Thanksgiving n'avait pas eu que des inconvénients. Certes, la soirée avait connu son lot de problèmes, mais Andrew retenait surtout un événement positif : Esperanza, la doyenne de leur tablée, lui avait proposé de la rencontrer un midi dans la cuisine de son restaurant, afin de découvrir l'univers de sa passion. Andrew n'avait pas hésité a accepter, la remerciant infiniment par avance.

Mais le jour J, Andrew avait le trac. Il avait peu dormi durant la nuit, craignant de se ridiculiser face à la grande cuisinière. Après tout, il était un cuisinier amateur, de base préparant avant tout des pâtisseries pour son plaisir, ses amis et son amoureuse. La dame, elle, avait en charge un restaurant tout entier ! Avec des bouches à nourrir qui n'avaient pas envie que de pizzas, gâteaux et cookies. En fait, Andrew se demandait surtout si, comme Esperanza, il serait capable de cuisiner par devoir et non par bon vouloir. C'était une conception bien différente de celle qu'il se faisait actuellement de la cuisine. Mais oublier un instant son triste futur, il acceptait tout de suite l'expérience.

En arrivant au restaurant, il expliqua au premier serveur venu sa situation. Celui ci apparemment au courant le conduit jusqu'à la cuisine. "bonjour Esperanza ! Tu prépares quoi de bon ?" en réalité, il était un peu gêné et ne savait pas ou se mettre.

Autour d'Andrew, le monde fonctionnait au ralenti. Il se pinça, pour vérifier qu'il ne rêvait pas. Tout était bien réel. Esperanza se tenait devant lui, dirigeant sa cuisine d'une main de fer. Tant de responsabilités, Andrew se sentait incapable de gérer. Mais pour la jeune femme, chaque geste semblait banal, anodin, normal. Alors que, Andrew, en la regardant sans bouger, attentivement, avait l'impression qu'elle manipulait la bombe atomique. « ça avait l'air succulent ! » commentat-il, à propos de l'assiette qui venait de passer sous ses yeux.

Esperanza l'invita ensuite à rejoindre les vestiaires, pour revêtir la tenue de combat. Il attrapa, non sans fierté, le tablier et la charlotte, puis s'empressa de se préparer. Il lava bien ses mains deux fois, avant d'oter son manteau, de revetir la tenue du parfait petit cuisinier, et de rejoindre son pays de Cocagne.

« Me revoilà ! » Il se sentait un peu gauche, maladroit, gênant. Elephant dans un magasin de porcelaine, il craignait de provoquer une catastrophe et tentait de se faire le plus fin possible, presque transparent. « Je peux t'aider à quelque chose ? Tu préfères que je te regarde faire d'abord ? » demanda-t-il précipitemment, avant de se confondre en excuses. « Je suis désolé si je suis chiant, c'est la première fois de toute ma vie que je ... que je travaille ! Alors dans une cuisine en plus, c'est quand même stressant. »

Esperanza commença à lui présenter la cuisine, les chambres froides, les stocks ... « Effectivement, je n'ai jamais visité une cuisine de restaurant ! » Même à l'atelier cuisine du centre de desintox, les moyens n'étaient pas si avancés. Ils indiquaient la veille pour le lendemain les recettes qu'ils voulaient essayer, et les ingrédients étaient achetés le matin même. Ici, Esperanza devait prévoir ses stocks, afin de ne jamais manquer de rien, tout en ne commandant pas trop des denrées périssables, afin de ne pas gaspiller. C'était un travail périlleux qui nécessitait précision et réflexion, Andrew ne pouvait que l'admirait. Au fond, il ne s'en sentait pas du tout capable. « C'est toi qui t'occupe de réapprovisionner les stocks, tu as un total quartier libre, ou au contraire ça passe par au dessus de toi ? » Elle était ouverte aux questions, il en profitait !

Mais bien vite, elle le convia à passer aux tâches sérieuses. Une commande venait d'arriver, il allait la voir se lancer. Du moins, il imaginait ça comme ça, la regarder s'activer, tandis qu'il prendrait des notes mentalement. Mais Esperanza lui demanda son avis. Pris de cours, il jeta un oeil à la commande. "2 Noix de St Jacques à la provençale, suivis de magrets de canards au miel et sa salade de fruits". « Alors, j'imagine que tu fais revenir tes noix de st jacques à la poêle, pendant que tu prépares la sauce ? Coulis de tomate délié avec de la crème fraiche, c'est ça ? » Il attendait le verdict de la professionnelle avec impatience. « Le magret de canard, ben ... tu le cuits ? Et tu sers quoi comme légumes avec ? Figues et pommes ? » Il faisait de sérieux efforts de mémoire, se souvenant avoir déjà croisé des recettes de magrets de canard servi avec ces fruits. Il avait toujours trouvé l'idée du sucré salé étrange, et n'avait donc jamais testé.

Andrew regardait la jeune fois d'un regard à la fois grave et impressionné. Son métier, ce n'était pas se tenir derrière ses fourneaux et faire ce qu'on voulait. Ce n'était pas ne cuisiner que du sucré si on n'avait pas envie de faire du salé aujourd'hui. Au fond, elle ne cuisinait plus par plaisir, mais par obligation ... En considérant que ça l'ait été un jour, une passion. Mais Andrew garda sa question pour plus tard, conscient que la jeune femme - bien aimable de l'accueillir - avait également du travail. « Ah d'accord je comprends »

En effet, une commande ne tarda pas à arriver. Andrew exposa à Esperanza les idées qui lui traversaient l'esprit, impatient de savoir ensuite s'il avait vu juste, ou s'il était un piètre cuisinier. Il ne s'en sortait pas si mal, au final. « Je pense que euh ... Je pense que c'est bizarre de mélanger le sucré et le salé » avoua-t-il avant de regarder ses converse, tout gêné. « Mais je suis ici pour découvrir, alors à la fin du service je m'engage à te commander un plat sucré salé et à le manger en entier ... ou tout au moins un petit peu » jura-t-il d'un air grave, la main posée sur le coeur.

Mais trêve de plaisanteries, Esperanza se mettait aux fourneaux. Andrew suivait ses moindres faits et gestes du regard, curieux et avide de savoir. Il retenait tout. Si seulement ses cours étaient aussi faciles à apprendre. « Oui oui ça va ... Comment tu fais pour savoir si la viande est à bonne cuisson ? Je suis toujours obligé de la couper dans la poêle, pour vérifier l'intérieur. » Après tout, c'était le moment ou jamais pour exposer toutes ses questions.

C'est alors que la cuisinière lui fit la proposition ultime d'utiliser tout ce matériel à son tour. Ses yeux restèrent écarquillés quelques secondes, avant qu'il se ressaisisse, conscient de gaspiller le précieux temps de son boss d'un midi. « Oh ben je veux bien essayer de refaire le plat que je viens de voir, comme ça on pourra le manger ensuite ? » suggéra-t-il au hasard. « Oh non non c'est pas grave, je me rends juste compte que ce métier nécessite d'être toujours en mouvement à droite à gauche, je ... je ne voyais vraiment pas tout ça comme ça » dit-il en faisant de grands gestes. « Ça change de ma petite cuisine ! » conclut-il en rigolant.

Le serment était lancé, ils allaient mangé du sucré salé à la fin de ce service ! Ainsi, Andrew aurait même le loisir de questionner un peu plus Esperanza sur son métier si passionnant. Ils se serrèrent donc la main, avant d'entrer dans le jeu.

C'était parti, la préparation des plats commençait. Andrew fut ravi d'apprendre les secrets de la cuisson de la viande. Ayant toujours eu un bec sucré, il ne s'était jamais intéressé aux plats salés. Il avait demandé à Lorenzo sa recette des pizzas - qu'il avait rapidement maîtrisée - mais ses réalisations salées devaient s'arrêter là. En effet, se nourrir de pizzas midi et soir lui convenait amplement, car il réussisait toujours à en créer une encore jamais goûtée : thon olives, jambon fromage, oeufs bacon, saucisse poulet, restes de cassoulets, pommes de terre steak haché ... il débordait d'imagination. « Oui je connais, je crois que Juliet, ma soeur, en a un chez nous quelque part ... Mais je ne l'ai jamais utilisé. Je fais peu de viandes, en fait. Et je veux bien tes fiches ! » Son visage trahissait sa joie, jamais quelqu'un ne lui avait porté tant d'attention. Pour une fois qu'un adulte ne le considérait pas comme un bon à rien flemmard, il avait du mal à y croire.

Alors, bien vite, il se ressaisit, et décida d'honorer cette confiance que Esperanza plaçait en lui. « Je te comprends, rester derrière un bureau est rasoir. Même si ce métier est fatiguant, il me plait déjà beaucoup plus ! » dit-il d'une voix légèrement mélancolique. Ce qu'il s'était bien gardé de dire, c'est que ses parents avaient une toute autre perspective pour son avenir : eux, ils l'avaient déjà prévu, ce bureau derrière lequel Andrew devrait passer ses journées. Mais il ne voulait pas gâcher cette expérience avec des pensées déprimantes, et il se concentra alors sur son plan de travail. Un à un, il sortit les ingrédients que Esperanza avait préparé auparavant. Il attaqua d'abord la compotée de fruits, tout en gardant un oeil sur le travail de sa chef d'un midi, son chancelier d'un repas, son maître Jedi d'un jour. Les commandes commençaient à affluer en masse. « Quand il y a autant de boulot comme ça, tu délègues mais tu vérifies chaque plat avant qu'il parte en salle ? » demanda-t-il, toujours sur ses fruits. Il avait toujours du mal à en éplucher plusieurs d'affilée, trouvant rapidement ce travail pénible, mais il voulait réussir cette recette, et un éclat de détermination inattendu brillait dans ses yeux, le guidant dans son trajet.

Il buvait les paroles de Esperanza, faisant bien attention à ne pas en perdre une miette. Plus le temps dans cette cuisine avançait, plus il enviait cette dame et son métier. Ô comme il aurait souhaité occuper une pareille place. « Je comprends, quelle chance il a, cet apprenti ! » dit-il avant de se concentrer à nouveau sur son plat. « Si jamais je fais un geste de travers, tu peux me reprendre ! »

Une fois la compotée lancée, il s'occupa de préparer la viande, pour qu'il n'ai plus qu'à la cuire, quand Esperanza aurait terminé son service. « Je crois que j'ai fini, enfin je veux dire je vais attendre que tu aies fini pour cuire la viande » Son occupation étant ralentie, il en profita pour observer la cuisinière, toujours occupée. Les commandes affluaient, et Andrew était impressionné que Esperanza ne confonde pas une seule fois les commandes. Enfin, la cadence se ralentissait. Les commandes des desserts commençaient à arriver, et Andrew jeta un regard encore plus intéressé, les desserts ayant toujours été son dada. « Quel est ton dessert préféré ? Et celui que tu réussis le mieux ? Celui qu'on commande le plus souvent ? » Il enchainait les questions, celles-ci se bousculaient dans sa tête. A choisir, Andrew voulait vraiment ouvrir une boutique de dessert. Pouvoir préparer des pâtisseries élaborées, que les clients pourraient déguster sur place ... Ni un café, ni un salon de thé, car les boissons ne seraient pas la raison principale pour laquelle les gens viendraient. Non, ils viendraient pour goûter des cupcakes, des tartes, des gâteaux ... ceux d'Andrew.

Quand Esperanza précisa que, pour l'instant, Andrew se débrouillait correctement, un grand sourire fier envahit ses lèvres. Il resta concentré sur sa préparation, tout en attendant que Esperanza termine son service. Quand le moment des desserts arriva, il porta naturellement une attention toute particulière, lançant question sur question à la pauvre cuisinière qui devait forcément s'en étonner. Pourtant, elle répondit patiemment, avec détail, sans rien oublier.

« Je ne connais pas ces torrijas dont tu parles » prononça-t-il dans un espagnol mal assuré. « Mais j'espère en goûter un jour ! » Pour l'heure, il se concentra sur les desserts servis par le restaurant, dont Esperanza lui parla. Tiramisu speculoos, fondant chocolat caramel, des plats qui lui parlaient, naturellement. « Tu m'étonnes, moi aussi j'adore ces deux desserts là ! » Et secrètement, il espérait déjà pouvoir les goûter, tous les deux, à la fin du repas.

Quand il remarqua que la salle se vidait peu à peu, il fit cuire son magret, comme Esperanza lui avait indiqué. « Tu veux bien me prêter ton thermomètre à viande, par contre ? Je ne suis pas un expert comme toi » avoua-t-il, presque gêné. Il s'appliqua à utiliser cet ustensile, même si prendre la température d'un morceau de viande le surprit au début. Finalement, sa viande fut cuite, sa compotée juste tiède, peu après que la cuisinière ait fini. « Je dresse et nous mangeons ! » Bien moins habilement, il reproduisit le dressage des assiettes observés un peu plus tôt. Il n'était pas peu fier, lui qui était si habitué aux pizzas, ne nécessitant ni dressage ni adresse. « Nous pouvons passer à table ! » Ils s'installèrent dans la salle vide. Andrew n'avait jamais fréquenté un restaurant en dehors des heures de repas, et ce silence le surprenait presque. Dire qu'un brouhaha intense avait régné quelques instants plus tôt. Son regard finit par se poser sur son assiette, ce test qu'il avait cuisiné. Il attrapa sa fourchette, mais laissa d'abord à Esperanza l'honneur de goûter et juger. « Alors ? » demanda-t-il, stressé et impatient. « Sois franche, si tu dois tout recracher fais-le, je suis fort » Ou pas.

Ils n'étaient pas donc pas surprenants que tous deux s'entendent aussi bien : ils étaient 2 gros gourmands. Certains appréciaient le sport, d'autre la philatélie, eux c'était la cuisine et la dégustation. Il sourit, amusé, mais déjà, il devait se re concentrer sur la cuisson de son plat. Le magret n'était dans la poêle que depuis quelques secondes, que déjà il regrettait de s'être lancé dans cette entreprise trop vertigineuse pour lui. Pourtant, il n'allait pas baisser les bras. Motivé, il s'arma du thermomètre que Esperanza lui tendait et, pus déterminé que jamais, il scruta sa viande. Quand tout à coup, la cuisinière lui fit une remarque fort juste. Il se frappa la tête, se sentant tout à coup bien idiot. « Effectivement, je ne sais pas du tout ! » Ce à quoi Esperanza s'empressa de répondre, il pouvait désormais réussir son plat. « Merci ! »

Une fois les 65° atteints, il sortit vite sa poêle du feu, et disposa les magrets sur l'assiette. Du temps fut consacré au dressage, bien plus que la cuisinière auparavant, mais il n'était pas expert. « Oh oui j'adore le dressage ! Quand je fais de desserts, j'en fais toujours plein de petits, pour créer ensuite de jolies assiettes. C'est bien moins abouti que toi, mais j'ai quelques photos sur mon portable si tu veux voir ensuite. » Il souhaitait aussi que Esperanza soit fière de son élève, un sentiment qui demandait travail et adresse. Quand sa satisfaction fut comblée, il attrapa les assiettes : l'heure était venue de déguster.

Il marcha doucement, priant au passage pour qu'aucun nourriture ne se retrouve sur le sol. Mine de rien, cette tâche le stressait, il prenait à coeur le jugement qu'émettrait Esperanza. Grâce au ciel, elle formula un compliment général : il avait réussi ! Fou de joie, il goûta à son tour le savant mélange du sucré et du salé. Gardant sagement les deux goûts en bouche, afin de les apprécier, il finit par admettre que le plat était bon, malgré ses appréhensions. « Dis donc, tu as raison que c'est bon ! Et le sucré salé, c'est vraiment excellent en fait ! » Il sourit, amusé, puis plongea à nouveau sa fourchette dans son assiette. Cette expérience lui avait ouvert l'appétit. « Désolé, il parait que je ne suis pas très beau à voir quand je mange, mais j'avais faim ! C'est du supplice quand même, de travailler avec toute cette nourriture autour de soi ! » Il préférait se justifier, avant que Esperanza ne soit effrayée devant sa façon de manger. Après quelques bouchées, il reprit un rythme normal, et remercia la cuisinière. « Merci, pour les compliments, pour m'avoir appris et aidé. Franchement j'ai passé un super moment, c'était génial !! » Et ce n'est pas sa mère qui aurait fait ça pour lui.

Andrew nota dans un coin de sa tête de montrer les photos de ses desserts, un peu plus tard, à Esperanza. Il parcourut mentalement la galerie de son portable - l'aide d'un effort de mémoire monumental - afin de se souvenir quelles photos pourraient être montrées, lesquelles méritaient d'être cachées à jamais. Sachant que la plupart des photos contenues dans son portable étaient des photos de bouffe, il avait matière à exposer à la cuisinière quelques unes de ses réalisations. Il savait bien, que son obsession de "prendre en photo tout ce qu'il mange" serait utile un jour. (j'espère qu'elle le sera pour moi aussi un jour).

Ils mangèrent tranquillement, sans se presser, tout en discutant. Andrew posait un milliard de questions auxquelles la cuisinière répondait patiemment. Elle ne devait pas vivre de telles conversations tous les jours, et il était bien content que, grâce à lui, Esperanza réalise que son travail était génial. Dans ce quartier, tout le monde rêvait d'avocat, d'hommes d'affaire ... Mais personne ne réaliser que, sans un bon cuisinier, ils n'auraient rien à manger. D'un autre côté, l'espagnole était une femme simple, et ne devait probablement pas se formaliser. Il aurait vraiment aimé, avoir une mère qui pense à l'épanouissement dans un métier, avant d'en considérer l'aspect pécuniaire. Il soupira, mais ne voulant pas gâcher ce moment, il garda pour lui le fait que jamais, il ne pourrait suivre le chemin de la jeune femme.

Quand il la remercia, il crut voir qu'elle aussi avait apprécié ce cours improvisé. Pourtant, Andrew n'était pas un élève des plus calmes, il l'avait harcelée de question tout au long. Ce qui n'avait apparemment pas gêné Esperanza. Mais même s'il se trompait sur le sujet, jamais elle ne l'aurait avouée. Elle était trop gentille. Alors bien sûr, il pensa à ses parents, qui n'avaient jamais été là. Pour ne pas déprimer, il chassa bien vite cette pensée, mais une bribe resta naturellement dans son esprit, de force. L'image de son enfance, seul, ne s'oubliait pas si facilement. « Bien sûr que je veux un dessert ! Je prends toujours un dessert, même si je n'ai plus faim ! » Et jamais il ne reprocherait à un dessert de l'avoir rendu malade. Il devait terminer son repas par du sucré. Sinon, ce serait comme escalader le Kilimandjaro, et rebrousser chemin dix mètres avant le sommet. Il sortit son téléphone portable, et commença à chercher la photo du café gourmand qu'il avait préparé pour sa soeur, quand elle avait décroché cette place pour un concours de danse. A peine Esperanza fut-elle à nouveau assise, qu'il lui planta le téléphone sous le nez. « Alors là tu vois, j'avais fait un fondant au chocolat, dans un ramequin, à côté tu as un brookie, c'est un mélange de brownie et cookie, un jour j'avais envie des deux, impossible de choisir ... Alors j'ai mélangé les deux recettes ! » raconta-t-il, pas peu fier. « Quand je fais des desserts très chocolatés, j'accompagne toujours d'une boule de glace vanille, ça rend le chocolat moins écœurant je trouve. Il y a également une tartelette aux fraises, car ma soeur me dit toujours de mettre au moins un dessert fruité, blablabla ! Et là c'est une verrine tiramisu coco melon, c'est parfait pour terminé car c'est frais et léger ! Et je mets toujours une petite tuile, aux noisettes, pistaches ou amande ça dépend. » Après son énumération, il laissa Esperanza regarder la photo quelques secondes, mais bien sûr le rendu n'était pas le même qu'avec la véritable assiette sous les yeux. Juliet lui avait acheté, une fois, des assiettes à la forme saugrenue, un peu ovale, qui permettait de disposer joliment les desserts à la queue leuleu, et Andrew s'amuser à mettre un coulis fruits rouges, qui slalomait entre les desserts. « Il est temps de goûter les tiens maintenant ! Tu me conseilles quoi pour commencer ? » Il finit par se laisser tenter par le forêt noire, dont Esperanza avait vanté les mérites un peu plus tôt. Pouvoir préparer autant de desserts, et n'avoir que ça à faire de la journée, bien sûr qu'il l'enviait.

Bien sûr, montrer ses photos à Esperanza ne le laissait pas indifférent. Après avoir admiré ses talents de cuisinière, il avait l'impression de passer devant un juge. Certes, elle avait déjà apprécié le plat qu'il avait préparé, mais les desserts, pour Andrew, c'était toujours particulier. Alors, quand il s'en tira avec un avis positif, son égo en fut revigorée.

Après les siens, il était temps de goûter les desserts de Esperanza. Il ne cacha pas son impatience, et vite il attaqua la dessert que lui tendait gentiment la cuisinière. Il passait vraiment là l'un des meilleurs moments de sa vie, bien loin de sa cuisine routinière. Même s'il n'était cuisinier que pour un jour, il appréciait la sensation, ce monde où il se sentait chez lui, ce monde qui était le sien ... Mais auquel il ne pourrait jamais appartenir. Ses parents avaient eu d'autres projets, plus grandioses, plus respectables. Car dire en société que son fils était cuisinier, ne serait pas suffisamment honorable pour briller. Mais qui étaient-ils, pour classer ainsi les emplois ? Esperanza était digne, et peu de gens pourraient l'égaler. Mais cuisinière ne sonnait pas assez doré pour plaire aux Davies. Malheureusement. Pour l'heure, il noyait sa déception dans le délice qu'était cette forêt noire. La crème était mousseuse et onctueuse, le chocolat n'était pas écœurant, une forêt noire réussie à la perfection. « C'est parfait, divin, exquis !!! » Avoua-t-il, avant de s'attaquer aux autres desserts disposés sur la table.

A la fin, il se sentait vraiment plein. Il avait légèrement trop mangé, mais on ne pouvait l'en blâmer. Bien sûr, il aida sa nouvelle amie à tout débarasser convenablement. « Je suis venu en bus, donc j'accepte la proposition ! Et je retiens pour les conseils » ajouta-t-il en riant de la remarque sur la plomberie. De toute façon, dans ce genre de cas, il ne réparait jamais tout seul, trop risqué. « C'est vraiment gentil de m'avoir accepté et de m'avoir montré tout ça. Ça me désole encore plus de ne pas pouvoir poursuivre dans cette voix. » avoua-t-il, avant de suivre Esperanza en dehors de restaurant.

Il en avait probablement trop dit. Déjà, Andrew était gêné, mal à l'aise. Bien sûr, il cherchait de l'aide pour se sortir de cette impasse. Bien sûr, Esperanza aurait pu être cette aide. Ou pas. Il n'acceptait pas être bloqué, alors qu'il devait simplement accepter que, pour une fois, il n'agirait pas comme bon lui semblait. Il n'arrêterait pas ses études pour faire des cupcakes à longueur de journée. Il reprendrait la boîte de papa à la con. Et se plaindre à Esperanza qui n'y pouvait rien était un comportement fort puéril.

« Oh, c'est compliqué ... » maugréa-t-il en montant dans la voiture.

Et finalement, il déballa tout. « Mes parents ne veulent pas, il faut que je me lance dans le commerce, comme ça quand j'aurais mon diplôme, je reprendrai la boîte de mon père, alors que je n'en ai aucune envie, c'est pas mon délire c'est barbant et rasoir la gestion, la bourse et tout le tralala. Mes parents sont jamais chez moi, je les vois à peine, mais ils ne veulent pas me laisser faire ce que je veux. » Voilà, petit bébé Andrew avait fait sa colère, mais Esperanza n'aurait aucune solution à apporter. Est-ce qu'il se sentait mieux ? Pas du tout. Ça ne l'avançait à rien. « J'habite au numéro 10 » lança-t-il, pour information.

Il appréhendait la réponse de Esperanza. Toujours perdu, ne sachant si cet aveu était une bonne ou mauvaise idée. Finalement, cette femme eut le mérite de le surprendre. Elle évoqua une perspective que jamais Andrew n'avait envisagé : il pouvait mener mille et une aventures, dans sa vie. Alors oui, peut-être commencerait-il par reprendre cette boîte si détestée, mais après ? Il pouvait très bien tout quitter, s'il avait les moyens de se lancer dans son rêve. Il devait juste voir plus loin que son impatience légendaire. Il ne serait pas cuisiner demain, ne signifiait pas qu'il ne cuisinerait jamais. « Je ... Je n'avais jamais vu ça comme ça. » Sa vie prenait déjà des perspectives insoupçonnées, devant ses yeux ébahis et émerveillés. De nouveaux rêves se construisaient, dans les cendres de ses anciens songes abandonnés, tués avant d'avoir volé. « Tu as raison, je dois juste être patient, et y croire encore ... Merci » dit-il, non sans rire de sa blague sur la montgolfière.

Esperanza avait beau être une maman, elle ne ressemblait en rien à la sienne. Dans sa coolitude légendaire, il aurait pu croire que traîner avec une madame, c'était la honte. Mais Esperanza gagnait vraiment à être connu. « Merci beaucoup, vraiment pour tout. Je ne manquerais pas de te contacter, pour tout et n'importe quoi alors ! » répondit-il, sincèrement, tout en sortant de la voiture, déjà arrivée devant chez lui. Et dans un dernier signe de main, il remonta l'allée jusque sa maison, puis disparut derrière la porte, bien content de cette journée.