Lou venait d’achever son paquet cadeau. Elle n’avait jamais été douée pour les faire, elle préférait largement quand les employés des magasins s’en chargeaient. Néanmoins, ce n’était pas possible avec l’idée de cadeau qu’elle avait eu pour Julian. Hier soir, Lou était restée chez à elle à regarder des veilles photos de sa famille, de ses amis, et d’elle. Elle fut surprise du nombre de photos qu’elle avait trouvé de Julian et d’elle alors qu’ils étaient enfants. Elle avait décidé d’en faire un album photo. Lui vint ensuite à l’esprit de l’offrir à son meilleur ami. Lou était bien consciente qu’il lui faudrait plus qu’un album photo pour renouer avec Julian, mais elle restait pourtant très enthousiaste. Surtout parce qu’elle s’était remémorée de nombreux souvenirs, de cette époque si magique qu’on appelait enfance, et qui rimait avec innocence. Voulant faire de ce présent une surprise, Lou ne prit pas la peine de s’assurer que Julian serait chez lui quand elle déciderait de lui offrir. Elle prenait le risque. Elle attrapa son manteau, puis se dirigea cadeau en main vers la maison numéro un. Elle sonna une fois, impatiente. Elle se souvint de la dernière fois où elle était venue chez Julian. Quand Dirty Secret avait cru de bon ton de qualifier Lou de ‘pute distinguée’. Sauf que cette fois-ci, ce n’était pas Daren qui lui ouvrit la porte, mais Julian lui-même. Lou eut un moment d’absence. « Oh, Julian. » elle était surprise qu’il réponde à la porte de chez lui… ce qui n’était pas très logique. « Je suis désolée de passer à l’improviste, mais j’ai un cadeau de Noël pour toi. » dit-elle en agitant le paquet devant lui. Elle lui fit un mince sourire. En réalité, elle était un peu nerveuse. Elle appréhendait toujours sa réaction. Bonne ou mauvaise, elle ne savait jamais à quoi s’attendre. C’était pourtant ridicule, ils se connaissaient depuis tant d’années. En plus, le jeune homme ne l’avait jamais jugé. Jamais. Même quand on avait appris sa liaison avec un homme marié, même quand elle avait commencé à sortir avec Andrew, et même quand il avait appris sa grossesse. Julian avait toujours été un bon ami, c’est pourquoi Lou ne comprenait pas la raison qui le poussait à se tenir à distance des gens. Aujourd’hui cependant, Lou se présentait comme une fleur alors qu’ils n’avaient pas eu de vraie discussion depuis des mois. Comme tout le monde, il avait dû apprendre qu’elle avait perdu son bébé, or elle ne lui avait jamais mentionné clairement. De toute façon, Lou refusait catégoriquement d’en parler. Même avec Andrew, ils n’en avaient jamais parlé ouvertement. C’était impensable pour elle de mettre de mots sur ces événements. Elle espérait donc faire l’impasse sur cette partie de sa vie. Si Lou était ici, c’était avant tout parce qu’elle avait envie de retrouver la complicité qu’ils pouvaient avoir enfants. Elle s’observait même à travers les clichés qu’elle avait choisi de placer dans l’album photo. Et si pour quelques moments ils pouvaient redevenir ces deux enfants là ?

Comme d’habitude, Julian était impassible. Elle crut lire sur son visage de la surprise. Ou alors elle devenait parano, et il était indifférent à sa venue. Bien vite, elle expliqua la raison de sa visite ; elle venait pour lui offrir son cadeau de Noël. Lou avait toujours apprécié les fêtes, c’est tout naturellement qu’elle avait pensé à faire un présent à son meilleur ami. Si tant est qu’on puisse l’appeler encore ainsi. Il l’invita à entrer, et Lou accepta volontiers. Le froid était violent aujourd’hui. Une fois à l’intérieur, elle fut un peu perdue. Elle ne savait pas trop si elle devait agir comme d’ordinaire. Elle possédait encore quelques repères dans cette maison, mais elle n’osait pas bouger, de peur de faire une bêtise. On aurait dit que c’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans maison des King. Elle se sentait un peu bête. Julian ne semblait pas non plus très à l’aise. Un silence s’installa alors qu’il achevait de refermer la porte. Il l’invita à le suivre dans la cuisine. Lou détacha son manteau, mais ne l’enleva pas. Elle ne savait pas si Julian était dans de bonnes conditions pour la recevoir, et au cas où la visite se ferait express elle ne voulait pas trop se découvrir. Il prit ensuite la parole. Il n’avait pas de cadeau pour elle, mais Lou ne fut pas déçue. Après tout il ne pouvait pas s’attendre à la voir aujourd’hui. Néanmoins, il tenta de se racheter en lui proposant une collation. Bon point, il n’avait pas envie de se débarrasser d’elle tout de suite. « Avec plaisir. » dit-elle, en prenant place à son tour sur le tabouret. Lou tentait de faire bonne figure. De rester joviale ; elle s’attachait à montrer qu’elle allait mieux. Lou était venue dans l’espoir de normaliser leur relation, elle faisait donc de gros efforts. « Mais d’abord j’aimerai vraiment que tu l’ouvres. » elle lui tendit le petit paquet. Il allait s’en doute la trouver trop sentimentale. Parfois Lou pouvait être guimauve, elle en avait conscience. Malgré tout, elle était fière de cet album. Elle avait imprimé les photos jusque tard dans la nuit, elle avait pris soin de les coller dans un cahier, les assortissant de quelques légendes. Elle avait déniché - en photo de couverture - un cliché de la fratrie Huntington avec celle des King bien avant le décès d’Alicia. C’était Olivier, le père de Lou, qui avait pris la photographie. On y voyait des gens heureux, souriants. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ? Lou se tenait à côté de Julian, elle était minuscule à côté de lui. Elle avait passé de longues minutes à regarder cette photo, son regard ne voulait pas s’en détacher. Elle redoutait un peu la réaction de Julian. Mais elle était heureuse de ce qu’elle avait fait, et ne regrettait pas. Elle espérait que voir un cliché de sa mère allait lui donner du baume au cœur. « Ce n’est pas grand chose, j’espère que ça te fait plaisir. » conclu-t-elle impatiente. Elle scrutait Julian, guettant le moindre signe d’une quelconque réaction. Elle redoutait que son cadeau n’ait pas l’effet escompté. Et si elle avait fait une erreur ?

Partagée entre appréhension et excitation, Lou regardait Julian ouvrir son petit paquet avec attention. Elle avait envie de lui prendre des mains afin de le déballer au plus vite. La patience n’avait jamais été son fort. Quand il eut fini, Lou le scruta attentivement, guettant le moindre signe sur son visage, que ses émotions trahiraient. Il observa minutieusement la photo de couverture, il semblait sonné. Lou pouvait comprendre que la puissance des souvenirs le frappe ainsi. Elle-même avait eu un peu de mal à revoir ces images, et pourtant, la nostalgie était un sentiment qu’elle appréciait. Se plonger dans les souvenirs se révélait parfois si difficile, à la fois envoutant et douloureux. Elle hocha la tête d’un signe positif quand il lui demanda si c’était un album photo. « Fais par moi-même. » ajouta-t-elle, mais s’il allait aisément pouvoir le constater. Elle lui laissa le temps nécessaire pour se faire à ce qu’il tentait entre les mains. Il ne relevait plus la tête, évitant le regard de Lou. Etait-ce bon signe ? Elle n’en savait rien. Une chose était sûre, elle avait réussi à le toucher. A le toucher au plus profond de lui. Et même si les sentiments étaient confus, partagés, Lou avait eu envie de lui faire ressentir quelque chose. Parfois, elle avait, en effet, l’impression qu’il avait dû mal à ressentir le moindre sentiment. Du moins à l’exprimer. En fait, Julian venait de lui offrir son plus beau cadeau ; avoir l’impression de le voir comme avant. Il reprit soudain la parole, sans que Lou ne s’y attende. Il tentait de mettre des mots sur ses émotions. Elle hocha une nouvelle fois la tête. Elle comprenait parfaitement ce qu’il voulait dire. « J’ai ressenti la même chose tu sais. » dit-elle pour le rassurer. Une larme coula doucement sur la joue de Julian. Il l’essuya d’un geste vif. Elle se leva aussitôt. Elle détestait voir les gens pleurer (en même temps qui aime ça ?). Elle s’arrêta net lorsqu’il reprit la parole. Il s’excusait, et lui assurait qu’elle avait toujours une place dans son cœur. A son tour, Lou sentit l’émotion l’envahir. Elle avait toujours été émotive, se trouvant d’ailleurs parfois trop sensible. Mais elle ne pouvait pas faire comme si ça ne la touchait pas. Elle avait tant de fois désiré entendre ces mots sortir de la bouche de son meilleur ami, qu’elle n’y croyait pas. Elle s’approcha de lui, elle avait envie de le prendre dans ses bras. De lui montrer qu’elle aussi l’aimait toujours. Lui, le petit garçon de dix ans sur les photos, et lui, le grand garçon de vingt-trois ans, l’homme qu’il était devenu. « Je t’aime aussi Julian, et je n’ai jamais vraiment douté de l’amour que tu as pour moi. » certes, leur relation était devenue étrange au fil des années, mais ça ne voulait pour autant, pas dire qu’ils n’avaient plus leur place dans leurs cœurs respectifs. Et même s’il pensait ne pas être assez doué dans ses relations avec ses proches, Lou pouvait lui assurer qu’elle n’avait jamais douté de lui. « Je n’espérais pas te faire tant d’effets avec ce cadeau, mais j’en suis contente. » dit-elle pour détendre la situation. Elle était toujours à côté de lui, n’osant pas se laisser aller à le prendre dans ses bras. « Je peux ? » fit-elle en ouvrant les bras pour l’inviter à l’enlacer. Elle se trouvait carrément ridicule de lui demander la permission, comme s’il allait la repousser, comme si faire un geste brusque serait le risque de le faire s’éloigner.

Tant de sentiments étaient venus s’emparer des deux meilleurs amis. D’abord de la joie, celle de se revoir, puis de la nostalgie face aux souvenirs heureux, et enfin de la tristesse parce que cette époque-là était révolue depuis bien longtemps. Que Julian lâche quelques larmes, Lou s’en étonnait. Elle n’était pas peu fière d’avoir réussie à le toucher de la sorte, et même si elle savait que ses larmes n’étaient pas que de joie, elle ne regrettait pas de lui avoir fait ce présent. En bonne fonceuse, elle se rua vers lui dès qu’elle vit une larme couler. Elle n’osait pas le prendre dans ses bras. Hésitante, elle finit par demander la permission. Il pouffa, et Lou lâcha un léger soupir de soulagement. Elle préférait nettement qu’il se moque d’elle, mais ne la rejette pas. Leur différence de taille était notable, et Lou se sentait minuscule dans ses bras. Cependant, pour rien au monde elle n’aurait relâché cette étreinte. Elle ne saurait dire depuis combien de temps ils n’avaient pas eu l’un pour l’autre un geste de cette nature. Il la remercia d’être venue. Lou ne répondit rien. Elle profita du calme de l’instant, consciente qu’il pourrait ne pas se reproduire de si tôt. A son tour, elle sentit ses yeux lui piquer, signe annonciateur de larmes à venir. Elle se retint de toutes ses forces pour ne rien lâcher, elle ne voulait pas que ce moment devienne pathétique. Mais elle n’y pouvait rien, l’émotion la gagnait. Elle avait l’impression, et c’était purement subjectif, que le lien qui l’unissait à Julian depuis tant d’année n’était plus aussi égratigné qu’auparavant. Au bout d’un moment, elle décida de rompre leur étreinte. Ils ne pouvaient pas rester ainsi pour toujours, malheureusement. Elle déposa un baiser sur sa joue, et reprit sa place sur son tabouret, non sans oublier de poser son manteau à côté d’elle. Elle interprétait leur moment comme un pas en avant, un signe encourageant. Maintenant qu’elle était lancée, elle n’avait pas envie de partir. Pas tout de suite. « Et dis moi, comment tu vas ? » question pour le moins banale, à laquelle, Lou en était presque sûre, il allait éluder tout ce dont il n’avait pas envie de parler. « Et Lucy ? » ajouta-t-elle donc immédiatement pour qu’il raconte au moins quelque chose. Elle ne savait pas comment se portait la relation entre les deux amants. Elle n’en avait d’ailleurs jamais su grand chose, mais remerciait la jeune fille pour tout ce qu’elle avait apporté à Julian. Lou aurait aimé la connaître davantage. Elle nota dans un coin de sa tête de s’y atteler bientôt. Ce qu’elle n’avait toutefois pas pris en compte, était le fait qu’il lui retournerait sans doute la question. Or, elle n’avait pas vraiment envie d’aborder le sujet Andrew. Tant pis, elle avait pris le risque. Elle n’aimait pas cacher des choses à Julian, que cela soit agréable à entendre pour lui, ou non. Car, il devait bien s’être rendu compte que Lou avait repris du poil de la bête. Qu’elle n’était plus triste et morne, attendant que les jours passent. Aujourd’hui, elle était actrice de sa vie, volontaire, et déterminée. Preuve, son geste envers Julian, qui signifiait son envie de consolider leur relation, de la normaliser. Il ne pouvait qu’être heureux pour elle que son appétit de la vie ait ressurgi. Du moins, elle l’espérait.