j'pense au week-end dans tes bras, aux parcs, aux samedis radieux, j'veux qu’tu restes non qu'tu partes sans m'dire adieu

Julia trainait avec des connaissances de la ville, qui avaient eux-même ajouté des amis à eux à la bande, et toute la clique trainait depuis un moment dans les rues de la ville, entre deux blagues et quelques bouteilles d'alcools. En fait ils commençaient même à s'ennuyer et à s'en plaindre, mais ils arrivèrent près du skatepark et quelques gars proposèrent de s'y arrêter, et tout le monde suivit, sans broncher. Il devait être 21 heures passées, et ça devenait désolant de se dire qu'ils étaient déjà lassés aussi tôt dans la soirée. Le skate park était d'ailleurs presque désert, seuls deux ou trois personnes occupaient déjà les figures. La bande grimpa sur un Half-pipe, regardant un gars faire des sauts sur son skate. Il passa à côté d'un jump et les yeux de Julia, jusqu'alors peu concentrés, se posèrent sur un type assis sur le tremplin. D'ici elle voyait bien sa silhouette, qui lui était familière, à vrai dire elle pensait déjà à une personne en particulier mais elle le voyait partout où elle passait depuis quelques mois alors elle n'était pas sûre d'elle. Elle continua de le fixer, et plus elle le regardait, plus elle était convaincue qu'il s'agissait de Dekker. Elle continua ce petit manège un moment avant d'être totalement certaine que c'était bien lui, et à partir de ce moment ce fut la cacophonie dans sa tête. Merde, merde, merde, putain non, pourquoi, pas ce soir, pas ici, pas maintenant, merde, que faire, où aller, comment, quoi, que, qui, qu'est-ce. En totale panique, elle lança « Dites, vous voulez pas qu'on aille autre part ? » mais personne ne sembla l'entendre, tous trop captivés par l'espèce de cascadeur qui avait amené Julia à remarquer Zach. Elle vérifia qu'il n'avait pas bougé, et qu'il ne l'avait pas vu non plus, et essaya d'évaluer la situation. En admettant qu'elle parte toute seule...oui mais non, elle était avec ses potes, elle essayait de s'occuper, lui il était tout seul et ne foutait rien, donc c'était à lui de partir. Même s'il était là avant elle, tant pis. D'un autre côté elle ne se voyait pas vraiment aller lui dire que ça la gênait qu'il soit là et que, s'il pouvait dégager, ça l'arrangerait bien. Un des gars qui trainait avec eux et dont elle connaissait à peine le prénom remarqua sa concentration pour ce gars, s'approcha, et demanda si elle le connaissait. « Bah... euh, ouais. » « Bah va le voir. » Bah euh, nan ? Mais Julia ne répondit pas, et le gars, qui devait être apprécié, s'arrangea pour que toute l'attention converge vers elle, et bientôt les trois quarts de la bande lui demandait pourquoi elle restait là à le fixer, alors qu'elle pouvait très bien aller lui dire bonjour. Finalement, sans trop réfléchir, et surtout parce que les gens la faisaient bien chier quand même, elle se leva, se planta devant eux et leur lança, avec son éternel ton agressif. « M'attendez pas connards, j'vous rattraperais. » Bien sûr elle ne comptait pas rester, dès qu'ils seraient sortis du skatepark elle laisserait tomber Zach, les rejoindrait et prétexterait qu'il avait dû partir. Mais avant ça elle était quand même obligée de faire quelques pas jusqu'à Dekker ; en fait en se retournant toutes les deux secondes vers ses amis pour voir s'ils n'avaient pas bougé - ce qui n'était pas le cas -, elle se retrouva devant lui et vu le regard qu'il lui fit en levant la tête, c'était sûr qu'il l'avait remarquée maintenant.

« ... Un peu plus et on dirait que tu fais la manche. »

C'était direct, vexant, bref dans les habitudes de Julia, mais c'était surtout sincère. Avec son air malheureux fixant le vide, ses vêtements mis à la va-vite et sa mine de désespéré visible à cinquante mètres, il faisait vraiment peine à voir. Même Julia, qui tournait le dos à tout un tas de choses ces derniers temps, le reçut en pleine face dès qu'elle se rapprocha de lui.

Tressaillant à la voix ayant interrompu le fil de ses pensées, il mit un temps avant de se retourner. Il ne reconnaissait cette voix que trop bien. Que faisait-elle là? Pourquoi venait-elle le voir surtout? Elle était sensée le haïr. Sa phrase montrait d'ailleurs bien ce sentiment. Mais Zachary la connaissait assez bien pour savoir qu'elle n'avait prononcé ses mots que dans le but de créer une approche plus ou moins brutale. Du Julia tout craché. Se retournant finalement, toujours assis, il leva des yeux vitreux vers elle. A vrai dire, l'ironie de la situation lui décrocha un rire cynique. "Ah ouais? J'dois être dans un de mes meilleurs jours alors." Il se mit ensuite à la détaillée. Elle avait l'air en forme, comme toujours. Il était, sans mentir, déçu. Son absence était-elle si surmontable que ça? Ne lui manquait-il pas? Il aurait voulu qu'elle soit dans le même état que lui. Si l'idée était cruelle, l'image même l'aurait rassuré. Lui aurait prouvé la réciprocité des sentiments qu'il éprouvait toujours à son égard. Mais non, dans cette histoire, il était le seul à pleurer sur son sort, à ne pas pouvoir passer au dessus. Il n'était pas celui qui avait fait le premier pas vers une réconciliation fragile. Il était juste le salaud qui avait tout foutu en l'air, et qui s'en mordait toujours les doigts des mois plus tard. Secouant la tête, comme pour chasser ces réflexions, il fit naviguer son regard entre Julia et l'espace libre à côté de lui plusieurs fois, comme une invitation muette.

Il était là, lui tournant le dos, ignorant qu'elle était présente elle aussi ; et elle s'avançait vers lui, sans vraiment savoir pourquoi elle allait le voir. Parce que ses amis d'un soir l'embêtaient avec ça ? Sottises, elle aurait très bien pu leur résister, si elle l'avait vraiment voulu. Mais le voulait-elle vraiment ?
Et il était là, lui tournant le dos pendant qu'elle l'observait. Habillé comme d'habitude, un baggy, un sweat, des baskets, peut-être même une clope au bec. La routine ? Est-ce qu'elle lui manquait ? Ou est-ce qu'il continuait ses activités comme si de rien n'était ? Sans se laisser le temps de réfléchir elle avait ouvert la bouche, et une remarque glaçante était sortie. Un peu plus et on dirait que tu fais la manche. Et s'il était vraiment dans cet état, à cause d'elle ? Pas le temps de penser, il se retournait. Déjà, son visage d'ange s'était étiré en un sourire. Ange épuisé au visage cerné qui trouvait de quoi s'amuser dans sa simple présence. Elle ne répondit pas à son sourire, glacée devant tant de cynisme. Alors ça n'allait pas. Alors c'était à cause d'elle. Peut-être. Qu'est-ce qu'elle préférait au final, savoir ? Sûrement. Ca lui prouvait, en plus de tout ce qu'il avait pu dire jusque là, qu'il regrettait son acte au point de s'en rendre malade. Un ange dans le péché, un ange rongé. Si cela fixait Julia sur sa situation, ça la mettait aussi encore plus dans le doute. Elle l'avait haï pendant un long moment, d'ailleurs il la dégoutait encore aujourd'hui. Mais, et elle s'en voulait de penser une telle chose, il lui manquait. Le Zachary optimiste et plein de bonne humeur, pas le Zachary qui avait fait la grosse connerie les amenant à se déchirer. Immobile mais surtout silencieuse, Julia s'obligeait à ne pas le regarder droit dans les yeux. Encore quelques secondes et cette situation ridicule serait terminée, elle ferait demi-tour, rejoindrait sa bande d'amis et s'arrangerait pour l'oublier durant le reste de la soirée. En attendant ses yeux se tournaient d'eux même vers lui, remarquant sans le vouloir son regard insistant vers la place à côté de lui. Non. Elle ne devait pas céder. À quoi bon, de toute manière elle allait bientôt repartir, ni vu ni connu. Et puis depuis quand s'asseyaient-ils l'un à côté de l'autre comme si c'était une simple routine ? Il osait le lui proposer, même si c'était par des mots muets, ça avait au moins le mérite d'être plus ou moins courageux. Faisant comme si elle n'avait rien remarqué, Julia croisa les bras, lui montrant qu'elle n'était pas prête de s'asseoir avant un moment.

La voyant immobile, il soupira. A vrai dire, il s'y attendait. Il la connaissait assez pour savoir qu'elle avait sa fierté. Et qu'elle n'avait pas voulu réfléchir sérieusement à la situation. Que c'était trop douloureux pour qu'elle l'envisage dans sa globalité, que de se replonger dans ces réflexions lui était insupportable. Il ne la blâmait pas, non. Elle était simplement victime des aléas de la vie, de lui, de Jaylann. Et elle faisait face, comme elle le pouvait. Son instinct de survie refaisait surface, et c'était tout à son honneur.
Ne cillant pas, ne laissant échapper que ce bref soupir, il continua de l'observer. Ce n'était plus une image sur un écran ou sur du papier plastifié, ce qu'il fixait depuis leur rupture. C'était réel, et il la connaissait. Il savait qu'elle s'en irait tôt ou tard, qu'elle se mordrait les doigts d'être venue vers lui, et qu'elle lui tournerait le dos avant de partir, ne lui laissant que des regrets. Il savait qu'il devait lui donner une explication, il savait qu'il devait dire quelque chose, pour la retenir encore un peu. Alors il garda ce mot, regrets, en tête.
Il allait commencer quand il se rendit compte que de parler à quelqu'un debout en face de soi, avec le soleil dans les yeux en plus de ça, c'était loin d'être simple. Il se releva, avant de s'appuyer sur la rambarde, la cigarette aux lèvres. "J'pense que tu le sais, j'ai pas mal de dictons que j'utilise un peu comme des leitmotivs. Y'en a un sur lequel je médite depuis... Depuis qu'on a rompu. No fear, no regrets. J'me suis toujours dit qu'il fallait jamais que je regrette mes actes, que je considère mes actes, mes choix et leurs conséquences comme des trucs qui me feraient grandir. Et je l'ai fait, jusqu'à présent. Je sais que toutes les conneries que j'ai faites, que leurs conséquences auront une fin heureuse au final. - le visage de Mitchie lui apparaissant en flash, il soupira avant de reprendre - Mais je peux pas passer au dessus de ça. J'ai pas envie que tu comprennes ce que je dis dans le mauvais sens, je ne te dis pas ça pour que tu t'apitoies sur mon sort. Je sais que j'ai l'air pitoyable, que j'suis devenu un fantôme, à me cacher, à errer. J'ai simplement aucune envie de passer au dessus, d'oublier et de reprendre ma petite vie tranquille. J'ai tout foutu en l'air dernièrement, et aussi simpliste et immature que cela puisse paraître, y'a qu'une seule chose que je regrette vraiment."
Il se savait imprécis, peu clair. Mais il espérait que Julia se souvenait de comment le comprendre, le cerner. Elle y arrivait à la perfection avant, et il priait pour que ça soit toujours le cas. Il guettait chacun de ses mouvements pour tenter d'y détecter quelconque signe d'approbation, ou de colère. Mais il n'y avait que le néant.
"Je sais que j'ai été le pire connard de la terre, de l'univers. Je n'ai absolument rien à dire pour ma défense, j'ai essayé de me répéter que j'avais fait ça sous l'effet de la colère, mais faut bien que je finisse par assumer non? Enfin. Je te demande pas de me pardonner, ou de revenir, ou quoi que ce soit. Juste de m'écouter, et de savoir ce que je ressens. C'est tout. J'aimerai savoir aussi, ce que tu penses, mais je sais que tu ne me le diras pas." Il aurait aimé sourire, mais il savait que ça aurait été mal perçu. A la place, il haussa les épaules, pris une nouvelle taffe, avant de reprendre. "La vérité, c'est que tu me manques. C'est que ça me tue. C'est comme une bête noire qui gronde dans mon ventre, comme un néon "c'est de ta faute" qui clignote dans mon cerveau. C'est des heures passées à regarder nos photos, à relire nos messages, à regarder les vidéos que j'ai prises même si tu me menaçais pour pas que je le fasse. C'est tous les souvenirs qui me foutent une claque chaque fois qu'ils repassent dans ma tête."
Finissant sa cigarette, il la balança au loin du pichenette. Hésitant quelques secondes, il en ressorti une avant d'en proposer à Julia. Allumant la sienne, il en inspira une nouvelle bouffée, pesant ses mots.
"La vérité c'est que je me flagelle pour ce que j'ai fait depuis des mois. Je regrette. Je dirai bien que je m'excuse, mais ça serait estimer que toi tu me pardonnes. Et je sais que tu ne le feras pas, du moins je m'en doute fortement. Alors je te le dis juste, je regrette. Je ne pense pas qu'il y ai de mot plus fort, à part je me flagelle, mais ça serait tomber dans le pathos. Et aller vers là ne serait pas vraiment à mon avantage, je dois l'avouer. Alors voilà, je regrette, tu me manques et je t'aime. Je sais que tu refuses de le croire, mais c'est vrai, je t'aime. Je n'attends pas de réponse, pas de "hunhun". Des coups, des cris, une claque, ou ton départ, ça oui. Fallait juste que tu saches."
Expirant longuement, doucement, il baissa enfin les yeux. Le silence, devenu beaucoup trop pesant pendant son discours, le prenait aux tripes. Il appréhendait la réaction de Julia, toujours imprévisible. Se crispant légèrement, il attendit qu'une claque vienne. Après tout, il l'avait grandement méritée.

No fear, no regrets. Probablement tout le contraire de ce que Julia ressentait en ce moment; elle avait presque peur d'aller voir Zach, de ce qui pouvait se passer, de ce qu'il allait pouvoir dire et elle croyait encore moins aux chances pour que cet entretien se passe bien. Elle allait tout faire foirer, simplement parce qu'elle ne supportait de se retrouver en face de lui et que la panique lui ferait dire n'importe quoi. Cette fois-ci elle ne voulait pas s'énerver à cause de lui, jugeant l'avoir assez fait en trois mois, alors elle attendait simplement que le temps passe, espérant bêtement qu'il n'essaierait pas de la retenir. C'était totalement naïf de sa part, d'autant plus qu'il s'agissait de Zachary Dekker; elle le vit se relever, s'adosser contre la barrière, remettre sa clope en place, lentement, commencer à parler. Il prenait son temps, il choisissait ses mots, il était clair et évasif à la fois mais, surtout, il ne la lâchait pas du regard. Leitmotivs, fin heureuse, air pitoyable, je regrette vraiment. Alors que les yeux de Julia étaient sans cesse en mouvement pour éviter son regard, lui ne la quittait pas d'un clignement de cils. Il était loin le Zachary à genoux dans sa chambre, bredouillant tant il avait du mal à mettre des mots sur ce qu'il voulait exprimer. Et d'un coup, déclic, puis panique. Elle voyait où il voulait en venir, elle venait de saisir le sens de ses paroles, la raison de la durée de son discours. Mais elle ne voulait pas qu'ils s'expliquent maintenant, elle n'avait pas envie de lui faire face tout de suite et pas avant un bon moment d'ailleurs. C'était trop tôt, ce serait peut-être toujours trop tôt, fuyarde qu'elle était. Ecoutant d'une oreille ses insultes pour lui-même, elle cherchait une porte de sortie. Elle n'en voyait pas. Si elle partait en courant...mais elle ne pouvait pas faire ça. Il avait dit qu'il lui laisserait du temps pour réfléchir, et qu'ensuite ils parleraient, après avoir digéré tout ça. Elle n'avait toujours pas digéré mais il avait tenu sa promesse et elle avait eu du temps. Elle lui avait elle-même fait savoir, sans s'en rendre compte, qu'elle était passée du stade "n'essaie même pas de me parler" à celui de "je pourrais te faire face". Se mordant la lèvre, elle s'obligea à relever et planter ses yeux dans ceux, bleus, de Zach. C'était à peine s'ils cillaient. Tant mieux, qu'il se dessèche les pupilles à la regarder, qu'il s'assèche la langue à parler. Qu'il voit un néon "c'est de ta faute" dans le regard hésitant de la blonde, qu'il se souvienne de leurs moments ensemble, et qu'il regrette. Qu'il se sente indéfiniment coupable, comme elle s'était sentie mal.
Il marqua une pause le temps de sortir une seconde cigarette et de lui en proposer une. Zéro réaction. Juste un regard qui se voulait meurtrier, qui voulait dire finit vite ce que tu as commencé. Ces regrets et ces remords, elle en avait assez entendu parler, de toute part, de la bouche de n'importe qui se voulant ange gardien de ce couple maudit, mais avoir le vrai responsable de cette situation en face d'elle, c'était autre chose. C'était hésiter à le croire, hésiter à lui déballer à son tour son avis, hésiter à partir ou à rester. Hésiter hésiter hésiter. Elle se serait bien passée de lui faire une réponse, puisqu'il n'en demandait pas, mais une fois encore elle doutait. S'il trouvait le courage de lui dire tout ça, lui le grand timide, elle pouvait faire de même, elle la grande gueule. Si elle avait su s'énerver toute seule dans sa chambre ou même ailleurs devant ce qu'il avait fait, simplement en y repensant, alors elle devait être capable de ressortir tout ça. Et tant pis si elle se mettait en colère une fois de plus, il voulait savoir ce qu'elle pensait, il croyait qu'elle resterait muette, il se trompait.

« Je...sais pas moi-même ce que je pense. Je sais même pas si je dois te croire, si je peux. Alors, comment on va régler ça? »

"Je ne te demande pas de me croire. Juste d'entendre."
La claque n'était pas venue. Au contraire, si il comprenait bien, Julia cherchait à trouver une solution. Elle ne voulait pas rester dans une situation aussi malsaine qu'incompréhensible. Il aurait aimé lui donner une réponse, savoir comment arranger les choses. Mais il n'en avait pas. Loin de là. Il aurait aimé lui dire de revenir, de lui pardonner, se trainer à ses pieds pendant des heures, jusqu'à en sentir l'épée de Damoclès au dessus de sa tête. Elle était la seule, au final, à pouvoir prendre une décision. Il ne pouvait rien faire, ou dire de plus qui arrangerait les choses. Parce qu'il arrivait au bout de tout ce qui pouvait lui venir à l'esprit.
"Je ne sais pas. Je ne sais pas comment régler ça, parce que je ne peux pas envisager ce que toi tu peux penser, ou ressentir. Si je devais choisir, simplement pour moi, je me laisserai revenir. Mais tu es là aussi, je ne suis pas le seul à prendre des décisions. Encore moins après ce que j'ai fait. J'imagine que c'est à toi de prendre une décision."
C'était hypocrite, à la limite du sadisme, mais c'était ainsi que les choses se passaient entre grandes personnes. Alors il la regarda, pinçant les lèvres, jouant avec sa cigarette, avant de baisser la tête à nouveau. Il savait qu'il se devait de prononcer ces quelques mots, sans pour autant en avoir envie. Il aurait pu métaphoriser sur Narcisse se plantant un poignard dans le coeur face à un amour impossible, si cela n'avait pas paru si condescendant.
"Quoique tu décides, je n'essaierai pas de te convaincre de l'inverse."

Il s'était soudain mis à faire plus froid. Le vent était sec et sans veste Julia frissonnait sans pouvoir s'arrêter. Ou peut-être était-ce dû à ce qu'elle venait d'entendre ? Incapable de savoir quoi dire, elle avait laissé plusieurs secondes s'écouler, le temps qu'elle trouve les mots qui définiraient ses pensées. Il fallait bien qu'elle réponde quelque chose, maintenant qu'ils en étaient arrivés là, mais à vrai dire elle avait la gorge incroyablement nouée depuis quelques minutes. Décidant de tâter le terrain petit à petit, elle se contenta d'avouer qu'elle n'en savait rien. Non, elle ne savait pas si elle pouvait le croire, puisque après tout il pouvait toujours la mener en bateau et c'était bien ça que la blonde craignait le plus. Mais elle ne savait pas non plus ce qu'elle pensait réellement de cette situation. Après avoir passé des jours et des jours à les maudire et à ne pouvoir contrôler cette colère et ce sentiment de trahison qui l'avaient envahis depuis qu'elle avait appris la nouvelle, elle n'était toujours pas décidée. Elle lui en voulait, oui, mais..est-ce que ça s'arrêtait là ? Ne ferait-elle pas une erreur si elle décidait de garder contact, ou, au contraire, ne regretterait-elle pas si elle choisissait de couper les ponts ? Elle espérait qu'il amenerait avec lui et ses grandes paroles une solution, mais il n'en était rien. Bien sûr, elle savait depuis longtemps qu'il n'appartenait qu'à elle de décider, mais elle continuait d'espérer qu'on la pousse du bout du doigt vers l'un ou l'autre des deux chemins qui se présentaient à elle, qu'on lui facilite un peu la tache, parce que seule elle ne cessait de basculer vers l'un, puis vers l'autre sans être jamais convaincue. Mais non, ce ne serait pas Zach qui l'aiderait sur ce point, car après avoir déclaré qu'il reviendrait bien si ça ne tenait qu'à lui, il annonça que, peu importe sa décision, il ne la contredirait pas. Si c'était une belle preuve de maturité, ça n'arrangeait pas Julia.

« Tu peux pas me demander de choisir comme ça. »

Malgré toutes les paroles qu'il venait de lui sortir d'une traite, elle avait l'impression qu'il ne comprenait pas bien la situation. Il ne semblait pas voir qu'elle avait besoin de plus de temps, ou, du moins, qu'elle ne pouvait pas lui servir une réponse sur le champ. Pour le moment, elle avait surtout l'impression de s'être fait cernée et de manquer d'air. Elle voulait lui dire que s'il n'y avait eu que ses paroles, alors peut-être qu'elle l'aurait autorisé à revenir, parce que ses mots lui rappelaient de ces souvenirs qui ne s'oublient pas facilement, parce qu'elle n'avait pas envie qu'ils mettent un point final tout de suite, déchirés à cause de leurs conneries. Mais dans l'histoire il n'y avait pas que des mots, le contraire aurait été trop simple.

« Putain j'ai rien demandé moi. »

Finalement peut-être que rester dans l'ignorance lui aurait évité toutes ces merdes.

Zachary soupira. Il se savait injuste. Il était conscient que Julia n'avait absolument rien fait pour se retrouver dans une telle situation. Elle n'avait pas à faire de choix. Et pourtant, il ne voyait pas comment procéder autrement. Son envie de serre la jeune femme dans ses bras ayant beau lui torturer l'esprit, il se voyait mal décider de ce choix à sa place. Il lui avait fait du mal, l'avait trahie. Rien ne prouvait qu'il n'était pas capable de recommencer, hormis ses propres sentiments.
« Je sais bien. Et crois moi, j'aurai voulu que ça se passe autrement. A vrai dire, j'aurai voulu qu'on ai pas eu le besoin d'avoir cette conversation. Et je sais, je sais -levant les mains afin de prématurément calmer la réponse de Julia- je l'ai bien mérité. Mais ça ne m'empêche pas de le penser.»
S'appuyant sur l'armature en ferraille se trouvant derrière lui, il inclina la tête, observant Julia, la détaillant. Il savait qu'il n'y avait plus rien à dire sur le sujet, et il la connaissait assez pour savoir qu'il avait réussi à l'atteindre, au moins un minimum. Et elle ne manquerait pas de partir, laissant trainer une indifférence glaciale dans son sillage. Alors il l'observait, emmagasiner tout ce qu'il pouvait d'elle, tant qu'il en avait encore le temps. Il profitait de ce doute subsistant, de cet infime espoir auquel il pouvait se raccrocher, du moins jusqu'à ce que la jeune femme prenne sa décision. Il aurait voulu la prendre dans ses bras à cet instant, s'excuser des centaines de fois encore, panser les plaies qu'il avait lui-même causées. Il aurait aimé caresser cette crinière blonde, l'empêcher de partir par tous les moyens possibles et imaginables.
« Pour ce que ça vaut, tu me manques.. »
.. Et je t'aime. La fin de phrase était tue, volontairement. Elle le savait déjà, il en était persuadé. Il n'avait aucun besoin de tomber dans le pathos à ce point là. Il était déjà assez cadavérique, physiquement parlant.

Julia sortit une clope de son paquet. Elle aurait bien piqué celle de Zach, mais à vrai dire elle n'avait pas envie de lui adresser le moindre geste. Cette conversation avait été un échec ; elle n'avait servi qu'à mettre un peu plus le bazar dans sa tête. C'était comme un grand méli-mélo de pensées, d'émotions, de souvenirs, de regrets... Tout s'enchainait, tout s'emmêlait, frôlant la surchauffe, manquant de lui faire péter un câble. Elle ressentait non seulement les effets de la trahison et de la colère, mais aussi de la solitude ; ce manque constant d'un être en qui elle avait eu diablement confiance. Et ça la rongeait. Et ni la clope, ni la drogue, ni l'alcool, ni les fêtes, ni les afters ne savaient combler ce trou qui, malgré tous ses efforts, refusait de s'avouer vaincu. C'était un trou noir, un trou noir qui l'absorbait, elle et tout ce qui l'entourait. Et elle en avait assez. Assez de cette histoire, de ce labyrinthe sans sortie, assez de cette ville, et de ses habitants. Assez des Dekker, celui-là même qui se tenait face à elle et osait lui tenir de telles paroles. Et elle détestait ce regard avec lequel il la fixait, ces yeux d'un bleu renversant qui suivaient tous ses mouvements. Elle détestait le ton qu'il employait pour s'adresser à elle, elle détestait chaque mot qui sortait de sa bouche, soufflés du bout des lèvres et à la répercussion de bombardements d'obus. Elle détestait tout chez lui, pour ne pas dire juste.. lui. « Arrête. Arrête ! » Elle ne le supportait plus. Elle ne supportait plus ses excuses, elle ne supportait plus de le voir se tenir debout, devant elle. Elle ne voulait plus qu'il lui dise qu'elle lui manquait, ou qu'il l'aimait. Parce que dans sa tête elle voyait alors le visage de Jaylann, et quoiqu'il pense, quoiqu'il dise, ses mots ne rendaient pas son choix plus facile. « Tu te rends compte de tout ce que tu dis ? Et Jaylann ? Elle est partie, t'as remarqué ? Vous avez fait votre petite affaire, et elle s'est cassée. » Elle laissa tomber sa clope à peine consommée et fonça vers lui en le regardant droit dans les yeux, espérant qu'il y lirait tout le dégoût qu'elle s'efforçait d'y mettre. « Et elle a gagné, elle a eu ce qu'elle voulait. J'te déteste. Putain j'te déteste. » Il était trop près, trop proche, elle voulait qu'il disparaisse de sa vue, tout de suite, et pour toujours. Elle ne voulait plus jamais le revoir, alors elle fronça les sourcils et le repoussa aussi fort qu'elle le pouvait. La rambarde de fer sur laquelle il s'appuyait fit un bruit d'enfer lorsqu'il vacilla mais il ne recula pas comme elle l'avait espéré. Julia recommença, résignée à l'éloigner. Elle lui fila un, deux, trois coups dans le thorax qui l'ébranlèrent à peine. Finalement elle s'arrêta quand elle se rendit compte que ça ne lui faisait rien. Si elle ne pouvait pas se venger en le frappant, alors elle le ferait d'une autre manière. « Si tu ne veux pas partir alors c'est moi qui vais le faire. » Elle le défia du regard, l'espace de quelques secondes, puis se détourna et se dirigea vers la sortie. Elle quitta le skatepark sans un regard en arrière, sans regrets ni remords. Elle ferait ses valises, quitterait la ville autant de temps qu'il le faudra, et on verra bien si elle allait lui manquer autant qu'il le disait.