Alistair referma la porte de la réserve, mit les clés dans sa poche et s'empara de la poignée du petit chariot. Il avait retrouvé ça au grenier, parmi les vieilles affaires de Lynn. Ca servait d'avoir une soeur qui avait été un garçon manqué, mais qui avait pris plus soin de ses affaires que lui. La plupart de ses propres jouets d'enfance avaient été détruits dans une quelconque expérience. De fait, le chariot était parfait pour transporter son matériel. Plus personne ne s'étonnait des lubies du jeune Albright, alors lorsqu'il avait commencé à se promener en traînant un chariot rouge vif avec des stickers Kim Possible collés sur un côté, il n'avait provoqué que quelques haussements de sourcils.
Il regarda sa montre. Il était en avance. Le rendez-vous était fixé à 7h au parc, lorsque les famille s'activaient encore avec leurs marmots, les vieux étaient au tabac-presse et les cadres travaillaient déjà. 7 heures, une heure paisible. Sifflotant gaiement à l'idée du petit pactole qu'il allait se faire, il se mit en route pour le parc, se remémorant les détails de la transaction. Sa cliente était une certaine demoiselle Cross, qu'il n'avait jamais vue auparavant. Sa manière de parler de la marchandise en grammes l'avait un peu interpellé, mais après tout, le client était roi n'est-ce pas ? Tant qu'elle le payait au final, il n'en avait pas grand chose à faire.
Soudain, il faillit marcher par mégarde sur une chose molle sur le trottoir. C'était un moineau, qui avait l'air d'avoir une aile froissée. Il s'arrêta, rangea son chariot sur le côté et prit l'oiseau dans ses mains pour le poser sur un muret. Il remit l'aile du moineau droite avec précaution, sortit un mouchoir de sa poche, en fit un petit nid, sortit quelques miettes de pain d'une autre poche, les déposa sous son bec, et acheva d'installer le volatile.

"Allez mon pote, ça ira mieux comme ça non ?"

Hochant la tête pour lui même, il se remit en marche, et finit par arriver aux grilles du parc. Il n'y avait personne. Parfait, il verrait sa cliente arriver comme ça. Il s'installa tranquillement au point de rendez-vous, derrière le 4e arbre de la deuxième allée prenant sur la gauche.

J'émerge douloureusement d'un rêve que ma mère psychologue aurait adoré analyser. Je regarde le réveil posé sur la table de chevet et pousse un soupir de soulagement: je ne suis pas en retard. Cela faisait un petit moment que je n'avais pas fait de sieste, mais avec la semaine que je viens d'enchaîner, j'en avais bien besoin ! 8 nuits de service consécutives, à cause d'un collègue malade. Quelle idée de choper une angine dès le mois de septembre ! Je finis par me lever, remettre mon jean et passer à la salle de bain me rincer le visage. C'est alors qu'un rendez vous d'importance me revient en mémoire: je dois être au parc dans moins d'une demie heure. Cette fois, je suis en retard ! Je me transforme en Taz le diable de Tazmanie et tourbillonne dans la maison en quête d'un paquet de chips, d'une paire de chaussures, de mes clés et surtout de mon porte monnaie. Une fois tout cela en main, je sors de la maison en courant et grimpe sur ma bicyclette, mon fidèle destrier, direction le parc ! Je gare le vélo dans la rue et marche sur le chemin jusqu'au lieu de rendez vous. Devant moi, à moitié caché par un arbre, je devine la personne que je suis venue voir. C'est la première fois que je change de vendeur. D'habitude, je n'aime pas ça, j'ai mes petites habitudes. Mais mon dealer ne me répond plus depuis trois semaines et je commence à trouver le temps long. Heureusement, on m'a parlé de ce petit gars là, alors je l'ai contacté. J'espère qu'il fera l'affaire. Salut, dis je en arrivant à sa hauteur, tu as ce que je t'ai demandé ? Depuis le temps, j'ai appris à ne pas regarder partout autour de moi pour voir si on est observé, histoire de rester discrète.

Cela faisait une dizaine de minutes qu'Alistair attendait, soufflant sur ses jointures pour les réchauffer. C'est fou ce qu'il pouvait déjà faire frisquet en ce début du mois d'octobre. Meumonnant une chanson pour lui-même, il donnait des coups de pieds dans les buissons environnants, par dépit.
L'arrivée de sa cliente le fit limite sursauter. La détaillant de haut en bas, il remarqua qu'elle était assez fine, grande, l'air de savoir ce qu'elle veut. Un peu plus âgée que ses clients habituels, peut-être. Mais bon, chacun s'amuse avec ce qu'il veut.Hochant la tête, il désigna son chariot du regard.

"J'ai le stock !" clama-t-il haut et fort, fier de son nouvel approvisionnement. "J'en ai de toutes les couleurs, toutes les mélanges, tous les styles."

Vraiment, il y en avait pour tous les goûts là-dedans. Il avait fait l'effort de diversifier les fournisseurs, élargir son panel, et comptait bien se lancer dans une activité régulière d'ici peu. Cela rapportait bien mine de rien, enfin, toujours plus que son job de femme de ménage au lycée.
La cliente ne semblait pas portée sur la question, mais de toute façon, comparé à sa volubilité naturelle, tout le monde lui paraissait muet et renfrogné.
Il tapota la poche de sa propre veste, maladroitement. "Et toi... vous... avez l'argent ?" Il se racla la gorge. Ce n'était pas dans ses habitudes d'hésiter, mais quelque chose en elle le mettait visiblement mal à l'aise.

Le petit homme sursaute à mon arrivée, il n'a pas du m'entendre. Il se tourne vers moi et je l'observe. Il me semble jeune, mais surtout inexpérimenté. Ce doit être l'une de ses premières ventes, je ne vois pas d'autre explication. J'espère qu'il ne me mettra pas dans une situation compromettante parce qu'il est débutant, c'est la dernière chose dont j'ai besoin en ce moment. Comme s'il avait entendu mes pensées, le gosse déclame qu'il a le stock. Je fronce les sourcils, surprise qu'il parle aussi fort dans un lieu public. Avec la main, je lui fais signe de se taire mais il n'y fait pas attention. Il m'annonce en avoir de toutes les couleurs et de tous les styles. Je reste perplexe face à une telle affirmation, j'ai du mal à voir ce dont il veut parler mais peu importe. Il a certainement une façon singulière de parler du produit. Il me demande alors si j'ai l'argent... comme si j'étais venue les mains vides ! Je sors du liquide de la poche de mon jean et lui montre sans pour autant lui donner. Je voudrais essayer avant, histoire d'être sûre qu'on ne me vende pas de la daube. Je suis dure en affaire, mais je ne le connais pas celui là, et je n'ai vraiment pas envie de me faire arnaquer. Je prends mon air le plus sérieux pour me montrer convaincante: soit il me laisse goûter à ce que je suis venue acheter, soit je m'en vais.

La cliente avait l'air étrange, assez stressée. Pas sa clientèle habituelle, définitivement. Elle regardait parfois autour d'elle, une certaine aura de mystère planait autour d'elle. Personne ne faisait autant de cas pour une de ses ventes habituellement. Elle avait l'air de le prendre de haut, contrairement aux regards admiratifs que les gamins lui adressaient généralement lorsqu'ils lui achetaient du matériel. Décidément, il devrait être plus méfiant à l'avenir, et ne pas se fier à l'amie d'un amie de la cousine d'un ami.
Lorsqu'il lui demanda si elle avait l'argent, elle lui montra une liasse de billets, comme s'ils avaient déjà convenu d'un tarif entre eux. Et comme s'il allait lui vendre une cargaison de diamants apparemment. Holy crap, il allait pouvoir s'acheter deux-trois trucs avec ça.

"Alors comme ça, tu veux tester la marchandise ?"

Les premiers passants allaient bientôt envahir le parc, et bien que son commerce ne soit pas inconnu de tous, il aurait préféré que cela reste discret.

Le môme semble un peu réticent à me laisser voir la marchandise. J'ai bien fait de me méfier je crois, il allait sûrement me refiler de la merde ! Je mets les poings sur mes hanches et fronce les sourcils. Mais oui ! Je ne change jamais de fournisseurs d'habitude, j'ai pas envie de fumer quelque chose de dégueulasse ! ou de dangereux ! Difficile de rester discrète avec un empoté pareil face à moi. Il commence à m'agacer. J'ai froid et je veux rentrer, pourquoi est ce qu'il fait tant de manières ? A qui est ce qu'il vend d'habitude ? A des amateurs ? Des ados du quartier qui n'y connaissent rien ? Je m'apprête à sortir de quoi me rouler un joint pour l'inciter à sortir son matos lorsque je remarque quelque chose derrière lui. Mais c'est quoi ça ? je demande. Tu reviens du marché ? dis je avec un rictus. Je me demande ce qu'il peut trimbaler dans ce cabas. En tout cas, niveau discrétion, on a fait mieux ! Je regarde à nouveau autour de moi. Heureusement qu'il y a peu de monde dans ce parc à la tombée de la nuit, car notre rencontre paraît des plus louches... Surtout que ça commence à s'éterniser ! A ce que j'aimerais être déjà dans mon canapé...

Fumer. Certains clients avaient décidément un vocabulaire bien étrange. Elle avait l'air de commencer à perdre son calme, pour une raison qui lui était inconnu. Sans doute l'événement pour lequel elle voulait acheter tout ça était-il important, l'anniversaire de son petit ami peut-être ? Tout de même un peu interloqué par son agressivité, Alistair recula d'un pas.

"Non mais il n'y a pas de problème, je veux juste faire la conversation hein..." Tapotant ses poches, il dénicha un briquet et se pencha au-dessus de son chariot, ignorant la remarque de la jeune femme à ce sujet. Qu'est-ce qu'il y pouvait si sa marchandise était lourde ? Elle n'avait qu'à pas lui mettre rendez-vous à l'autre bout de la ville. Décidément, c'était une de ses dernières transactions. Fouillant sous la bâche, il sortit un paquet rectangulaire, de taille moyenne, avec du papier kraft tout autour. S'agenouillant, de dos par rapport à elle, il ouvrit le paquet, en sortir un bâtonnet et le piqua dans le sol. Il voulait garder l'effet de surprise le plus longtemps possible. D'après son expérience, cela avait parfois donné un petit coup de pouce aux ventes. Allumant la mèche, il se recula brusquement, et se tourna vers sa cliente pour guetter le sourire émerveillé qui n'allait pas tarder à apparaître, face aux étincelles jaillissant de la fusée qui leur faisait face.

Le tuer. C'est la première chose qui me vient en tête lorsque je comprends ce qui est en train de se passer, lorsque je comprends le malentendu. Mais lui ne sait pas, pas encore. Peut être qu'il commence à se douter de quelque chose à la vue de mon regard horrifié. Quelques mètres devant moi, je vois le petite bâtonnet rouge planté dans le sol, la mèche allumée. Quelques secondes après, une 'explosion. Je ferme les yeux et plaque les mains contre mes oreilles, légèrement effrayée. Une fois que c'est terminé, je rouvre les yeux et remets les mains dans mes poches, je regarde autour de moi pour voir si on attire l'attention. Le gosse semble s'attendre à plus d'enthousiasme de ma part mais je fronce les sourcils, prête à exploser à mon tour. J'arrive pas à y croire, j'arrive pas à y croire, je répète en grommelant. Je ne sais pas bien si je dois en rire ou pleurer. Mais j'ai perdu mon temps ! Mon précieux temps ! Je pourrais l'étriper ce petit là mais finalement, il n'est pas plus responsable que moi. Je pousse un long soupir. Ce n'est pas ce que je voulais, on s'est mal compris. Je voulais un... autre pétard, dis je en mimant l'action de fumer, espérant qu'il comprenne ce que je voulais dire, cette fois.