Andrew le sait bien : il arrive parfois que des gens ne l'apprécient pas. Venant de congénères masculins, ce constat n'est pas surprenant. Beaucoup de mâles sont jaloux de son humour, comme Elias. Bon, pour d'autres, c'est plutôt Andrew qui est jaloux de leur proximité avec sa dulcinée, comme Nath, Heath ou Maxim. Mais qu'une fille ne l'apprécie pas laisse toujours Andrew bouche bée. Pourtant, il semble que la soeur de sa pote Lynn, Harper, ne le porte pas dans son coeur. Quand Lynn lui annonça la mauvaise nouvelle, au début Andrew n'y crut pas. C'était impossible, toutes les filles apprécient l'humour du petit plaisantin ! Mais en y réfléchissant bien, plusieurs évènements vinrent lui mettre la puce à l'oreille : le verre de lait que Harper leur proposa un après-midi, qui avait tourné et était imbuvable. L'ordinateur d'Andrew qu'ils retrouvèrent cachée dans un buisson du jardin un petit matin, la télé qui alla se ranger toute seule sur une armoire du garage, et même la fois où ils s'étaient endormis sur le canapé du salon, et qu'ils se réveillèrent sur le gazon, avec en prime l’arrosage automatique. Pas de doute, Harper avait une dent contre lui. Ce dont elle ne se doutait pas, c'est qu'elle s'affrontait à bien plus fort qu'elle, à ses risques et périls.

En effet, Andrew avait bien envie de se venger, en s'amusant un peu. Cet après-midi là, il n'avait rien de particulier à faire, et décida d'aller au cinéma, non pas pour voir un film (voir un film seul c'est pour les boloss), mais pour dire bonjour à sa copine Harper. Lynn lui avait envoyé un sms ce matin là, pour lui dire que sa soeur n'était pas là et donc qu'ils pourraient jouer tranquillement au nouveau jeu qu'elle avait dégoté sur internet. Andrew inventa donc une excuse bidon pour se décommander, et choisit d'aller voir l'autre Albright, parce que la comédie avait assez duré et il en avait marre de risquer sa vie à chaque fois qu'il allait geeker. Une fois arrivé, il vit aussitôt Harper, derrière la caisse enregistreuse. Il n'y avait pas foule, et cela déplut d'abord au garçon. Qu'importe, il aurait juste à l'embêter un peu plus longtemps. « Bonjour madame Albright, j'ai envie de voir un film, vous me conseillez quoi ? » Andrew savait pertinament qu'il était idiot de l'appeler Madame, après tout elle avait le même âge que lui. Seulement à s'occuper ainsi de son frère et sa soeur, et à diriger sa maison comme une marâtre, Andrew avait décidé que ce surnom lui allait bien. Quelle était son idée ? Il ne savait même pas encore tellement, pour le moment. Mais il savait qu'Harper n'aimait pas lui parler, alors lui tenir la grappe un moment, sachant qu'il était un client et qu'elle devrait donc rester polie avec lui, semblait être une bonne perspective.

A l'instant où leurs regards se croisèrent, Andrew lut dans celui d'Harper un agacement certain : sa présence sur son lieu de travail ne lui plaisait certainement pas. Cette suspicion fut bien vite confirmée par la réaction immature d'Harper : elle choisit de l'ignorer. Elle invita alors les personnes situées derrière le jeune homme à s'avancer à sa caisse. Grossière erreur de débutante. Andrew eut, dès lors, envie de redoubler d'effort pour l'embêter, pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Après tout, c'est Harper qui avait commencé, en faisant vivre un enfer au jeune homme et à sa soeur. Elle aurait dû réfléchir avant d'agir, avant d'oser défier le maître des chieurs. Elle n'était pas de taille, Andrew était bien décidé à lui faire admettre. Il voulait juste qu'elle abandonne sa cause perdue, et laisse Andrew s'amuser comme il le souhaitait avec les deux plus jeunes Albright. Ce n'était, après tout, pas de sa faute si Harper avait grandi trop vite.

Il lui en voulait presque car elle rendait la partie vraiment trop facile. Un Winnie l'ourson ? Andrew comprit rapidement que, s'il était venu pour de l'humour de qualité, il allait devoir repasser plus tard. Il savait exactement comment faire tomber cette blague à l'eau. « Un Winnie, c'est vrai ? ça tombe bien j'avais envie d'emmener les enfants du baby sitting au cinéma vendredi ! » Harper ne savait peut-être pas que le jeune homme s'occuper de la garderie des quelques enfants du quartier. Après tout, elle n'avait pas chercher à le connaître plus que ça, elle l'avait jugé et classé parmi les nuisibles sans savoir qui il était vraiment. Andrew n'était pas non plus si noir ... Cependant, Harper n'était pas non plus complétement dans le faux : Andrew était bien, à l'occasion, un empêcheur de tourner en rond. Et aujourd'hui était une de ces occasions. « Mais aujourd'hui, je voudrais un film pour les gens de mon âge ... Enfin, les gens de mon âge normaux, pas ceux qui sont rasoirs comme toi. T'as une idée ? Pense pas selon tes goûts sinon on ne s'en sortira jamais ! » Laissant Harper réfléchir quelques secondes - de toute façon conseiller le client faisait partie de satisfaire le client, Andrew était donc en droit de lui poser de telles questions - il sortit de sa poche son porte feuille. Il entrait dans la deuxième manche de son plan. Harper eut à peine le temps de lui trouver une vraie réponse crédible, que Andrew vidait sur le comptoir le contenu de son porte-feuille : des centimes. Oui, il allait laisser Harper compter s'il y avait assez pour qu'il se paye une place. « Normalement il y a le compte, mais je te laisse vérifier » Il lui fit alors un grand sourire et, à la place d'Harper, il aurait vraiment eu envie de se gifler. Oui, ça, ça le faisait rire. « Et je voudrais du pop corn aussi, ce matin avec Harper on a fini le dernier paquet que tu avais acheté, sinon je l'aurais emmené ! »

C'était bizarre, mais Harper avait l'air de capituler, déjà, d'abandonner, de ne plus vouloir se battre. Et mine de rien, ce n'était pas très rigolo. Il aurait voulu qu'elle s'insurge, qu'elle reparte de plus belle, qu'ils se battent pour de vrai ! Harper n'était décidément pas une rigolote. « The Secret, oui j'en ai entendu parler, ça m'ira alors, t'as intérêt à ce qu'il soit bien ou alors je t'en tiendrai pour responsable ! » Il savait bien que c'était peine perdue pourtant. Tout ce qu'il pourrait tirer de Harper, c'était un soupir dégoûté.

C'est alors que Harper décida de prendre sa pause, et emmena les pièces du jeune homme avec elle ! Non de non, on ne vole pas Andrew Davies comme ça ! Il la suivit d'un pas décidé, l'air alarmé. « Non mais tu fais quoi là, attends moi, et mes sous d'abord ! » Il la suivit jusqu'à sa loge, puis dehors où elle s'assit sur le banc pour fumer une clope. Andrew n'était pas d'accord, elle le prenait pour son toutou ? Non mais oh, il menait la bataille aujourd'hui, pas elle, pas Harper ! « Et si je veux que tu les comptes maintenant ça se passe comment ? » Dernière tentative désespérée de la saouler. Harper le déroutait, il était à court d'idée alors que, d'habitude, il débordait de solutions saugrenues pour pourrir la vie des gens. Il aurait dû emmener Alistair avec lui, il aurait trouvé quoi faire, lui. Andrew se retrouvait à regarder Harper fumer, spectacle ô combien rasoir.

Décidément, rien ne se déroulait comme Andrew l'avait prévu. Harper ne s'énervait pas, se contentait juste de répondre à côté de la plaque. Il n'arrivait pas à comprendre comment c'était possible, d'habitude elle démarrait au quart de tour, à la moindre bêtise de Andrew et Lynn. Peut-être était-ce elle qui manquait, Lynn. Peut-être était-elle l'élément déclencheur de la colère de Harper. Bizarre d'ailleurs, puisqu'elle était sa soeur, Andrew aurait plutôt pensé que son ennemie serait plus patiente avec quelqu'un de sa famille, et pas avec un chieur inconnu.

Pourtant, Harper lui répondait patiemment, comme à une personne lambda. Andrew était agacé par son comportement, il était tout sauf un client comme les autres ! « Tu vois les films gratuitement autant que tu veux ? Mais alors pourquoi tu nous as pris la télé la dernière fois ? » Il savait que sa question était idiote, elle leur avait pris la télé parce qu'ils faisaient trop de bruit, tout simplement. Pourtant, Andrew s'était posté devant elle, les mains posées sur ses hanches, la fixant sans bouger, en attendant son explication. Evoquer des faits qui risquaient de l'agacer, voilà sa nouvelle solution. Il espérait bien rappeler à la jeune fille des souvenirs des deux geeks qui allaient la mettre hors de ses gonds. Si ça ne fonctionnait pas ? Qu'importe, Andrew n'allait pas s'avouer vaincu ! Il n'avait rien d'autre à faire, de toute façon.

Heureusement, son oeuvre commençait à porter ses fruits. Harper lui demandait de la laisser se reposer ? le jeune homme se retint de ne pas rire. Il se mit sur pause quelques instants, observant attentivement la jeune fille. Elle venait de lui tendre une perche bien trop évidente, alors peut-être l'avait-elle fait exprès. Mais il ne décela aucun sous entendu dans son regard. Pire, la jeune fille posait à peine les yeux sur lui, comme s'il n'existait pas. Andrew devait la jouer fine, méthodique. Il consacra alors quelques minutes à échafauder sa réponse, il s'agissait de ne pas se louper, mais de transformer cette occasion en essai. « Et je fais faire quoi pendant 20 minutes tout seul moi ? Fallait me proposer un film plus tôt c'est ta faute ! » Il stoppa sa tirade, juste le temps qu'il fallait pour reprendre sa respiration, puis reprit de plus belle. Tout en recommençant, il eut même le toupet de s'asseoir à côté d'elle, en mode "deux vieux amis qui papotent". « Au fait Lynn t'as parlé du nouveau jeu qu'elle a acheté ? En fait ce sont des soldats au temps du Moyen Age, et qui partent aux croisades. Sauf que là bas leurs adversaires ce sont des dragons ! Au début c'est facile car on se bat contre des bébés dragons donc un coup d'épée et c'est fini. Tu vois il suffit de bien trancher le coup comme ça » Il mima une épée qu'il portait à son propre coup, et pencha la tête en poussant quelques cris d'agonie, assez fort. Oui, il comptait bien faire revivre l'ambiance de la maison des Albright. « Mais au niveau 7 tu tombes contre des gros dragons ! Et ils ne rigolent pas eux ! Alors au début on tentait de les massacrer à l'épée mais c'est pas possible tu vois, quand tu portes un coup à droite comme ça, ben ils t'attaquent avec leur queue alors elle s'abat comme ça sur toi et impossible de l'éviter ! » Il était maintenant debout sur le banc, imitant tantôt le soldat, tantôt le dragon qui évitait l'attaque. Il criait presque, et quelques passants avaient tourné la tête vers eux. Qu'importe, Harper allait bien craquer un jour, Andrew lui referait le jeu entier, s'il le fallait.

Allez chez lui, dans la maison Davies ? Harper ne réalisait pas l'absurdité de ses paroles. D'un autre côté, la jeune fille ne devait pas savoir que, dans la maison numéro dix, une autre fille jouait le même rôle qu'elle, à savoir interdire les jeux vidéos. C'est à ce moment là que Andrew remarqua la ressemblance entre Harper et sa soeur Juliet, toutes deux s'occupant de leurs benjamins, à cause de parents absents. Leurs seules différences tenaient peut-être dans leurs âges, et dans la relation déplaisante avec Adrian dans laquelle Juliet était engagée. Et même s'il n'appréciait pas Harper la tyrannique, Andrew lui souhaita de ne jamais s'enticher d'un garçon arrogant comme Adrian, car il voyait chaque jour sa pauvre soeur se démener pour sauver une relation à sens unique, dont cet égoïste ne voulait pas, et dont il se débarrasserait dès qu'il s'en trouverait lassé. La peine qu'il éprouvait pour sa soeur se transféra alors sur Harper, et l'embêter devint un exercice beaucoup moins amusant. Pire, Andrew fut envahi par une honte prenante, qui lui serra la gorge. Il s'en voulut, non pas de son comportement enfantin, mais d'avoir réalisé cette ressemblance entre les deux ainées. Il lui était désormais impossible de charrier Harper sans avoir l'impression e s'en prendre à sa soeur. Or, avec sa soeur, il n’atteignait jamais de telles bornes. « Arrête de dire des bêtises, on n'est que deux, on ne fait pas un boucan insupportable non plus ! Tu exagères toujours tout décidément »

Il tenta de se persuader de la sincérité de ses paroles, mais il savait au fond qu'elles n'étaient que tissu de mensonges. Ils faisaient délibérément un boucan d'enfer, car c'était hilarant de voir Harper s'énerver. Maintenant, il se demandait encore ce qu'il avait pu trouver d'amusant à ces scènes, il se demandait encore ce qu'il était venu faire ici, alors qu'il aurait pu passer un après-midi niais avec sa tendre petite amie. Il avait encore choisi l'action sans passer par la case réflexion, la jugeant inutile, contraignante et futile. Pourtant, elle aurait empêché ce noeud qui lui serrait désormais l'estomac. Noeud qui serra un peu plus fort quand Harper s'énerva contre son imitation du nouveau jeu. Le pire, c'est que l'agacement de Harper aurait pu être amusant ... S'il s'était produit quelques minutes avant, quand la conscience de Andrew dormait encore et ne l'avait pas rappelé à l'ordre. Désormais, il se sentait obligé d'arrêter. A l'intérieur cependant, son coeur s'adonnait à une tentative ultime de reprise de contrôle sur cette raison désobligeante, hurlant à Andrew qu'agacer Harper était drôle, qu'il était sur la bonne voie et qu'il ne devait rebrousser chemin. Et entre le coeur et la raison, Andrew avait toujours eu tendance à choisir celui qui s'avérait ensuite moins prise de tête ... « Mais on a prévu de faire une nuit blanche dessus cette nuit ! D'ailleurs en rentrant de ton boulot tu pourrais nous racheter des pop corn et du Pepsi ? On n'en a plus du tout et c'est vraiment vital pour ce genre de soirées ! » Ses reproches furent accompagnées d'un regard lourd en sous-entendu sur les manquements de Harper. Elle devait avoir honte, de les laisser sans boisson ni nourriture. Et elle se vantait de gérer seule sa maison, mais gérer ne voulait pas dire bien gérer !

Quand Harper se mit à lui crier dessus, Andrew ne savait s'il devait s'en réjouir ou s'inquiéter. D'un côté, il était content, fier, satisfait. Il avait mis Harper hors d'elle, comme la jeune fille l'avait fait en mettant la console dans le garage. Il lui avait rendu la monnaie de sa pièce, mission accomplie, il pouvait rentrer et ranger son costume de justicier. D'un autre côté, Harper lui fichait sacrément les jetons. Il avait l'impression qu'elle allait se jeter sur lui pour le manger tout cru. Pas très sûr de lui, il fit un pas en arrière, par réflexe. Devait-il calmer le jeu ? Hors de question, il n'allait pas retourner sa veste, il devait être chiant jusqu'au bout. Seulement là, il y allait de sa vie, Harper pouvait très bien le tuer dans un coin et le jeter dans une poubelle publique sans que personne ne le sache. Andrew devait donc être prudent, agir stratégiquement ... Ce qui n'avait jamais été son fort, malheureusement. « T'es vraiment une soeur indigne quand tu dis que Alistair et Lynn son immatures, ça se fait pas ... » Il savait très bien que lui faire la morale la pousserait à sortir de ses gonds. Il choisit la provocation, une nouvelle fois. Mais il se tenait prêt, attentif. Si jamais Harper se transformait en hyène, il s'enfuirait à tout jambes.

Pour l'heure, il analysait les paroles de Harper, cherchant une seconde faille. Il voulait son pop corn non de non ! « Ah c'est juste ça ! Bah alors je reformule ma demande : tu peux acheter du pop corn et du Pepsi pour Alistair et Lynn ce soir ? On a prévu une nuit blanche cette nuit » Il lui fit un sourire, parfaitement conscient de sa connerie. Le pire, c'est qu'il avait les 3 dollars en poche, même plus. Depuis qu'il avait accepté de continuer ses études, ses parents avaient cessé de lui couper les vivres. Il savait très bien que ces derniers lui mettait plus sur son compte que ce que gagnait Harper en un mois. Mais elle était vraiment trop méchante pour qu'il se sente coupable. Alors parfois, quand il allait au McDonald's avec Lynn, il l'invitait. Ou au bowling. C'était naturel, il le ferait pour n'importe qui. Mais jamais Harper n'avait été gentille avec lui, alors ce n'était pas aujourd'hui qu'il ferait le premier pas. « Sinon file moi les trois dollars, si t'es trop flemmarde pour faire les courses ... »

Quand Harper précisa au jeune homme qu'elle avait arrêté ses études pour son frère et sa soeur, il sentit comme un reproche dans sa voix. Elle pouvait certes être énervée contre lui pour bien des raisons, mais il était totalement innocent quant à l'arrêt de ses études. Elle le traitait d'immature, mais elle ne valait pas mieux que lui en le tenant responsable de son malheur. Ce sont les lâches, qui rejettent la faute sur les autres. Concrètement, haïr - voire jalouser - Andrew, n'améliorerait pas sa situation. C'était inutile, c'était une réaction de perdant. Et Andrew avait presque envie de la plaindre ... Mais elle était trop égoïste pour ça. « Ils t'ont demandé d'arrêter tes études peut-être ? Je ne pense pas, alors fais pas comme s'ils étaient responsables ... » Certes Andrew était immature, mais ce n'était pas sa faute si Lynn et Alistair l'étaient aussi.

Cependant, Andrew avait conscience de pousser le bouchon toujours un peu plus loin avec Harper. Il était un chieur de première et il avait déjà tenu de telles discussions, juste pour le plaisir de faire enrager la personne. Plusieurs fois, ça s'était mal fini : pleurs, violence, coups, sang ... ou presque. En tout cas, Andrew accumulait peu à peu son petit pécule d'ennemis, et Harper était en passe de passer dans la catégorie des super ennemis, les plus dangereux. Effectivement, Andrew avait visé juste : Harper venait de le gifler et lui hurlait désormais dessus. Alors comme ça, elle l'enviait, d'être un "gamin à ses parents" fortuné ? Andrew avait un scoop pour elle, elle avait choisi la mauvaise banlieue, si elle ne voulait pas croiser des garçons comme Andrew. Et il ne s'aventurait pas énormément en pensant que Magnolia n'était pas le SEUL endroit où les Albright auraient pu se poser. Un endroit où la vie de Harper aurait paru moins "merdique". En la regardant, Andrew se demanda si elle avait déjà eu des tendances suicidaires ... Et c'est alors que toute la méchanceté qu'il avait pour Harper s'évapora. Il tenta de la retenir, s'agrippa de toutes ses forces, mais c'était trop tard : la détresse de la jeune fille l'empêchait de continuer son petit jeu. Elle allait partir, il devait la retenir, même s'il y avait une chance sur un million qu'elle ne se moque pas de lui et de ses problèmes insignifiants. « Tu tires des conclusions trop hâtives Harper » Comment lui dire et surtout jusqu'où pousser la confession ? Andrew réalisait que Harper n'en aurait probablement rien à faire de ses problèmes. « Mes parents ne m'aident pas comme tu dis, ils font pour moi des choix qui sont dans leurs intérêts. T'as peut-être une vie merdique mais au moins c'est toi qui la vit. Et c'est très immature de me coller des étiquettes sans me connaître, sur le coup tu ne vaux pas mieux que moi ... » Il se leva à son tour, prêt à partir. Une drôle d'envie, celle d'aider Harper, le prenait de court. Il ne voulait pas lui raconter sa vie en détail, l'imaginant déjà rire de ses problèmes futiles. Ce qu'elle ne savait pas, c'est qu'Andrew avait un avenir certes tout tracé et florissant, mais c'était un avenir qui ne lui plaisait pas du tout. Reprendre la boîte de son père alors qu'il la ferait couler avant de fêter ses un an au poste de PDG, quel projet. Enfin ... il se doutait que son père serait toujours dans son ombre, alors peut-être pourrait-il réussir, mais être le pantin d'un père inconnu n'était guère plus réjouissant. Et il n'avait aucun échappatoire. Au début, il avait voulu oublier cette perspective, boire pour oublier, mais sa solution de fortune s'était soldée par une cure de désintoxication forcée. Là bas, il s'était enfui plusieurs fois, avait frôlé la mort plus d'une fois ... Mais il avait finalement compris qu'il ne pourrait jamais échapper à la vie dessinée par ses parents. Alors oui, la situation aurait pu être plus facile si, comme Juliet, il s'était réjoui de tout ça. Mais il était incapable de s'épanouir là dedans, rien ne lui plaisait, et ça allait être ainsi durant très longtemps, durant toute sa vie, en somme.

Harper et Andrew se ressemblaient, en fait, avaient bien plus de points communs que ce qu'ils avaient pu croire. Et il ne s'agissait pas seulement de leur âge. Tout deux avaient des parents qui avaient décidé de leur avenir, sans qu'ils puissent émettre une objection. Certes, Andrew s'en sortait mieux, il ne vivait pas dans la même dèche que Harper, et loin de là. Mais maintenant qu'il savait qu'elle n'agissait pas par choix, il la respectait. Il ne ressentait pas de la peine pour elle, non. Il savait qu'elle aurait détesté provoquer un tel sentiment chez quelqu'un. Tout simplement parce que lui était dans ce cas-là. Il ne voulait pas qu'on le prenne en pitié. Il voulait que sa situation change, et que ses parents oublient l'idée utopique où Andrew reprend l'entreprise de son père et tout va bien. Qu'ils arrêtent de se voiler la face : Andrew en Bourse c'est comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. « Tu dois grave en vouloir à tes parents, tu as encore des nouvelles d'eux ? » Soudain, il se sentait incapable de continuer à faire le flemmard avec Lynn et Alistair. Il n'allait pas jusqu'à s'en vouloir, car Andrew détestait ce ressenti. Et puis, Harper aurait dû le mettre au courant avant, c'était sa faute à elle. Mais maintenant, il ne pouvait plus faire comme si de rien était. Lynn et Ali devaient se réveiller, merde.

Malheureusement, même si lui préférait penser au futur et ignorer ses actes passés, Harper ne l'entendait pas de cette oreille. La jeune fille souhaitait mettre les choses au point. Pourquoi avait-il été exécrable avec elle ? Parce que c'était drôle, tout simplement. Et parce qu'il n'avait pas réfléchi, aussi. « Parce que au début je pensais que tu étais une chieuse capricieuse, en fait » Il marqua une pause, réfléchissant un peu. Et là, il eut une idée. Il se leva brusquement, fit quelques pas en arrière, puis revint vers Harper en lui tendant la main. « Hey salut, je m'appelle Andrew Davies et j'ai une vie de merde à cause de mes parents. Et toi, c'est quoi ton nom ? » Recommencer du début, n'était-ce pas la meilleure des solutions dans ce genre de situations ?

Des lettres ... Andrew était incapable de dire quelle était la dernière lettre qu'il avait reçue de ses parents. Cela devait remonter à des lustres. Beaucoup beaucoup de lustres même. Il regarda Harper et lui sourit gentiment. Ils n'avaient pas besoin de parler, mais tous deux devaient penser la même chose : c'était mieux ainsi. Recevoir peu de lettres. Car pour Andrew, chaque lettre reçue était un rappel de la haine qu'il leur vouait. Or, ils restaient ses parents, et un tel sentiment devenait alors très douloureux à porter.


En plus, ils avaient mieux à faire : refaire connaissance, repartir depuis le début. Il avait vraiment envie d'améliorer sa relation avec elle, mais il ne savait pas quelles conséquences ce revirement aurait sur son amitié avec Lynn. Peut-être pourrait-il sensibiliser cette dernière, à propos de l'implication de sa soeur ... Oui mais non. Andrew détestait jouer les rabats joies, ou aborder des sujets trop sérieux. Il faisait certes un effort avec Harper, mais son ton de la plaisanterie restait quand même présent. « Enchanté Harper Albright ! Tu travailles au cinéma c'est ça ? Je t'ai déjà vu deux ou trois fois en venant voir des films » C'est alors qu'il se rappela, son film ! Il était venu pour ça à l'origine, enfin surtout pour embêter Harper, mais aussi un peu pour ça. Il jeta un coup d'oeil à sa montre, le film n'avait pas encore débuté. Mais il s'en fichait, il n'avait plus vraiment envie de le voir. Il se demanda alors si la pause de Harper ne touchait pas à sa fin. Il allait s'en vouloir si, à cause de lui, elle faisait l'objet de réprimandes. Quoi que non, il ne s'en voudrait pas : c'était sa faute à elle, elle devait surveiller l'heure également. C'était elle l'employée après tout, lui n'était que client. « Ta pause va se terminer non ? Ça te dit qu'on se revoir ailleurs, à l'occasion ? Vous pourriez venir manger chez moi avec Lynn et Ali, je fais des pizzas meilleures que les surgelées que t'as dans ton congélo ! » Il lui fit un clin d'oeil, la remarque ne se voulait pas méchante. Et puis, ses cadets étaient déjà venus chez lui plusieurs fois, il était temps que l'aînée se joigne à eux ! « On jouera que à des jeux pas trop geeks pour toi, promis ! »

A la remarque sur le garage, Andrew répondit en tirant la langue. C'était amical, et au fond il était bien content que Harper rit ainsi de ce sujet, désormais. Il méritait bien ces railleries, de toute façon. Quand Harper suggéra de l'aménager, un grand sourire apparut sur son visage. Elle était sérieuse ? Il était bien content, pour une fois il faisait quelque chose de bien et cela ne se soldait pas sur une relation gâchée. Il nota dans sa tête de raconter cette journée à Lou ce soir. « Vraiment ? Han c'est super gentil Harper ! Je crois que j'ai un ancien canapé dans mon grenier en plus, avec Ali on peut le ramener ! »

Mais leur conversation touchait déjà à sa fin, car Harper reprenait le boulot. Le fossé entre eux se dressait de nouveau, mais Andrew tenta de ne pas en prendre compte. Après tout, lui aussi avait un boulot ... il faisait garderie des enfants du quartier. Seulement à la différence d'Harper, il le faisait pour le plaisir, car il était resté un gosse qui adorait s'amuser avec d'autres gosses. Mais qu'importe, il la respectait. « Cool, tu n'oublies pas ma proposition, je te la rappellerai de toute façon ! » Ils prirent la direction du hall du cinéma. « J'attendrai que tu me proposes une date » Il se demanda ce qu'il ferait après, en quittant le cinéma. Il hésitait à aller voir Lynn. S'il racontait à son amie toute la conversation, elle n'y croirait jamais, penserait plutôt que Andrew avait des hallucinations et l'obligerait à prendre un médicament. C'était tellement invraisemblable. Une fois dans le hall du cinéma, il s'arrêta et regarda Harper. « A bientôt alors, et travaille bien ! » Il rit gentiment avant de prendre la direction de la porte. D'abord, il retournerait dans le quartier. Ensuite, il verrait où ses jambes le porteraient.