Cela faisait maintenant plus d'un mois que Dirty Secret avait publié dans son article l'horrible nouvelle: l'ex de Julia Fitzgerald est allé se taper la soeur de cette dernière. Affreux. Lorsque Ginny lut l'article, elle a tout de suite contacté Julia pour savoir si elle voulait en parler. Évidemment, non. C'était normal, elle devait être sous le choc, le temps qu'elle s'en remette. Mais une semaine plus tard, la demande de la rouquine était encore refusée. Idem la semaine suivante. Si Julia espérait que Wainwright abandonne et la laisse déprimer dans son coin, c'était mal la connaître! Sur ce point, la pianiste était un vrai mâtin - un mastiff imperturbable et extrêmement têtu. Dès que Ginerva en avait l'occasion, elle allait chez les Fitzgerald demander des nouvelles de Julia à son meilleur ami, James. Chaque fois, elle lui demandait si elle pouvait voir la déprimée. Chaque fois, elle essuyait un refus. Mais elle n'abandonnait pas pour autant! Ce matin, Ginny contacta Julia et lui sortit un argument-choc: l'alcool. La blonde devait sortir, se changer les idées, se vider le coeur. Et la boisson était un excellent moyen de l'aider. Surtout que la dernière fois où elles s'étaient vues, Julia avait proposé à Ginny une sortie au bar pour la dévergonder un peu. Ça serait l'occasion idéale! Julia finit par accepter, soit parce que la soirée allait lui permettre de penser à autre chose, soit parce que Ginny l'énervait royalement avec ses constantes propositions. Mais bon, la raison importait peu: la rouquine avait réussi à convaincre Fitz' de sortir un peu. Joie! Ginny avait conscience que cette soirée avait toutes les chances de mal-finir - déprime + alcool + fille peu habituée à être saoûle était un mélange explosif -, mais elle positivait: tant que ça ne finissait pas avec du vomi par terre ou une bagarre, c'était bon.

23h. Après avoir réussi à berner le videur à face de singe - légalement, elle n'aurait pas pu entrer dans un bar avant octobre -, Ginerva trouva une table vide où elle put s'installer. L'endroit était plein et les mecs derrière elle puaient l'alcool, mais la rouquine était confiante de passer une belle soirée quand même. La tête blonde de Julia finit par apparaître parmi la foule et elle faisait peur à voir. Ginny comprenait maintenant pourquoi Fitz' restait enfermée. Néanmoins, elle lui sourit et lui fit un câlin.

"Je suis contente de te voir Julia! Tu veux boire quelque chose?"

Peu importe ce que choisirait Julia, Ginerva allait prendre la même chose. C'était la blonde l'experte! Et elle préférait attendre que Julia ait pris un verre ou deux avant de lui parler de son merdeux d'ex.

"J'aimerais bien être noire dans la pénombre,
pour fuir mon ombre."

Pour la millième fois, Julia recevait un message de Ginny. Merde, il était onze heures du matin et elle ne pouvait pas dormir tranquillement ? Il était peut-être tard pour tout juste se réveiller, selon la pianiste, mais c'était dans les habitudes de la Fitz de se coucher et se lever tardivement. Elle avait mal dormi, et maintenant que le sommeil était enfin là, on le lui enlevait. Et pour lui demander si elle était libre ce soir, en plus. Bien sûr qu'elle était libre, elle était toujours libre de toute manière. Mais ça ne l'empêchait pas de refuser des sorties, notamment à Ginny qui la bombardait de mots depuis un mois. Fucking Dirty-Secret. Après son couple, c'était le peu de nuits qu'avait Julia qui étaient foutues en l'air. Elle ne voyait cependant aucun autre moyen pour que Wainwright la laisse tranquille, mise à part accepter sa demande. Tant pis, elle soulerait la rousse un bon coup et elle ne l'entendrait plus parler de la soirée. À part pour dire qu'elle venait de voir Beethoven en train de rouler une pelle à Mozart, peut-être.
Le soir venu, Julia se rendit donc au bar, lieu de leur rendez-vous, avec son habituel retard. Ginny était déjà là, toute pimpante, comme si elle allait à un défilé de mode – quoique, mauvaise comparaison, tout ce qui est présent à un défilé tire la gueule – alors que Julia s'était préparée sans se casser la tête. La musicienne lui fit savoir qu'elle était contente de la voir, ce à quoi la blonde marmonna:

« J'aurais pas imaginé dis donc. »

Elle la tannait tellement pour passer ne serait-ce qu'une soirée avec elle, si la blonde avait dû faire face à une humeur maussade elle lui aurait dégommé la tête. Elle avait presque oublié la jovialité et les câlins incessants de la rousse, et ne savait finalement pas ce qu'elle aurait préféré. Une personne dans le même cas qu'elle – Ginny, triste ? La bonne blague ! – ou une personne qui lui parlerait de son cas.

« Vodka, pour ne pas changer. »

Aller au bar et ne rien boire, ce que Ginny pouvait avoir des idées farfelues ! Maintenant, quitte à finir bourré, autant finir vite bourré.

Les premières paroles de Julia montraient bien les conversations de la rouquine avec elle depuis l'article de Dirty Secret: évasive, sarcastique. Déprimée, surtout. Mais Ginny sentait qu'à la fin de la soirée, ça sera complètement différent, d'abord grâce à la bonne humeur de la pianiste. Oui, elle y croyait. La bonne humeur était contagieuse même sur les pires cas. Et Julia en était tout un! Quoique c'était normal, découvrir en même temps que le reste du quartier que son ex s'est tappé sa soeur... Pas cool. Vraiment pas cool. Ginny connaissait bien Zach, étant le frère de sa meilleure amie, mais disons qu'en ce moment, la rouquine ne lui parlait pas trop. Wainwright avait trouvé son geste dégoûtant et était évidemment du côté de Julia. Ginerva avait un sens de la solidarité féminine bien développé (a). C'était également pour cette raison qu'elle voulait sortir Julia de ce trou noir dans lequel elle s'était mise: pas question qu'elle se mette dans cet état pour un garçon! Elle devait se relever, être forte, lui montrer qu'il ne la méritait pas, au fond. Qu'il n'est rien.

"Vodka, c'est noté! Je reviens."

Ginny n'avait jamais goûté à la vodka. Enfin, peut-être un peu, dans un cocktail qu'Elias lui avait fait pour le Nouvel An. Mais elle ignorait les ingrédients qu'il avait utilisé, alors elle ne pouvait pas le savoir. À moins que ce ne soit lui qui se trouve au bar ce soir... La rouquine savait qu'il travaillait ici - Scarlett lui avait déjà dit et il lui avait montré ses "talents" de barman -, mais ce n'était pas lui derrière le fameux comptoir. C'était une fille. Aucune trace de Sheirman ce soir, dommage, il aurait pu lui faire un prix. Wainwright commanda deux verres de vodka et, une fois les verres prêts, elle alla rejoindre Julia. La rouquine donna un verre à son amie et regarda le sien, se demandant bien comment le boire. Elle savait boire, hein. Mais Ginny savait que pour certaines boissons, il fallait les boire cul-sec, mais ce verre était trop gros pour ça. Elle passa une main dans ses cheveux et regarda la blonde face à elle.

"Alors, hum... on boit cul-sec ou bien...?"

Ou comment paraître totalement inculte devant un verre d'alcool. Mais Ginny n'avait pas d'inquiétude, elle se doutait qu'après un ou deux verres, le reste passerait tout seul. Ou voudrait faire demi-tour, c'est selon. La rouquine n'avait jamais vomi après s'être saoulée. Mais elle ne s'était jamais saoulée assez pour en vomir.

"Je n'ai jamais cru que l'éclate était une porte de secours. Non chez moi c'est naturel, tu fais ça comme tu pisses, y'a pas de moment pour te défoncer tu te défonces n'importe quand, n'importe où. Sinon t'es pas sûr de trouver le bon moment, et tu rates un univers."

Julia laissa Ginny aller chercher les boissons et s'installa à une table, vers le fond du bar, là où elles seraient tranquilles, sans supporters de match de football, ni excitation devant des défis d'alcool, même si c'était aussi dans ce coin que des types louches commenceraient à arriver, beaucoup plus tard dans la nuit. Mais elles avaient du temps avant de se préoccuper de gars de ce genre. La Wainwright revint avec deux verres et sembla hésiter. Cul-sec ?

« Bha, comme tu veux. »

Elle n'en avait pas trop envie, mais pour montrer à Ginny comment faire et parce qu'il fallait bien commencer sa soirée à un moment ou à un autre, la Fitz porta le verre à ses lèvres, et but cul sec. Elle fit une petite grimace. C'était vraiment autre chose que le Coca qu'elle avait bu avant de venir. Mais c'était toujours comme ça, elle avait un peu de mal avec les premiers verres – surtout les culs sec – mais dès que le premier était passé, ça allait tout seul et il n'y avait plus qu'à commander les suivants. Elle guetta les gestes de Ginny, qui n'avait toujours pas l'air très partante pour se lancer directement avec du cul-sec. Depuis le temps que la blonde se disait qu'il fallait l'habituer à ce monde d'un nouveau genre pour la musicienne, son monde, elle se rendait de plus en plus compte qu'il y avait urgence.

« Et c'est toi qui paye aussi ? »

C'était une simple et innocente question – certes pas très polie, mais Julia ne marchait pas avec ces règles de vie de bonne société ou les conneries du genre qui servaient surtout à n'être jamais respectées –, puisque la rousse avait décidé de prendre les choses en main et d'aller chercher les vodka, prendrait-elle aussi la note à la fin de la nuit ? Et puis ce n'était pas comme si elle était aller chercher les joints, boire coûtait moins cher que fumer.

La table que Julia avait trouvé était dans un coin tranquille. Louche, mais tranquille. La rouquine lui faisait confiance pour éviter de se trouver dans la pétrin. Devrait-elle faire confiance à Julia? Elle l'ignorait, mais elle le faisait, c'est tout. Arrivée avec les deux verres, Ginny se questionna sur la manière de le boire. Ni une ni deux, Fitzgerald cala son verre cul-sec. Oulà! C'était du rapide! Ginny n'en croyait pas ses yeux, elle qui commençait tout juste à s'habituer à l'odeur forte d'alcool qui émanait de son verre. Bon, si Julia pouvait le faire, elle le pouvait aussi, la blonde n'était pas Superwoman à ce qu'elle sache! Wainwright prit son verre et le porta tranquillement à sa bouche. Alors qu'elle hésitait encore - ce qui, provenant de la rouquine, était étonnant -, Julia lui demanda si elle allait payer. Quelle question! La rouquine sourit.

"C'est moi qui t'ai invité, non? Alors c'est moi qui paie!"

C'était assez évident pour la jeune femme: elle n'allait pas donner la facture à Julia, avec le temps que ça lui a pris pour la convaincre de sortir! Elle regarda une énième fois son verre, ferma les yeux et avala son contenu. Cul-sec. L'alcool lui brûla aussitôt la gorge dans sa descente et la rouquine grimaça une fois que sa vodka se retrouva entièrement dans son estomac. C'était fort et assez amer. "J'ignore comment tu fais pour en boire assez pour être saoule!" Mais peu de temps après avoir dit cette phrase, la gorge de la pianiste s'assécha. Ah, c'était donc ça le secret de l'alcool fort? Ça assèche ta gorge pour te donner envie de boire? Pas fou. Ginerva se mit donc à avoir soif et, alors qu'elle allait se lever pour chercher autre chose, s'arrêta.

"Tu peux aller nous chercher autre chose? Surprends-moi!"

Ginny adorait les surprises, même si ces dernières pouvaient ne pas être aussi intéressantes qu'elle l'espérait. Mais c'était ça le principe de la surprise, non?

Ah cool, la Fitz allait pouvoir boire sans regarder les billets s'envoler. Entre nous, elle n'avait pas tellement envie de rentrer bourrer ce soir – sauf si ça pouvait la faire dormir, dans ce cas elle sauterait sur l'occasion – et ne voulait pas non plus envoyer toute sa paye du mois dans l'alcool. Pas ce soir en tout cas. Son job au Gordon Coffee la lassait bien assez comme ça pour qu'elle doive tout recommencer les mois suivants. Mais bon, si c'était Ginny qui payait, elle n'avait pas à se faire de soucis. Et puis d'où elle le sortait tout cet argent, d'un coup ? La blonde balaya cette question, chacun sa façon de gagner sa vie. De toute manière ce n'était pas une Wainwright qui risquait de faire des trucs pas nets pour voir la couleur de la monnaie.
Ce soir, Julia était d'humeur maussade. Elle avait passé une mauvaise journée, pire : une mauvaise nuit, d'ailleurs la rousse avait écourté son sommeil en faisant sonner son téléphone plusieurs fois, tôt ce matin et ça avait mis la blonde dans une humeur de chien. Mais la tête que fit Ginny en buvant cul-sec sa vodka était tellement drôle, tellement awesome, qu'elle pouffa de rire. Il y avait du boulot avant de l'habituer à boire, hein. La musicienne fit remarquer qu'il fallait être fou pour se souler avec ça, mais deux secondes plus tard elle lui demanda d'aller chercher quelque chose. Hein ? Quoi ? L'alcool ça a un sale goût ? Ca te rend surtout accro ma cocotte.

« Tu vois c'est pas si difficile. T'as qu'à serrer les fesses, ça glissera tout seul. »

Il suffisait de se chauffer un peu, certes les première fois étaient un peu laborieuses mais ensuite ça venait tout seul. La preuve, même Ginny, Ginerva Wainwright en redemandait. En soupirant Julia se releva et se dirigea vers le bar pour satisfaire madame. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour initier une débutante hein. Elle voulait qu'on la surprenne ? Très bien, il ne fallait pas provoquer Julia Fitzgerald. Celle-ci avait déjà sa petite idée, mais hésita à se ramener avec deux jus de pomme en criant "Surpriiiiise, wouuwh tu verrais ça, le jus de fruit Joker ça te fous pompettes en moins de deux !". Mais bon, il ne fallait pas déconner avec l'éducation ; un autre jour peut-être. Ou alors deux simples bières. Si Ginny s'attendait à un alcool fort, elle serait surprise de se retrouver face à quelque chose de basique. Enfin, peut-être qu'elle n'avait jamais gouté à de la bière... Quoiqu'il en soit il fallait y aller progressivement, un jus d'orange ou même un Coca ce n'était pas assez – que celui qui a déjà été soûl avec du Coca lève la main – mais de la tequila, c'était peut-être trop d'un coup. Ju' revint donc avec deux bières Heineken, déjà décapsulées – mais si Ginny voulait l'ouvrir elle-même il y avait moyen d'échanger la bouteille, pas de problème.

« Tiens, une bière au beurre bien fraiche, ça vient directement de Pré-au-Lard ! C'est un peu bizarre au début mais c'est buvable. Et c'est pas cher. »

Ginerva devait avouer que ce n'était pas la première fois qu'elle buvait de l'alcool. Lors des concerts mondains de sa soeur, il lui arrivait de tremper ses lèvres dans le vin ou le champagne de ses parents. Et probablement qu'à partir de ses vingt-et-un ans, on lui en offrira une coupe. Et c'était sans compter les quelques virées au bar avec des copines, mais chaque fois la rouquine n'abusait pas. Elle n'a jamais été saoule et n'a jamais passée une nuit en compagnie de beaux inconnus ou dans les toilettes. Mais boire cul-sec de la vodka ou autre alcool fort, c'était la première fois. Et ça faisait tout un effet dans son organisme! Cependant, ça n'empêchera pas la rouquine de continuer de boire jusqu'à... jusqu'à quoi? Même Ginny l'ignorait: ce soir, aucune limite. Aucune voix de Papa-Maman dans sa tête qui râlent sur sa consommation excessive. De toute façon, ils s'en fichaient bien. Tant que Satine allait bien, ils considéraient que la famille allait bien. Donc, Wainwright demanda à Julia de leur apporter autre chose. La blonde n'avait pas à s'en faire du prix de l'alcool, c'était ses parents qui payaient. L'avantage d'avoir des parents riches et de vivre encore sous leur toit, même si la rouquine avait hâte de terminer ses études et de déménager.

"Il faut quand même les tenir serrés, ça frappe! Mais j'imagine qu'après le troisième, ça passera tout seul."

Julia quitta leur table et revint assez rapidement, deux bières à la main, expliquant à la rouquine qu'il s'agissait de Bière au beurre. Ah, bien sûr. Ça ne ressemble pas du tout à une bière normale et il n'est pas inscrit Heineken dessus. C'était un peu comme si Julia lui montrait unn xylophone en disant qu'il s'agit d'un piano! Ginny décrocha un sourire sarcastique à Fitzgerald, du style 'nan mais tu me prends pour une conne!'. Mais elle joua le jeu. La pianiste prit donc sa bière et but une gorgée. Elle était fraîche et ça brûlait beaucoup moins la gorge que la vodka, c'était sûr! Ça lui fit du bien.

"Pré-au-Lard fait vraiment de la bière au beurre de qualité!" La rouquine but une seconde gorgée, puis lança nonchalamment: "Et sinon, tu as reparlé à Tu-sais-qui depuis l'article?"

Si Julia croyait que Ginny n'allait pas parler de ce sujet, elle s'était mise le doigt dans l'oeil! La voilà prise au piège, comme un veau dans une usine de transformation agro-alimentaire. La blonde n'y échapperait pas, et Ginny voulait parler de ce sujet avant de se saouler, pour que la Fitz' crache tout son venin à propos de ce merdeux et boive pour s'en remettre. Après, elles seraient probablement trop ivres pour se souvenir de la suite des évènements.

De retour avec les Heineken, ou plutôt les bières au beurre, Julia s'affala sur son siège et but quelques gorgées de sa boisson. Même si son alcool préféré restait encore et toujours la vodka, elle ne disait jamais non à une petite bière. Certes l'une comme l'autre offrait du plaisir et du bien-être, mais les filles ne risquaient pas d'être ivres avec une ou deux bières dans le sang. Si Ginny voulait se saouler, elle avait le choix entre la vodka ou beaucoup, beaucoup de Heineken. Bien sûr Julia avait déjà réussi à être pompette avec de la bière, quelques fois à Chicago parce qu'elle et ses amis de là-bas s'en étaient enfilé tellement à la suite qu'ils n'avaient plus les idées très claires après ça. Quoiqu'il en soit si Ginny voulait faire de même, libre à elle, mais elle allait devoir mettre la dose. Tandis qu'avec la vodka, ou carrément la tequila, il ne fallait pas beaucoup de temps pour être dans les vapes, mais au niveau goût c'était un degré différent. Pour sûr qu'il fallait serrer les fesses. Et sans prévenir, alors qu'elles parlaient tranquillement de Pré-au-Lard et de sa magnifique bière au beurre, sujet sur lequel Julia était incollable en tant que fan de Harry Potter, Ginny demanda subitement si elle avait parlé à Elle-savait-qui depuis l'article. La Fitzgerald haussa un sourcil. Qu'est-ce qu'elle baragouinait dans sa moustache celle-là ? Elle finit par rapidement comprendre, ou du moins supposer qu'elle avait bien compris ce que tentait de lui dire la rousse.

« Non, parce que je sais pas qui. »

Elle résista à l'envie de faire un petit sourire narquois à la Wainwright. Bien sûr, elle avait très bien compris de qui la rousse parlait, il n'y avait pas trente six milles personnes, mais elle aimait bien se moquer un peu d'elle. Après tout, la dernière fois que la Fitz avait parlé en message codé datait à peu près de... du collège. À vrai dire elle avait toujours trouvé ça stupide de parler ainsi, elle considérait que rien n'interdisait de dire clairement et honnêtement les choses, même lorsque la personne qui était sujet de discussion se trouvait à proximité, par exemple. Elle refusait donc de tenir une conversation en messages codés, préférant faire tourner Ginny en bourrique et prétendre qu'elle ne comprenait pas de quoi elle parlait. En fait elle faisait ça depuis près de deux mois à chaque personne qui abordait ce sujet en particulier et elle commençait à en avoir assez de ce petit manège, mais elle en avait aussi marre que les gens lui en parlent. Et voilà que même Ginny Wainwright, la gentille rousse qui faisait constamment des câlins se montrait à son tour curieuse. Merde alors, si elle avait pu choisir elle aurait pris l'option soulage plutôt que papotage ; elle allait devoir faire dévier la conversation dans un autre sens. Encore une fois.

C'était donc ça: Julia Fitzgerald prenait vraiment Ginny Wainwright pour une conne. Une morue. Une blonde. Un bambin de deux ans. Incroyable! Ginny était là pour aider Julia, la soutenir dans l’horrible épreuve qu’elle était en train de subir – à savoir, découvrir en même temps que tout le quartier que son ancien copain a couché avec sa sœur si détestée – et cette dernière évitait délibérément le sujet en riant de la tentative de subtilité de la pianiste. Il s’agissait de tout un affront! La rouquine lui fit de nouveau un sourire sarcastique. Durant un instant, elle avait bien envie de jouer la blonde, puis se ravisa. Quoique, autant jouer le jeu. "Haaan, mais tu saiiis, le mec là! Il est blond ou jesaispasquoi... roux, peut-être... Son prénom commence par un F. Ou par un B, ma mémoire de blondasse me fait défaut!" s'exclama la Wainwright en enroulant une mèche de ses cheveux autour de son doigt et en mâchant exagérément une gomme à mâcher invisible. Puis elle reprit aussitôt un air sérieux - sisi, Ginny avec un air sérieux ça existe - et regarda Julia dans les yeux, la défiant du regard.

"Je te parle de Zachary Dekker, chère. Et fais pas genre 'je-sais-pas-c'est-qui', car je pourrais très bien t'expliquer en détail ce qu'il t'a fait pour remuer le couteau dans la plaie. On sait toutes les deux ce qui s'est passé, pas besoin d'en rajouter." Et la rouquine termina son discours par une gorgée de Heineken.

Ginerva détestait tourner autour du pot. Et pour une fois qu'elle voulait avoir du tact, on le lui reprochait. Alors tant pis hein, Ginny parlera à Julia sans détours et sans tabous, comme s’il s’agissait d’une situation tout à fait normale alors que ce n’était pas le cas! Après sa gorgée de bière, le sourire habituel de la rouquine refit son apparition sur son visage. "Après le blabla, on fait une course à celui qui boit le plus de shooters!" Pour la rouquine, il s'agissait d'un excellent compromis: parler, et ensuite oublier dans la boisson. Après tout, les deux jeunes femmes étaient réunies pour ces deux raisons: l'une pour savoir si la seconde s'en sortait bien après que cette peste de Dirty Secret ait parlé d'elle, la seconde pour saouler la première. Après une autre gorgée d'alcool, la rouquine posa une nouvelle fois sa question: "Alors, tu lui as parlé depuis?"

Julia n'avait pas du tout envie de parler. De rien. Enfin surtout, elle n'avait pas envie de remettre Zachary Dekker sur le tapis, elle avait épuisé tout ce qui pouvait se dire à son sujet et ne pouvait pas – ne voulait pas – faire plus. Autrement dit, Ginny, qui voulait en parler, arrivait trop tard. Profitant de la situation, Julia se moqua d'elle lorsqu'elle commença à la questionner par messages codés. Eh bien non, si elle ne lui disait pas « qui » était, Juju ne pouvait pas savoir de « qui » elle voulait parler. Au sourire de Ginny, la blonde sut qu'elle avait compris son petit manège ; d'ailleurs la rousse joua le jeu et continua sur sa lancée, révélant l'identité de « Tu sais qui ». Julia eut un sourire, ce qu'elle pouvait être bête. Un blond, mais oui bien sûr, les blonds et les roux pullulaient par ici, surtout au n°42 ! Par contre, en B ou en F, elle ne voyait pas. Le nom du petit frère de Ginny commençait par un B, non ? Quelque chose comme Maltazard*...

« Par un F ? Un blond ? Ah non, désolée je ne vois vraiment pas de qui tu veux parler. Toi, une blondasse ? Haha non mais tu déconnes j'espère, t'es à deux doigt de foutre ta réputation en l'air là, be careful. »

Embêter Ginny, c'était drôle, mais quand celle-ci s'y mettait à son tour, ça devenait hilarant. Julia était fière de ses réponses et continuerait bien ce petit jeu jusqu'au bout de la nuit, mais Ginny en avait décidé autrement. Sans prévenir, son sourire disparut, elle planta son regard dans celui de sa victime et un silence pesant s'installa. Et telle la biche prise en chasse par le lion, Julia cherchait une porte de sortie. Si elle se jetait sur l'alarme incendie et la déclenchait, réussirait-elle à s'échapper ? Ou si elle prétextait un rendez-vous ? À une heure si avancée de la soirée, il y avait peu de chances pour que ce soit crédible. Elle réfléchissait à toute vitesse, merde Ginny n'allait quand même pas la forcer à parler ! ...Si ? Mais la méchante reine rousse n'attendit pas et déjà, elle allait au fond de sa pensée. Et la bitch, elle avait tout prévu en détail ! Alors que Julia s'apprêtait à dire que oui, il s'appelait Zachary Dekker voilà ce n'était pas un scoup, next next, on s'en tape que ce soit Zachary ou Yakari** Ginny abattit ses dernières cartes. Si la Fitzgerald se dérobait, elle reprendrait tout ce qui s'était passé depuis le début pour être sûre d'enfoncer plus profondément encore le couteau dans la plaie. Julia aurait dû se méfier plutôt d'elle, elle n'était vraiment pas nette. Trop tard, maintenant qu'elle était là elle ne pouvait même pas courir vers l'alarme incendie, seulement revêtir les armes et se battre jusqu'à la victoire ou la mort.

« En fait t'es trop une tepu Ginerva Whynvrightz. »

Première réponse. Une fois encore – Dieu sait le nombre de fois où ça lui est arrivé –, Julia beugua sur le nom de famille de la rousse – plus précisément, elle se vautra sur la prononciation. C'était vraiment de la triche de posséder un tel nom, impossible à dire ; il venait de bousiller toute la superbe répartie de la Fitzgerald – elle au moins elle avait un nom prononçable. La « Whynvrightz » avait donc fini de jouer et demanda, cash cette fois-ci, sans transformer sa phrase en message codé, si elle avait reparlé à Zachary, alias elle-savait-qui.

« Plus ou moins. Et puis si y'a pas besoin d'en rajouter, pourquoi t'en rajoutes, là ? »

Deuxième réponse. JACKPOT. Pile ce qu'il fallait dire, pile dans la seule faille que contenaient les mots de Ginny. Julia jouait sur les mots, mais tant pis tout était bon à être renvoyer à la tête de la rousse. Elle voulait jouer ? Qui s'y frotte s'y pique !

Le sarcasme de Julia avait toujours fait rire Ginny, bien qu'au début elle était un peu trop naïve pour comprendre l'ironie de ses phrases. Chez les Wainwright, on ne faisait pas d'ironie: on faisait rarement de l'humour, en fait. Seulement Balt et Ginny. Même si depuis l'arrivée de Lucy, la famille s'est un peu plus décoincée, l'ambiance stricte régnait toujours. Mais une fois avoir compris l'art du sarcasme chez la seconde fille Fitzgerald, Ginny s'est mise à un peu plus l'apprécier, elle et son humour particulier. Au point où il lui arrive d'embarquer dans ses délires, comme en ce moment. Ginerva aime jouer la comédie, pousser à fond un personnage. La nunuche blondasse en est un parfait exemple. Et ce qui était encore plus drôle avec Julia, c'était qu'elle jouait le jeu. Sourire aux lèvres, Ginny continua sur sa lancée: "Quoi, tu ne sais pas de qui je peux parler!? Ce que tu peux être conne des fois! Tu sais, LE mec! Han, quoique c'est p't'être une fille..." La rouquine tapota sa joue avec son doigt, en pleine réflexion philosophique. "Et je ne vois pas du tout de quelle réputation tu veux parler. J'en ai une?" Ce que Ginny adorait jouer des rôles. Surtout des ignorantes; jouer plus sotte que soi nous donnait l'impression d'être plus intelligente. Mais l'heure n'était plus à la rigolade, il était temps pour Julia de tout lui raconter. Alors Ginerva prit un air étonnement sérieux pour... faire peur à Fitz'? Bien sûr que non. C'était davantage pour lui montrer que la rigolade était terminée, qu'elle devait lui répondre. Mais son air sérieux disparut dès que la blonde déforma le nom de famille de la pianiste qui s'est mise à rire aux éclats.

On a déformé son nom de famille à ne nombreuses reprises. Certains ne savaient pas comment le prononcer, d'autres oubliaient des syllabes. Mais Julia Fitzgerald venait de battre un record, même si ça lui est déjà arrivé de beuguer devant Wainwright - Ginny se demanda même si Julia avait réussi à le prononcer correctement. Reprenant ses esprits, la rouquine ajouta: "T'as déjà été capable de dire Wainwright correctement? Wain-wright. Pas de z à la fin." et but un peu de bière pour se remettre de son fou rire. La famille Fitzgerald est définitivement sa seconde famille - ne pas avoir été une Wainwrigt (le rêve), elle aurait voulu être une Fitz', c'est certain. Peu importe le membre de la famille - sauf Jaylann -, Ginny s'entendait bien avec et avait des fous rires inoubliables. La connerie de Julia resterait gravé dans sa mémoire durant longtemps, c'était sûr! Reprenant son "sérieux", la pianiste reposa correctement la question sur Zach. Parlé ou pas parlé? La question était claire, pourtant. Mais Julia détournait, encore et toujours. Ne voulait définitivement pas répondre. Espérait peut-être réussir son coup? C'était mal connaître Ginerva.

"Come on, Julia! 'Plus ou moins', c'est pas une réponse, ça. Et je ne reviens pas sur le passé - soit ce dont Dirty Secret a parlé -, mais sur l'après-article. Complètement différent. Alors raconte tout à Bibi, qu'on puisse se saouler sans y repenser après!" Une fois ses interrogations disparues, la rouquine pourrait terminer cette bière et commander des shooters, question d'accélérer le rythme. Et elle voulait danser, bordel! Ses fesses commençaient à se coller à son banc, signe qu'elle devait bouger de là. Mais pas avant les vraies réponses de son amie.

Julia se prit à rire devant la mise en scène de Ginny, non seulement parce que l'une comme l'autre savait très bien de qui elle voulait parler mais continuait quand même ce petit jeu, mais en plus parce que la rousse venait de comparer Zach à un blond, puis un roux et pour finir à une fille. Cerise sur le gâteau Ginny termina sa tirade en demandant si elle avait vraiment une réputation. Ah cette Ginerva, ce que Julia pouvait l'aimer parfois ! Du moment qu'elle ne lui faisait pas des câlins à tout bout de champ et qu'elle ne faisait pas sa mégère curieuse. Finalement, Julia l'avait bien éduquée. Quelle réputation, ça c'était de la réponse, ça c'était de la meuf !

« Hmm, maintenant que tu le dis... »

Mais une Wainwright reste une Wainwright, même lorsqu'une Fitzgerald, ou plutôt lorsque Julia Fitzgerald, vient redresser son éducation de mollusque musicale à celle de femme rock'n roll. Et très vite, la rousse mit fin à la partie pour en venir au cœur de son plan : les questions. Mégère curieuse tu seras, mégère curieuse tu resteras. Fini la rigolade, le sourire de Juju disparut et elle ne trouva à répondre qu'une insulte, sans même réussir à prononcer le nom de son adversaire correctement. Décidément, elle avait du mal à gagner la partie ce soir. Mais cette petite gaffe eut pour avantage de déconcentrer Ginny pendant quelques secondes, cette dernière partit dans un grand rire en entendant la faute. Puis elle voulut corriger Julia, mais celle-ci n'était pas d'humeur à faire des exercices de prononciation.

« On s'en tape, du moment que tu sais que c'est à toi que je parle ! »

À qui d'autre pouvait-elle causer ? Qui d'autre, ce soir, pouvait-elle traiter de tepu sans vraiment le penser mais un peu quand même ? Quoiqu'il en soit elle essaya d'épeler dans sa tête chaque lettre du nom de famille de la musicienne, sans succès. Il y en avait trop, avec celles qui ne se prononçaient pas. Puisque son nom était aussi dur à écrire qu'à prononcer, elle tenta tout de même de s'énoncer les syllabes en pensées, comme l'avait fait Ginny. Le résultat n'était à vrai dire pas fameux. Bon, tant pis, qu'elle ajoute un z ou un x à la fin, qu'est-ce que ça pouvait faire, elle ne s'en fichait pas moins. Cependant Ginny n'avait pas oublié l'affaire Zachary, et à peine entendit-elle que Julia lui avait « plus ou moins parlé », que déjà elle attaquait à nouveau en lui demandant plus de détails, mais surtout en affirmant que ce qu'elle venait de dire ce n'était pas une réponse.

« Bien sûr que si c'est une réponse ! C'est totalement ce qui s'est passé. On s'est vu, mais on s'est pas vraiment parlé. Contente ? Ou il faut aussi que j'ajoute que j'étais à deux doigt de faire péter la baraque ? »

Julia comprit soudain que Ginny n'était pas ce genre de personnes à abandonner lorsqu'ils se rendaient compte que leur interlocuteur n'avait vraiment pas envie de discuter de tel ou tel sujet. Non, elle, elle y allait, elle fonçait, peu importe la réaction de sa camarade. Alors plus Julia lui en dirait, plus elle la laisserait tranquille. Cependant si elle pensait pouvoir la soulager avec l'alcool, elle n'avait, certes, pas tord, mais elle arrivait un peu tard ; se saouler pour essayer de ne pas repenser à tout ça, Julia l'avait déjà fait, et pas qu'une fois. À vrai dire elle enchainait fête, travail, dodo pour s'occuper assez l'esprit afin de ne pas repenser à ce fouteur de merde. Ça marchait plus ou moins bien, en général moins bien quand quelqu'un du style de Ginny venait troubler ses plans.

Ginny ne répondit pas au commentaire de la blonde concernant sa réputation. La rigolade était terminée, il était temps de parler des vraies choses! Mais la tentative de sérieux de Ginerva fut malheureusement gâchée par le problème de prononciation de Julia. Comment ne pas s'esclaffer devant une erreur si flagrante? Et la Fitz' se fichait apparemment de savoir comment bien prononcer Wainwright. "J'avoue. Après tout, qui d'autre dans le quartier a un nom aussi compliqué?" Bon, il y avait peut-être les Ainsworth, ou les Farnsworth. Faudrait faire le test de Julia: si elle les prononce correctement, ils ne sont pas compliqués. Test simple et rapide. La sincérité de la soeur de son meilleur ami faisait toujours sourire la rouquine; aucun filtre, cette fille-là. Même Ginerva n'était pas aussi directe: son impulsivité pouvait lui dire des choses sans avoir pensé à se la fermer, mais elle n'est pas aussi grande gueule que son amie. Si quelqu'un dans une salle l'énerve, la pianiste ne va pas se retourner pour lui dire de se taire. Faire preuve de classe, toujours. Mais si cette personne l'attaque directement, elle va répondre. Classe mais pas stupide, tout de même!

Le banc sur lequel Ginerva était assise était inconfortable. Malgré les probables espérances des propriétaires, l'alcool ne réussissait pas à lui faire croire que ce banc était le meilleur banc du monde. Si seulement Julia arrêtait de tourner autour du pot pour qu'ils passent à autre chose! La blonde semblait espérer que Ginny en ait marre de son petit jeu, mais au final ça serait le banc qui aurait la peau de la seconde fille Wainwright. Après lui avoir dit que 'plus ou moins' manquait de précision - non mais comment être aussi vague!? -, Julia lui expliqua pourquoi elle avait dit ça. Pourquoi aller voir quelqu'un pour lui parler s'ils ne se disent rien? En même temps, Ginerva n'était pas dans sa situation, elle ne pouvait pas savoir ce que c'était de savoir que son ex s'était tapé sa soeur - et ça serait étonnant que ça lui arrive, qui voudrait se taper Satine? Ginerva hésita quant à savoir si elle continuait ou si elle levait ses foutues fesses de cette chaise, puis haussa les épaules.

"C'est bon, t'as pas besoin d'en rajouter. Allons danser maintenant!" Dès que la rouquine prit appui sur ses deux jambes et quitta le banc, une sensation de libération l'envahit. Joie! Ginny termina d'une traite le reste de sa bière, ce qui lui donna un léger tournis, et traîna Julia jusqu'à la piste de dance - si on pouvait appeler ça comme ça. Mais qu'importe, la rouquine voulait libérer son fou, danser jusqu'à ce que ses jambes n'en peuvent plus. Elles passèrent devant un couple de mecs tiré tout droit d'une scène de yaoi, mais cela n'importuna nullement la rouquine. Ils s'aimaient, c'était beau à voir. Une fois sur la piste, Ginny se mit à danser, ne lâchant pas la main de Julia, l'entraînant dans ses mouvements, l'encourageant à libérer ses tensions par la danse.

Si Julia avait pendant un moment refusé cette sortie avec Ginny, c'était justement parce qu'elle redoutait que la rousse ne lui parle de Zachary. Il était évident que si la musicienne la bombardait de messages juste après l'article, c'était pour glisser un peu de ce qui s'était passé dans leurs discussions. Or Julia n'avait pas du tout envie d'en parler ni avec Ginny ni avec personne. Et elle n'avait pas plus envie de voir des gens spécialement pour qu'ils retournent le couteau dans la plaie. Elle avait donc décliné et ignoré ces invitations, bien que les deux filles se soient promis d'aller à une fête ensemble, mais Julia avait soudain réalisé que les efforts de Ginny ne faibliraient pas tant qu'elle n'accepterait pas au moins une soirée. Et ça n'avait pas manqué ; elle avait dit oui, la soirée avait plutôt bien commencé mais la Wainwright avait décidé de mettre son complot – quoique, pas très secret comme plan – à exécution, et les voilà en train de parler de Zach. Pile dans le mile Bill. Julia avait un peu répondu à côté de la plaque, puis elle avait dû renchérir en faisant comprendre à Ginny qu'elle aurait bien fait explosé la maison à coup de missiles si elle l'avait pu... En tout cas elle espérait que ça suffirait à la rousse, parce que même si elle ne se contentait pas d'une réponse vague, c'était tout ce que Julia pouvait lui donner, incapable d'aller au cœur du sujet en un claquement de doigts. Elle était déjà assez à vif à cause de cette histoire, jusqu'à espérer que sa sœur finisse dans une ambulance quand elle lui avait balancé son poing à la figure – ceci dit ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait d'avoir ce genre de souhait, question de manque de tact. Heureusement pour elle, Ginny s'arrêta là, préférant aller danser. Bien! Ah, si seulement tout le monde pouvait faire comme Ginny ; parler trois secondes d'un sujet et dévier sur un autre tout de suite après. Finalement, les craintes de Julia étaient infondées; la blonde poussa un soupir, but les quelques gorgées qui restaient de sa bière, et suivit la rousse vers la piste de danse, ou plutôt s'y fit trainer. Le cœur n'y étant pas vraiment, elle ne faisait qu'imiter les gestes de son amie le temps de trouver l'inspiration. Il suffisait d'attendre un peu, de se forcer un peu, et puis ensuite elle aurait vraiment envie de danser et elle se lâcherait. Quoiqu'il en soit, si Julia s'était connue plus en forme que ça, Ginny devait s'être retenue pour s'empêcher de bouger lorsqu'elles étaient encore devant leurs boissons ; elle était vraiment à fond ce soir. Voir la rousse ainsi fit sourire Julia. À vrai dire, elle l'avait toujours connu folle et curieuse, constamment surexcitée, à sourire et faire des câlins à tout bout de champ, mais il ne faisait aucun doute qu'elle la préférait dingue que fouineuse comme une petite mégère. Sauf quand elle la serrait dans ses bras toutes les trentes secondes, elle ne pouvait alors pas la supporter dans ces moments-là. Une idée traversa l'esprit de Julia et elle se pencha vers Ginny, lui faisant signe de ralentir la cadence pour qu'elle puisse lui murmurer à l'oreille ce qu'elle avait à lui dire.

« Eh! T'es déjà allée à une vraie fête ? »

À vrai dire Julia venait de se rendre compte que si la Wainwright avait assez la pêche pour danser comme une fifolle dans un bar, elle devrait être assez en forme pour faire exactement la même chose, sinon plus, dans une fête. Une vraie fête, pas le tabac du coin de la rue à l'air banal mais en vérité rempli d'hommes en instance de divorce et de vieux pervers attablés devant une bière devenue chaude sous leurs mains. Et puis l'ambiance en elle-même n'était pas non plus la même, il y avait les bars et les fêtes. Les fêtes déjantées et les fêtes un peu plus calmes mais pas totalement tranquilles non plus. Évidemment, elle se doutait bien que la rousse ne risquait pas d'aller avant un moment, et sûrement jamais, dans une de ces fêtes de dingue auxquelles Julia participait parfois et où elle ne pourrait jamais l'emmener, question de principe mais aussi parce que ça ferait trop d'alcool, de drogues, et d'inconnus déchainés pour quelqu'un qui n'en avait pas l'habitude, même pour une fille énergique comme Ginerva Wainwright. Cependant il y avait toujours mieux que le petit bar un peu miteux de Magnolia Crescent. Remarque, les endroits que Julia fréquentait parfois n'étaient pas beaucoup mieux que celui-ci...