Il est de ces moments où l'insouciance des manières d'une adolescente de seize ans s'empare de nos êtres un peu trop euphoriques; c'est généralement à cet instant tragi-comique que l'on attrape le téléphone en toute hâte. Aujourd'hui, c'était au tour de Summer de sourire béatement. Elle avait l'impression de s'envoler à chaque pas qu'elle faisait dans la rue, aurait pu pleurer de joie parce qu'on lui avait tenu la porte et que, franchement, "mon dieu j'ai foi en l'humanité", souriait plus que de raison en disant bonjour aux personnes qu'elle croisait. Elle essayait parfois de se retenir, même, pour paraître socialement fréquentable: il était vrai qu'elle devait plus ou moins passer pour une démente à marcher seule sur le trottoir en arborant un sourire si grand qu'il en devenait douloureux pour ses idiomatiques. En réalisant qu'il lui était plus difficile encore de contenir son sourire que de l'assumer, la rouquine finissait par se dire qu'elle n'avait que faire des qu'en dira-t-on et que, de toute façon, si son bonheur insupportait, qu'il en soit ainsi! ça lui faisait une belle jambe; c'était plus agréable que de retenir des larmes.

Comme il était logique -sinon vital- qu'elle le fasse, Summer avait donc appelé Alana en spécifiant qu'il fallait qu'elle la voit "de toute urgence" parce que "oh mon dieu, oh mon dieu" (deux fois, c'est dire l'importance de la situation) il fallait qu'elle lui dise "un truc". Aussi, après avoir convenu avec son amie d'une heure pour se retrouver, la secrétaire avait attendu avec impatience le moment fatidique.

Il était arrivé. Miss Andrews cessa de fignoler son travail administratif -sur lequel elle avait du mal à se concentrer- et sortit de chez elle, gâteau au chocolat fait maison en main (et il était pourtant rare qu'elle "cuisine") pour remercier par avance Alana de supporter ses "gouzi", "dididi" et autres bruits suraigus relativement irritants. Arrivée devant la porte de son amie, Summer toqua quelques petits coups énergiques en leur donnant un rythme (et la réponse et oui, si elle avait pu, elle les aurait fait chanter... oui, dégueulasse, son monde rose bonbon: quitte à pécher, péchons), jusqu'à ce que Alana vienne ouvrir. « Coucou ma belle! J'ai apporté un gâteau. »

En arrivant chez Alana, Summer était toujours aussi souriante. Elle l'était toujours à l'idée de passer une soirée avec son amie, mais en songeant à ce qu'elle avait à lui dire, elle passait du stade de gentiment contente à celui de complètement heureuse. Quand Alana lui ouvrit, le regard de la rouquine sembla pétiller. Elle entra sur la proposition de son interlocutrice, répondant au passage à sa question. « ça va très bien et toi? » Même si elle estimait avoir à parler, miss Andrews ne jetait pas son "et toi" par simple courtoisie en espérant que son amie ne s'étendrait pas sur le sujet, non, loin de là. Elle tenait vraiment à connaître son humeur du moment et saurait répondre présente à ses éventuels problèmes, même si elle-même semblait ne pas en avoir.

Summer pris place sur le canapé, attendant que Alana vienne avec elle. En entendant son ton inquiet, la rouquine songea qu'elle aurait dû spécifier que ce qu'elle avait à dire était tout à fait chouette... mais emportée par son euphorie, elle avait totalement failli à sa tâche. « Oh non, rassure-moi, tu ne t'es pas fait de souci? Si? » La mine de la secrétaire se crispa en envisageant qu'elle avait inquiété son amie. « Ce n'est rien de grave, au contraire même. » pinçant ses lèvres l'une contre l'autre, Summer ne dut baisser le regard en sentant ses joues ré-haussées par son sourire. « C'est... à propos de Peter... » Commença-t-elle, triturant nerveusement le bas de son t-shirt, comme si elle avait une confession à faire. C'était un peu le cas, en somme, même si elle devait avoir l'air d'avoir dix ans de moins que ce qu'elle avait réellement.

Alana était ce qu'on pouvait appeler une "workaholic". Elle donnait tout pour son travail, ne comptait pas ses heures et s'assurait avant tout que tout était bien fait. Parfois, cela inquiétait Summer: c'était très bien d'être intéressée et passionnée comme elle l'était, mais il fallait également veiller à ne pas y laisser sa santé ou sa vie sociale. « Oh, tu n'as toujours pas trouvé quelqu'un pour t'aider? » s'enquit la rouquine d'un air désolé. « J'espère que ça arrivera bien tôt, tu aurais bien besoin de vacances, il me semble. » Travaillant dans le milieu scolaire, Summer avait elle-même la chance de disposer d'un temps de repos assez large. Il lui arrivait de ramener du boulot à la maison, certes, mais elle pouvait globalement s'offrir le luxe d'avoir pas mal de temps libre... ce qui n'était pas le cas de Alana.

« Mince, je suis désolée, j'aurais dû préciser que c'était quelque chose de bien... » Mordillant sa lèvre inférieure, un peu honteuse, Summer jugea qu'elle pouvait oublier sa culpabilité lorsqu'Alana prononça le nom de Peter: oui, voilà, c'était pour ça qu'elle était venu. Pour ça, pour lui qu'elle souriait plus qu'à l'accoutumée. « Je suis allée manger chez lui il y a quelques temps... » Commença-t-elle, ne sachant plus vraiment ce qu'elle voulait dire. Elle savait pertinemment tout ce qu'il se passait, ce qu'il s'était passé, mais elle douta subitement: peut-être qu'il ne voulait pas qu'elle le répète? Pour l'instant elle avait plutôt le sentiment que le baiser qu'ils avaient échangé devait rester entre eux, peut-être à cause du divorce qui tardait, peut-être parce qu'il était plus une promesse qu'un fait... quoiqu'il en soit, elle décida au dernier moment de changer de discours. « Et... je pense que ça pourrait marcher. "re" marcher je veux dire... enfin peut-être, il faut encore que je divorce, ce n'est pas rien. Mais dans l'idée... ça pourrait le faire. » Un tantinet énigmatique, elle entendait en fait faire comprendre à Alana qu'elle avait cru comprendre que tous les deux aimeraient bien retenter leur chance, lorsque la situation le permettrait... et Summer avait hâte que la situation le permette.

Etant donné qu'elle n'avait trouvé personne pour la seconder, Alana n'avait pas le choix: elle devait faire face à une montagne de boulot qu'elle devait parvenir à grimper -et éradiquer- par elle-même, à la simple force de sa volonté et au détriment de son énergie naturelle. Parfois, Summer se demandait s'il était très légal de la part de son patron de la laisser crouler de cette manière sous les dossiers et autres paperasses que la secrétaire qu'était Summer était certaine que Alana devait rencontrer. Il était sûr que des vacances ne pourraient qu'aider Alana à surmonter toutes ces épreuves et, par la suite, à reprendre plus en forme. La rouquine tendait à croire qu'elle aurait fait un patron très paternaliste. Ou en l'occurrence très maternel. Maternaliste? Enfin bref. « Si tu avais le choix, tu partirais en vacances où? » Demanda Summer d'un air un peu rêveur, par curiosité principalement, pour essayer de détendre Alana, aussi, peut-être.

Le problème était que, dans le même temps, elle avait participé à la progression de son stress en restant un peu trop énigmatique. Résultat, elle ne savait plus trop ce qu'elle devait dire, comment le dire, où arrêter son récit ou comment le poursuivre. Offrant un dernier sourire navré à son amie, Summer songea que la prochaine fois, elle commencerait par annoncer que c'était une super nouvelle -elle avait pensé que ça s'entendait à son ton, mais à y réfléchir elle avait essayé de ne pas hurler de joie dans le combiner. ça avait été difficile, et peut-être qu'en définitive elle avait été trop convaincante.
Quoiqu'il en soit, l'enthousiasme de Alana s'avérait réconfortant. S'il y avait bien quelque chose que Summer craignait, c'était de se retrouver si seule qu'elle ne pourrait plus partager ni ses joies ni ses peines. C'est pour cette raison que ses amis comptaient tant pour elle et qu'elle estimait leur avis plus que tout: en l'occurrence, Alana semblait d'accord pour affirmer que c'était absolument génial. « On a regardé un film et... voilà. » Peut-être un peu trop pudique dans ses dires, Summer n'arrêtait pas pour autant de sourire riant même de bon coeur lorsque son amie la prit dans ses bras. Elle était contente de ne pas être toute seule à en faire "tout un plat". Ce que lui disait Alana la touchait beaucoup. « Merci ma belle, tu es adorable! » Sa question suivante eut par contre le mérite de faire rougir Summer. Avec sa peau claire, elle était condamnée à ne pas pouvoir le faire discrètement, sentant déjà son visage entier virer écarlate. Ses muscles semblaient par ailleurs agir indépendamment de sa volonté puisqu'elle devenait incapable de regarder Alana sans avoir une espèce de rictus coupable qu'elle échouait à faire passer pour innocent. Résultat, elle ne pouvait plus mentir. Personne n'avait cette expression faciale après une simple discussion. Aussi Summer décida de prendre une inspiration, choisissant de prononcer ses prochains mots à mi-voix, pinçant ensuite ses lèvres l'une contre l'autre. « On s'est embrassés. »

Spoiler:

En arrivant chez son amie, Summer s'était dit qu'elle resterait assez évasive. Elle avait prévu d'évoquer le rendez-vous avec Peter, de lui dire que tout s'était bien passé et qu'elle avait hâte de le revoir. Cependant, lui confier la totalité de ce qu'il s'était passé impliquerait qu'elle confère à cette scène une importance qu'elle n'était pas sûre de vouloir lui donner. Ou plus exactement, elle savait que si elle mettait Alana dans la confidence, elle serait incapable de relativiser ou de penser que leur baiser ne voulait rien dire -de fait, il risquerait de tomber de haut s'il s'avérait que Peter, lui, n'envisageait pas les choses de la même manière.

C'est pourquoi elle dut attendre que miss Kauffman lui tire les vers du nez. Au final, elle réalisa qu'elle était incapable de lui mentir, fut-ce par omission (sur ce sujet en tout cas), et elle finit par tout avouer, raconter tout ce qu'il s'était passé. La réaction d'Alana ne se fit pas attendre, et Summer eut un rire franc et doux en réceptionnant la jeune femme dans son étreinte. Elle était réellement heureuse de voir son amie si empathique et si sincèrement contente pour elle; elle croyait dur comme fer au diction "le bonheur n'est vrai que partagé" et, définitivement, si elle n'avait personne à qui conter sa joie, celle-ci en serait certainement réduite.

Quand son amie interrogea Summer sur la nature de la relation qui la reliait désormais à Peter, cependant, la rouquine grimaça légèrement, plissant le côté droit de son nez pour attirer le coin de ses lèvres un peu plus haut. « Je ne sais pas... on n'en a pas parlé, pour tout dire je suis partie un peu précipitamment. » (maintenant ils étaient ensemble mais comme Summer ne répondait pas à ses RPs assez vite, la chronologie en était retournée et donc à ce moment là elle ne savait pas qu'ils allaient être ensemble). La fin de soirée avait été un peu maladroite, c'était certain. Summer espérait d'ailleurs qu'il ne lui en tiendrait pas rigueur. « ça dépend de ce qu'il veut... moi ça me dirait bien, si on me demande de décider, c'est tout vu! » Affirma-t-elle d'un air faussement détaché, déployant ses mains devant elle puis en posant une sur sa poitrine pour appuyer ses propos et le fait qu'elle plaisantait. Elle eut ensuite un petit rire qui ressemblait plus à un souffle, plus sincère, plus fragile aussi. Elle voulait en rire, mais elle aurait été déchirée si elle venait à apprendre qu'il ne voyait pas leur relation de la même manière.

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