Aujourd'hui, c'était dissection avec les étudiants de Thomas Jefferson University. J'avais déjà du mal à me débrouiller dans ma propre filière, ce n'était pas dans celle des autres que j'allais exceller. En plus de cela, on n'y allait pas pour suivre un cours, mais pour enseigner, pour aider. Je plaignais d'avance pour futur camarade de paillasse... Je m'étais levé avec lassitude, étais passé sous la douche en écoutant de la musique pour me réveiller un peu, avais phasé sur ma boîte de Miel Pops et m'étais rendu en voiture jusqu'à l'université en question.
Cela devait faire deux semaines que je n'avais pas passé de nuit tranquille, sans avoir bu avant, sans avoir fumé, sans passer la nuit avec des filles dont parfois je ne me souvenais même plus du nom. Souvent, je me retrouvais le matin en compagnie d'une jolie demoiselle... Mais habillés... Je n'avais même pas le plaisir de me dire que j'avais passé une nuit torride et mouvementé. Je ne me souvenais juste plus de ce qui s'était passé, mais je savais que cela n'avait rien de très excitant. Quoi qu'il en soit, je m'étais encore levé ce matin avec une terrible gueule de bois, mais habitué, je m'étais laissé le choix de ne pas prendre de médicament pour faire passer le mal de crâne. Après tout, les lendemains difficiles allaient avec les soirées, ce n'était pas une nouveauté et ce n'était pas cela qui allait m'arrêter.

Arrivé dans les couloirs de l'université, je rejoignis le groupe d'élève qui attendait devant une salle de classe. Je saluais mes amis discrètement et m'appuyais contre le mur, en attendant que l'on nous dise d'entrer. Un garçon passa et nous dévisagea, puis entra dans la classe. Lui non plus ne paraissait pas être vraiment prêt à disséquer ce matin. J'avais l'oeil pour repérer les fêtards... Je priais alors pour me retrouver avec lui. On nous fit entrer et un professeur fit un discours à la classe. D'un air las je levais les yeux au ciel. Qu'on en finisse maintenant... On me désigna une table. Je m'y dirigeais d'un pas las, et lorsque je relevais la tête, c'était mon copain le fêtard qui se trouvait assit là.

« Salut, Austin. Prêts à disséquer des grenouilles? » Je posais mon sac et tendis ma main vers l’intéressé, un grand sourire aux lèvres. J'avais le sentiment que ce moment avec lui allait très bien se dérouler, et peut-être changer un peu des dissections habituelles. De toute façon, je ne savais pas disséquer, je ne connaissais même pas les outils à utiliser alors...

Aller en cours le lendemain d'une cuite n'a jamais été un problème pour moi, mais aujourd'hui, on me demandait bien plus qu'"aller" en cours. Je devais aider quelqu'un à disséquer ces trucs verts que les français mangent... Si cela n'avait impliqué que moi, j'aurai dormit toute l'heure de cours et puis je serai sortie de la salle de cours deux secondes après la sonnerie comme une fleur, sans même avoir prit la peine de sortir mes affaires. Or, là, je mettais en péril les études d'une autre personne, et même si j'étais pas mal con, je ne me voyais pas être aussi égoïste. J'avais donc prit la décision de faire un effort aujourd'hui pour le pauvre étudiant qui allait m'avoir à sa paillasse... Mais, à ma grande surprise, je n'avais pas en face de moi un jeune adulte timide et chiant à en mourir, mais un mec comme moi, appelé Carl, qui avait du passé une bonne soirée à en juger par sa mine de déterré. Nous étions frères de tronche et potos de paillasse, je sentais que finalement, je n'aurai pas à me décarcasser pour essayer de trouver comment éventrer ce truc qui croasse...

« Oh! Un camarade de cuite! Je t'avouerai que oui, je suis dans la même situation que toi... Mais mon estomac doit être capable de supporter ça... Ou au pire, y'a pas un truc chauffant, on se fait des brochettes? » A en juger par ce que je venais de proposer, je n'avais toujours pas récupéré toute ma tête, il y avait des lendemains de cuite comme celui-ci où j'avais gardé cette même folie et ces mêmes idées débiles... Sans attendre que l'on nous distribue les truc visqueux, je m'amusais à toucher à tout ce qui se trouvait devant moi, comme un gamin. Je riais en jouant avec la spatule et me souvins alors que je n'étais pas seul. D'un air sérieux, je me redressais et posais délicatement la spatule sur la paillasse, puis je regardai le professeur nous distribuer les grenouilles. Si moi je savais ce que je faisais? Je riais, je ne pus m'en empêcher, et je le regardai en souriant.

« J'ai déjà du mal dans ma propre discipline, alors dans celle des autres... Mais on peut improviser, et peut-être trouver une autre fonction à tous ces objets... » Je brandis devant moi des ciseaux et affichais un sourire assez... particulier, genre à la Joker... Carl allait me prendre pour un fou, mais qu'importe, au moins je me montrai tel que j'étais réellement. Je tournais la tête vers les paillasses voisines et regardais comment se débrouillaient les autres. D'accord. Tout le monde était plus doué que moi, mais à en juger par le silence de mort qui régnait de ce côté ci de la classe, ces étudiants étaient tous coincés et ennuyeux.

« Aaaaaah! C'est quoi ça! Dégage moi ce truc!!! » Hurlais-je me reculant. Carl rit, puis je me tournais vers le reste de la classe, qui me regardait. Je haussais les épaules et regardai de nouveau mon poto. Puis je me joignis à lui. Je fus même surpris qu'il ai pensé à ça avant moi. En effet, on allait vraiment bien s'entendre lui et moi...

« Oh putain un Kebab. J'ai grave la dalle là. Tu penses que y'a un pause taleur que j'aille en acheter un...? Et oui! Ils mangent les grenouilles, et c'est très bon. Mon ex m'avait fait écouté quand j'y étais allé, c'est chelou mais vraiment pas mauvais! » J'avais tout de même passé d'excellentes vacances en compagnie de Julie. J'y étais retourné de nombreuses fois, en particulier sur Paris, puis elle m'avait fait découvrir la Bretagne et le sud. J'étais même parti au ski avec elle. Ma mère aurait été tellement heureuse que Julie et moi soyons fait l'un pour l'autre. D'ailleurs, c'était sûrement le cas, mais si elle avait été mon amoureuse lorsque j'avais onze ans, aujourd'hui, ce n'était plus le cas. Et je n'avais franchement pas envie de me prendre avec une fille qui habitait à des milliers de kilomètres de chez moi, aussi belle et intelligente soit elle. Maintenant, j'habitais avec deux filles, mignonnes toutes les deux, dont une plus que l'autre... Oui, j'avais un faible pour Nina, mais ce n'était qu'un faible, rien de plus. Je n'étais jamais tombé amoureux, et ce n'était pas aujourd'hui que les choses allaient changer.

« Oh ouais Zy-va !!» J'attrapais mes ciseaux et me mis à rabattre les lames de plus en plus vite en gesticulant dans tous les sens. Je devais avoir l'air d'un gamin. Mais qu'importe, j'en étais un après tout, alors pourquoi se cacher? Je riais et finis par poser les ciseaux, de peur de blesser quelqu'un par maladresse. Je posais mes fesses avec lourdeur sur mon tabouret (parce que oui, jusqu'ici je n'avais fait que me lever et me rasseoir toutes les deux minutes), le menton entre mes mains. J'étais las, fatigué comme jamais je ne l'avais été, et pourtant, j'avais l'habitude des lendemains de cuite. Mais plus le temps passait, et plus je me faisais chier dans ma vie, ce qui était une raison de plus pour moi d'enchaîner les soirées. Mais à la longue, elles m'ennuyaient aussi, car c'était devenu une routine, comme tout le reste...

« Non vas-y, parce que je vais la déchiqueter direct, alors vaut mieux explorer un peu avant que je l'éventre... » Marmonnais-je. Je regardai la grenouille et eut un haut le coeur. C'était vraiment dégueulasse quand même. Et dire que cette chose avait approché mon visage, et je n'avais pas crié comme une fillette voyons. Je touchais du doigt le ventre de la grenouille en grimaçant de dégoût. C'était vraiment répugnant. Je tournais donc les yeux ailleurs, histoire de penser à autre chose et de ne pas vomir mes restes d'alcool de la veille.

« Attends... T'es quoi au juste? Un psychopathe? » Austin le regardait avec des yeux ronds, les ciseaux ouverts, en position de défense. Tout naturellement, Carl lui répondit, tout en découpant la grenouille. « Bah oui, tu savais pas ? J'fais ami-ami avec les gens puis je les emmène chez moi, je les enferme dans une salle où il meurent en repirant du gaz, puis après je les coupe et - » Voyant qe Austin le regardait avec de plus en plus de dégoût, Carl continua son jeu, en enfonçant lentement et perversement la lame dans la grenouille. « 'fin, j't'en dis pas plus, ça gâche la surprise.. » fit-il, les yeux roulés. Il se retenait de rire, mais d'un force incroyable. Mais Carl était très doué pour le théâtre, même n'en ayant jamais fait, et arrivait à faire croire beaucoup de choses fausses juste en simulant. Son voisin commençait à croire à une blague, donc le Spencer enfonça la lame plus loin. « Non mais sérieusement, pourquoi tu crois que personne ne nous dit rien depuis tout à l'heure ? Ils savent qui je suis et ce que tu représente pour moi. » Il fit un grimace. « Oh, et ne tente pas de fuir, j'te rattrraperais. » ajouta-t-il en épinglant la grenouille sur le socle. Finalement non, c'était pas trop comme les cadavres de la morgue. Avec son père, yavait pas d'épingles, il y allaient à la main. Quoi ? Bah non c'est pas sale. Pas sale du tout.

« Voilà j'ai fini la découpe ! » s'écria-t-il. Il tendit l'ustensil à Austin. « Tu veux trouver les organes ? » Carl espérait tout de même ne pas donner à Austin l'envie de vomir, surtout si comme lui il avait bien bu la veille. Carl réalisa alors qu'il avait toujours pas enfilé sa blouse. Même si c'était un peu tard, il la chopa dans son sac, la défroissa un coup, et la mit sur ses épaules, boutonnant le devant. Il avait un beau t-shirt, et du sang de grenouille dessus, non merci. Il jeta ensuite un coup d'oeil à l'heure et aux autres paillasses, histoire de voir si ils étaient pas trop en retard. Et à sa grande surprise, ils étaient même en avance ! Sur le groupe devant eux tout du moins. Les cours de dissection de Papa Spencer avait donc bien servi à quelque chose. Même si Carl aurait préféré les tester sur autre chose qu'un petit animal ridicule.

Carl prenait souvent un plaisir fou à raconter des histoires fausses qui faisaient douter les gens de la vraie personnalité de Carl. Vu qu'il était vu au yeux de tous comme un personnage mystérieux, il l'utilisait parfois à son avantage pour faire croire des choses, et s'en payer une bonne. Faut dire qu'il explosait de rire intérieurement en voyant Austin hausser les sourcils au fut et à mesure de son histoire. Puis, voyant que son petit délire ne marchait pas avec lui, -et quel débile y croirait de toute façon- qui devait le trouver plus taré qu'autre chose, il pouffa de rire en reprenant son air normal. « Nan, en fait mes parents bossent dans une morgue. » Bizarrement, Carl disait ça sur un ton totalement naturel. Peut-être que plus d'un penserait que ce n'était pas quelque chose à dire, de peur d'effrayer les autres ou quoi, mais Carl non. Pourquoi cacher ce que faisait sa famille ? Surtout qu'il en était plutôt fier, un business comme ça, c'était largement plus intéressant que des parents ingénieurs. Notamment pour Carl, pour qui ses études de médecine étaient donc plus abordables. Il venait d'en avoir la preuve en disséquant cette pauvre grenouille et en observant qu'il avait fait un travail digne de son père avec un cadavre. Carl jeta un coup d'oeil à Austin, voyant sa réaction. Il devait sûrement le trouver encore plus taré qu'avant, m'enfin, Carl n'allait pas inventer des choses pour paraître normal. Oui il aimait faire le psychopathe, oui ses parents tenaient une morgue. Pour lui, rien n'était plus normal.

Austin refusa de prendre le relais. « T'es sérieux ? Mec, c'est la partie la plus drôle ! » Il regardait son voisin, un peu choqué. Qui n'aimait pas disséquer ? Carl remarquait que plus ça allait, plus il disait des choses qui le faisait passer pour un extraterrestre passionné par les morts. Bon, ce n'était pas si faux que ça, au vu justement de l'environnement dans laquel il avait grandi, mais il se doutait bien que cela devait sembler étrange vu de l'extérieur. Toutefois, Austin faisait également des études de médecine, et même s'il avait choisi la spécialité dentisterie, il devait quand même aimer ça non ? Tout en nettoyant un peu les ustensils, il tenta une nouvelle fois. « Même les dents, non ? Tu veux pas les retirer ? » Si les grenouilles avaient des dents, il n'en savait rien. Mais c'était juste histoire de voir si Austin était certain de ne rien vouloir faire. Sûrement qu'il était trop explosé de sa fête hier pour faire quelque chose, contrairement à Carl, qui allait maintenant beaucoup mieux.

Le Spencer continua donc de lire le protocole, puis suivit les instructions, tout en continuant de discuter avec Austin. Il aurait bien continué à faire le débile, mais l'heure tournait, et s'il n'avait pas fini à l'heure, il devrait rester après la sonnerie, et ça c'était hors de question. Tout en retirant les intestins de la bête, Carl se retourna vers son partenaire. « Alors ta soirée d'hier ? T'as bu comme un trou pour être comme ça ce matin ? »