Alistair referma violemment son casier, pestant contre sa porte gondolée. Un de ces idiots de grands l'avait plaqué contre le métal le matin-même, froissant le métal. Il en avait encore mal aux omoplates. Il secoua la tête, roula un peu des épaules et souffla sur les bouclettes qui lui obstruait la vue. Sa soeur aînée n'arrêtait pas de lui rabâcher qu'il devrait se couper les cheveux, mais il persistait à croire qu'il aurait l'air cool avec les cheveux plus longs. Il lâcha un soupir. Il avait imaginé le collège plus simple, comme l'école primaire, un endroit qu'il dominait, où tout le monde le connaissait, ne l'appréciait pas forcément mais au moins on ne le plaquait pas désagréablement au mur dès 9h le matin. Il réajusta ses lunettes rondes sur son nez et sortir de la poche arrière de son jean un emploi du temps déjà chiffoné. 203, Maths. Un sourire éclaira son visage, il savait que Balt serait là. Il allait enfin se mettre en route quand son regard se posa sur une pauvre créature qui avait l'air de se cacher à l'angle des casiers, regardant tout le monde d'un air apeuré. Il regarda sa montre, regarda la fille, puis re-sa montre, et décida qu'après tout ça ne serait pas une première d'être en retard. Il s'avança vers elle et tendit une main.

"Je m'appelle Alistair, enfin, Ali. Alistair c'est vieux et moche. Et toi ? Tu es nouvelle, non ?"

Le fait de tendre sa main déséquilibra les livres qu'il tentait de contenir dans ses bras et fit dangereusement vaciller la pyramide, provoquant les rires d'une bande de sportifs passant à côté.

Ali la vit hésiter quelques instants, et jeter un regard apeuré à ces brutes. Il réprima un soupir, finalement cela n'allait peut-être pas être si simple de se faire des amis ici. Cependant, lorsqu'elle serra sa main, il reprit un peu de contenance. Sara, donc. Nom inconnu, visage inconnu.

"Tu sais, Magnolia Crescent est une assez petite ville, et il ne me semble pas t'avoir déjà vue dans les parages... Est-ce que tu serais pas nouvelle, genre, nouvelle dans la ville ?"

Tout en parlant, il tentait toujours de contenir ses livres. Quelle idée d'avoir pris une classe supplémentaire en sciences, et en histoire, ainsi que ce livre facultatif en anglais... Il avait toujours aimé apprendre, et rêvait de pouvoir intégrer une prestigieuse université à la sortie du lycée. Enfin, il verrait ça dans plusieurs années...
Lorsque la blonde proposa son aide, il hocha la tête frénétiquement avec un sourire.

"Je veux bien, s'il te plaît, je... Il faut vraiment que je trouve un sac plus grand. Dans la même classe tu dis ? Oh, tu euh... je. Je crois qu'on a maths, si tu veux qu'on y aille ensemble..."

Ali releva la tête pour se donner un semblant de contenance, et ne pas avoir l'air trop désespéré d'avoir un peu de compagnie. Après tout, avoir un visage amical à ses côtés était toujours plus agréable que de marcher rapidement, le regard fixé sur ses baskets neuves, en espérant échapper à ces abrutis de footballeurs. La matinée avait été un peu mouvementé, il n'avait aucune idée d'où était Balt', ce qui commençait d'ailleurs à l'inquiéter, et la règle d'or était que si on ne se faisait pas un nouvel ami lors de la rentrée, on n'en aurait aucun autre de tout le collège, lycée, la fac, et peut-être même au travail plus tard. Enfin, c'était la rumeur qui courrait quoi.

La nouvelle avait l'air cool, et pas assez musclée pour lui mettre la tête dans un casier de toute manière. Tout en réussissant enfin à contenir la pyramide qu'il transportait, il prêta une oreille attentive à ses propos. Il avait donc vu juste, elle n'était pas du coin. Quelque chose lui disait qu'elle n'allait pas mettre beaucoup de temps à se faire des amis, malgré son air un peu timide. Alistair était comme ça, il sentait les gens. Pas au sens premier du terme, non, il avait pas mal de côtés bizarres mais ce n'en était pas -encore- un. Non, il avait ce feeling, cette impression, positive ou négative, la première fois qu'il rencontrait quelqu'un. Et là, l'impression était bonne. C'était plutôt rafraîchissant, dans un village où vous connaissiez tout le monde quasiment depuis toujours.
Il ne pu s'empêcher de noter également le "moi et ma mère". Il hésita à lui demander où était son père, puis se dit que c'était manquer de tact. Même s'il ne savait pas trop ce que c'était, Harper lui répétait souvent qu'il n'en avait aucun.

"Et t'as pas de frères et soeurs ?" lança-t-il alors qu'il trottinait légèrement pour la rattraper dans le couloir.

Voilà. Il y avait mis plus de formes, du moins il l'espérait. Un peu de son stress s'envola alors que les élèves rentraient peu à peu dans leurs classes respectives et que le couloir se vidait. Son champ de vision était plus dégagé, les menaces plus prévisibles. C'est après avoir remonté une énième fois ses lunettes sur son nez qu'il se rendit compte qu'il était en train de snober sa nouvelle amie.

"Oh, oui, j'ai emménagé il y a tellement longtemps que je ne m'en rappelle plus. J'avais... 3 ans je crois ? Juste assez grand pour commencer ma scolarité ici donc... Ouais, je connais les gens d'ici depuis quasiment toujours on va dire."

Il termina avec un petit sourire, en pensant entre autres à son meilleur ami. Mais décidément, il était où ce satané rouquin ?

Sara avait l'air d'être de plus en plus à l'aise, et Ali était content car c'était en quelque sorte un peu grâce à lui. Il se demandait si elle ne se sentait pas seule de temps en temps. Il avait quasiment toujours eu ses soeurs autour de lui, Lynn étant un tout petit peu plus jeune. C'était parfois mouvementé à la maison, tout le monde se criant joyeusement dessus, mais au moins il y avait de l'action. Il avait beau avoir Balt', il tenait quand même à sa petite famille. Enchaînant naturellement, il précisa: 

- J'ai deux soeurs, une grande, Harper, et une petite, Lynn. Ce qui aide c'est qu'Harper connaît déjà le collège et tout, donc elle m'a conseillé les gens à éviter, les profs à ne pas énerver, et tout ça ! 

Lorsqu'il lui déclara qu'il avait quasiment passé toute sa vie ici, la réaction ravie de la petite adolescente lui arracha un sourire et lui réchauffa le coeur. Elle avait l'air de radier autour d'elle avec ses cheveux blonds. Une fois arrivés devant la porte, Sara sembla soudainement hésiter. Retrouvant une once de bravoure bien enfouie jusque là, Ali s'élança. Balt' n'était nulle part en vue, il devait être malade. C'était bien sa veine, le premier jour ! Il trouva une table vers le milieu de la salle, pas tout au fond où on disparaissait derrière ceux qui ne fichaient rien, mais pas en première ligne non plus. Mieux valait être prudent avec un prof qu'on ne connaissait pas encore. 

- On s'asseoit à côté ? lança-t-il à Sara, avant de déposer (enfin) ses livres sur un bureau.

Il observa les élèves autour de lui remplir peu à peu la classe. Quelques têtes étaient nouvelles, certains devaient venir d'un peu plus loin, tout le monde tentait d'afficher une assurance qu'on décelait fausse. Des petits groupes s'étaient déjà formés. Alistair avait toujours été un bout-en-train, mais là, c'était différent. Il était assez sociable, mais pour être franc, cette rentrée le terrorisait et l'absence de son meilleur ami n'aidait rien. Heureusement, il avait croisé cette petite blonde qui venait de lui répondre comme si elle allait se marier avec lui.

- Jusqu'à ce que la mort nous sépare ! lâcha-t-il avec un petit rire avant de s'asseoir.

Il sortit sa trousse et un cahier, ne sachant pas trop par où commencer un jour de rentrée. Ca devrait être plié assez rapidement, à moins qu'ils ne tombent sur une brute de prof qui leur donneraient des tonnes d'exercices pour se faire une réputation et garder son autorité. Sara s'installait également, et quand elle eut fini lui demanda s'il connaissait du monde. Il refit un tour d'horizon.

- Certains. Le châtain là-bas, c'est Livingstone, William. Sa mère est amie avec celle de mon meilleur ami. La fille qui regarde tout le monde de haut, au premier rang, c'est Zara. Ses parents sont richissimes. Les autres...

Et Ali continua à dénommer cinq ou six personnes dans la petite classe. C'était bien sa veine, ce n'étaient pas forcément les personnes qu'il aurait aimé avoir dans sa classe.

- Au moins tu as de la chance, tu peux repartir d'un bon pied avec eux. Peut-être qu'avec toi, ils seront différents, dit-il à Sara avec un petit sourire.

Tapotant le bord de la table du bout des doigts, Ali s'arrêta pour rapidement remettre en place ses lunettes. Il jeta un regard à Sara qui observait avec attention les élèves qui allaient devenir leurs amis et ennemis pour sept longues années. Une teinte rosée illumina ses joues lorsque ses yeux se posèrent furtivement sur William, ce qui n'échappa pas au petit frisé. Décidément, le Dom Juan des bacs à sable ne comptait pas s'arrêter une fois la porte du collège franchie. Reportant son attention sur sa nouvelle amie, il baissa la voix alors que le professeur s'installa tranquillement au bureau:

- Parce que tu es... Il s'arrêta quelques instants, en pleine réflexion. Tu as une sorte d'aura de bienveillance qui fait qu'on a envie de parler, lâcha-t-il avec un petit sourire.

Elle secoua la tête, comme si elle était loin d'être convaincue. Sa remarque lui fit chaud au coeur. Même si son andouille de meilleur ami l'avait lâché en ce jour maudit, au moins il n'était pas seul. Il s'était même fait une amie. D'ailleurs, en parlant du loup...

- Il s'appelle Balthazar, il habite en face de chez moi. Je le connais depuis que je suis tout petit, et c'est la première fois qu'il me fait faux-bond. Il doit être malade, je passerai plus tard chez lui pour lui apporter les devoirs. Et toi, tu... tu as laissé des amis derrière toi ?

Il grimaça, le tact n'était pas vraiment son fort.

La mine sérieuse de Sara lorsqu'elle répéta le nom de Balthazar fit rire Alistair. Avec un peu de chance, les deux s'entendraient bien. Il espérait que le rouquin ne lui ferait pas de scène pour avoir parlé à une fille, mais bon, elle était cool en même temps. A des années-lumière d'Erica par exemple. Déjà, si elle avait bien voulu lui parler, c'est qu'elle n'avait pas d'a priori sur les gens. Et qu'elle était nouvelle, certes.

L'air peiné qui passa sur le visage de la jeune fille lorsqu'il évoqua ses amis lui fit se mordre la lèvre. Le tact Alistairien avait encore frappé.  Surtout qu'apparemment, c'était assez négatif comme souvenir.

"On est une petite communauté ici, tenta-t-il pour se rattraper. Tu te feras forcément des amis, crois-moi. Tu peux... joindre un club par exemple ? Faire partie des cheerleaders ?"

Toutes les filles avaient l'air de vouloir faire ça. Ou alors c'était comme le football américain pour les gars, tout le monde croyait que c'était quelque chose de génétiquement virile, alors que franchement, il n'avait pas plus que ça envie de goûter l'herbe du terrain en se faisant violemment plaquer par un buffle malodorant. Le baseball, ça, c'était plus drôle. Bon, quand la balle partait dans la fenêtre du voisin alors qu'il s'entraînait avec Balt', c'était mouvementé, mais au moins, ça mettait de l'animation dans le quartier. Une fois, la balle était même arrivée dans l'oeil d'un petit ami d'Harper. Etrangement, il n'était pas revenu et les sorties nocturnes de sa soeur aînée s'étaient multipliées.
Il reporta son attention sur ce que disait le prof. Apparemment, ça n'allait pas être du gâteau, surtout qu'il commençait déjà à parler de contrôles, exercices, devoirs maison, et autres tortures dont le corps enseignant seul avait le secret.

Spoiler:

Ecoutant le professeur d'une oreille distraite et continuant sa conversation avec Sara de l'autre, Alistair fronça les sourcils lorsqu'il vit Zara adresser un regard pour le moins étrange à sa nouvelle amie. Barbie avait encore frappé, et avait réussi à traumatiser la seule fille normale de leur âge. Ca commençait bien, pour un premier jour.

- T'inquiète, les cheerleaders ne sont pas si bien que ça, tenta-t-il vainement. Elles sont toutes cataloguées comme sans cervelle, au moins tu échapperas à ça !

Il avait élevé la voix sur les derniers mots, laissant son regard dériver du côté de Zara. Il était peut-être timide, mais il n'avait jamais été lâche non plus, et il la connaissait depuis suffisamment longtemps pour pouvoir se permettre ce genre de réflexions.
Secouant ses boucles, il se détourna vers Sara, juste à temps pour attraper la fin de la question de cette dernière.

- Oui, je vais certainement aller lui porter les devoirs, enfin le peu qu'on aura." Il hésita, quelques secondes. Peut-être qu'elle voulait rentrer, se remettre de ses émotions ? Après tout, elle ne voulait peut-être que rentrer s'affaler sur son canapé, harassé par la rentrée. Haussant les épaules, il se dit que cela ne ferait pas de mal de lui proposer de sortir, après tout. "Tu veux venir avec moi ? Il est cool, tu verras."

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