J'avais passé la journée à regarder des vidéos de lolcats en mangeant des chips barbecue. En somme, j'étais pitoyable. Vers quatre heure, j'avais décidé de me bouger un peu, de me doucher d'abord et d'écrire un peu. Posé sur mon lit, un bloc note sur les jambes, un stylo dans la main, je fixais mon mur depuis approximativement cent ans. Et toujours pas d'inspiration. Après un soupir, je lançais un regard par la fenêtre. Etrangement, il faisait beau et bon aujourd'hui. Bizarre pour un jour de Janvier. M'approchant de la fenêtre, je regardais les gens passer dehors. Ca, ça pouvait m'inspirer. Prenant mon bloc note sous le bras, avec mon ipod, j'allais m'installer sur la pelouse devant la maison.
Avec mes compositions dans les oreilles, je regardais mes nouveaux voisins. Certains étaient carrément risibles, dont une femme qui essayait de porter tous ses sacs de course en un seul trajet. Et qui évidemment n'y arrivait pas. Deux filles parlaient au loin, vascillant sur leurs talons de douze centimètres. Je ne comprendrais jamais les filles, décidément, et leur addiction au masochisme des belles chaussures. Je remarquais soudain un garçon au loin, qu'il me semblait reconnaître. Plissant les yeux, avec la tête d'un myope au vingtième degré, j'attendais qu'il se rapproche pour en être sur. Ah bah oui, c'était bien Carl Spencer! Je me levais un peu en hate en lui faisant un signe de la main. "EH CARL!". Ok, les deux filles s'étaient retournées en me regardant vraiment bizarrement. Et mais c'est vous les meufs chelous là, à tituber comme c'est pas permis. Non mais j'vous jure, ces jeunes...

Je me laissais tomber à mon tour sur l'herbe, à côté de Carl, observant les quelques nuages parsemant le ciel. Au moins j'avais trouvé quelque chose pour occuper ma journée, et tant mieux d'ailleurs, les gens cools se faisaient rares. D'après ce que j'avais vu, la plupart des jeunes ici se croyaient dans une émission de téléréalité à colporter des rumeurs complétement bidons. Entendant la phrase de Carl, je souris avant de répondre. "Mais ouais, squatte autant que tu veux, c'est open house ici!". Personne n'était à la maison la journée, j'étais tout le temps seul, jouant de la musique ou cherchant à m'amuser. Le branleur de la famille en somme. Mais ça ne me dérangeait pas, certaines personnes auraient pu en avoir honte. Mais non, je savais ce que je valais. Certes, c'était prétentieux de se considérer comme un artiste plein de talent, mais on me l'avait assez dit pour que j'y croie. Et puis, j'avais la fortune de mon père sur laquelle me reposer, alors bon, autant en profiter, non? La situation n'était pas désastreuse, certes, j'avais une soeur insupportable à la maison, complètement imbue d'elle même, et un père casse bonbons, mais c'était largement vivable. "Il se passe quoi chez toi?". Je n'avais pas encore eu le temps d'aborder les sujets personnels avec Carl, on avait simplement eu des discussions de mecs, surtout portées sur les filles. D'ailleurs, les filles sur leurs talons étaient plutôt jolies. Du moins de dos, vu le peu que je pouvais en voir. Donnant un coup de coude à Carl, je les désignais du menton. "Sérieusement, c'est pas risible? Ca fait sa belle avec des talons de douze et je sais même pas marcher avec. Bon Dieu, mais où va le monde?"

Les deux garçons s'étalèrent donc dans l'herbe, les yeux au ciel regardant les nuages défiler. Carl trouvait cette atmosphère définitivement plus calme que chez lui, où ne régnait que bruit et désordre. Le quartier n'était pas au courant des tensions chez les Spencer, mais si les parents continuaient de gueuler, ils ne tarderaient pas à le savoir. Et cette bouffonne de Dirty se ferait un malin plaisir à juger. Est-ce que Carl s'immiscait dans sa vie, hein ? Il ne voyait vraiment pas l'intérêt de colporter des rumeurs comme ça, c'était purement puéril et inutile. Elle ne devait vraiment avoir rien à foutre de sa vie. Bref.

Il demanda alors à Jason s'il pouvait squatter chez lui pour la journée, ou la nuit, histoire que ça se calme. Bon, c'était en général pas poli de s'inviter, mais entre Jason et Carl c'était normal. Ils étaient potes quoi. Quand il pensait à leur rencontre, il se disait que c'était quand même un curieux hasard. Passer dans la rue pile au moment où le Springs jouait de la basse, c'était une coïncidence. Un signe du destin, dirait même madame Irma ou j'sais pas qui. Mais Carl était loin de croire à ces voyantes ou délires de destin de vie. C'était lui qui faisait sa vie et personne d'autre. Jason lui répondit qu'il pourrait squatter donc quand il voulait, et Carl le remercia d'un sourire. « Cool, t'es génial mec. » Son ami avait le don de le calmer, comme s'il entrait dans un tout nouveau monde quand il était avec lui. Ils échappaient la réalité.
Jason lui demanda alors ce qu'il se passait dans sa famille. Carl hésita un moment avant de répondre. Il ne voulait pas cracher le morceau que sa famille n'allait pas bien, chose qui se répandrait vite dans le quartier. Mais d'un autre côté il avait confiance en Jason. « Oh, je me suis juste engueulé avec me sœurs, comme d'hab. Elles sont vraiment chiantes parfois. Du coup, j'suis parti, j'en avais marre de m'expliquer. » Puis il pensa aux deux soeurs de Jason. « Tu dois connaître ça, avec les tiennes, nan ? » Carl adorait ses sœurs, mais comme toute famille, il avait un moment où elles lui couraient sur le haricot.

Jason se leva alors pour s'asseoir, donna un coup de coude à Carl et parla des filles à talons qui étaient en face. Le Spencer éclata de rire. Son ami avait trop raison. Il ne comprenait pas pourquoi les filles s'acharnaient à se niquer les pieds -sisi- pour des chaussures, juste histoire de faire joli ou je ne sais quelle autre chose. Vraiment débile. « Ouais, elles doivent trop avoir mal en plus. Viens on leur gueule un truc ? » Il n'était pas du genre à se moquer des filles, mais avec Jason, tout était possible. Et puis ça lui changerait les idées.

Souriant aux mots de Carl, je soupirais longuement avant de lui répondre, marquant mon désarroi face à ma situation similaire à la sienne. Effectivement, je connaissais ça. Heureusement pour moi, "Eh, eh, enlève tes échasses eh!"estant le plus souvent à la maison pour travailler, elles avaient plus l'habitude de quitter la maison de rage que moi. Certainement l'avantage d'être l'ainé (et de ramener de l'argent tout en travaillant à la maison aussi). Haussant les épaules, je lui répondis. "Ouais, je connais bien ouais. Mais laisse tomber, ça passera vite. C'est l'age, ou les hormones, j'en sais rien. Ca les rend insupportables je trouve." Faisant un clin d'oeil à Carl, mon attention retourna aux filles. Cherchant quoi leur lancer pendant quelques secondes, l'air extrêmement concentré, je devais être plus que risible. Mettant les mains autour de la bouche en guise de porte voix, je commençais à crier . D'accord, j'avais l'air d'un gros beauf, mais c'était plus que drôle! Me retournant vers Carl en souriant, j'attendais qu'il en rajoute une couche, afin que l'escalade des réflexions ne commence!

Les deux garçons se sentaient donc prêt à se moquer des filles qui passaient. Non mais sérieusement, pourquoi s'infliger des talons aussi hauts alors que cela ne changeait rien au physique ? Certes, cela pouvait affiner les jambes et paraître plus grande, mais elles ne trompaient personne, donc où était l'intérêt ? Carl lui, se chaussait avec ses grosses vans confortables, et acceptait son corps quoi (a). Mais pour une raison inconnue, les filles avaient toujours des complexes. Ah j'ai un ventre trop gros, ah j'ai des lunettes, ah j'ai des boutons ah.. Bref. On n'en voyait de toutes les couleurs. D'façon, ok, si elles avaient des lunettes et bien quoi ? C'était pas le fait de se plaindre qui leur rendraient une bonne vue.. Et puis pour les talons ? Alors ok, cela faisait joli etc. Mais alors qu'elle expliquent pourquoi à chaque fin de soirée elle se plaignent d'avoir mal au pieds. Mais,, pourquoi ? Carl ne comprenait pas pourquoi elles s'infligeaient cette sorte de torture débile. Bref, cela lui avait donné envie de se moquer d'elles avec Jason.

Ce dernier leur sortit une remarque à propos de leurs ''échasses'', et Carl explosa de rire avant de crier à son tour des vannes pourries. Le temps qu'elles traversèrent la rue, les deux amis leur avaient lancés des remarques assez drôles qui ne voulaient rien dire mais c'était comme ça, ils s'amusaient avec un rien. Quand enfin elle furent hors de leur champ de vision, ils s'arrêtèrent de crier tout en rigolant. « Bon je crois qu'elles vont se rappeler de ça un bout de temps ! » fit Carl en souriant. « 'fin bon, sauf si elles se bourrent la gueule pour oublier. M'enfin, quand elles se casseront la gueule parce qu'elles auront trop bu et n'arriveront pas à marcher avec leurs talons, elle penseront à nous aussi alors... » rajouta-t-il, tout content. Puis il expira longtemps et s'étala en arrière dans l'herbe. « Ah, c'est fatiguant de se moquer des gens quand même. M'enfin, ça fait du bien. » Faut dire que crier des conneries pendant dix minutes, c'était un peu crevant, surtout pour le pauvre cerveau de Carl qui commençait à surchauffer. Entre les cris et les conneries pfiou, il avait mal à la tête. Malgré ses nombreuses soirées, le Spencer avait plutôt l'habitude de faire des conneries, pas d'en dire. Du coup, il n'était pas habitué (a).

« Tu veux pas qu'on se bouffe un truc ou mate un film ? J'suis crevé et j'ai la daalle. » s'exclama alors Carl en se relevant vers Jason. Vu qu'il était sorti de table au milieu du repas, zioup, pas eu le temps de manger les bon steaks, et donc évidemment, son ventre criait famine.

Me rasseyant dans l'herbe, j'approuvais les paroles de Carl. "Bien sur que c'est fatiguant, c'est de l'exercice. Mais au final, c'est purifiant. Vraiment, j'te jure." J'avais toujours eu cette sorte de manie: observer les gens. Dans les transports en commun, la rue, en cours. Ca arrivait à m'attendrir, à m'énerver parfois, ou même à me rassurer. Avouons le, voir quelqu'un trébucher dans la rue et regarder autour d'elle pour vérifier que personne n'a rien vu, c'est appréciable. Ou alors je suis juste un peu trop moqueur, au choix.
Je me relevais à la question de Carl, qui avait étrangement réveillé en moi une faim que j'avais oublié en me moquant des jeunes femmes aux échasses. "Carrément! Tu veux manger quoi?" Me dirigeant vers la porte d'entrée, je lui fis signe de me suivre, tout en réfléchissant aux produits que contenait ma cuisine. L'argent coulant pour ainsi dire à flots dans la famille, ne faites pas comme si vous ne le saviez pas, j'avais tendance à ne jamais savoir quoi manger dans les tonnes de provisions du frigo familial. Arrivant à la cuisine, j'ouvris le frigo en grand avant de m'écarter légérement, afin que Carl puisse fouiller à l'intérieur. "Choisis un truc, je sais jamais quoi prendre dans tout ça." Bon, ça sonnait peut être pédant, mais ce n'était pas le cas. A vrai dire, très peu de personnes étaient déjà entrées chez moi. La plupart des filles que j'avais pu occasionnellement ramener s'étaient toujours montrées un peu hystériques face à mon père pour que je retente l'expérience. Je ricanais en imaginant Carl hurler comme une fillette à la vue de ma famille avant de me raviser. Il n'avait aucun besoin de remarquer que je riais, ni de savoir la cause de mon hilarité.

« Ah mais j'te crois, t'inquiètes kekette ! » s'exclama Carl en riant. Jason s'installa à ses côtés en s'étalant dans l'herbe et resta silencieux un moment. Carl l'imita en continuant de regarder le ciel. C'était étrange comment c'était apaisant. Une immensité bleu azur, sans taille ni limite. Pourquoi le ciel est bleu, demandent souvent les enfants. Et comment répondre ? Est-ce que leur dire que c'est un phénomène physique de rayon lumineux va les aider ? Non, on invente des histoires comme quoi un artiste venu de très loin et très âgé avait un jour décidé de le peindre en bleu, le bleu des yeux de son amante. Pour les faire rêver. Car n'est-ce pas le but d'être enfant ? Continuer à rêver, continuer à être innocent, à poser des questions sur le monde. A sourire, rire, et penser que le monde est parfait, que l'on est parfait, que tout va bien. Grandir rend tellement con. Carl avait peut-être grandit trop vite. Trop vite dans le business familial, trop vite à côtoyer la mort . Et aujourd'hui, il se trouvait plutôt bien, même pas mal. Peut-être que c'était son orgueil qui lui faisait dire ça. Peut-être pas. Mais pourquoi cherchait-il à passer du temps avec Jason, encore à moitié enfant ? Car il en avait besoin, il avait besoin de s'enfuir de la routine familiale, des disputes et grosses discussions sérieuses, il voulait redevenir un enfant pendant une heure, deux, une après-midi, peut importait, mais juste une fois.

Le ventre de Carl grogna alors et il sourit avant de demander à Jason s'il pouvaient prendre un truc à manger. Celui répondit positivement avant de se lever et de lui demander ce qu'il voulait manger. Le Spencer haussa les épaules. « N'importe. » Tant que son estomac était rempli, il s'en foutait avec quoi c'était. Il se leva alors, passa une main dans ses cheveux plein d'herbe, et suivit son ami dans la maison. Maison qui était immense, soit dit en passant. Celle des Spencers n'étais pas moins grande, faut dire que trois enfants ça prend toujours trop de place, mais celle-ci était particulièrement bien agencée et décorée. Dans la cuisine, le Springs ouvrit la porte du frigo, montrant à Carl ce qu'il y avait dedans, et le laissa choisir. Un sourire naquit sur le visage du Spencer et il regarda Jason d'un air malicieux. Il pouvait prendre ce qu'il voulait ? Très bien. « Et un goûter improvisé à la Carl, ça te tente ? » demanda-t-il sans vraiment attendre de réponse. En effet, Carl, toujours le sourire aux lèvres, fouillait dans le frigo à la recherche des éléments qu'il recherchait. Glace, check. Chantilly, check. Coca, check aussi. Bref, vous avez compris. Carl prenait ce qu'il trouvait de bon dans le frigo et dans les placards et les déposaient sur la table au fur et à mesure. Ce qui leur laissa au final sur la table de la glace, de la chantilly, du coca, des smarties, du coulis au chocolat, à la fraise et au caramel, des fraises tagada, de la cannelle, sans oublier les cacahuètes, les chips au vinaigre, du cacao, et j'en passe, ainsi que bien sûr un fond de rhum. Ah bah quoi, un goûter sans alcool ? La blague. Carl ricanait tout seul, tout content de ce qu'il allait manger. Retomber en enfance ça veut bien dire se faire un gros goûter sucré non ? Quoi, mais bien sûr que tout le monde a déjà fait ce genre de mélange au goûter, voyons. Bref, Carl mis ses mains sur ses hanches, admira la table bien remplie, et jeta un regard à Jason. « C'est parti ? »