11 heures. Oups. Petite surprise de la part de Dame Nature ce matin là. Lucy sentait bien que quelque chose clochait: elle avait mal au ventre depuis la veille et était d'humeur massacrante. Elle avait par exemple hurlé sur Balthazar pendant dix minutes parce qu'il n'avait toujours rien compris à ce qu'elle lui expliquait depuis des heures au sujet d'un point de grammaire pointilleux. Bref, cette journée n'allait pas être meilleure que la précédente. La brune se leva de son lit et se rua sur sa commode pour en ouvrir le second placard. Dans la petite boîte cartonnée il ne restait qu'un seul tampon. Malheur ! Elle ne pouvait pas prendre la voiture avant 17 heures puisque Marcus et Margareth étaient tous les deux absents. Il fallait qu'elle trouve une solution. Elle choisit d'aller manger, de se préparer et d'aviser plus tard.

*

Plus tard donc, c'est à dire à 14h, il lui fallait agir. Après le déjeuner, la solution envisageable fut d'aller quémander auprès de sa chère colocataire Ginerva. Elle se rendit donc dans sa chambre après avoir toqué à la porte.

Ginny, eh, tu peux me dépanner s'il te plait ?

La brune lui fit un regard qui se voulait explicite, sans qu'elle ait besoin de donner tous les détails à la rouquine. Malheureusement, cette approche fut un échec cuisant et il lui fallut mettre des mots sur sa requête. Son interlocutrice ne semblait pas percuter très vite ce jour là.

Un tampon Ginny ! Je peux t'en prendre un ou deux en attendant d'aller en acheter ?

Entre elles, il n'y avait plus vraiment de tabous depuis le temps, mais Lucy se serait bien passée de ce genre de discussions.

Ce jour-là, Alistair se baladait dans la maison des Wainwright. Balthazar lui avait dit de passer la veille, mais ne lui avait pas non plus dit d'heure, alors Alistair s'était pointé un peu trop tôt.
Loin d'être mal à l'aise dans une maison qu'il connaissait quasiment comme sa poche, après y avoir passé d'innombrables après-midis avec le rouquin, il se promenait donc depuis une quinzaine de minutes dans la bâtisse, en attendant que son meilleur ami se réveille. Alerté par son ventre commençant à manifester bruyamment le temps écoulé depuis son dernier repas, l'adolescent était en route pour la cuisine lorsqu'un ton effrayé lui fit tourner les talons et se diriger vers la chambre de Ginerva. Etait-ce... ? Mais oui, il lui semblait bien que c'était la voix apeurée de sa chère Lucy, s'adressant à son bouc émissaire préféré, la jeune Wainwright ! Bingo ! Il allait faire d'une pierre deux coups et embellir sa journée en enquiquinant un peu les deux jeunes filles.

Il s'approcha à pas de loup pour entendre le reste de la conversation sans être vu, et se cacha d'une manière qu'il pensait être discrète derrière un des rideaux. Lucy semblait énervée, donc plus susceptible, donc cela risquait d'être encore plus drôle que d'habitude. Alistair se frotta mentalement les mains, de peur de faire bouger le tissu.

Si un jour, on avait dit à Ginerva que Jay Black lui ferait découvrir un groupe de musique qu'elle apprécierait, elle lui aurait rit au visage. Parce que bon, les goûts musicaux de Jay étaient foncièrement différents de ceux de la rouquine, sans compter le groupe dont il était le chanteur. Bones & Skins. Vraiment pas son truc. Mais voilà que le groupe - indirectement Jay Black, donc - a posté sur Facebook une simple petite vidéo. Muse. Bien que persuadée qu'il s'agissait de musique criarde, Ginny laissa sa curiosité prendre le dessus et écouta la chanson proposée. Et étonnamment, la rouquine aimait! Rien qui ne pouvait rivaliser avec du Bach, mais c'était différent. Théâtral, varié. On pouvait dire qu'elle était tombée sous le charme. Ça faisait donc quelques jours que Ginerva était dans sa période 'je-découvre-un-nouveau-groupe-donc-je-passe-mon-temps-à-écouter-leurs-chansons', comme The Script l'a été lorsque Lucy lui avait fait écouter Hall of Fame. La seconde fille Wainwright était donc dans sa chambre et écoutait Undisclosed Desires, la chantonnant tout en faisant un rapide ménage de ses vêtements qu'elle ne met plus, l'éparpillant sur le sol. "I want to recognize your beauty is not just a mask, I want to exorcise the demons from your past, I want to satisfy the undis-" Ginerva cessa de chanter en entendant quelqu'un qui frappait à la porte de sa chambre. La pianiste savait bien qu'il s'agissait de Lucy ou d'un membre de la famille, alors elle pouvait entrer à sa guise, pas besoin de lui dire d'entrer! Et effectivement, la voix de sa colocataire se fit entendre derrière la rouquine qui délaissa le ménage de ses vêtements à plus tard pour se tourner vers Roberts.

"Lucy! Bien sûr que je peux te dépanner, qu'est-ce qu'il y a?" La rouquine trouvait vraiment que Lucy lui lançait des regards bizarres. Elle avait perdu la voix ou quoi? Face à la visible incompréhension de la rouquine, sa colocataire mit enfin des mots sur ses besoins: des tampons. Hé bah voilà, suffisait de demander! "Mais pourquoi tu ne l'as pas dit plus tôt!? Je vais t'en chercher, ça ne sera pas trop long!" Aussitôt dit, Ginny se dirigea vers les toilettes, où elle partageait sa boîte de tampons avec Satine - sa mère avait sa salle de bains perso après tout, si elle n'était pas encore ménopausée -, en prit deux et retourna dans sa chambre, les tendant fièrement à Lucy. "Tadaam!"

Cependant, quelque chose avait changé dans sa chambre durant son court départ. Une présence. Aussitôt, Ginny cessa sa musique et se mit à parler un peu plus fort: "Balthazar Wainwright, si tu ne te montres pas dans la seconde, je mets ces jolis tampons dans ton nez, prend une photo et poste le tout sur Facebook!" La rouquine était habituée de voir son petit frère s'incruster dans sa chambre. Pour y faire quoi? Aucune idée, mais elle ne voulait pas le savoir, en autant qu'il ne touche pas trop à ses affaires.

Qu'est-ce que ces rideaux pouvaient démanger ! Alistair faisait tout ce qu'il pouvait pour ne pas se gratter frénétiquement. Il tenta de se concentrer sur la musique qui filtrait à travers le mur. Muse. Cette rouquine avait de bons goûts musicaux après tout. Il commença à chanter mentalement les paroles en dodelinant de la tête discrètement, mais ce n'était pas suffisant. Il avait l'impression d'avoir des bêtes lui courant partout sur la peau, dans les cheveux, le chatouillant, remontant le long de sa nuque...

"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGH !"

Le moment où il craqua coïncida juste avec l'interpellation de Ginny. A grands renforts de moulinets, il s'emmêla dans le rideau et fit s'écrouler la tringle, qui lui fit une jolie bosse sur le front. Il peina à se défaire des pans de tissu et se redressa finalement, fier comme un paon, en remettant ses bouclettes en place.

"Mesdemoiselles", lança-t-il d'un air aguicheur, en s'adossant au mur. "Qu'est-ce que vous racontez de beau ?"

Baissant le regard sur ce que Ginny brandissait, il évalua rapidement la situation. Ayant grandi avec deux soeurs, cela faisait bien longtemps que ce n'était plus tabou pour lui, contrairement aux 95% restant de la gent masculine. A l'inverse, il avait appris à tourner ça en dérision. Comme tout. Il était de ceux qui croyait fermement qu'on pouvait rire de tout, si on s'y prenait bien.

"Ah, Lucy..." Il secoua la tête, faussement dépité. "Je pensais que tu serais plus prévoyante que ça quand même, tu me déçois beaucoup."

Ginny ne manqua pas de se moquer des manières que faisait Lucy pour un vulgaire tampon. La rouquine s'éclipsa et revint des toilettes avec deux tampons qu'elle tendit à la brune. Cette dernière n'eut pas me temps de répondre qu'un hurlement se fit entendre. C'était d'abord Ginny, alertée de la présence de quelqu'un dans la chambre qui demandait à Balthazar de se montrer, accompagnée d'un bruit assourdissant et d'un grognement. Il s'agissait d'Alistair, empêtré dans les rideaux, qui venait de se prendre la barre sur la tête. Il se redressa en vitesse et tenta de reprendre contenance face aux deux filles. Il les regarda avec cet air espiègle et insupportable qu'il affichait toujours. Son attention ne tarda pas à se porter sur les tampons que tenaient toujours Ginny. Il se permit alors une remarque à Lucy sur son manque de prévoyance. Cette dernière le fusilla du regard et prit en vitesse ce que Ginny lui tendait pour les mettre dans sa poche.

Je ne vois pas en quoi ça te regarde Alistair.

Bon, il fallait admettre qu'elle était un peu gênée. Elle connaissait Alistair, il allait forcément essayer de profiter de la situation. Cet enfant était infernal ! Pourtant, la brune était persuadée qu'il avait un bon fond et qu'il se donnait un genre de bad boy casse pieds qui ne lui correspondait pas... En attendant affichait cet air hilare qui l'agaçait au plus haut point.

Et puis qu'est ce que tu fichais derrière ces rideaux d'abord ?! lui demanda-t-elle tout en regardant la tringle et le tissu au sol.

Pourquoi ne l'avait-elle donc pas deviné plus tôt? Après l'entrée 'toute en douceur' de l'intrus, la rouquine se surprit à crier deux fois. La première lorsque le cri de l'intrus la surprit, la seconde lorsque les rideaux tombèrent sur l'étranger qui s'était trouvé là. Ce n'était pas tant un étranger, mais Ginny aurait préféré un inconnu à l'énergumène qui se tenait face aux deux jeunes filles: Alistair Albright. Qui d'autre? Après la surprise vint la frustration. Mais que venait-il faire dans sa chambre!? Après l'avoir vu l'espionner alors qu'elle sortait de la douche, la rouquine se méfiait de lui. Mais malheureusement, c'était le meilleur ami de Balthazar. Elle le voyait donc souvent. Un peu trop à son goût. Et ce dernier connaissait la maison des Wainwright comme sa poche, ce qui était pire. Quelle fouine ce type! Surtout qu'il se tenait face à la rouquine et sa colocataire, complètement décontracté, comme si c'était normal qu'il se trouve là. Bien sûr, tous les invités ont le droit de venir dans la chambre de Ginny pour fouiller dans ses affaires, c'était une situation tout à fait normale! "Tu te prends pour qui pour entrer dans ma chambre sans ma permission? Dégage avant que je te sorte par la fenêtre!" La présence d'Alistair dans sa maison la rendait toujours nerveuse, alors lorsqu'il était dans SA chambre, c'était pire. Elle sentait qu'une guerre entres les filles & lui allait se déclencher, et il n'y avait aucun arbitre - Balt, en l'occurence - pour les calmer.

Le frisé se mit ensuite à rire de Lucy et de ses problèmes menstruels, ce qui fit soupirer la soeur de Balthazar. Était-il donc capable de garder une certaines retenue face aux moment gênants de la vie? Il semblait bien que non. Sa colocataire lui répondit assez sèchement, mais Ginny savait que ce ne serait pas assez pour sortir cette racaille de sa chambre. Néanmoins, elle lui laissait une chance pour fuir pendant qu'il en était encore temps, se contentant de lui lancer un regard noir. Ensuite, elle utiliserait les grands moyens.

Encore heureux qu'Alistair n'avait pas de doublure, il envahirait la ville comme une épidémie!

La gêne de Lucy lui arracha un sourire de satisfaction. Cette journée commençait, enfin, continuait, plutôt bien. La douce et réservée Lucy était énervée, il y avait du potentiel. En attendant, il y avait une tringle au sol qui avait également du potentiel. Tout en évaluant les dégâts du regard, et en tendant de relever les rideaux, il répondit à la jeune fille.

"Je me baladais, sur l'avenue, le coeur ouvert à l'inconnu... Non, plus sérieusement, j'attendais Balt', tu ne l'as pas vu d'ailleurs Ginny ?"

Il se retourna pour faire face à ... une furie rousse. Sortir de sa chambre, oui, OUI MAIS BON. IL Y AVAIT PLUS URGENT LA. Les bras ballants, il tenta de s'expliquer, car elle avait vraiment l'air en colère, pour une fois. Peut-être que Lucy le défendrait ? Ca serait un sacré atout.

"MAIS JE DOIS REPARER CA AVANT DE PARTIR, JE VOUDRAIS BIEN TE LAISSER TRANQUILLE MOAAAH."

Elle semblait vraiment sérieuse à propos de la fenêtre. Ca lui rappelait un gif qu'il avait vu sur Tumblr, de quelqu'un qui sonne à un appart, et le coloc' répond... Ali secoua la tête. Il s'égarait.

"Et puis j'ai faaaaim, quel genre d'hôte laisse mourir de faim ses invités, HEIN ? Au moins, même si Satine n'aime pas mes sourcils, quand elle me voit ELLE ME PROPOSE A BOIRE ET A MANGER."

Ali croisa les bras, l'air buté.

Ginny laissa libre cours à sa colère, n'hésitant pas à menacer Alistair de le jeter par la fenêtre. Cela fit penser Lucy au jour où William était à la maison avec Satine et elle, lorsque Margareth rentra, il dut passer par la fenêtre de la cuisine pour s'en aller... Un léger sourire amusé apparut sur ses lèvres, puis disparut aussitôt. Elle préférait laisser ces deux là se chamailler (c'était leur activité favorite) et partit dans la salle de bain régler son petit problème de fille. Dans le couloir, en revenant, elle s'esclaffa en entendant Alistair leur reprocher de le laisser mourir de faim. Lucy refit son apparition dans la chambre.

Mais Alistair, j'espère que tu sais que le goûter, ça se prend dans une cuisine et pas dans une chambre ? Es tu prêt à sacrifier ton amour pour les chambres de fille ?

Cet énergumène était un fouineur, c'était bien connu au numéro 42 de Magnolia Street. Même les parents Wainwright se méfiaient de lui. Pour Lucy, il restait un grand mystère, mais elle préférait se méfier elle aussi. La brune lança un regard à la rousse, se demandant si celle-ci céderait et lui offrirait de quoi se substanter avant que Balthazar ne se montre. Au moins, dans la cuisine, il serait loin de tout tampon, culotte ou journal intime, et c'était déjà un bon début. Quant aux rideaux, elle craignait qu'il ne soit pas capable de les remettre en place.

Le simple fait de voir Alistair dans sa chambre la faisait regretter de vivre dans cette maison. Elle était jolie, elle était grande, certes. Mais son voisin était une teigne, le genre de vermine qu'on rêve d'exterminer pour toujours. Et voir son aisance dans cette situation où il n'était pas bienvenu était stupéfiante et frustrait davantage la rouquine. Le pauvre cherchait son ami? Il n'avait qu'à attendre dans la chambre de Balthazar! Ça devait être trop simple pour Albright, qui préférait briser des rideaux. Pendant que Lucy allait régler son problème féminin, le frisé cria à Ginny qu'il ne pouvait pas quitter la chambre, réparation du rideau oblige. Ce que la Wainwright se fichait de ses rideaux, tout ce qu'elle désirait dans l'immédiat était que les sales pattes d'Ali ne souillent plus sa chambre. C'était si difficile à comprendre?

Au retour de Lucy, Albright renchérit en se plaignant de son ventre vide. PARDON!? Monsieur était dans SA chambre sans sa permission et exigeait qu'on lui serve de la nourriture!? Rien que ça! C'en était trop. Ginerva prit une grande inspiration en fermant les yeux; si, lorsqu'elles les aura rouvert, la silhouette longiligne de son voisin se tenait encore face à elle, elle explosait. Mais sa merveilleuse Lucy réussit à lui éviter ce plaisir. Le calcul était simple à faire: Alistair dans une cuisine signifiait pas d'Alistair dans sa chambre. Ginerva rouvrit les yeux et sourit de toutes ses dents à Albright. "Tu veux des cookies? Nous les avons fait hier soir. Ils sont dé-li-cieux!" Ces cookies n'étaient réservés qu'à la famille Wainwright, mais Ginerva était prête à tout pour se débarrasser de cette vermine. "Mais cette offre ne dure que cinq secondes! Cinq..." Au plus vite. "... Quatre..." Ce que Ginny ne disait évidemment pas, c'était que le choix était clair: les cookies ou la fenêtre. Même Ali pouvait le comprendre. "... Trois..."

Alistair allait se trouver une banderole un de ces jours, et écrire dessus en gros "LES ROUSSES SONT DES PSYCHOPATHES". Il avait rarement vu Ginny dans une colère aussi noire, même pas le jour où il l'avait surprise sous la douche. D'ailleurs, il n'avait jamais mentionné cet incident à Balthazar, pour le bien de la communauté et de la santé mentale de son ami. Il lui en faisait voir déjà assez comme ça. Le retour de Lucy lui offrit une diversion de courte durée, pendant laquelle elle évoqua des cookies.

"Les chambres de filles... Ma chère, l'attrait des chambres de filles n'est rien comparé à celui des chambres de garçons", répondit-il, un sourire suggestif accroché aux lèvres. Comment ceci était sorti de sa propre bouche, il n'en savait rien. Cette journée tournait au cauchemar. Même pour lui, elle se barrait dans tous les sens, c'est dire. Ceci dit, la brune avait raison, la nourriture avait plus de chance de se trouver en bas qu'ici. D'ailleurs, Ginny était soudainement très calme à cette idée. Il allait vraiment devoir trouver cette banderole, mais après avoir réglé cette situation gênante, qui se transformait en... COMPTE A REBOURS. Son petit doigt lui disait que là, c'était la dernière limite et qu'il avait 85% de chances de finir à l'hôpital s'il ne déguerpissait pas MAINTENANT.
Relevant la tête fièrement, il prit la tringle sous le bras, enroula les rideaux autour et sortit d'un air bravache.

"ET SI LES COOKIES NE SONT PAS BONS, JE REVIENS."

Ou pas, ajouta-t-il mentalement, après un dernier regard à la terreur rousse. Que lui avait-il pris le jour où il avait décidé de s'approcher des Wainwright ?

Ginny savait faire peur, très peur. La jeune Roberts n'en avait encore jamais véritablement fait l'expérience, mais ce à quoi elle assistait à ce moment là en était la preuve: lorsqu'il s'agissait d'Alistair, elle pouvait se transformer en véritable terreur. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne le méritait pas...
Après une étrange allusion à une hypothétique attirance envers la gente masculine, le jeune Albright céda à la tentation des cookies. Ces biscuits semblaient être le seul moyen de faire sortir l'énergumène de la chambre de Ginerva. Celle ci s'amusait à énoncer haut et fort un compte à rebours, au terme duquel le frisé n'aurait rien à se mettre sous la dent. Ravalant sa fierté, Alistair ramassa la tringle et ce qui allait avec pour prendre la direction de la cuisine. Quelle ne serait pas la tête de Margareth en voyant le garçon se balader dans la maison avec cet attirail sous le bras ! C'était bien pour cette raison que Lucy s'était décidée à le suivre... et peut être aussi pour s'assurer qu'il ne se faufilerait pas dans sa propre chambre par la suite, ce qui devenait une très mauvaise habitude. Elle lança un sourire plein de compassion à son amie la rouquine et descendit les escaliers, tout en prenant bien soin de ne pas marcher sur le rideau devant elle. Elle préférait garder un oeil sur le garçon jusqu'à ce que Balthazar n'arrive. Une fois qu'il serait là, ils iraient s'enfermer tous les deux dans sa chambre, livrés à des occupations qu'elle préférait ne pas connaître.

Il n'était décidément pas facile de se promener avec une tringle dans les bras, surtout quand le rideau s'empêtrait dans vos jambes. Non, Alistair Albright n'avait pas une vie facile. Seule la perspective d'une assiette de cookies l'attendant dans la cuisine l'avait fait ne pas tout annuler et rentrer chez lui. Il avait eu sa dose de Wainwright pour la journée, Balt' attendrait. Balt' n'était même pas là d'ailleurs.
Au bout d'un moment, il remarqua que Lucy le suivait, et lui adressa un léger sourire, tout en posant la tringle sur la table et en ouvrant le frigo pour y jeter un oeil. Se servant un verre de lait, il remit en place la bouteille et attrappa un cookie sur le plan de travail. Enfin, plutôt deux ou trois.
Il ne semblait y avoir que Lucy et Ginny dans la maison, c'était étrange pour une matinée comme celle-ci. Sans doute que la virtuose était au conservatoire et Balt'... Mais il était où, bon sang ?! L'adolescent releva la tête lorsque Lucy se décida finalement à entrer dans la cuisine. Lucy, qui avait débarqué un beau jour, inconnue aux yeux d'Alistair. Il paraissait qu'elle avait grandi dans le coin, mais il était trop jeune pour s'en rappeler. La petite française américanisée s'était installée chez les Wainwright, et depuis il ne faisait plus la différence avec les rouquines. C'était donc pour cela qu'elle était sa cible n°1, même avant Ginny. Son passe-temps préféré, son cobaye attitré. Mais aujourd'hui, elle avait eu sa dose. Car le jeune Albright avait des principes tout de même: jamais la même cible deux fois dans la même journée.
S'essuyant la bouche avec le revers de sa manche, il soutint son regard.

"Dis, Lucy. Tu sais pourquoi Ginny me déteste ?"

Lucy entra dans la cuisine et y trouva Alistair attablé devant un verre de lait et quelques cookies. La tringle à rideaux était  posée à côté de lui sur la table, risquant de glisser à tout moment et laissant le tissu toucher le sol. La brune se servit elle aussi un verre de lait et s'adossa au plan de travail, de sorte qu'elle voyait Alistair de profil. Elle restait silencieuse, préférant boire plutôt que discuter de l'incident. Le garçon avait une mine déconfite. Il ne semblait pas aussi jovial que d'habitude. Peut être était il pris de lassitude ? La Roberts n'en savait rien, elle n'avait jamais compris cet énergumène. En tout cas, elle préférait le voir ici plutôt qu'à l'étage, au moins il était loin de sa chambre ou de celles des filles ! Alors qu'elle était dans ses pensées, Alistair lui posa une question assez étrange. Enfin, en soi, elle n'était pas tant étrange. C'est plutôt de sa part que c'était étrange ! Lucy n'avait pas l'habitude de l'entendre poser des questions sérieuses... ou même de dire autre chose que des âneries ! Elle ne sut pas quoi lui répondre sur le coup, se contentant de soutenir son regard interrogatif.

Euh... Je ne crois pas qu'elle te déteste, commença-t-elle maladroitement.

A vrai dire, elle n'avait même pas la réponse ! Il est vrai que voir Ginny en colère était rare, seules quelques personnes arrivaient à l'agacer au point qu'elle se fâche et elles étaient peu nombreuses. Malheureusement pour lui, Alistair en faisait partie... Pourtant, il fallait admettre qu'il n'était pas totalement innocent là dedans.

Il faut dire que tu la cherches toi aussi... C'est votre relation qui est comme ça je crois. Tu l'embêtes, elle s'énerve.

Plutôt que demander pourquoi Ginny le déteste, il devrait se demander pourquoi est ce qu'il fait tout pour qu'elle le déteste... Intérieurement, Lucy était contente: elle qui disait sans cesse à Ginny qu'au fond ce garçon avait un coeur et une conscience, elle en avait désormais la preuve !

Il n'était apparemment pas le seul à être affamé dans cette maison, Lucy étant également descendue pour boire un verre de lait. Et s'ils ne la nourrissaient pas ? Et si les Wainwright étaient en réalité d'affreux tortionnaires qui l'enfermaient dans la cave et voulaient la transformer en Harry Potter ? Il scruta les yeux et le front de la jeune fille. Non, elle ne semblait pas souffrir d'une myopie quelconque, ni d'une balafre hideuse. Se saisissant d'un feutre, il se hissa sur le plan de travail, avant de s'asseoir à côté d'elle.

"Tu sais. J'ai une idée de costume pour toi pour Halloween."

Il s'interrompit, avant de reprendre sur le sujet Ginny.

"Oui. J'imagine que t'as raison. Mais on a toujours été comme ça. Elle a pas besoin d'être méchante !" maugréa-t-il en prenant délicatement la main de la jeune Roberts, et en dessinant une citrouille, un fantôme, une chauve-souris et un chapeau de sorcière sur chacune de ses phalanges. Endormir les soupçons de la victime avant de passer à l'attaque. A bas les principes.

"EN HARRY POTTER !" acheva-t-il, revenant à son idée principale, et se jetant sur sa victime pour lui dessiner un magnifique éclair sur le front.

Alistair vint s'asseoir à ses côtés, muni d'un feutre. Cela n'annonçait rien de bon, mais Lucy n'y prit pas vraiment garde. Elle termina son verre de lait et passa sa langue au dessus de sa lèvre supérieure afin d'effacer une éventuelle moustache blanche. Il lui annonça qu'il avait une idée de costume d'Halloween pour la jeune fille. Soit. Elle attendait qu'il lui dévoile cette merveilleuse idée mais au lieu de ça, il reparla de Ginny. Ce garçon savait comment passer du coq à l'âne ! Ce devait être un sacré bazar là haut, en dessous de ses bouclettes ! Il lui prit alors la main et se mit à dessiner dessus. Lucy fronça les sourcils mais ne dit rien. Il était comme un enfant, il avait sans cesse besoin de s'occuper.

Je ne sais pas quoi te dire... Essaye de lui en parler peut être ? C'est vrai que cette petite gueguerre n'a aucun s...

Elle ne put terminée sa phrase, soudainement assaillie par le jeune homme qui tentait de lui écrire sur le visage. Elle se recula vivement et tenta de le repousser. Trop tard, un grand trait noir lui barrait le front. Elle poussa un juron en français et s'éloigna vivement de son agresseur.

Non mais ça va pas ! Tu aurais pu me mettre le stylo dans l'oeil ! s'écria-t-elle, visiblement agacée. T'es incapable de rester sérieux plus de deux minutes et demi, pas étonnant que Ginny ne puisse pas te voir en peinture.

Elle fulminait, prise entre la colère et l'envie de rire. Ce garçon était vraiment invivable. En soit, c'était plutôt drôle... mais elle aurait rigolé s'il avait s'agit d'un gosse de 6 ans, pas d'un adolescent !

Bon. Manifestement, Lucy n'avait pas le même humour que lui, il pouvait ranger ça dans les affaires classées. Cela dit, un rictus avait fait trembler sa lèvre inférieure, et ça, c'était un signe que le frisé n'avait pas loupé.

"Maiiiiis... Tu sais bien que je t'aime !" papillonna-t-il, tentant de sauver non plus son honneur, mais surtout sa peau. Cette maison devenait vraiment dangereuse à fréquenter. Une vraie partie de Démineur à chaque fois. Il avait décidé d'ignorer sa remarque en rapport avec Ginny, lorsque celle-ci débarqua. Décidément, on ne pouvait plus être tranquille dans la maison des autres, où allait le monde ?
Piochant un cookie dans l'assiette et se débrouillant pour s'éloigner prudemment de la rousse, il retourna s'asseoir sur le plan de travail, en espérant que le bruit de ses mâchoires sur ses cookies suffiraient à faire oublier sa présence aux deux jeunes filles. Scrounch scrounch. Peine perdue. La soeur de Balt', qui avait, d'ailleurs, un regard encore plus suspicieux à son encontre que d'habitude, avait décidé de relancer sa maturité sur le tapis. S'il avait mis un dollar de côté à chaque fois qu'on lui avait mentionné cet aspect de sa personnalité, l'écureuil de la Caisse d'épargne aurait pu aller se rhabiller avec ses taux et livrets à 2%.
Il haussa les épaules, réfléchissant un peu malgré tout.

"Je n'y vois pas d'avantage, en fait."

Lucy avait préféré fuir son agresseur et son arme. Elle était désormais couverte de feutre: elle en avait sur les mains et sur le visage et cela l'avait passablement énervée. Ce gosse était intenable, elle perdait même parfois espoir, alors qu'elle était la seule à croire qu'il était capable d'autre chose que de conneries. Lucy frottait ses doigts tout en lui lançant un regard noir. Ginny arriva sur ses entrefaits et admira le résultat. Sa colère semblait être retombée, elle demanda au frisé s'il n'avait pas envie de grandir un peu. Le concerné répondit qu'il n'y voyait pas d'avantages. Lucy fronça les sourcils et marmonna:

J'en vois quelques uns, moi.

Elle se rapprocha un peu, prit son verre de lait et s'installa à la table de la cuisine, à une distance respectable d'Alistair. Les traces de feutre sur ses doigts s'étaient estompées, mais pas celle sur son front. Tant pis, ça partirait avec un peu de savon. Du moins, elle l'espérait. Elle attrapa un cookie et le grignota en silence. Elle préférait cette fois ci ne pas servir d'arbitre entre la rousse et le frisé. Ca finissait toujours par lui retomber dessus et elle en avait un peu marre. Une partie d'elle-même avait envie de les laisser discuter dans la cuisine et de monter dans sa chambre afin de se débarbouiller. Mais une autre partie - plus sage peut être - préférait rester avec eux et s'assurer qu'ils ne s'entretuaient pas. Margareth n'apprécierait pas de rentrer et trouver une mare de sang sur le carrelage.