Suite à sa phrase régna un long silence. Dérangeant, effrayant. Julian avait sur la langue tous ses méfaits, et se savait bouche cousue. Impossible pour lui d'expliciter plus et de donner à Julia les tenants et les aboutissants de son état actuel. Il ne pouvait que faire face aux croyances non avérées de ses proches, et de la blonde en cet instant. Il ne pouvait qu'accuser, et acquiescer. Rester dans l'ombre et le silence, à voir au loin la vie qui continue, sans pour autant y participer.
Sans bouger, tête baissée, mains cachées dans les poches, Julian attendait une quelconque parole. Une sentence, même, s'il le fallait. Parce qu'au fond, il le savait : c'était impossible que Julia revienne sur le passé. Il lui avait fait bien trop peur pour que ses souvenirs s'embellissent. Son changement radical de comportement envers elle -et tout le monde, d'ailleurs- n'était pas anodin.
Quand enfin les mots de Julia vinrent briser ce silence glacial, le jeune homme réussit à lever le regard. Peut-être n'aurait-il pas dû. Les yeux de la jeune fille, embués par les larmes, les regrets même, le fixaient. Il eut l'impression de recevoir un coup de couteau en plein cœur. Sa mâchoire se contracta aussitôt, et il détourna le visage, incapable de soutenir ce regard. Julian se mordit l'intérieur de la joue, déçu encore une fois de lui-même. Finalement, il était possible que ce soit aussi pour éviter de subir ces impressions dépitées que Julian avait décidé de ne plus sortir. Éviter de se confronter au monde, aux gens qui l'avaient vu plonger, aux déceptions répétées et meurtrières.
Non, décidément, Julian n'était pas aveugle. Si les premiers temps, il s'était senti absolument seul, comme si le reste du monde continuait à tourner malgré la disparition de sa mère, comme si les gens n'étaient pas touché par ce décès, comme s'ils ne partageaient pas sa souffrance, il avait désormais compris. Il était normal que la vie ne se soit pas arrêté chez ses voisins, que sa situation ne soit comparable à aucune autre, que sa famille soit presque seule dans cette épreuve. Mais c'était trop tard, il avait blessé bien d'autres personnes. Il n'avait pas supporté l'indifférence, les critiques de certaines langues bien pendues. Il avait frappé, rugi, crié, lancé, pleuré, bu, beaucoup trop.
En quelques semaines, il avait oublié toute sa vie passée. En dehors de quelques rares amis qui s'accrochaient avec acharnement à lui, Julian s'était retrouvé seul. Et il savait à quel point ce changement s'était effectué avec douleur. A quel point ceux qui partageaient son ancien lui devaient souffrir de son départ, de son absence. Ils devaient certainement vivre une perte ambiguë. C'est-à-dire que tous ces gens qui avaient vu Julian disparaître devant eux, s'auto-détruire doucement, avaient aussi un deuil à faire. Plus long, plus nocif, parce que le garçon respirait toujours près d'eux, mais il n'était plus le même. Il avait gardé un physique et une identité semblables au passé, mais son essence même s'était modifiée, noircie, consumée.
-T'aurais fait quoi, à ma place, hein ?
Le ton était monté. Bien qu'il sache ses erreurs, qu'il connaisse ses torts, qu'il affronte à chaque secondes ses remords, Julian n'aimait pas qu'on le critique. Il avait fait de son mieux, il en était certain. S'il était tombé si bas, c'était parce que le contexte l'avait voulu. Parce que les bonnes mains ne s'étaient pas proposées à lui. Parce que tout prédestinait la déchéance de Julian. En réalité, il culpabilisait tellement de ses actes passés que le jeune homme aurait accepté toutes les excuses du monde pour se délester de tant d'horreurs.