Il corrigeait copie sur copie, tel un automate. Rayait les mauvaises réponses, comptait les points, attribuait les notes. Ses gestes n'avaient plus vraiment de sens, il les executait sans réfléchir, par habitude, mais aussi par lassitude. Oui, Lorenzo Di Mascio était lassé de son travail, d'étudier chaque année les mêmes leçons, d'avoir affaire chaque année aux mêmes visages. Le tableau était usé, élimé, et plus largement c'était toute sa vie qui connaissait ce même sale état. Lui qui avait l'habitude de tout gérer d'une main de maître, aujourd'hui il constatait la débandade dans laquelle son train train quotidien l'avait entraîné. Du temps où il jonglait entre les aventures, il enchaînait les filles avec brio, passant de l'une à l'autre sans esclandre. Et les élèves, tous obéissaient à la baguette et réuisssaient à main levée. Aujourd'hui, une mauvaise graine avec infecté les troupes, tous délaissaient le lycée pour se concentrer sur les fêtes en tout genre, jeunes gens qui s'imaginent qu'être capable de tenir parfaitement debout après une dizaine de verres les aidera à réussir. Et Summer, ah Summer. La tristesse qu'il lisait sur son visage, chaque jour, résumait à elle seule l'étendue de la catastrophe. Sa vie sentimentale n'était qu'un champ de ruine, jonchés de rêves brisées, de relations passées et regrettées, et du coeur de la pauvre Summer, qu'il avait fait prisonnier avant de le piétiner. S'il devait dresser le bilan de sa vie, Lorenzo aurait vite fait de tomber en dépression. Alors, corriger copie sur copie, sans laisser son esprit s'échapper, était la meilleure des activités.

C'est alors qu'on frappa à la porte de son bureau. Le regard du professeur se jeta sur la pendule. La fin d'après-midi approchait, mais il fut incapable de deviner la personne se cachant derrière la porte. Il se leva et rejoingnit l'entrée en quelques enjambées. Il était toujours d'un naturel curieux, ou peut-être trop optimiste, espérant que le bonheur vienne enfin frapper à sa porte, l'informer qu'il s'était trompé, que cette vague de chaos n'était pas voulue, qu'il allait tout arranger rapidement. Il se trompait sur toute la ligne. Charly, se dessinait dans l'encoignure de la porte. Fidèle à elle même, son sourire en disait long, son regard toujours aussi fier, et cet air, cet aura qui l'entourait, sûre d'elle. Elle écrasait le monde autour d'elle, pliait son entourage à ses exigences. Il la haissait, autant qu'il l'admirait. « Charly, quelle surprise inattendue, entre je t'en prie ». Il lui indiqua le canapé de cuir où elle pouvait s'asseoir, et prit place face à elle, sur son fauteuil. « Qu'est-ce qui t'amène ? » Au fond, il ne comprenait pas ce que Charly faisait là. Peut-être était-il arrivé quelque chose à Jennifer, Lorenzo formula une rapide prière pour que son amie soit en bonne santé. Il chercha d'autres hypothèses, mais sa venue dénotait avec son comportement habituel. La relation qui les unissait avait débuté il y a bien longtemps. A l'époque, Lorenzo était libre comme l'air, il batifolait de fille en fille, sous l'oeil protecteur de Jennifer. Puis, une dispute éclata dans la collocation des 5 filles, un différend entre quelques unes d'entre elles. Charly avait pris l'habitude de se venger, toujours, de faire savoir que c'était elle qui reignait. Pour blesser Jenn, elle dragua Lorenzo. Et lui, faible, tenté, lui sauta dessus sans demander son reste. Le lendemain, Jenn était déjà au courant, elle passa le pire des savons à celui qu'elle ne pouvait désormais plus appeler "meilleur ami". Il s'en voulait, mais le mal était fait. Il prit soin d'éviter Charly comme la peste, et de reconquérir la confiance de son amie. Mais il y a quelques mois de cela, Charly était revenue à la charge. Alors en compagnie de Junie dans un bar, elle avait souhaité lui montrer qu'elle obtenait tout ce qu'elle souhaitait, même un baiser volé du professeur. Depuis, il tâchait de disparaître à chaque fois que l'ombre de cette reine des enfers se profilait à l'horizon. Il ne voulait plus être la victime de ses plans foireux, dont elle était la seule à se délecter.

Aussitôt eut-il parlé qu'il regretta d'avoir invité l'ouragan Charly à entrer. C'était comme convier un vampire à entrer chez soi, alors qu'on sait très bien qu'il finira par vous mordre. Charly n'avait aucune raison d'être ici, aucune raison censée. Pourtant, elle se tenait devant lui, et comme d'habitude elle dégageait cet aura autour d'elle, qui ne présageait rien de bon. Il fut cependant vite fixé, puisque la jeune femme expliqua rapidement la raison de sa venue. De quoi surprendre Lorenzo. Un bon nombre d'idées avaient fusé dans son esprit, tout mais pas une demande de paix.

Avant de lui demandait pourquoi - question qui l'avait taraudé à peine Charly eut-elle fini son joli discours - il l'examina un instant. Il cherchait un signe qui la trahirait, un sourire malsain qui voudrait dire "oui, je viens t'utiliser encore une fois, je me suis fritté avec Jenn ce matin, elle a utilisé ma crème hydratante que je fais importer de Patagonie". Mais la jeune femme restait de marbre, gardant secrètes ses intentions réelles.

" Pourquoi ? Pourquoi tu viens me dire ça ? Je ne comprends pas à quoi ça t'avance. " Charly et Lorenzo n'avaient jamais vraiment été les meilleurs amis du monde. Ils se toléraient, auparavant. Et il avait dû la juger amusante une ou deux fois. Mais maintenant, dans son coeur, elle était la pire des garces. Il voyait clair dans son jeu : Charly ne parlait aux gens que par intérêt. Si elle voulait enterrer la hâche de guerre aujourd'hui, c'est qu'elle avait besoin de lui, pour une raison obscure que Lorenzo ne déterminait pas. En tout cas, jamais elle ne prendrait la peine de venir jusqu'ici, si c'était simplement pour restaurer une amitié qui n'avait jamais existé.

" Et en plus, tu viens jusqu'ici pour me dire que tu souhaites blesser Jenn, et je devrais faire ami ami avec toi ? Charly tu n'es vraiment pas nette ce matin " Peut-être un pari idiot, avec une de ses amies tout aussi idiotes qu'elle. Il tournait et retourner le problème dans tous les sens, et aucune autre explication plausible. Ou alors, peut-être que Charly portait une maladie incurable, elle allait bientôt mourir, et elle était persuadée que si elle ne se lavait pas de ses pechés, elle irait en enfer. Mais même ça, il n'y croyait pas trop.

Toujours installé dans son fauteuil, il ne lâchait pas Charly du regard, près a bondir a la moindre remarque, près a se protéger de la moindre attaque. Avec elle, il fallait s'attendre a tout, Lorenzo n'était donc pas rassuré. Pire, Charly avait un atout dans sa manche et elle n'hésiterait certainement pas à l'utiliser : elle savait que Lorenzo était faible, face a la gent féminine. Pire, elle avait réussi a l'avoir une fois, elle lui avait volé un baisé une seconde fois, ce qui n'avait pas déplu a l'italien, au fond, il ne pouvait pas se mentir. Entre eux régnait une tension sexuelle palpable, les deux séducteurs qu'ils étaient voyaient en l'autre un défi a relever. Sauf que Lorenzo avait désormais rangé son costume, et Charly venait ici, le forçant a le revêtir. Forcément, il craignait cette nouvelle rencontre. Mine de rien, quand ces deux là se croisaient, ce n'était jamais anodin. Peut-être que Charly avait envie de coucher avec lui, ou peut-être voulait elle se venger de Jenny pour X ou Y raison.

Finalement, elle ne tarda pas a exposer son dessein. La gêne de l'italien monta d'un cran, quand elle s'approcha de lui. Il tentait de se contrôler, minutieusement, Charly ne devait pas déceler cette faiblesse, dont elle pourrait tirer avantage. Mais quand elle évoqua leur nuit de sexe, et fit remarquer qu'elle avait fait l'effort de venir s'excuser, pour lui, ce fut alors plus fort que lui, sa respiration eut un raté. Elle était la, si proche de lui, il sentait les pulsions de son cœur s'accélérer doucement, organe incontrôlable devant cette femme qui s'approchait de lui. Et dire que sa femme lui refusait l'accès à son lit, sa situation maritale désastreuse n'arrangeait rien, et servait plutôt l'intérêt de Charly. Alors vite, il se leva, fit quelques pas vers le fond de la pièce, pour gagner la fenêtre et s'éloigner de cette tentatrice. Il ne savait pas quelle loi étrange avait décidé que, dans les films, les acteurs finissaient toujours pas regarder par la fenêtre, peut-être pour donner un aspect plus mélodramatique a la scène. En tout cas, regarder la cour du lycée vide n'aidait en rien le professeur. Charly était toujours là, derrière lui, dangereuse.

« Je suis effectivement flatté que tu viennes t'excuser. Quant à notre nuit, je ne l'ai bien sûr pas oubliée, mais elle appartient au passé » Finalement, scruter au dehors eut l'avantage de ne pas devoir affronter le regard pervers et manipulateur de Charly. Il avait choisi de répondre avec diplomatie. S'il pouvait éviter s'énerver la tempête Charly, il préférait choisir cette option. Il finit cependant par de tourner vers elle, afin de ne pas la vexer. Avec elle, on pouvait s'attendre a tout. « Tu as présenté les mêmes excuses à Jenn ? »

Spoiler:

Il la regarda se lever, pris de panique. il cacha habilement toute émotion, mais il craignait cette offensive. Charly était de ces soldats qui n'abandonnent jamais, qui reviennent à la charge encore et encore, sachant pertinemment que ses chances de victoire étaient réelles. Charly rappelait au professeur son ancienne vie, ses anciennes habitudes, son attitude de Don Juan, et son succès auprès des femmes. Oh, comme ils lui manquaient, ces regards intéressés que les femmes pouvaient lui lancer. Avec Summer, ils avaient bien vite éteint la flamme, avant que celle-ci ne brûle et ne se consume. La banalité de leur relation était un coup de vent qui avait soufflé sur leur relation, éteint les braises sans possibilité apparente de la raviver. Pourtant, ils y croyaient encore. Peut-être avec utopie, peut-être pas. Mais la présence de Charly, si proche, si dangereuse, n'arrangeait en rien la situation.

Il attrapa la main de la jeune femme, l'empêchant de le toucher à nouveau. la trace qu'elle avait laissée sur sa joue était encore présente, mais il voulait être fort, ferme. Charly n'était qu'une fille comme les autres, qui se plaît à user de son charme. Mais la vraie vie, ce n'était pas ça, ce n'était pas jouer avec une femme, une autre le lendemain. La vraie vie, c'est trouver la femme avec qui se réveiller le lendemain matin. Et Charly n'était pas de ce genre là.

« Charly, arrête de jouer avec moi. Je suis marié, à Summer, pourquoi est-ce que tu t'obstines ? » C'est vrai, au fond, pourquoi s'acharnait-elle sur lui ? Est-ce qu'il en valait la peine ? Après tout, pour les filles comme Charly, un homme était un homme, ils se valaient tous. Et Lorenzo était juste un homme comme les autres. Alors que pour Summer, il était l'homme avec un grand H. Pourtant, il avait laissé filer leur chance de bonheur, l'avait piétinée, trop obsédée par le regret du passé.

Des sentiments contradictoires se bousculaient dans la tête du professeur. Il avait à la fois l'envie de repousser Charly, et de l'attirer contre lui. Elle dégageait un charme envoûtant, qui l'empêchait de réfléchir convenablement, de lutter éternellement. Non, il n'était pas insensible, comme elle le soulignait si bien. Mais il était marié, pris, chasse gardé, rangé, fini. Un ancien séducteur à la retraite, d'un âge où on profite encore pleinement de la vie. Mais il devait arrêter de penser ainsi, son mariage n'était pas une prison, une cage l'empêchant de vivre. Il était heureux. Charly était un de ces rêves qui a disparu au réveil. Summer était réelle. Il n'était pas à plaindre, son couple était enviable. Charly n'était pas une personne avec qui on pourrait être en couple. C'était un coup d'un soir, ou de plusieurs. Mais elle restait un coup, vif, mais éphémère, succinct. Rien d'éternel.

« Je ne suis pas un objet, Charly. Donc bien sûr que non, je ne suis pas insensible. Mais ça veut dire aussi que je ne suis pas un jouet que tu peux avoir quand tu en as envie, puis jeter une fois utilisé. Je ne suis pas disponible. » Il recula sa tête alors qu'elle approchait doucement la sienne, un réflexe, il la connaissait, elle ne se contenterait pas éternellement d'un si petit mouvement. Charly était une lionne qui passerait probablement à l'attaque. Il devait s'enfuir. « Ce n'est pas parce que je n'ai pas oublié notre nuit que je ne la regrette pas. Jenn est ma meilleure amie, nous n'aurions jamais dû avoir ce truc, toi et moi. Et il ne peut plus rien y avoir. Maintenant excuse moi. » Il la laissa là, devant la fenêtre, pour rejoindre son bureau, attraper son sac et commencer à y ranger quelques affaires. Il cherchait ses mots, les bonnes paroles à formuler. Raisonner Charly relevait de la mission impossible, mais tout au moins il devait parler sans la provoquer un peu plus. Tout n'était que défi pour elle, et forcément un homme qui la refusait lui donnait un peu plus envie de se battre. Or Lorenzo était trop faillible pour continuer sur ce terrain glissant. Son corps à Summer, son coeur à Nina, il n'avait plus rien à offrir à Charly.