arrivée de Sara et William, car jamais on ne salut quelqu'un en restant assis. Sara fut la première à prendre la parole, Lorenzo fut étonné. Il ne connaissait pas vraiment son élève, mais une chose l'avait frappé : elle était discrète et timide. Un peu comme sa femme, en somme. Mais Summer lui avait montré récemment : il faut se méfier de l'eau qui dort. « De même, donne-moi du tu, mais seulement pour ce repas ! » Il sous-entendait bien évidemment que, de retour en classe, le vous serait à nouveau de mise. Mais histoire de ne pas passer pour le gros professeur ringard et relou qui parle tout le temps des cours alors que c'est trop la louse, et afin de montrer aux djeun's qu'il était un teacher cool et délir' (oui il pense comme les djeun's), il avait gardé sa réflexion sur le ton de l'allusion. Heureusement, William et Sara faisaient partie des élèves assez intelligents pour comprendre seuls, ce qui n'était pas le cas de tout le monde.

Une fois ces modalités passées, Lorenzo décida de prendre les choses en main, et attrapa son menu. L'invitation le précisait : le repas était à la carte (oui la municipalité est riche). Seulement le professeur se retrouva vite face à un obstacle : et si les deux ados souhaitaient boire un alcool ? Lorenzo risquait de passer pour un gros relou s'il faisait une remarque, mais également de se faire enguirlander s'il ne réagissait pas. Il avait soudain l'impression d'être un parent avec ses enfants, mais chassa bien vite l'idée de sa tête. « Vous souhaitez un apéritif ? » Le concept d'apéritif pouvant englober des boissons sans alcool, comme des jus ou des cocktails, il était sauvé, pour quelques minutes de plus. Attendant que ses compatriotes répondent, il jeta un premier coup d'oeil au reste de la carte, à la recherche de ce qu'il dégusterait ce soir.

Déjà attablé, le couple Di Mascio attendait patiemment les deux retardataires. Ceux ci les rejoignirent bientôt, guidés par un serveur passablement débordé. Lorsqu'ils arrivèrent à leur hauteur, William les salua avec un sourire engageant.

« - Bonsoir ! Excusez nous, j'espère que vous ne nous avez pas trop attendu. »

William regarda les deux conjoints avec une curiosité contenue. Ce soir, les Di Mascio quittaient leur piédestal d'éducateurs, pour ne laisser qu'un homme et une femme, tout à fait ordinaires. La situation semblait presque irréaliste : qui aurait cru que William passerait un jour sa St Valentin avec son équipe pédagogique ? Mieux encore, qui aurait cru qu'un jour que Summer soit aperçue hors du bureau qu'elle occupait, et que Lorenzo porte un jour un pantalon qui ne soit pas recouvert de traces de craie ? Tout ce passait exactement comme si les deux amants quittait pour la première fois le monde abstrait de la Sterling High School pour se transformer en personnes à part entière. Soudain, William réalisa qu'il ne savait quasiment rien de ces gens avec qui il vivait cinq jours sur sept. Ce dîner était justement l'occasion parfaite pour remédier à ça.
Les Di Mascio devaient partager cette idée, puisqu'aussitôt après les avoir salués, ils autorisèrent les deux lycéens à les tutoyer, le temps d'un dîner. William acquiesça avec un sourire. Il avait très bien comprit le message : what's happen in Madison Restaurant stay in Madison Restaurant !
Puis, une fois n'est pas coutume, Lorenzo proposa un appétitif. Cette proposition étonna William. S'agissait il d'une sorte de test ou de quelque chose du même gout ? Dans le doute, il préféra décliner prudemment l'offre.

« - Non merci, rien pour moi. Je profite déjà de l'ivresse que m'apporte cette charmante compagnie, plaisanta t-il en regardant Sara. »

Il adressa un sourire à la jeune fille, avant de reporter son attention sur la carte où les noms des plats défilaient par dizaine. Mais cet instant culinaire fut de courte durée, car il fini par s'interrompre pour demander :

« - Au fait, je ne vous ait pas demandé... Qu'est ce qui vous a poussé à vous inscrire à ce dîner ? »

Tant qu'à lancer un sujet de discussion, autant éviter un sujet trop polémique. Enfin, du moins, c'est ce que William avait espéré.

Sans hésiter une seconde, et avec un soupçon d'humour, la jolie rouquine refusa d'être vouvoyée plus longtemps. Sara acquiesça en un sourire, et attendit la réponse de son professeur. Pour dire vrai, elle espérait qu'il accepte à son tour, sans quoi elle risquait de mélanger ses autorisations. Evidemment, Lorenzo approuva son idée, mais précisa dans un sous-entendu que ce n'était possible qu'en ce repas. Sara n'avait jamais pensé qu'il pourrait en être autrement, aussi, elle ne fut pas surprise.
A la lecture de la carte, Lorenzo proposa à sa table un apéritif, ce à quoi William répondit qu'il se noyait suffisamment dans l'ivresse d'avoir une petite amie comme Sara. Sans contrôle, la jeune fille piqua un fard et baissa la tête gênée. William était un garçon sincère, et il n'était pas rare de le voir faire des compliments à sa belle. Mais face au couple d'adulte, la demoiselle eut l'impression que c'était un peu déplacé. Cependant, elle ne fit aucune remarque : son teint était déjà assez explicite. S'efforçant de retrouver une once d'aise, Sara accepta la proposition de Lorenzo. Enfin, pour elle, il n'était pas question d'alcool. Elle n'en avait pas l'habitude et préférait de loin la légalité relative à son jeune âge.

-Je prendrai juste un diabolo grenadine, répondit-elle en un sourire.

Elle glissa un œil sur ce que son chéri faisait et trouva que son initiative de choisir son repas était une grande idée. Elle l'imita dans la seconde, s'attardant sur des mets au poisson, chose qu'il était rare de trouver chez elle. L'argent chez les Van Wagner ne coulait en effet pas vraiment à flot. Et si des produits frais arrivaient sur table, c'était bien pour une occasion particulière. D'ordinaire, Sara se contentait de surgelés ou de préparations industrielles ou encore de conserve. A vrai dire, cela ne la dérangeait pas vraiment. Rares étaient ceux qui venaient chez elle pour critiquer ses habitudes alimentaires. Mais malheureusement pour elle, la carte du restaurant était bien garnie et il y avait de nombreux plats qu'elle espérait goûter un jour. Le choix s'avérait cornélien.
La tirant de ses doutes et interrogations passagers, William s'enquit de demander à ses voisins ce qui les avait poussés à s'inscrire à ce repas. Sara acquiesça : c'était une question intéressante, et cela animait sa curiosité. Sans quitter son sourire trop poli, elle attendit la réponse de l'italien et de la rousse, sans se douter une seconde que William avait peut-être mis le doigt sur un point un peu trop sensible...

Alors que Sara demanda poliment un diabolo grenadine, William envoya du lourd, high level rpz, en prétextant que sa petite amie l'enivrait déjà suffisamment. Lorenzo se contenta de sourire, s'abstenant de tout commentaire. Il héla donc un serveur, pour commander le diabolo grenadine, et deux coupes de champagne pour sa femme et lui, ainsi qu'une bouteille d'eau plate. Honnêtement, la prestation de William-Roméo l'avait mis en rogne. Il imaginait déjà, ce soir, Summer lui reprocher sur un ton las, qu'il ne lui servait jamais de compliments aussi mignons. En plus, Lorenzo était un homme, et selon le code de bonne conduite des hommes en couple, ce compliment mielleux que William servait à Sara n'était certainement pas gratuit. Peut-être avait-il une mauvaise conduite à racheter, peut-être essayait-il de conclure avec elle en vain ... Mais ça, aucune fille n'en avait jamais conscience. Il se retint cependant de soupirer, il aurait tout le temps ce soir.

De toute façon, William leur servait déjà un deuxième plateau de soucis. A croire que ce jeune homme s'employait à leur mener la vie dure, ce soir. Lorenzo soupçonnait déjà Curtis d'avoir payé William pour faire vivre un calvaire à son meilleur ami, ça lui ressemblait tellement. Summer entreprit de répondre avant lui, et enjoliva la vérité d'une jolie manière. « Oui voilà, l'idée était intéressante, et ça changeait d'une saint Valentin traditionnelle ! Et vous alors ? » De toute façon, Lorenzo aurait dit oui à tout. Une soirée dans un parc d'attractions, ou même dans une ferme, en campagne, pour traire des vaches en amoureux, en mode l'amour est dans le pré, un télécrochet français dont il avait entendu parler dans un article sur la téléréalité. Il entrevoyait déjà la scène, d'autres couples batifoleraient dans la paille, amoureux, et eux s'occuperaient bien sagement de leurs vaches. Si William continuait à les mettre face à leur situation désastreuse de la sorte, Lorenzo déprimerait avant la fin de la soirée, une soirée dont il voyait de moins en moins le bout. Alors, prenant le taureau par les cornes, il se concentra sur son menu, afin de choisir rapidement son repas, de commander au plus vite, et d'accélérer le cours des choses.

« Alors vous avez fait votre choix ? » demanda-t-il à sa tablée, alors qu'il hésitait finalement entre deux derniers plats. Ne sachant si commander une entrée était de mise, il préféra d'abord écouter les autres, avant de se prononcer.

La couleur écarlate qui s'empara des joues de Sara firent office de réponse à l'inspiration lyrique de William. Mais ce dernier ne s'en alarma pas : il était habitué à ce genre de démonstration de sa part. Pour tout dire, il trouvait cette réaction plutôt charmante.
Avec ses cheveux blonds, ses yeux bleus et son rose aux joues, beaucoup auraient été tentés de faire un rapprochement entre la douce Van Wagner et une petite poupée de cire. William, lui, savait que la réalité était toute autre. Le jeune homme ne jouait pas aux poupées, du moins plus depuis que son engouement envers l'équipe de Cheerleader du lycée s'était apaisé. Il ne niait pas qu'à une certaine époque, le plus jeune le plus jeunes des Livingstone avait enchaîné les flirts anodins. Cette collection pour le moins originale s'éloignait quelque peu des classiques cabinets de curiosité ou encore du traditionnel album de philatélie, certes. Mais dorénavant, il avait dit adieu aux figurines de cire, et était passé à un idéal féminin moins artificiel. C'était ainsi que son chemin avait croisé celui de Sara. C'était ainsi que, prêt de quatre mois plus tard, son flirt de lycéen s'était quelque peu prolongé, et la jeune fille lui faisait aujourd'hui l'honneur de sa présence lors de cette soirée de Saint Valentin. Cependant, au moment de répondre à la question que lui adressait Summer, il raccourcit ses pensées profondes à quelques banalités.

« - Oh, plus ou moins pour les mêmes raisons que vous : l'originalité, l'occasion de sortir un peu... C'est notre première St Valentin, avoua t-il, on a trouvé que ce serait une bonne idée pour marquer le coup. »

William adressa un regard en coin à Sara, cherchant son approbation. Cette dernière semblait être plongée dans son menu, et le jeune homme ne tarda pas à l'imiter. D'instinct, il se pencha sur les plats de viande rouge. Être William Livingstone à temps plein demandait de l'énergie, beaucoup d'énergie, et toutes formes de protéines étaient les bienvenues. S'attardant sur le noms de ces mets sanguinaires, il répondit machinalement à la question de son professeur de mathématiques.

« - Je crois que je vais me laisser tenter par un rôti de bœuf à la paysanne... A condition que ce soit vraiment du boeuf, ajouta t-il, malicieux. »

Spoiler:

Oui, William avait tout dit. C'était leur première Saint-Valentin et s'il convenait de passer cette célébration entre amoureux, rien ne la bornait à deux. Pourquoi pas quatre ? C'était en ce sens que William et Sara s'était mis d'accord : ils profiteraient de l'occasion, de l'événement même, organisé par Magnolia Cresent pour partager un repas avec un autre couple. Cependant, ils ne s'étaient pas imaginé qu'ils tomberaient nez-à-nez avec l'équipe pédagogique du lycée. D'une certaine manière, la surprise passée, Sara acceptait cette rencontre plutôt insolite.
Sans même prendre la peine d'acquiescer, Sara se replongea dans le menu. Il y avait beaucoup de choix -trop?-, et elle était prise de vertige tant l'hésitation faisant basculer d'un côté ou de l'autre ses papilles. Lorenzo s'impatientait du choix des jeunots, et William n'eut aucun mal à prendre une décision. Du bœuf, autant dire que ça n'étonnait pas la jeune fille. Le Livingstone était un sportif, un athlète, un amoureux des protéines et de la viande bien rouge et saignante. Mais prise d'un gros doute, Sara ne savait plus quoi choisir. Son regard se porta tout naturellement vers Summer : qu'allait-elle prendre ? Peut-être pourrait-elle se baser sur ce que la rouquine choisirait, pour ne pas paraître trop stupide ? Ah, c'était terrible de ne pouvoir prendre une décision seule sans se poser des milliards de questions en suivant.
Pour autant, Sara savait qu'elle ne pouvait hésiter plus longtemps. Aussi, par un tirage au sort presque trop hasardeux, elle vit apparaître sous son doigt : « Cannelloni de langoustine et sa verdure ». Outch, c'était l'inconnu. La langoustine, ça avait goût de crevettes ? Sara n'avait jamais eu l'occasion d'en manger, c'était certainement le genre de plat qu'elle ne pouvait s'offrir. Et elle n'osa pas vérifier son idée auprès de William, de peur d'être ridicule. Son doigt se souleva et reprit sa course folle jusqu'à retomber jusqu'à un autre plat. Ah, voilà qui l'effrayait moins. Elle était même sûre d'aimer, un risotto aux champignons de Paris. En soi, c'était très commun, mais bien réalisé, Sara savait que ce pouvait être une tuerie. Elle s'était d'ailleurs déjà exercé à ce sujet, avec Elena en guise de cobaye.
Le serveur apparut presque aussitôt, et Sara put annoncer son choix. Elle souriait très franchement, impatiente de goûter à cette petite gourmandise à la crème.

-Dites, ça ne vous dérange pas de travailler au même endroit ? S'interrogea la blonde, sans penser une seconde qu'elle mettait le doigt sur un détail difficile de leur existence.