Les chansons qui passaient à la radio, franchement, c'était de la daube. D'abord les gens qui dirigeaient ça n'avaient aucun goût, ensuite ce n'étaient que des chansons débiles pour petites minettes en chaleur et en plus, on les oubliait difficilement. Génial, Julia allait avoir dans la tête une chanson qui parlait de princesse, d'amour et de bonheur éternel. Que des conneries. Agacée par le son, elle fit un effort et se leva de son lit pour éteindre la radio. Pour une fois, elle préférait le silence. Elle retourna à son occupation, celle de voir les nouveautés sur Facebook, oui Julia n'avait pas grand chose à faire en ce début de soirée. À vrai dire elle était rentrée du Gordon Coffee une heure auparavant, elle avait avalé un repas rapide qui ne lui donnait même pas envie mais elle s'était forcée, histoire de ne pas avoir faim à trois heures du matin. Elle avait à peine pris la peine de savoir si quelqu'un d'autre était à la maison; les repas de famille ? elle ne connaissait plus. D'ailleurs, elle hésitait pour son programme de la soirée ; soit elle restait dans sa chambre à regarder un film à la télé, mais il y avait des risques pour qu'elle s'ennuie avant la fin parce que pour ça aussi c'était souvent de la daube, ou encore, deuxième et meilleure option, elle sortait. Au hasard, sans savoir quelles boites étaient ouvertes ce soir ni qui s'y rendait. Elle aviserait. Des coups frappèrent à la porte, mais Julia ne bougea pas d'un pouce. Elle avait très bien entendu, mais elle n'était pas le majordome de la maison.

« La poooorte. Faut ouvriiiiir. »

En fait elle espérait que quelqu'un cèderait avant elle et irait voir qui s'inquiétait pour les Fitzgerald en ce soir de semaine, mais rien ne sembla s'agiter dans la maison, ce qui força Julia à crier pour prévenir les autres personnes présentes. Papa, Maman, petit frère, elle ne savait pas qui était là mais qui que ce soit il serait gentil de sa part de se désigner pour ouvrir la porte. Mais plus elle attendait, et plus les coups à la porte se succédaient, suivis de coups de sonnettes, laissés sans réponse. Décidément, la personne qui attendait sur le perron n'était pas prête de lâcher l'affaire. En soupirant, Julia finit par se lever et descendre, gardant au fond d'elle une phrase cassante pour virer celui qui venait la déranger. Elle ouvrit et, oh surprise, Shannon Hayworth se tenait devant elle, l'air impatient. C'est qu'il avait dû attendre avant qu'elle se décide à se bouger.

« Tiens donc, une tepu. Alors ma cocotte, le trottoir, c'est derrière toi, mais tu seras gentille quand tu retourneras bosser tu t'éloigneras un peu de chez moi, d'accord ? »

Julia n'avait pas oublié le coup de pute (c'est le cas de le dire) de Shannon sur Facebook. Bon, elle ne lui en voulait pas vraiment, d'ailleurs elle ne faisait jamais sérieusement la gueule au petit Hayworth, c'était toujours du fake parce qu'au fond elle aimait bien ses petites blagues gentillettes. Et puis elle aimait bien aussi faire semblant de bouder, juste pour voir la réaction de Shannon en direct. Mais pour le coup du commentaire « Tu t'es trompée d'endroit, t'es pas sur le trottoir là... », il était légitime qu'elle lui renvoie une insulte du même genre. De toute manière, pas besoin de se faire traiter de prostituée pour rappeler à Shannon à quel point il ressemblait lui-même à une pute. Eh oui, cette vanne-là, Julia la connaissait déjà bien avant qu'il n'ait l'idée de la sortir.

Mais c'est qu'il s'était fait beau, le petit Shannon ? Et en plus de ça, il voulait l'emmener en voiture ! Julia regarda d'un mauvais œil la caisse garée à la place de celle de ses parents. S'il voulait tant sortir, ne pouvait-il pas laisser la voiture là ? Histoire d'embêter un peu le patriarche de la famille et, elle en était sûre, il ne manquerait pas une si bonne occasion de péter une durite. Jugeant ensuite les fringues de Hayworth, Julia finit par s'autoriser un petit sourire. Trois possibilités, soit il voulait vraiment être au top pour jouer les prostituées, soit il était gay et à ce moment-là ça ne faisait aucun doute, soit il était paré pour draguer ce soir. En toute franchise, toutes ces options étaient possibles. Peut-être qu'il voulait faire les trois en même temps...draguer un homme, prouver par la même occasion qu'il était gay, et se faire payer pour sauter l'homme. Julia n'avait jamais douté que Shannon était une pute, jamais ! Quant au fait qu'il soit gay, ça faisait un petit moment qu'elle se posait la question... comme quoi, il suffit d'être patient et la réponse vous tombe du ciel. Ou plutôt se pointe devant vous, fringuer d'une veste de costard et d'une écharpe bleu joliment nouée autour du cou. Ceci dit il aurait quand même pu la choisir rose.

« Ah oui ? Mais tu vois, je suis pas de service ce soir, alors... va te trouver quelqu'un d'autre. »

Lui faisant son plus beau sourire, elle empoigna le battant de la porte et la lui claqua au nez. Lui qui était appuyé contre l'encadrement, il avait dû la sentir passer. S'adossant ensuite au mur, elle compta mentalement les secondes qui s'écoulaient en faisant bien attention de ne manquer aucun bruit venant du dehors, au cas où il partirait. Mais rien, silence; il était encore là. Elle soupira, d'un autre côté s'il était vraiment parti ça lui en aurait fait une belle jambe, elle qui ne savait pas quoi faire de sa soirée. Or Shannon était là pour s'occuper, elle et comme lui, et avec lui elle pouvait être sûre qu'elle ne s’ennuierait pas. Du moins elle osait l'espérer. À pas de loups elle enfila ses chaussures, hésita à emporter une veste, n'en prit finalement pas, comme à son habitude. La main sur la poignée de la porte, elle finit par l'ouvrir, sortir, refermer derrière elle et regarder Shannon le plus normalement du monde, comme si elle n'avait pas manqué de lui arracher son nez quelques secondes plus tôt.

« Bon alors, tu viens ou tu campes ici ? »

Elle se dirigea vers la petite voiture du garçon et, sans lui demander son avis, s'installa sur le siège passager. En fin de compte, elle avait la flemme de marcher, et puis il exista milles et une façon de faire chier Henry, alors qu'importe si la voiture stationnait ici ou non. Et comme tout gay qui se respecte, l'intérieur était impeccable (vive les clichés). Venant d'un fêtard comme Shannon, on aurait pu penser que son automobile – comme sa maison d'ailleurs – était infestée par les cannettes et les bouteilles d'alcool, les restes de fast-food et même pourquoi pas des sous-vêtements, mais...non. Enfin peut-être que c'était le cas de la maison, Julia n'y était jamais entrée et avec Amy Hopper et son frère là-dedans c'était fort probable..(a)