« Encore ?! Bon sang, je ne sais pas comment vous faites, c’est à peine croyable !! Je n’ai jamais vu une personne aussi chanceuse de toute ma vie !! Vous vous rendez bien compte que vous m’avez ruiné sur ce coup-là ? C’est fini, j’abandonne la partie les gars ! »

L’homme poussa un profond soupir, passa une main sur sa nuque endolorie puis lança un regard admiratif en direction de la pile de jetons posée face à sa jeune et ravissante adversaire. C’était bien la première fois de sa vie qu’il perdait autant d’argent autour d’une table de poker !! Pourtant, il avait pour habitude de faire face à de redoutables joueurs et se vantait même d’avoir gagné un tournoi dans un casino de Las Vegas quelques années plus tôt. Ceci dit, il ne jugea pas nécessaire de le rappeler ce soir. Pas après une telle défaite. Après tout, c’était bien la première fois qu’il perdait face à une femme et sa virilité venait d’en prendre un sacré coup ! Après avoir serré la main d’un autre joueur, l’homme décida de quitter la table, suivi de très près par un autre client du casino, à peine plus âgé mais qui avait également compris qu’il allait finir par y laisser sa chemise. Leur adversaire si chanceuse et si redoutable ? Une charmante demoiselle prénommée Juliet. Quand elle s’était installée à leur table quelques heures plus tôt, tous s’étaient mis à sourire narquoisement, persuadés qu’ils avaient à faire à une petite joueuse en mal de sensations fortes. Il faut dire que sous ses traits angéliques, Juliet ressemblait davantage à une ravissante poupée qu’à une joueuse dont il faut se méfier. Tous l’avaient poussé à jouer de très grosses sommes d’argent mais malheureusement pour eux, ils l’avaient bien vite regretté. De toute évidence, ils ne savaient pas à qui ils avaient à faire … De son côté, Juliet afficha un sourire satisfait et devina au regard brillant du croupier qu’elle avait face à elle une coquette somme d’argent. En réalité, elle n’avait qu’une vague idée de ce qu’elle avait bien pu gagner en l’espace de quelques heures. Venir au casino était une manière comme une autre de se distraire, d’autant que la jeune femme était absolument certaine de ne jamais perdre son argent. Une question de chance ? Absolument pas !! Juliet ne comptait pas sur le hasard ou sur une main chanceuse pour gagner, mais tout simplement sur son intelligence. Quoi de plus facile que de compter les cartes ?? A ses yeux, c’était d’une simplicité enfantine et elle ne comprenait pas pourquoi seulement peu de personnes étaient capables de faire une chose pareille. Cela ne demandait pourtant rien de plus qu’un peu de concentration et de mémoire. Oui bon, légalement, ce n’était peut-être pas totalement autorisé mais Juliet était persuadée de ne jamais se faire pincer. Dans le pire des cas, Fred pourrait trouver de bons arguments pour la faire disculper. Depuis quelques semaines, Juliet avait décidé d’entrainer son ami et accessoirement, bras droit de son ex fiancé, dans ses folles péripéties. Le voir ronger son frein pendant qu’elle encaissait des petites fortunes l’amusait beaucoup. Juliet était une jeune femme profondément droite et honnête et elle estimait que ce qu’elle faisait n’était nullement de la triche. Elle comptait les cartes oui, mais c’était plus fort qu’elle, elle n’avait aucun contrôle là-dessus. Juliet trouvait cela facile et cela s’imposait à elle de la façon la plus naturelle au monde. Ne lui parlez surtout pas de triche ! Tricher ? Juliet n’aimait pas ce terme. Elle ne trichait pas, elle était intelligente, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. C’était un jeu d’enfant pour elle de prédire la carte qui allait sortir au prochain tour ou de se faire une idée sur la main de ses adversaires. Elle était une joueuse redoutable mais elle n’était pas une personne fraudeuse. Après s’être levée et avoir lancé un clin d’œil complice en direction de Fred, la jeune femme se rendit jusqu’au guichet afin de faire échanger ses jetons contre de l’argent. Lorsque l’employé du casino lui annonça la somme qu’elle venait tout juste de gagner, Juliet demeura interdite l’espace de quelques secondes.

« Je vous demande pardon ?»

Ses magnifiques prunelles piquetées de vert se concentrèrent sur les lèvres de son interlocuteur et les battements de son cœur s’accélérèrent lorsqu’elle réalisa qu’elle avait parfaitement compris le montant qu’elle venait d’empocher. La somme que l’on venait tout juste de lui remettre en petites coupures avait véritablement de quoi lui donner le vertige. Juliet n’avait pas pour habitude d’avoir autant d’argent. A vrai dire, elle ignorait totalement ce qu’elle allait bien pouvoir faire d’une telle somme. Anticiper les frais d’université de Logan, peut-être ? Un large sourire se dessina sur son visage de poupée et elle rangea les billets dans une petite pochette, assortie à sa robe. D’un pas assuré, elle retourna près de Fred et posa une main sur son épaule, un léger sourire aux lèvres.

« Tu vois, c’est bien plus efficace que l’augmentation de tes honoraires.»

Elle se mit à sourire avec amusement tout en observant avec avidité les joueurs d’une autre table de poker qui semblaient miser des sommes d’argent faramineuses.

« Détends-toi Fred, je n’ai volé personne. Et je ne triche pas non plus… Je ne regarde pas les cartes de mes adversaires, je respecte les règles et je n'ai besoin d'aucune aide extérieure pour faire ce que je fais !! C'est … naturel, ça me paraît évident et je mise en conséquence. Alors s’il te plait, ne me sors pas ton grand-jeu d’avocat… oublie tes codes le temps d’une soirée et amusons-nous ! Qu’est-ce que tu aimerais faire ? Un poker ? Jouer aux machines à sous ? Un black jack peut-être ?»

Juliet n’avait pas conscience que sa petite technique n’avait strictement rien de légale. A ses yeux, il ne s’agissait que d’un tour de passe-passe vieux comme le monde et que peu de gens étaient en mesure de maîtriser. Naturellement, l’œil aguerri des agents de sécurité n’allait pas tarder à la repérer si elle ne cessait pas immédiatement de plumer tous les joueurs du casino et ça en revanche, elle le savait pertinemment. « J’aurais toutes les raisons du monde de m’insurger ! Pardonne-moi d’insister lourdement sur ce point mais je n’arnaque personne. Est-ce que tu m’as vu tricher ? Tu n’es pas un simple d’esprit, si tu n’as rien vu, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait rien à voir. Je joue tout simplement. Compter les cartes, c’est aussi facile pour moi que pour toi de répondre à une question que l’on poserait à un enfant de cinq ans.» Mais bien sur Juliet, tu n’as pas triché du tout !! Sachant parfaitement qu’elle faisait preuve de mauvaise foi, la jeune femme afficha un adorable sourire mutin tandis qu’elle écoutait la suite. Fred n’avait pas envie de jouer contre elle ? Intéressant … « Si jamais je me fais pincer, je compte sur toi pour assurer ma défense. T’es bien un dieu du barreau, non ? » Tandis qu’elle parlait, la douce Juliet semblait scruter les différentes allées du casino afin de savoir qui serait sa prochaine cible. En l’occurrence, la proposition de Fred de s’attaquer aux machines à sous lui semblait relativement risquée. Après tout, il s’agit d’un pur jeu de hasard et les chances de gagner restant infime, elle n’était pas convaincue que ce soit la meilleure chose à faire. « Tu l’as dit toi-même, ton porte-monnaie risque d’en prendre un sacré coup si on s’installe à l’une de ces machines infernales. Avec ce charmant petit butin que j’ai empoché, que dirais-tu de savourer une excellente bouteille de champagne ? » Le regard pétillant et manifestement en effervescence face à la coquette somme qu’elle venait d’empocher, Juliet n’attendait qu’une réponse positive de sa part pour commander la meilleure bouteille du casino. Depuis combien de temps la jeune femme ne s’était-elle pas sentie aussi sereine et détendue ? Au bas mot, elle avait l’impression que cela faisait une éternité. Ce soir, tout lui semblait simple et la présence de Fred à ses côtés ne pouvait qu’ajouter un peu de piment à cette douce frénésie. « Pendant que j’y pense … merci.» Juliet marqua une courte pause et ses traits se ponctuèrent d’un sourire à la fois tendre et particulièrement franc. Peut-être ne comprenait-il pas le sens de ses remerciements bien qu’ils soient parfaitement clairs aux yeux de la jeune femme : grâce à lui, elle parvenait à oublier tout ce qui la tracassait ces derniers temps et cela faisait une éternité qu’elle ne s’était pas autant amusée. L’espace d’une soirée, Juliet avait réussi à se déconnecter de la réalité, à ne penser à rien d’autre qu’à prendre du bon temps. C’était tout simplement extraordinaire. « Grâce à toi, je viens de passer une soirée des plus exquises. J’aime beaucoup ces instants que nous passons ensemble. » Elle était sincère. Juliet adorait passer du temps en compagnie du jeune homme, disons juste qu’elle n’avait pas réellement eu l’occasion de le faire vis-à-vis d’Adrian. Après tout, la relation entre les deux hommes était purement professionnelle et Juliet ne souhaitait pas les inciter à mélanger vie privée et boulot. C’est bien malgré elle qu’elle avait découvert son « attirance » pour Fred. Entendons par là qu’elle le trouvait vraiment agréable et sympa. Dès lors, elle s’était rapidement rapprochée de cet homme au tempérament relativement différent du sien. « J’espère que je ne te mets pas mal à l’aise en disant ça. Je sais que c’est délicat vis-à-vis d’Adrian … »