Et un appel, puis deux puis trois.. Isaac était débordé. Sa réceptionniste avait pris un congé maternité et le voilà qui se devait de faire son boulot ! Non pas qu'il soit contre son congé bien sûr, c'était tout à fait normal. Mais du coup, personne pour la remplacer, du coup c'est pour qui le travail ? C'est pour bibi ! Malgré ses complaintes, Isaac était quand même à fond, et il aimait bien ce travail, cette petite touche d'adrénaline quand il fallait tout gérer à la fois. Il aimait se sentir maître de ce qu'il faisait et à la fin de la journée au moins, il savait qu'il avait servi à quelque chose.

Noël arrivait à grand pas, et les réservations commençaient à se faire de plus en plus nombreuses. Isaac avait été un peu surpris, suite au désastre de l'ouragan, mais finalement, il fallait croire que con bel hôtel attirait malgré tout ! Il pensait même qu'il serait bientôt à court de chambre. Magnolia était une petite ville qui attirait pas mal de personnes, de par son côté très convivial. Il est vrai que la mort d'Alicia avait secoué tout le quartier, mais cette histoire semblait être derrière eux. Enfin, qui sait.

Isaac en était donc à répondre à un énième coup de téléphone, entre deux clients il avait le droit à des démarchages publicitaires qu'il renvoyait paître dans les champs de betteraves du Nord, -non mais sérieux, ya des gens qui y croient ?- , quand il vit arriver au comptoir une femme qui paraissait vouloir une réservation. Isaac lui fit un signe de la main avec un sourire pour lui dire qu'il était à elle dans deux secondes, le temps de finir sa conversation avec cette jeune fille qui voulait une chambre pour elle et son copain mais elle voulait la moins chère car ils étaient pauvres mais enfin BREF. Finalement, Isaac raccrocha, et poussa un long soupir. Le téléphone arrêta magiquement de sonner. Un peu de silence, que de bonheur. Il revint alors vers cette jolie dame et lui adressa la parole.

« Bonsoir ! En quoi puis-je vous aider ? »

La file de clients en face d'Isaac s'agrandissait, et il commençait à être perdu, entre les coups de téléphone et les clients devant lui. Dieu qu'il devrait embaucher une autre secrétaire ! C'était bien horrible comme travail, ou plutôt très fatiguant. Soupirant et buvant une gorgée d'eau entre deux clients, Isaac put passer à la cliente suivante, qui paraissait en colère. Avec son plus grand sourire, Isaac lui demanda ce qu'il pouvait faire pour elle, pour essayer de la calmer un peu, dans l'idée qu'elle serait énervée à cause de la file. Mais la femme ne lui répondit pas, se contentant de fixer Isaac de ses petits yeux fatigués. Un petit moment de silence s'installa puis Isaac reprit la parole. « Madame ? » Elle paraissait perdue, dans son monde, à fixer les yeux d'Isaac, comme si c'était un océan profond dans lequel elle plongeait. « Madame ? » répéta-t-il, un peu énervé. Il avait une file de clients qui s'impatientait, il n'avait donc réellement pas le droit de perdre son temps. « Vous voulez réserver une chambre ? » demanda-t-il alors, espérant qu'elle se réveillerait de sa transe étrange.


Le Melrose n'avait pas souvent à faire à des clients trop chiants, mais parfois c'était bien le cas. Que ce soit ceux qui se plaignent du service ou du confort, ou ceux qui se plaignent de ne pas avoir eu la chambre qu'ils souhaitaient, ou ceux qui grognaient contre le petit-déjeuner du matin, bref, Isaac en voyait quand même de toutes les couleurs. Il avait régulièrement des meetings avec son staff, les femmes de ménages, ses réceptionnistes etc qui lui disaient ce qui se passaient et lui ensuite prenaient les mesures adéquates. Mais jamais il n'aurait imaginé que leur travail serait aussi éreintant. Et devant cette femme qui ne parlait pas, il se dit qu'il se devait de remonter un peu le salaire de ses employés durant les périodes bien remplies. Mine de rien, ce n'était pas facile d'avoir mains, oreilles et voix partout.

Le brouhaha dans la sale devenait infernal, et Isaac en avait la migraine.  C'était comme une intensification soudaine de bruit alors que la file n'avait pas du tout avancé. C'était plutôt le contraire, certains partaient à cause de l'attente, en soupirant, limite haineux. Isaac ruminait sans sa barbe, il avait les mais liées et ne pouvait pas aller plus vite que ce qu'il était déjà en train de faire. Fallait vraiment qu'il embauche une secrétaire en plus. Ou tout du moins durant les période intenses. A vrai dire, il en avait marre de s'ensevelir sous des tonnes de boulot tout simplement pour montrer qu'il était proche de ses clients. Isaac avait été au courant de la grossesse de sa secrétaire, et il aurait eu largement le temps de trouver une remplaçante. Mais à la place, il avait décidé de le faire à sa place, histoire que les clients voient que le gérant faisaient son boulot. Voilà où ça l'avait mené ..

La femme en face de lui continuait à le regarder avec des yeux perçants et il dut répéter ses paroles pour qu'elle réagisse enfin. Isaac haussa un sourcil, elle avait vraiment l'air de mauvais poil. Elle finit par acquiescer pour la chambre et le gérant s'empressa de sourire avant de rechercher les chambres disponibles. « Bien sûr. Vous désirez une chambre pour combien ? » demanda-t-il, les yeux rivés sur son écran. « Il me reste une suite, quelques chambres doubles, tailles 1 et 2, et .. cinq chambres avec lit simple. » comptabilisa-t-il. Il jeta un coup d'oeil à la file et soupira. Il espérait avoir assez de chambres .. « Il vous la faut pour quand ? »  Il reporta son attention sur la cliente, et lui fit un sourire, en espérant pouvoir la calmer un peu. Heureusement pour lui le téléphone arrêtait de sonner, et les clients baissaient le ton de leur voix. C'était pas trop tôt.

En plus du brouhaha de la salle de réception, Isaac avait la comptine ''il était un petit navire'' dans la tête. Il l'avait entendu dans la bouche d'un enfant et depuis, impossible de se l'enlever de la tête. Il avait beau tout faire : penser à une autre chanson, ou se concentrer sur d'autres voix autour de lui, mais rien n'y faisait, à chaque petit moment de silence la chanson revenait, plus énervante à chaque fois. Malgré tout, Isaac mit son masque de bon patron et servit ses clients avec le sourire. Ce n'était pas pour conquérir les femmes célibataires de la file d'attente, mais surtout pour apaiser les esprits agités. Il fallait qu'il montre qu'il n'était pas un charlatan, ni ce genre de patron qui se complaisait derrière un bureau sans se tacher les mains. Au lieu de grogner, les clients devrait réaliser que ce qu'Isaac faisait n'était pas habituel. Mais enfin, Isaac ne s'en faisait pas trop, et à vrai dire il avait bien d'autres choses à faire que de penser à ce que les autres pouvaient penser de lui. 

Face à la dame qui s'était apparemment calmée, Isaac retrouva sa bonne humeur et lui demanda quel chambre elle désirait louer. « Une chambre double pour le 15... » répéta Isaac en détachant les syllabes, tout en cherchant la date sur son écran. Il s'était emmêlé les pinceaux dans les onglets de réservations, et mettait un peu plus de temps que prévu. Heureusement, la cliente parla d'autre chose et cela permit à Isaac de gagner du temps. « Oui c'est toujours comme ça juste avant les vacances. Toujours la folie douce ! Faut croire que les sites touristiques autour de Magnolia sont bien prisés ! » décréta-t-il en souriant. C'était vrai que Magnolia était plutôt bien situé, pas très loin de la plage et de la montagne. De plus la ville était agréable à visiter. « Ah, voilà ! » s'exclama Isaac en ayant retrouvé son calendrier mis à jour. Il entendit la cliente lui demander la chambre 114, et ses yeux parcoururent l'écran pour checker la disponibilité. « Ah, la chambre habituelle quand Monsieur est en voyage ? » fit Isaac en souriant, ne réalisant pas vraiment de ce qu'il disait, ou plutôt du côté inapproprié de son commentaire. Souvent emporté dans ses blagues, il oubliait à qui il s'adressait. Il se racla la gorge avant de reprendre. « Vous avez de la chance, elle est disponible. Je vous la réserve pour le week-end ? » demanda-t-il, sans avoir remarqué le changement d'attitude de la cliente. Fatigué, Isaac ne réalisait pas ce qu'il disait et n'avait pas vraiment de tact. Avec toute la queue qui l'attendait, et le téléphone qui sonnait, il avait intérêt à faire vite. C'est là qu'Isaac réalisa qu'il devrait faire installer des bornes automatiques.