Alana finissait plus tôt aujourd'hui. Quatorze heures trente, journée terminée, ce n'était pas si mal. Elle avait donc décidé de prendre son temps pour rentrer à la maison, quitte à faire un tour faire du shopping ou boire un café. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas pensé à elle. Le boulot par ci, le boulot par là, c'était la même rengaine tous les jours. Et bien que ça commençait à ennuyer Alana malgré sa passion pour ce qu'elle faisait, cela énervait surtout les personnes autour d'elle, qui ne supportaient plus de la voir sans cesse bouquiner et plongée dans ses dossiers. Depuis des années, c'était la routine de la jeune femme, qui n'était pas habituée de sortir, rencontrer des hommes ou tout simplement boire un coup entre amis à la maison. Pour elle, le travail avait toujours été plus important que tout. Surtout de par son envie irrépressible de vouloir se faire valoir auprès des autres. Elle ne supportait pas ne rien avoir à dire quand on lui demandait à propos de sa journée. Passer une journée à regarder des films, dormir et manger de la glace ? C'était impensable pour Alana. Elle avait besoin de s'activer, s'occuper, travailler. Et là tout de suite, personne n'était à la maison, aussi n'allait-elle pas s'y rendre tout de suite. Elle avait fini son travail, ses dossiers étaient classés et les coups de fils passés. Autrement dit, la page boulot terminée pour la journée.

Posée sur le siège du conducteur, Alana se baladait dans les rues de Magnolia Street. Elle ne savait pas vraiment où aller. En fait elle roulait lentement, comme pour découvrir une nouvelle ville. Ce qu'elle était en fait un peu en train de faire. Oui, elle avait parcouru cette route un bon nombre de fois, mais jamais elle n'avait vraiment payé attention aux bâtiments dans les détails. Là c'était un peu un coup de renouveau. Alana reconnut bien sûr quelques endroits, comme le Garage Seyfield ou le Cabinet O'Conell. Mais alors qu'elle roulait un peu plus loin, la jeune femme aperçut un bâtiment qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Il était un peu caché par l'immeuble d'à côté, d'où le fait qu'elle ne l'ai pas vu, en roulant vite. Intriguée, elle décida de s'y arrêter un moment. L'incription lui fut plus visible en s'approchant. Attrap'Coeur. Alana leva un sourcil. Une agence de rencontres à Magnolia ? C'était bien la première fois qu'elle entendait ça. Sa curiosité grandissante la poussa à rentrer dans l'édifice, accompagnée du bruit d'un petit grelot, annonçant l'arrivée d'un client.

Personne n'était en vue, aussi Alana décida d'inspecter la pièce du regard. Tout était encore décoré pour la Saint-Valentin, les cupidons, le rose, les bonbons en cœur posés sur le comptoir. Puis cela fit une révélation à Alana. C'était donc eux qui avaient du organiser la soirée de speed-dating ! Cela lui était totalement sorti de la tête. Elle se promit alors de leur en touher un mot si elle croisait quelqu'un, histoire de remercier pour la soirée sympathique.

La Saint Valentin était terminée depuis bientôt deux semaines, mais elle faisait encore parler d'elle dans la petite agence de rencontres. Katarina s'attelait désormais à recueillir les opinions des participants. Elle s'appliquait à appeler chacun d'entre eux, pour connaître leurs impressions. Et si raprochement il y avait eu, elle contactait alors l'autre personne, pour savoir si elle pouvait échanger les coordonées. Un travail hardu, qui nécessitait d'appeler l'un, puis l'autre, puis l'un encore. Mais Katarina n'était jamais découragée, quand il s'agissait de créer le love. Et puis, ils s'étaient partagés la tâche, avec Harrison. Avec le temps, ils avaient appris à déterminer qui serait plus enclin à communiquer avec une femme, et vice versa pour un homme.

Tant de travail les poussait parfois à rester à l'agence pour manger, le midi. Quand ils étaient si bien lancé qu'ils ne voulaient pas s'arrêter. L'un deux partait acheter un cassecroute. Cette fois-ci, Katarina s'y était collée. Alors, à la fin de leur petit pic nique, comme elle aimait appeler ça, c'était Harrison qui s'était charger d'aller acheter deux cafés et un petit dessert. En plus, il devait passer à la banque, pour une raison qui dépassait toujours Katarina. Elle avait les idées, et il gérait tout d'une main de maître. Devant les affaires administratives, Katarina était bien vite débordée, elle savait très bien qu'elle n'était pas assez formée et cela l'agaçait toujours. Alors, elle avait pris l'habitude de laisser son mari s'en occuper.

En attendant, elle choisit de mettre un peu d'ordre dans toutes les fiches clients qu'elle avait rempli depuis ce matin, avant de contacter un autre participant. Harrison était parti depuis quelques minutes déjà, quand le grelot de l'entrée retentit. Elle se leva alors de son bureau pour gagner le comptoir. « Bonjour, bienvenue à l'attrap'coeur, en quoi puis-je vous être utile ? » dit-elle à la jeune femme qui se tenait là, et qu'elle ne connaissait pas.

La soirée de la Saint-Valentin, préparée il y a bientôt maintenant trois semaines, avait été plutôt sympathique pour Alana. Elle qui appréhendait cette soirée au début se rendait compte que cela avait été très sympathique de rencontrer de nouvelles personnes. Elle était en premier tombée sur une femme avec qui Alana avait bien discuté, trouvant de nombreux points communs. Alana aurait bien aimé connaître son nom, vu que les deux jeunes femmes s'étaient bien entendues. Elle se dit d'ailleurs de demander justement à l'agence si c'était possible. Ensuite, elle avait fait face à cet homme très dragueur qui lui avait donné son numéro, qui était depuis lors posé dans le panier ''à papiers'' dans la chambre de la Kauffman, qui était certaine de ne jamais l'utiliser, mais bon, cela pouvait toujours servir au cas où.. Elle avait là de nombreux papiers aléatoires, et le panier se remplissait inépuisablement de feuilles de toutes sortes qu'Alana n'utiliserait plus jamais. Mais étant très conservatrice, elle gardait tout, se disant que oui, un jour cela pourrait être utile. Quoi qu'il en soit, elle gardait un bon souvenir de la soirée.

La trentenaire entrevit alors une ombre passer derrière la vitre au fond de la salle et vit débarquer une jolie jeune femme, qui lui adressa le bonjour en lui demandant ce qu'elle pouvait faire pour aider. Alana trouva la nouvelle venue très souriante, et elle paraissait être le genre de personnes à vraiment porter attention aux autres, faisant l'impossible pour l'aider. Alana trouva ceci plutôt bien, puisqu'elle connaissait des secrétaires d'agences de rencontres qui étaient de vraies vipères à commérer sur tout le quartier en jouant de mauvais tours. La Kauffman fit donc un grand sourire à la jeune femme. « Bonjour, Alana Kauffman ! » lui dit-elle en tendant la main droite pour la saluer. « Désolée, je passais juste dans le coin, et j'ai remarqué votre établissement, je suis juste venue jeter un coup d'oeil, j'espère que je ne dérange pas. » Elle garda son sourire sur les lèvres tout en parlant. Déjà qu'elle arrivait un peu en touriste, elle devait faire preuve de gentillesse, ce qui d'ailleurs n'était pas anormal de sa part, en général. Puis Alana indiqua du regard les décorations de la salle. « Je viens seulement de remarquer que c'était vous qui avez dû organiser la Saint-Valentin ! Vous avez fait du sacré travail, je pense que tout le monde a été enchanté, merci ! » C'était rare que Magnolia organise des speed-dating pour la Saint-Valentin, aussi Alana posa-t-elle la question. « Mais vous venez d'arriver ou cela fait longtemps que vous travaillez ici ? Je n'ai jamais entendu parler d'un tel évènement les années précédentes, c'est pour cela. » Son interlocutrice, décidément bien magnifique, la regardait avec douceur et Alana plongea ses yeux dans les siens, d'un bleu clair éclatant.

Cette jeune femme - Alana - expliqua bien vite le but de sa visite, qui eut le chic de ravir l'estonienne. Le rouge lui rosit légèrement les joues, emportée par la fierté que suscitait ces compliments. Elle avait eu des échos positifs en général, mais toujours par téléphone. Les recevoir de vive voix les rendaient bien plus vrais, et bien plus touchants. « Oui bien sûr c'est nous, merci c'est vraiment gentil ce que tu dis là ! ... Je peux te tutoyer ça ne te dérange pas ? » s'empressa-t-elle de demander, avant que son aise ne dérange la potentielle cliente. Les gens que Katarina connaissaient peu étaient parfois gênés par sa façon d'être, alors que son but était - au contraire - de mettre les gens à l'aise. « Je ne me suis même pas présentée : Katarina Greene, je co dirige cette agence avec mon mari, depuis notre arrivée il y a ... environ 6 mois ! » précisa-t-elle pour répondre à la question de la jeune femme.

Curieuse, Katarina prit quelques longues secondes pour ne pas attaquer la jeune femme avec toutes les questions qui la taraudaient. Ne voulant importuner, elle restait bien souvent concise et évasive lors des bilans téléphoniques. Mais là, elle avait devant elle une cliente, apparemment satisfaite, une véritable source d'informations. « Nous sommes justement ici pour faire changer les choses, dans le quartier. Bien trop de gens sont persuadés que, passé un certain âge, ou après trop de déceptions amoureuses, l'amour n'est pas pour eux. Mais nous sommes persuadés que l'âme soeur de chacun existe en ce monde » Ferveur et passion se lisaient dans son regard. Elle aurait au moins le mérite de prouver à Alana qu'ils se démenaient dans leur travail, et n'agissaient pas à la légère. Ah moins qu'elle ne la considère folle furieuse, prenne ses jambes à son coup et la poudre d'escampette. Alors, Katarina choisit de vite s'intéresser à Alana en particulier. « Pardon, je m'emporte toujours un peu » s'excusa-t-elle en souriant légèrement, les joues de nouveau empourprées. « Si vous voulez bien me suivre dans mon bureau, nous pourrons faire un bilan personnalisé de votre soirée. » suggéra-t-elle en lui indiquant son bureau.

Une fois assise l'une en face de l'autre, Katarina attrapa un de ses questionnaires et commença à y inscrire le nom et prénom de la cliente. « Je vous écoute, racontez moi, tout ce qui vous passe par la tête, ce que vous retenez de la soirée, ce que vous en avez pensé, les points positifs, les négatifs ... » Son stylo à la main, Katarina était prête telle un pilote de ligne, concentrée afin de ne pas louper le top départ.

Alana fut contente de voir que son interlocutrice était telle qu'elle imaginée. Vive d'esprit, souriante, et attentionnée. Elle remercia Alana pour ses paroles avec un grand sourire, puis se présenta. « Oh mais de rien, c'est tout à fait normal de remercier, vu tout le travail que vous avez du avoir tous les deux ! » fit-elle. « Et oui, aucun souci pour le tutoiement ! » En général, la Kauffman préférait vouvoyer les personnes qu'elle ne connaissait pas, mais ce cas-là était différent, elle accrochait bien avec cette jeune femme, qui était d'ailleurs sûrement plus jeune qu'elle. « Ah oui, en effet, vous deux n'êtes pas là depuis longtemps ! » dit-elle en souriant. Katarina paraissait très excitée de l'arrivée d'Alana, qui était bien contente de pouvoir faire plaisir à quelqu'un. Souvent, la jeune femme ne se présentait pas dans les endroits inconnus de peur de gêner ou d'interrompre des conversations bizarres. Mais après avoir vu qu'elle ne dérangeait pas, et même que ça faisait plaisir à Katarina d'être là, elle décida de rester un peu pour discuter avec elle. Faut dire que ce genre d'agences étaient une découverte pour Alana, qui n'en avait jamais eu recours, et elle était curieuse de voir comment cela fonctionnait.

Comme pour répondre à sa question silencieuse, Katarina commença à expliquer avec enthousiasme pourquoi elle et son mari avaient fondé cette agence, et Alana trouva que son raisonnement était juste. « C'est totalement vrai. Et pour tout te dire, je suis un peu dans cette situation ! » s'exclama-t-elle en rigolant. Mais contrairement à d'autres, Alana préférait se consacrer au travail, et si elle ne pensait pas trouver l'amour, c'était surtout à cause de cela. Elle avait eu des aventures, certes, mais rien de très sérieux jusqu'à maintenant. Se coincer dans une relation donnait à Alana l'impression d'étouffer. Si elle était allée à ce speed-dating, c'est qu'elle avait rien à faire, se sentait seule à la maison, et puis bon, faire de nouvelles connaissances, ce n'était pas si horrible après tout.

« Bien sûr ! » Alana suivit Katarina dans son bureau pour qu'elles puissent discuter de la soirée. Katarina devait passer un temps fou à contacter tout le monde par téléphone pour avoir leurs avis, et Alana se dit que ça lui faisait sûrement plaisir qu'une des personnes viennent directement, même si c'était pas intentionnel. Alana s'assit dans la chaise en face du bureau de la Greene tandis que cette dernière s'installait en face d'elle, crayon et papier à la main. Elle demanda alors à Alana de raconter sa soirée. Pfioulala, par quoi commencer ? Elle se racla la gorge puis essaya de se rappeler au mieux de la soirée. « Bon.. déjà globalement j'ai trouvé ça bien cette histoire de masques et de faux noms, ça donnait vraiment du mystère, et pour une fois, le physique en comptait pas ! On étaient jugés sur nos pensées, chose qui devrait être plus courante de nos jours.. Ensuite, bon, je suis tombée sur une femme, je ne m'y attendais vraiment pas, puisque j'avais bien mis hétérosexuelle, et quand j'ai vu qu'elle l'était aussi je me suis posée des questions.. » dit-elle en rigolant. « Mais on a bien discuté, on s'est trouvé de nombreux points communs ! D'ailleurs, est-ce que vous donnez les informations sur la personne ? » Alana voulait savoir si le masque tombait un jour ou non. Elle adorerait continuer la conversation qu'elle avait eu avec cette Silver. « Pour le deuxième, et bien j'ai été surprise du choix, puisqu'on avait pas grand chose en commun à part ne pas aimer la cuisine.. Côté débat par contre c'était intéressant, ça m'a fait réfléchir à des choses. » En effet, la discussion avec Kiss Me avait été instructive puisqu'Alana avait pu entrevoir un autre avis sur la question des jeux virtuels. « Bref, voilà. Sinon j'ai remarqué un peu de tables vides, je ne sais pas si c'était normal ? » En discutant avec ses partenaires, la Kauffman avait parfois regardé autour d'elle, et elle apercevrait parfois une personne seule à sa table, et avait un peu de peine pour elle. Même masqué, le mec se faisait poser un lapin. Pas cool. Alana frappa alors ses paumes sur ses cuisses. « Voilà ! Je ne sais pas si tu veux d'autres informations ? J'ai un peu dit ce qui me passait par la tête. » fit-elle avec un petite grimace. Elle détestait faire mal les choses ou décevoir les autres. Katarina était plongée dans ses notes, alors l'invitée attendit qu'elle termine, en toute politesse.

Après sa série de compliments, Alana avoua qu'elle aussi, semblait avoir perdu foi en l'amour. Une confession qui outra Katarina, mais celle-ci se contint pour fournir une réponse plus appropriée. « Vraiment ? Je m'engage à te faire changer d'avis sur le sujet alors ! » Katarina ne se souvenait pas du formulaire de la jeune femme. Mais elle ne se souvenait pas avoir croisé de personne antipathique ou asociale dans ses papiers. Dès lors, trouver l'âme sœur d'Alana ne semblait pas mission impossible.

Une fois installées dans le bureau de Katarina, Alana se laissa bien vite aller dans son récit. Son engouement laissait penser que ses éloges étaient une nouvelle fois fondée. La directrice nota tout, point par point, les bons comme les mauvais, sans se laisser distraire. Alana n'ayant pas trouvé l'amour à l'issue de la soirée, Katarina était bien sûr globalement insatisfaite. Il aurait été tellement plus facile de pouvoir créer sûr mesure les personnes correspondant exactement à chaque candidat. Mais le challenge résidait dans le risque qu'il y avait, que chaque couple soit un échec. Au moins, elle avait gagné une amie. Mais pour Katarina, cela restait une maigre consolation. « Oui, désolée pour la fille, nous avons eu un record d'inscriptions féminines, comparées au nombre d'hommes ! Donc nous avons dû finalement revoir nos plans, mais nous avons pensé que ce genre de rencontres pouvait aussi créer l'amitié, et pas seulement le grand amour ! Concernant les coordonnées de ta première personne, je la contacterai pour savoir si elle est d'accord, et ensuite je te les transmettrai » Katarina, par tactique, préférait d'abord jouer sur les points positifs, afin d'atténuer le fait que Alana était repartie le coeur bredouille. « Je suis ravie que toute l'aura secrète autour des rencontres t'ai plu, nous voulions effectivement que les liens se créent pour ce que les gens sont, et non pas pour ce à quoi ils ressemblent. » Son ton était calme, posé, un grand sourire était dessiné sur ses lèvres, doux et sincère. Elle aimait parler de son métier avec ferveur et sincérité. « Je suis cependant désolée que ton second prétendant ne correspondait pas à tes attentes. D'expérience, je peux dire que ce sont les associations inattendues et originales qui créent les meilleures relations. Dans ton cas ça n'a pas fonctionné » Sa mine déçue s'effaça bien vite, ne voulant pas miner le morale de la jeune femme. Vendre l'amour se jouait aussi avec son physique, son apparence. Il était évident que, si la nature ne l'avait pas rendue si jolie, Katarina aurait eu bien plus de mal à faire vivre son commerce. Peu de gens achètent des fruits et légumes chez un primeur d'apparence sale et crasseux. Personne ne viendrait chercher l'amour chez quelqu'un de moche et manquant d'assurance. Avec le temps, elle avait appris combien de temps elle devait se montrer désolée, quelle mine afficher pour motiver ses potentiels clients, quels mots employés avec ceux qui doutent, ceux qui désespèrent ... Il fallait se le dire, peu de gens venaient avec l'exacte certitude de trouver l'amour un jour. Ce genre de personnes ne pensaient pas avoir besoin d'aide. Katarina devait d'abord rassurer, et si elle voulait qu'ils y croient, elle devait y croire en premier. « Si tu le souhaites, nous pouvons maintenant établir un profil plus détaillé, et chercher d'autres personnes qui pourraient te correspondre. Ensuite, quand tu le voudras, nous pourrons organiser des rendez-vous. » proposa-t-elle alors.

S'engager à lui faire changer d'avis ? C'était gentil, mais Alana savait que rien ne lui ferait changer d'avis. Si jamais elle le faisait, ce ne serait par elle-même, et elle en doutait fortement. Malgré ce qu'elle faisait pour faire plaisir aux autres, elle n'aimait pas qu'on la brainwashe, qu'on lui inculque des pensées qui n'étaient pas siennes. Ceci dit, Katarina faisait tout de même son boulot, donc Alana fit un sourire comme réponse, préférant ne pas relever.

La Kauffman raconta alors ce qu'elle se rappelait de la soirée de la Saint-Valentin une fois en face de la gérante dans son bureau. Elle fit une petit récit organisé, chorologique, en partant du premier partenaire pour finir par le dernier. Alana aurait pu dire à Katarina combien la soirée avait été parfaite, mais elle préférait dire la vérité, dire ce qu'elle avait vraiment ressenti. Et de toute façon, la Greene ne souhaitait sûrement pas de faux éloges, souhaitant sûrement que ses clients parlent du cœur. La Kauffman termina donc son petit récit, en relevant tous les détails auquel elle pouvait penser. Katarina fit un petit sourire triste en apprenant que sa cliente n'avait au final pas trouvé de match parfait. Elle lui expliqua la situation avec les femmes, et Alana ne put retenir un petit rire, trouvant la situation tout de même amusante. Certes, cela ne devait pas l'être pour les organisateurs, qui avaient du avoir un peu honte d'associer deux filles hétéro ensemble. Cependant, l'intérêt du speed-dating c'était aussi d'être surpris, aussi Alana n'était pas gênée d'avoir rencontré Silver, avec qui elle s'était très bien entendue. A ce propos, Katarina l'informa qu'elle ferait son possible pour appeler la personne avec qui Alana avait passé la soirée, espérant pouvoir lui donner les coordonnées d'Alana, permettant aux filles de continuer leur soirée.

« Pas de soucis ! » rassura-t-elle alors l'organisatrice, qui semblait déçue que cel n'ai pas marché pour la deuxième rencontre d'Alana. « Je n'étais pas venue pour rencontrer l'âme sœur de toute manière. Je voulais passer une bonne soirée, et c'est réussi, grâce à vous ! Tu vois, tout n'est pas perdu, je suis sûr que tout le monde a passé une excellente soirée, que ce soit après avoir trouvé un ami ou un amant ! » rajouta-t-elle en souriant. Elle n'aimait pas voir les gens tristes et tentait toujours d'optimiser les choses. La Greene lui proposa ensuite de créer un profil plus approfondi, pour essayer de rencontrer des hommes plus à son goût. Encore une fois, Alana ne voulait pas vexer Kat, mais ce n'était pas du tout le genre de choses qu'elle voulait. Elle avait déjà tenté l'expérience des profil de rencontre sur internet -grâce aux filles, merci..-, et là encore elle n'avait gagné qu'un ami. Ce n'était pas sur internet ou par une agence qu'elle trouverait l'amour, elle en était sûre. « Non merci.. » fit-elle alors avec un sourire.

Mais alors que ces mots sortaient de sa bouche, elle vit un homme très beau passer dans le couloir. D'humeur taquine, elle sortit à Katarina des paroles qu'elle regrett très vite. « Aaah, par contre lui, j'le mangerais bien, il est canon ! Tu le connais ? » dit-elle avec un petit sourire en coin, dans un langage qu'elle n'avait surtout jamais l'habitude d'utiliser. Sourire qui s'estompa mais alors, très très vite, quand Kat lui apprit le nom de l'homme qu'elle venait d'apercevoir.

Katarina ne s'avouait pas vaincue. Si Alana ne voulait pas devenir cliente, l'Estonienne ne la forcerait pas. Après tout, pour trouver l'amour, il fallait avant tout le vouloir. Or, la jeune femme ne croyait même plus en l'amour, ne cherchait même plus son âme soeur. Partant de ce principe, jamais elle ne s’investirait dans les rencontres que l'agence pourrait lui proposer. Dans un sens, Kat était désolée pour Alana. Une vie sans amour était dénuée de sens, de but, de soutien. Les amis ne faisaient pas tout, et un compagnon se devait aussi d'être un ami. Mais Alana ne l'avait pas encore compris.

Reposant ses notes, elle s'appuya dans le fond de son fauteuil. Elle n'entendait pas raisonner Alana, celle-ci n'était même pas aware pour d'éventuels conseils. Mais rien ne l'empêchait d'exposer son point de vue, ce qu'elle ne se gêna pas de faire, donc. Katarina avait toujours été très franche, même avec ses clients. Bercer les gens d'illusions n'aidera personne à trouver le vrai bonheur. « Tu sais Alana, si tu ne crois plus que tu vas rencontrer l'amour un jour, tu risques fort de passer à côté. L'amour ressemble un peu au loto. Bien des fois tu tombes sur les mauvais numéros, mais tu rejoues, encore et encore, pour toucher enfin le jackpot. » Mine de rien, elle aimait bien cette comparaison improvisée, mais s'empressa d'y ajouter une précision. « Et c'est un loto auquel tout le monde gagne, je t'assure. A Baltimore, où nous avions notre ancienne agence mon mari et moi, nous avons vraiment réduit la part de population célibataire. Beaucoup de personnes se croisaient sans se voir. Il y a même deux personnes que nous avons fait rencontrer, qui ont découvert qu'ils prenaient le même bus tous les jours, et jamais l'un n'avait fait attention à l'autre ! Aujourd'hui, ils sont mariés, heureux, et ont deux enfants de qui je reçois régulièrement des photos. » Kat avait toujours mis un point d'honneur à garder contact avec ses anciens clients. Pour prouver - à l'aide d'exemples - aux plus indécis que l'amour durait vraiment dans le temps. Mais Alana ne semblait pas plus convaincue. Kat soupira, déçue d'être à court d'arguments. C'est alors qu'Alana reprit la parole, ce que Katarina n'apprécia pas du tout. Faisant la moue, elle regarda son mari - que Alana voulait manger - traverser le couloir, lui faisant un léger sourire quand leurs regards se croisèrent. Elle se tourna alors vers Alana, cherchant comment tourner cette vérité gênante. « Il s'agit d'Harrison, mon associé et mari. » Un tas de pensées contradictoires fusaient dans la tête de la jeune femme : et si Alana n'était pas la seule trentenaire à jeter son dévolu sur son mari ? Dans ce quartiers, les gens étaient plus friands de coups d'un soir que de grand amour, et si une autre fille avait dragué son mari ? « Il n'est donc pas disponible, mais si tel est ton type, je peux te chercher d'autres hommes célibataires qui y correspondent » proposa-t-elle sans grande conviction.

L'amour, comme le loto ? La blague. Alana était rationnelle, très terre-à-terre, et ce genre de pensées quasi-philosophique ne l'atteignait que très peu. Certes, Katarina souhaitait lui exposer son point de vue, peut-être faire changer l'idée de l'amour dans l'esprit de la Kauffman. Mais bien sûr, le côté borné de la jeune femme, lui, ne changerait pas. C'était un côté chez elle qui agaçait beaucoup les gens. Et c'était un défaut aussi bien qu'une qualité d'après elle. Elle savait ce qu'elle voulait, ce qui lui permettait souvent d'aller droit au but, sans passer de temps futile à glaner ça et là. Par contre, elle n'acceptait pas de changer d'avis. Ou plutôt, elle n'acceptait pas que les autre la fasse changer d'avis. C'était comme si on la forçait à penser comme les autres et cela, elle ne le tolérerait pas. Même si au fond, le raisonnement de la Greene n'était pas si faux, la secrétaire se refusait de l'intégrer comme une possibilité. Elle n'en était tout du moins pas méchante avec Katarina, qui était sympathique et faisait son travail après tout. Et les gens qui faisaient leur travail, la Kauffman les respectait. Elles n'avaient pas le même point de vue, et alors ? Cela ne les empêcheraient pas de s'apprécier. Enfin, elle l'espérait. La gérante de l'agence exposa ensuite l'exemple d'un couple à Baltimore qu'ils avaient aimé et dont ils recevaient des photos régulièrement. Alana fit un sourire, quand même contente pour ce couple, pour qui l'amour avait sourit. « Et bien, on dirait en effet que votre agence marche bien ! C'est toujours agréable de voir que l'on a servi quelque chose, surtout quand on contribue aux bonheur des autres. » déclara-t-elle alors. Mine de rien, tout ce papotage sur l'amour et les relations faisaient Alana repenser à son adolescence et ses différentes aventures. Bien sûr, comme toute adolescente, elle avait été amoureuse. Ou l'avait cru. Après une ou deux relations infructueuses, la Kauffman s'était dirigée vers une certaine solitude, ou des quêtes de compagnie pour un soir seulement. S'attacher à quelqu'un l'empêchait de se concentrer sur ces études, en plus. Et puis l'amour rendait con. Sérieusement, quand elle avait développé des sentiments pour un des garçons de sa classe, -dont elle ne se rappelait que du fait que son père était neurologue- elle était devenue une autre personne, et ne se reconnaissait pas. Tout à coup elle n'écoutait plus en cours et cherchait sans cesse le son de la voix du garçon, son attention, une conversation. Son monde ne tournait plus qu'autour de lui. Et ne parlons pas du râteau qui s'en était suivi, désillusion totale. Elle avait été déprimée, comme dans les films, allongée devant le canapé à regarder des films d'amour, un pot de glace et un paquet de mouchoir à la main. Bref, la catastrophe. Heureusement, ses amies avaient été là pour elle, et l'avait incitée à rebondir sur quelqu'un d'autre en soirée. Refusant tout d'abord, la Kauffman avait fini par accepter, poussée par cette éternelle concurrence avec Charly, qui lui avait lancé une sorte de défi, bien sûr. Et c'en était parti pour Alana, qui commença sa période de coups d'un soir. Cela avait été en fait très utile pour se remettre de l'autre, et elle y avait prit goût, devenant un peu la tepu du lycée. Mais la période fut brève car elle s'en était suivie d'une baisse de sa moyenne générale, qui avait frappé Alana de plein fouet. Bien plus que le désir de sortir, celui de réussi ses études était primordial. Du jour au lendemain elle s'était enfermé dans sa chambre à rattraper le temps perdu, se jurant de ne plus jamais tomber amoureuse. Et elle avait tenue sa promesse.

Emportée dans son élan de sympathie envers la Greene, ses pensées et ses souvenirs de lycée, Alana venait de sortir des paroles totalement inappropriées pour son âge et l'endroit où elle se trouvait. Et aussitôt elle s'en mordit les doigts, s'injuriant elle-même silencieusement de n'avoir pas tourné sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler (ah bah oui elle le faisait encore). Car Katarina annonça, fâchée ou choquée, peut-être même un mélange des deux, que l'homme en question était son mari. ...Et merde. Voilà pourquoi Alana ne se laissait en général pas entraîner dans les conversations amicales avec des inconnues. Ca finissait toujours mal. Un blanc s'installa alors dans la conversation, et le rouge monta aux joues d'Alana, morte de honte. Elle voulut s'expliquer, mais rien ne sortit de sa bouche ouverte, trop pétrifiée pour sortir un mot. Elle fut prise d'un petit tremblement, chose qui se passait chez elle lorsqu'elle était gênée et ne savait plus où se foutre. Finalement, elle balbutia un ''désolée'', et prit la direction de la sortie, ne pouvant plus regarder Katarina dans les yeux. Elle était si sensible que la moindre contradiction pouvait parfois lui faire perdre ses moyens. Elle aurait pu prendre la chose à la légère, rigolant de sa bêtise. Mais non, elle ne fonctionnait pas ainsi. Elle n'aimait pas quand elle faisait quelque chose qui la rendait faible aux yeux des autres. Qui pouvait donner l'occasion aux autres de se moquer d'elle. Car l'idée ensuite de penser à ce qu'ils pouvaient dire la hantait, et elle n'arrivait pas à se débarrasser du fait que cette ou ces personnes ne la regarderaient plus jamais de la même façon. Et elle ne supportait pas l'idée même de cette pensée.

Alana poussa alors la porte d'entrée de nouveau et prit une grande bouffée d'air pour calmer les battements rapides de son cœur et ses tremblements. La secrétaire posa alors ses mains sur ses joues chaudes, et elle avait l'impressions qu'elles boursouflaient sous l'effet de la honte. Elle ne pensa alors plus qu'à une chose : rentrer chez elle et se cacher à jamais du couple Greene.

Spoiler:

Katarina remercia gentiment Alana du compliment, naturellement touchée qu'elle reconnaisse leur efficacité. Le problème n'était pas leurs compétences, c'était ce quartier borné, terré dans de vieilles habitudes et dans des contraintes sociales règlementaires affligeantes. Dans l'esprit de certains, fréquenter une agence de rencontres serait l'équivalent de porter une pancarte "je suis sentimentalement désespéré et incapable de trouver seul ma moitié". Alors que dans le monde d'aujourd'hui, où tout le monde allait si vite, il était si compréhensible de ne pas trouver l'élu de son coeur, parmi ce flots de personnes lambda qu'on croisait chaque jour. La vraie vie, c'était le mode difficile du jeu. Pas le mode facile où la personne recherchée serait indiquée d'un symbole ou d'un éclairage particulier. Ladite personne était aussi difficile à chercher que Charlie, ce mec au bonnet, lunettes et pull rayé. Et là, il n'y avait aucune page de solution à la fin du livre.

Pourtant, Alana restait campée dans ses opinions. Accepter l'aide de l'agence était au dessus de ses forces, Katarina avait presque envie de rire. Une envie qui se calma bien vite, quand la potentielle cliente jeta son dévolu sur Harrison, qui passait là. En professionnelle, l'Estonienne garda son calme. Mais elle pouvait avoir des envies de meurtre, quand il s'agissait de son mari. Et la réaction d'Alana ne pouvait que la conforter dans cette idée. Elle rejetait les propositions de conversations détournées, se terrant dans un mutisme à glacer le sang. Impossible de savoir ce qui se tramait dans sa tête, mais pour Katarina, ce silence n'était pas un bon annonciateur : si elle était incapable de relever la tête, la seule raison plausible était qu'elle avait vraiment un coup de coeur pour Harrison, peut-être depuis avant aujourd'hui. Enervée, Katarina la regarda quitter son bureau, presque rassurée. Elle restait interdite dans son fauteuil, droite comme un piquet. La malheureuse et plate excuse n'avait rien arrangé, s'excusait-elle simplement de sa remarque déplacée ? Ou plutôt d'avoir des sentiments pour son mari ? Peut-être Harrison devrait-il porter un Tshirt "I Love Katarina", tous les jours de l'année. Mais pour l'heure, elle devait faire preuve de maturité. Alors, elle resta là, impassible. Elle ne poursuivit pas Alana pour la scalper, ne demanda pas à son mari de porter une burka. Elle s'enfonça dans son fauteuil, gardant en tête les raisons de leur venue ici. Car si les filles du quartier commençaient à s'enticher de son mari, elle risquait fort vite de regretter.