Je crois que j'ai toujours eu un rapport compliqué à mon corps. D'aussi loin que je me souvienne, ma silhouette me préoccupait. C'est à l'âge de 14 ans que j'ai commencé à faire la chasse au kilo. Pas une seule petite couche de graisse n'était permise. A l'époque, j'étais vraiment une gamine et je ne réalisais pas à quel point c'était malsain. Ma mère et le docteur ont heureusement réussi à me le faire comprendre et après un gros travail psychologique, j'ai fini par ne plus vouloir disparaître totalement. De toute façon, il n'y avait pas besoin de l'anorexie pour que je sois invisible aux yeux de Papa. En revanche, certaines choses sont restées, telles que l'emprise absolue que je veux avoir sur mon corps. Sauf qu'aujourd'hui je ne me fais plus de mal: je mange sainement, je fais du sport, au lieu de suivre des régimes draconiens et de vomir tout ce que j'ingurgite.
Ainsi donc, nous voilà en avril, 4 mois après les fêtes... et je suis plus motivée que jamais pour perdre les deux kilos et demi en trop que j'ai attrapés cet hiver. Pas question de les garder un mois de plus ! J'avoue que cette année, j'ai fui la salle de sport: elle est un peu trop éloignée de la maison et les prix sont tout de même élevés. J'avais pris la décision de courir une fois par semaine. Or le mois de novembre arrivé, toute motivation s'était envolée !
Je pousse les portes du complexe sportif, toute heureuse de ma nouvelle volonté de fer, mon sac de sport à la main et mes baskets aux pieds. Je me suis inscrite au cours d'aérobic qui est censé commencer dans moins de dix minutes. Je passe devant la salle de muscu, pleines de beaux garçons en sueur et entre dans la salle d'aérobic. Vide. Bon, je pose mes affaires et je m'assieds au milieu de la salle pour commencer à m'étirer. Quelques minutes plus tard, la prof arrive. Elle est vraiment bien foutue. Pas maigrichonne comme je le suis, mais bien musclée et toute bronzée. Ah, si je pouvais lui ressembler ! Elle me salue et commence à s'installer. L'horloge au mur m'annonce que le cours va débuter d'une seconde à l'autre. Pourquoi n'y a-t-il personne d'autre ?!

La porte s'ouvre à nouveau au moment où le cours va débuter. Ouf ! Je ne suis pas toute seule ! Une petite brune à la peau mate, certainement un peu plus âgée que moi, entre dans la salle. Je la salue d'un grand sourire plein de reconnaissance. Je n'ai jamais fait d'aérobic de ma vie, j'aurais eu l'air maligne toute seule derrière la prof ! La nouvelle venue s'installe à côté de moi, la prof lance la musique et c'est parti ! On commence en douceur, au sol, pour s'échauffer. Abdos-fessiers, gainage, et d'autres trucs dont je ne connais pas le nom. Puis, on attaque l'aérobic pour de bon. On lève les genoux, les bras, on tourne en rythme. Enfin on essaye ! un deux trois quatre ! J'ai un petit peu de mal au début, problèmes de coordination, tout ça, mais je finis par prendre le rythme. Je jette un coup d'oeil à la femme à côté de moi, elle ne semble pas y arriver mieux. allez encore ! Pendant que je gesticule dans tous les sens, le miroir face à moi me renvoie le reflet d'une nana pas très dégourdie. Qui a eu l'idée d'installer des miroirs ? C'est super gênant au début, c'est à nous refiler des complexes ! on ne lâche pas le rythme ! A force de réfléchir à ce genre de détails absurdes, je me perds dans les pas. Alors je m'arrête, je respire un coup, et je rattrape le mouvement... Pas pour très longtemps: un affreux point de côté me prend dans le bas ventre. Argh, saletés de points de côté ! Je m'arrête à nouveau, haletante, et attends que la douleur passe. Je n'ai pas le temps de me remettre dans la bain que la prof nous dit qu'on fait une pause. Quoi ?! ça fait déjà 15 minutes que l'on saute comme ça ? L'horloge me le confirme au moment où mes fesses ont déjà touché le sol. Fiouuu ! Il ne faut pas s'asseoir après un effort physique, je le sais, mais là l'envie est bien trop forte. Je respire longuement, pour calmer mon rythme cardiaque ainsi que la douleur dans mon bas ventre. Je me tourne vers l'autre pseudo sportive à côté de moi et lui souris avec compassion. Vous êtes d'ici ? je lui demande entre deux halètements, intriguée de ne l'avoir jamais vue dans le coin.

La femme à côté de moi me suit: elle vient s'asseoir par terre après la première partie de l'entraînement. Ca fait à peine 15 minutes et oui, nous sommes déjà crevées ! C'est la prof qui doit bien rigoler. Cette dernière semble à peine transpirante alors que mon t shirt me colle dans le dos, beurk ! J'engage la conversation avec la Latino assise à côté, histoire d'être polie. Elle m'apprend qu'elle a grandi ici, à Magnolia et qu'elle est revenue il y a de ça deux ans. Pourtant, elle ne connaît pas grand monde et semble se sentir un peu seule. C'est vrai que la plupart des gens avec qui elle a grandi ici ont du quitter la ville à un moment ou à une autre. Ah d'accord ! Le quartier a du changer non ? Je veux dire, vous avez sûrement entendu parler de Dirty Secret et de toutes ses magouilles. Même quelqu'un de la trentaine a entendu parler de Dirty Secret ! Ce n'est pas un truc d'ados qui fait ricaner dans les cours de récré. C'est un véritable problème qui touche tout le monde. Moi qui suis ici depuis 7 ans déjà, j'ai vu pas mal de trucs glauques arriver dans le coin: des décès, des disparitions et de nombreux articles de Dirty Secret. Je ne sais pas qui se cache derrière ce site et je m'en fiche, j'aimerais juste que cela s'arrête. Ca a des côtés pratiques oui: c'est comme ça que j'ai découvert que ma colocataire et amie Junie n'est en fait pas aveugle... Mais lorsqu'elle s'amuse à parler de moi, je n'aime vraiment pas ça ! Je me demande quelle personne de Magnolia s'amuse à se créer une doublure pour balancer les petits secrets des habitants.

Je la trouve sympa, cette nouvelle venue. Enfin, elle n'est pas si nouvelle que ça ! Elle me parle un peu de sa jeunesse à Magnolia Cresent... Bien différente de ce qui arrive aujourd'hui ! Il n'y avait pas de Dirty Secret pour terroriser les habitants. Je suis bien d'accord lorsqu'elle parle de méfiance... A cause de ce blog, on a tendance à ne pas trop accorder notre confiance aux gens que l'on rencontre. La théorie du complot semble avoir conquis le quartier et tout le monde est sur ses gardes. J'acquiesce tout en étendant mes jambes douloureuses. Je sens que la prof va bientôt relancer le cours... La brune à mes côtés me demande pourquoi est ce que j'assiste à ce cours. Un sourire se forme sur mes lèvres: sous entend-elle que je n'en ai pas besoin ? J'aimerais bien ! Je réponds alors: Pour garder la forme et parce que cet hiver je n'ai vraiment pas assuré le coup. Je m'apprête à lui poser la même question mais la prof me coupe l'herbe sous le pied: il est temps de s'y remettre. Je soupire un peu et me relève. Je lance un sourire d'encouragement à l'autre victime des fêtes de Noël et me remets en place. La prof commence un nouvel entraînement. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit ! La seconde partie du cours passe plus vite que la première, ouf ! Elle finit par éteindre la musique et nous dit à la semaine prochaine. Je souffle un peu, récupère ma serviette et m'éponge avec. Ensuite, j'attrape la bouteille que j'ai apportée et boit à grandes goulées. Une fois que mon coeur s'est remis à battre normalement, je sors de la salle avec ma compagne de douleur. Au fait, vous vous appelez comment ? Nous sortons de la salle et machinalement, prenons le chemin du quartier où toutes deux habitons.

La séance de sport est terminée, nous prenons donc le chemin du retour. Je rêve d'une bonne douche, d'un bon repas et d'une bonne nuit de sommeil. Je n'avais plus fait de sport depuis un petit bout de temps et cette séance m'a lessivée ! Mais ça m'avait manqué, je ne peux le nier. La dame à côté de moi n'a pas l'air plus en forme: elle s'accroche à sa bouteille d'eau comme si sa vie en dépendait. Quoique oui, sa vie en dépend, c'est sûr, mais peu importe. Nous marchons d'un pas régulier vers le quartier dans lequel nous habitons toutes deux. C'est l'occasion pour nous de faire connaissance. Elle m'apprend qu'elle se nomme Cherry Brown. Bizarrement, je m'attendais à un nom un peu plus exotique pour une latino... C'est idiot comme réflexion, je le sais bien, tous les gens typés ne se nomment pas Gomez ou Hernandez après tout ! En tout cas, Brown, cela ne me dit rien du tout. Je lui dis alors comment, moi, je m'appelle: Tara Cross. Un patronyme court, simple, efficace, bien que le prénom Tara ne soit pas des plus courants. Je me suis toujours demandée pourquoi mes parents avaient choisi de m'appeler comme ça, mais je ne me souviens pas avoir un jour eu de réponse. J'aurais pu poursuivre le questionnaire en lui demandant son âge, sa profession, son légume préféré, mais je n'en ai pas le temps: je vois la voiture de ma colocataire Charly garée dans la rue, je suis presque arrivée chez moi. J'habite ici, dis je pour l'avertir. J'imagine que l'on se reverra au cours la semaine prochaine Cherry, lui dis je avec un sourire. Je me surprends parfois à être sociable !