Mike dormait encore quand il avait reçu le message de Lou. Ça l'avait réveillé, bien sûr, il avait poussé un grognement parce qu'il espérait rattraper les heures de sommeil qui lui manquait, mais quand il avait vu qui le réveillait il avait aussitôt balayé cette idée. Des nouvelles de sa soeur, ça faisait plaisir. Enfin, des nouvelles, pas vraiment, plutôt une incitation à venir la voir, un sous-entendu lui soufflant qu'il avait plutôt intérêt à s'exécuter. Et puis Mike ne disait jamais non à Lou, encore moins quand il s'agissait de lui rendre visite. Ils n'habitaient plus ensemble désormais, alors forcément ils se voyaient moins souvent. Elle n'était plus sa voisine de chambre, il n'avait plus que sa porte à ouvrir pour lui dire deux mots, ou juste bonne nuit. Quoiqu'il ne s'interdisait pas de revenir de temps en temps à « la maison », qui restait encore la sienne. Alors en deux temps trois mouvements il s'était levé, revigoré, habillé, avait baillé un coup avant de sauter dans ses baskets comme un bon petit soldat. Il avait toujours été à l'affût du moindre appel de Lou. Quand elle disait qu'elle voulait le voir, ils se voyaient. Quand elle disait qu'elle voulait lui parler, ils parlaient. Cependant ce n'était pas toujours aussi simple, ces derniers temps ils avaient bien eu des occasions mais ne les avaient pas saisies, Mike trop maladroit par rapport à la situation de Lou, cette dernière de toute évidence incapable d'en parler. Il n'avait pas voulu la brusquer alors il avait préféré ne pas aborder le sujet. Il passa donc au numéro treize, salua sa mère pendant que Lou prenait quelques affaires mais non, il ne pouvait pas rester, ils devaient partir, oui ils sortaient, non il ne la ramènerait pas trop tard, oui oui bonne journée. Il avait pris la volant de sa petite voiture, conduisant vers la plage. Sur le trajet, il l'avait embêté, elle l'avait embêté. Ils avaient de nouveau huit ans, jouaient à ce genre de jeux qui ne concernent que les voyages en voiture, le genre de jeux qu'ils faisaient étant enfant, quand l'attente de l'arrivée était trop forte, l'ennui trop puissant. Là aussi ils attendaient d'être arrivé. Mike, en tout cas, avait hâte de se retrouver sur le sable. Il n'y mettait pas souvent les pieds, il n'aimait pas tellement la mer. Sauf quand ils étaient gamins. Quand ils s’essoufflaient à courir sur le sable, quand ils tombaient dedans et s'en mettaient plein les cheveux. Le sable s'infiltrait partout. Mais pour Lou il faisait une exception. Pour Lou il ferait face à la mer, et il écouterait ce qu'elle avait à lui dire. Il se doutait bien que si elle avait demandé à le voir, ici, ce n'était pas pour se rouler dans le sable, faire des grimaces et se tirer les joues. Ils avaient huit ans quand ça les arrangeaient. Mike coupa le moteur, jeta un oeil à Lou. Il avait eu le réflexe de prendre une veste, le vent soufflait fort en bord de mer et était plutôt glacial, ce n'était pas vraiment un temps pour aller se balader. Mais il avait tout de même accepté, parce qu'il ne disait jamais non à Lou. « Oui, d'accord. » ils n'étaient pas certains de manger là, le sable s'infiltrerait jusque dans leur déjeuner, mais Mike prit tout de même le sac que Lou avait préparé et ils entamèrent la montée de la digue. Les arbres avaient disparu, laissant plus de place à cet environnement dégagé qui, accompagné des senteurs de sel, ne pouvait dire qu'une chose. Comme lorsqu'il était petit, Mike sentit l'excitation monter à l'idée qu'ils n'étaient plus loin, de la mer.

Mike regardait le sol, fixant le sable lisse qu'ils marquaient de leurs empreintes de pas. Au fur et à mesure qu'ils gravissaient la digue, le bruit de la mer devenait de plus en plus fort, pourtant il ne releva pas le regard. Il laissa sa sœur le prendre par le bras, sourit en la regardant sautiller à côté de lui. Elle avait toujours aimé la mer, au contraire de Mike. Il n'avait jamais beaucoup apprécié le goût salé de l'eau qui irritait la peau, la puissance des vagues qui menaçait d'emporter au large quiconque s'aventurant trop loin, le sable qui s'infiltrait partout. Mais on lui avait fait aimer la mer, la plage, quand il était plus petit. Quand leurs parents les y emmenait, Lou, Jeremy et lui, chose qu'ils avaient brusquement cessé de faire après la mort de leur père. Et alors que Lou nourrissait ces souvenirs d'un autre temps, Mike les fuyait. Il fuyait plus ou moins tout ce qui avait un rapport avec son père. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi ; cependant il ne se détachait pas de tous ces souvenirs, de toutes ces choses qu'ils avaient vécues. Il se les remémorait, parfois, quand il était seul. Mais pour une raison qui lui était inconnue, il était incapable de les partager avec qui que ce soit. Aujourd'hui, bien qu'il ait cessé d'aimer la mer autant qu'il l'aimait lorsqu'il était petit, il était content de se retrouver là, avec Lou. Même si ça voulait dire devoir se confronter à des tas de souvenirs de leur père. Avec Lou il se permettait ce genre de pensées. Avec Lou il osait regarder la mer et se dire que, tiens, dix ans plus tôt, il était là, avec son père. Avec Lou tout était plus simple. Aussi, quand la jeune fille fit remarquer qu'autour d'eux, c'était beau, Mike finit par relever la tête. Il s'arrêta de marcher, là sur le sable, face à la mer, il fronçait les sourcils sans même s'en rendre compte mais oui, c'était beau. Les nuages gris, la mer verte et sombre, le sable humide, c'était beau. Il ne répondit pas à Lou, plongé dans le paysage. Il ne pensait plus, il contemplait juste cet endroit qui avait été le leur de longues années durant. Il se revoyait, courant après son frère et sa sœur. Il ferma les yeux l'espace d'un instant, soupirant. Il n'aimait pas être là, mais devait-il pour autant se retourner et partir ? Est-ce que ce serait ça qu'il ferait chaque fois que le souvenir de son père serait un peu trop fort, un peu trop puissant et l'emporterait sur tout le reste, est-ce qu'il se cacherait les yeux d'une main, cherchant une sortie de l'autre à tâtons ? Est-ce que c'était aussi pour ça qu'il se sentait obligé de rester, incapable de quitter la ville où, parfois, il sentait encore la présence de son père ? Il se trouvait ridicule, à vivre ainsi dans le passé. Il se demandait si c'était aussi le cas pour Lou, s'il lui arrivait de repenser à cette époque, à « avant ». Ils n'en parlaient jamais, ni entre eux, ni avec personne d'autre. Il n'y avait que Jérémy pour faire ça. Et puis finalement, Mike préférait que ce soit ainsi. Ça lui convenait très bien. Il ne se sentait pas triste lorsqu'il pensait à son père, mais il avait peur que Lou le soit s'ils en parlaient. Il craignait de lire dans son regard une blessure, pas seulement vis à vis de leur père, mais aussi par rapport à tout ce qui s'était passé récemment, tout ce pour quoi il n'avait pas été présent pour elle. Il s'en voulait sincèrement et aurait aimé que ce ne soit pas elle qui s'inquiète pour lui aujourd'hui. « Ça va, très bien. » que pouvait-il lui dire de plus ? Ce n'était pas à elle de poser ce genre de questions, pas à lui d'épiloguer sur sa vie. Il se tourna vers elle, enfonçant ses mains dans ses poches, et baissa les yeux vers ses chaussures, qu'il se mit à tordre comme un petit enfant interrogé devant toute la classe et mal à l'aise. « Oui, moi aussi. Je regrette de, tu sais, pas avoir été très présent. » il était hésitant dans ses mots, comme toujours il avait du mal à exprimer le fond de sa pensée. À vrai dire, il n'avait aucune quelconque excuse et ne pouvait se justifier de ne pas l'avoir aidé dans cette mauvaise passe. Lou s'était renfermée sur elle-même ces derniers mois, évitant toute discussion, même avec lui elle avait été distante. Par son silence, il avait deviné qu'elle ne voulait pas en parler, respectant son choix il n'avait posé aucune question. Ça ne l'avait pas empêché de s'inquiéter et d'essayer au possible de prendre de ses nouvelles, principale raison pour laquelle il avait accepté de la voir aujourd'hui, sautant sur l'occasion de pouvoir discuter avec elle, d'en savoir un peu plus, aussi, si elle le voulait bien.